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14/12/2021 | FRANCE | N°20DA00489

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 14 décembre 2021, 20DA00489


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 16 mars 2020, et des mémoires enregistrés le 22 mars 2021 et le 7 octobre 2021, la société CEPE Chesnots, représentée par Me Yaël Cambus, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 10 janvier 2020 par lequel le préfet de l'Oise a rejeté sa demande d'autorisation d'exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune d'Eragny-sur-Epte ;

2°) d'enjoindre au préfet de l'Oise de reprendre l'instruction sous un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

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°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 76...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 16 mars 2020, et des mémoires enregistrés le 22 mars 2021 et le 7 octobre 2021, la société CEPE Chesnots, représentée par Me Yaël Cambus, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 10 janvier 2020 par lequel le préfet de l'Oise a rejeté sa demande d'autorisation d'exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune d'Eragny-sur-Epte ;

2°) d'enjoindre au préfet de l'Oise de reprendre l'instruction sous un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Naïla Boukheloua, première conseillère,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Yaël Cambus, représentant la société CEPE les Chesnots, et de Me Agnés Lacoste, représentant l' association " Le bruit du vent 2017 " et autres.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. Par un arrêté du 10 janvier 2020, le préfet de l'Oise a refusé d'accorder à la société CEPE Chesnots une autorisation d'exploiter un projet d'installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent comprenant six éoliennes d'une hauteur totale maximale de 180 mètres et deux postes de livraison sur le territoire de la commune d'Eragny-sur-Epte. Les motifs de ce refus sont, d'une part, l'insuffisance de l'analyse figurant dans l'étude d'impact sur les variantes au projet retenu et, d'autre part, l'atteinte que le projet porte à la conservation du château de Gisors classé monument historique et de ses jardins et promenades constituant un site classé. La société CEPE Chesnots demande l'annulation de cet arrêté.

Sur l'intervention en défense des associations " Le bruit du vent 2017 " et " Les amis du vexin français " et des communes de Flavacourt, de la Landelle, de Trie-Château et du Vaumain :

2. Une intervention ne peut être admise que si son auteur s'associe soit aux conclusions de l'appelant, soit à celles du défendeur, présentées dans l'instance en question et qu'il justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige. Par ailleurs, dès lors qu'au moins l'un des intervenants est recevable, une intervention collective est recevable.

3. D'une part, dans la présente instance, la ministre de la transition écologique a déposé, avant la clôture de l'instruction, un mémoire en défense tendant au rejet de la requête. D'autre part, selon l'article 2 de ses statuts, l'association " Le bruit du vent 2017 " a notamment pour objet, sur le territoire des communes d'Eragny-sur-Epte et de Gisors, " la protection de l'environnement, notamment de la flore et de la faune, des paysages, du patrimoine culturel et de la santé humaine contre toutes les atteintes qui pourraient leur être portées, notamment par l'implantation d'éoliennes et des équipements qui leur sont liés " et, selon l'article 2 de ses statuts, l'association " Les amis du vexin français " a pour " objet, d'une part, de protéger et défendre de toute modification substantielle, dégradation ou dénaturation, les patrimoines publics ou privés existants, qu'ils soient bâtis ou non, architecturaux, historiques, paysagers, environnementaux, culturels, ou de toute autre nature, sur le territoire du Vexin français (qui s'étend sur les départements du Val d'Oise, des Yvelines et de l'Oise) et de ses franges, et, d'autre part, de promouvoir auprès du public lesdits patrimoines spécifiques au Vexin Français ". Enfin, ces deux associations sont régulièrement représentées par leur président en vertu de l'article 10 de ses statuts pour la première, et de l'article 11 de ses statuts pour la seconde.

4. Dans ces conditions, eu égard aux fins ainsi poursuivies et aux conséquences éventuelles du projet en cause sur l'environnement paysager dans les communes d'Eragny-sur-Epte et de Gisors, situées dans le département de l'Oise, l'intervention de l'association " Le bruit du vent 2017 " enregistrée le 27 mars 2020 et l'intervention collective, enregistrée le 28 janvier 2021, présentée par cette même association, l'association " Les amis du vexin français " et les communes de Flavacourt, de la Landelle, de Trie-Château et du Vaumain, qui tendent au rejet de la requête, sont recevables alors même qu'elles ont été enregistrées par la cour antérieurement à la date d'enregistrement du mémoire en défense.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne le motif tenant à l'insuffisance de l'étude d'impact sur l'examen des solutions de substitution et sur l'indication des raisons du choix effectué :

5. Il résulte du 7° du II de l'article R. 122-5 du code de l'environnement que l'étude d'impact doit comporter " Une description des solutions de substitution raisonnables qui ont été examinées par le maître d'ouvrage, en fonction du projet proposé et de ses caractéristiques spécifiques, et une indication des principales raisons du choix effectué, notamment une comparaison des incidences sur l'environnement et la santé humaine ".

6. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment du point 5.3.1 de l'étude d'impact et des compléments produits par le maître d'ouvrage le 25 juillet 2019, que l'impact visuel des cinq variantes du projet a été examiné à partir de cinq points de vue situés, pour le premier au village de Flavacourt à proximité immédiate du projet à l'est de celui-ci, pour le deuxième au village d'Eragny-sur-Epte à proximité immédiate du projet au sud-ouest, pour le troisième à Thierceville à proximité immédiate du projet à l'ouest, pour le quatrième sur la butte Monjavoult à plusieurs kilomètres au sud et pour le cinquième à la sortie nord d'Hébécourt au nord-ouest du projet.

7. Le choix de ces points de vue a été justifié par leur proximité par rapport au projet en ce qui concerne Flavacourt, Eragny-sur-Epte et Thierceville mais aussi par leur situation dans la vallée de l'Epte en ce qui concerne ces deux derniers villages, la particulière sensibilité de Thierceville ayant été explicitée au point 4.4.3.1 de l'étude d'impact mise à jour en juillet 2019 et ce point de vue étant une illustration des perceptions du projet au quotidien depuis l'ouest. Le choix de la butte de Monjavoult, au sud-est de Gisors et au sud de Trie-Château, a été motivé par le fait que, de par sa position en surplomb, elle constitue un point de vue emblématique sur les paysages du Vexin français et permet des vues dégagées en direction du projet. Quant au choix d'Hébécourt, il a été justifié par le fait qu'il offre un paysage représentatif de l'unité paysagère du Vexin normand et que l'ouverture des paysages qu'il offre permet des visibilités sur le paysage du Vexin en direction du projet depuis le nord-ouest. Il résulte de l'instruction, et notamment des photomontages réalisés pour chacune des cinq variantes à partir de ces différents points de vue, que ceux-ci permettent effectivement d'apprécier l'incidence visuelle des variantes, la présence du bois des Chênots n'occultant pas le projet au point d'invalider le choix de l'entrée sud d'Eragny-sur-Epte et ce point de vue permettant d'apprécier de manière pertinente la covisibilité entre le village, le bois et les variantes examinées.

8. Compte tenu notamment des nombreux photomontages d'insertion du projet figurant dans l'étude d'impact, il ne résulte pas de l'instruction que les points de vue à partir desquels la décision attaquée a retenu une carence déterminante dans l'examen comparatif des variantes, soit l'entrée nord d'Eragny-sur-Epte sur la route de Bazincourt-sur-Epte, la haute butte du château de Chaumont-en-Vexin, point de vue emblématique sur la vallée de la Troesne, Gisors, Trie-Château et Sérifontaine, auraient permis de mieux apprécier comparativement l'incidence visuelle des variantes ni, compte tenu de l'objectif poursuivi par la partie de l'étude d'impact consacrée à l'examen des solutions de substitution lequel doit conduire à choisir les points de vue en raison de leur pertinence pour comparer l'incidence visuelle des variantes sans que la qualité patrimoniale des points de vue soit un critère déterminant, que l'étude d'impact serait insuffisante sur ce point.

9. D'autre part, l'étude d'impact examine, aux points 5.2.1 et suivants et 5.3.1 et suivants, pour chacune des cinq variantes, les contraintes qu'elles génèrent vis-à-vis du milieu physique, naturel, humain, paysager et patrimonial, le tableau de comparaison thématique des variantes démontrant que la première variante emporte les contraintes les plus fortes au regard du milieu naturel et des paysages, suivie de près par la deuxième variante, la troisième emportant également des contraintes fortes au regard du milieu naturel. La quatrième variante, retenant une implantation de forme concave avec deux lignes hétérogènes de 2 et 4 machines, et la cinquième variante, retenant deux alignements réguliers de 3 machines présentant la même inflexion, sont les moins contraignantes de tous les points de vue, et équivalentes au regard des milieux naturel et humain.

10. Il résulte aussi de l'étude d'impact, compte tenu de la comparaison des photomontages de ces deux dernières variantes, que la cinquième variante a une forme encore plus ramassée qui offre, d'une part, une implantation symétrique, compacte et homogène améliorant la lisibilité du projet dans le paysage et réduisant son emprise sur l'horizon, d'autre part, une configuration s'appuyant sur les lignes de force du paysage, à savoir deux lignes brisées parallèles qui reprennent à la fois l'orientation de la vallée de l'Epte et celle de la cuesta du Vexin, la rendant cohérente avec le grand paysage, enfin, un retrait conservé par rapport aux couloirs valléens de l'Epte et du fond de Saint-Sulpice où s'implantent des hameaux et des villages, permettant de limiter les effets de surplomb et d'écrasement.

11. Dans ces conditions, le préfet n'est pas fondé à soutenir que l'étude d'impact est insuffisante sur l'exposé des raisons, au regard des mesures d'évitement et de réduction des effets sur l'environnement, pour lesquelles la cinquième variante a été retenue par le maître d'ouvrage.

12. Il résulte de ce qui précède que le premier motif de la décision attaquée est illégal en ce qu'il manque en fait.

En ce qui concerne le motif tenant à l'atteinte portée à la conservation du château de Gisors et de ses jardins et promenades :

13. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas (...) ". Cet article L. 511-1 mentionne, parmi les intérêts à protéger, la conservation des sites et des monuments.

14. Il est constant que le projet litigieux sera visible vers le nord du haut du donjon du château de Gisors accessible au public, monument historique classé dont l'architecte des bâtiments de France a souligné la valeur patrimoniale comme témoignage incontestable de l'architecture militaire en France au XIIème siècle.

15. Pour autant, d'une part il résulte de l'instruction, eu égard notamment aux prises de vue et photomontages produits dans l'étude d'impact, que le projet s'inscrira, d'un point de vue panoramique centré vers le nord, dans un paysage ouvert marqué au premier plan par une urbanisation contemporaine et dense n'offrant pas de caractère particulier et dominée par un château d'eau, et au second plan par un contexte paysager agricole ouvert, la distance de sept kilomètres séparant le projet de Gisors réduisant sensiblement l'effet de gigantisme de sa perception visuelle. Par ailleurs, les masques boisés et les murailles qui entourent les jardins et les promenades du château, site classé, occultent toute vue en direction du nord, le projet n'étant, par suite, pas visible à leur niveau.

16. D'autre part, c'est en direction du sud, c'est-à-dire à l'opposé du projet qui n'est, dès lors, pas visible, que s'offre au regard le cœur historique de la ville et la cathédrale Saint-Gervais Saint-Protais.

17. Enfin, si le projet litigieux est visible en même temps que Gisors, sur un tronçon de la route départementale 181 accédant par le sud-ouest à cette ville, il s'agit d'une vue dynamique et latérale dont il ne résulte aucun sentiment d'écrasement visuel du site qui est, en tout état de cause, encaissé depuis ce point de vue.

18. Dans ces conditions, le second motif de la décision attaqué est aussi illégal en ce qu'il est entaché d'erreur d'appréciation.

19. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que l'arrêté du 10 janvier 2020 par lequel le préfet de l'Oise a rejeté la demande de la société CEPE Chesnots doit être annulé.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

20. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. "

21. L'exécution du présent arrêt implique que l'instruction de la demande d'autorisation environnementale soit reprise. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de l'Oise de reprendre l'instruction de cette demande dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

22. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société CEPE Chesnots et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Les interventions des associations " Le bruit du vent 2017 " et " Les amis du vexin français " et des communes de Flavacourt, de la Landelle, de Trie-Château et du Vaumain sont admises.

Article 2 : L'arrêté du 10 janvier 2020 par lequel le préfet de l'Oise a rejeté la demande d'autorisation d'exploiter un parc éolien de la société CEPE Chesnots est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Oise de reprendre l'instruction de la demande de la société CEPE Chesnots dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à la société CEPE Chesnots une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société CEPE Chesnots et à la ministre de la transition écologique, et à l'association " le Bruit du Vent 2017 " qui a été désignée à cette fin dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, et au préfet de l'Oise.

N°20DA00489

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20DA00489
Date de la décision : 14/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Energie.

Nature et environnement - Installations classées pour la protection de l'environnement - Régime juridique - Pouvoirs du préfet - Instruction des demandes d'autorisation.


Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: Mme Naila Boukheloua
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : MONAMY

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-12-14;20da00489 ?
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