Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La fédération de la Confédération Générale du Travail (CGT) des personnels du commerce, de la distribution et des services a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 6 novembre 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts-de-France a validé l'accord collectif majoritaire fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Top Office.
Par un jugement n° 2008803 du 26 février 2021, le tribunal administratif de Lille a annulé cette décision.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 mars 2021 et 5 mai 2021, sous le n° 21DA00734, la société Top Office, représentée par Me A... C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par la fédération de la CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services devant le tribunal administratif de Lille ;
3°) de réserver les dépens.
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II. Par une requête enregistrée le 12 avril 2021, sous le n° 21DA00815, la société Top Office, représentée par Me A... C..., demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Lille du 26 février 2021.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative) ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente-rapporteure,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- les observations de Me A... C..., représentant la société Top Office et M. B... D..., représentant la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée Top Office, dont le siège social est situé à Lezennes, est spécialisée dans la commercialisation d'articles de papeterie, d'informatique et de matériels de bureau. Elle emploie trois cent quatre-vingt-six salariés au sein de vingt-huit magasins implantés sur le territoire national. Au début de l'année 2020, la société Top Office a souhaité procéder à une restructuration pour motif économique visant à supprimer quatre-vingt-dix-sept postes de travail. Un accord collectif majoritaire fixant le plan de sauvegarde de l'emploi a été signé le 13 octobre 2020 entre la direction de la société Top office et les représentants des organisations syndicales CFE-CGC et CFTC. Par une décision du 6 novembre 2020, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Hauts-de-France a validé cet accord collectif majoritaire. La société Top Office relève appel du jugement du 26 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé, à la demande de la fédération de la Confédération Générale du Travail (CGT) des personnels du commerce, de la distribution et des services, cette décision.
Sur la jonction :
2. Les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même jugement. Il y a donc lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :
3. Aux termes de l'article L. 1233-24-1 du code du travail : " Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, un accord collectif peut déterminer le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63 ainsi que les modalités de consultation du comité social et économique et de mise en oeuvre des licenciements. Cet accord est signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants, ou par le conseil d'entreprise dans les conditions prévues à l'article L. 2321-9. L'administration est informée sans délai de l'ouverture d'une négociation en vue de l'accord précité. ". Les dispositions de l'article L. 1233-24-3 du même code précisent que " L'accord prévu à l'article L. 1233-24-1 ne peut déroger : / (...) 3° A l'obligation, pour l'employeur, de proposer aux salariés le contrat de sécurisation professionnelle prévu à l'article L. 1233-65 ou le congé de reclassement prévu à l'article L. 1233-71 (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-57-2 du code du travail : " L'autorité administrative valide l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 dès lors qu'elle s'est assurée de : 1° Sa conformité aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-3 ; 2° La régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique ; 3° La présence dans le plan de sauvegarde de l'emploi des mesures prévues aux articles L. 1233-61 et L. 1233-63. ".
4. Aux termes de l'article L. 1233-71 du code du travail, dans sa version en vigueur à la date d'engagement de la procédure de licenciement : " Dans les entreprises ou les établissements d'au moins mille salariés, ainsi que dans les entreprises mentionnées à l'article L. 2331-1 et celles répondant aux conditions mentionnées aux articles L. 2341-1 et L. 2341-2, dès lors qu'elles emploient au total au moins mille salariés, l'employeur propose à chaque salarié dont il envisage de prononcer le licenciement pour motif économique un congé de reclassement qui a pour objet de permettre au salarié de bénéficier d'actions de formation et des prestations d'une cellule d'accompagnement des démarches de recherche d'emploi. . / (...) Ce congé débute, si nécessaire, par un bilan de compétences qui a vocation à permettre au salarié de définir un projet professionnel et, le cas échéant, de déterminer les actions de formation nécessaires à son reclassement. Celles-ci sont mises en oeuvre pendant la période prévue au premier alinéa. / L'employeur finance l'ensemble de ces actions. ".
5. Le I de l'article L. 2331-1 du même code dispose que : " I. - Un comité de groupe est constitué au sein du groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante, dont le siège social est situé sur le territoire français, et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. ". Aux termes de l'article L. 233-1 du code de commerce : " Lorsqu'une société possède plus de la moitié du capital d'une autre société, la seconde est considérée, pour l'application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme filiale de la première. ". Aux termes de l'article L. 233-3 du même code : " I.- Toute personne, physique ou morale, est considérée, pour l'application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre : / 1° Lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ; / 2° Lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société ; / 3° Lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ; / 4° Lorsqu'elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société. / II. - Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu'elle dispose directement ou indirectement, d'une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu'aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne. (...) ". Aux termes de l'article L. 233-16 du même code : " I.- Les sociétés commerciales établissent et publient chaque année à la diligence du conseil d'administration, du directoire, du ou des gérants, selon le cas, des comptes consolidés ainsi qu'un rapport sur la gestion du groupe, dès lors qu'elles contrôlent de manière exclusive ou conjointe une ou plusieurs autres entreprises, dans les conditions ci-après définies. / II. - Le contrôle exclusif par une société résulte : / 1° Soit de la détention directe ou indirecte de la majorité des droits de vote dans une autre entreprise ; / 2° Soit de la désignation, pendant deux exercices successifs, de la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance d'une autre entreprise. La société consolidante est présumée avoir effectué cette désignation lorsqu'elle a disposé au cours de cette période, directement ou indirectement, d'une fraction supérieure à 40 % des droits de vote, et qu'aucun autre associé ou actionnaire ne détenait, directement ou indirectement, une fraction supérieure à la sienne ; / 3° Soit du droit d'exercer une influence dominante sur une entreprise en vertu d'un contrat ou de clauses statutaires, lorsque le droit applicable le permet. / III. - Le contrôle conjoint est le partage du contrôle d'une entreprise exploitée en commun par un nombre limité d'associés ou d'actionnaires, de sorte que les décisions résultent de leur accord. ". Enfin, l'article L. 2331-4 du code du travail dispose que " Ne sont pas considérées comme des entreprises dominantes, les entreprises mentionnées aux points a et c du paragraphe 5 de l'article 3 du règlement CE n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 sur les concentrations ".
6. Il résulte de l'article L. 1233-24-3 du code du travail que l'autorité administrative doit s'assurer de ce que l'accord collectif ne déroge pas à l'obligation de proposer un congé de reclassement, prévue à l'article L. 1233-71 du code du travail, y compris dans l'hypothèse, qui est celle de l'espèce, où l'accord prévoit la proposition du contrat de sécurisation professionnelle. Il est constant que la société Top Office n'est pas une entreprise de plus de 1 000 salariés, ni ne relève d'un groupe de dimension communautaire au sens des articles L. 2341-1 et L. 2342-1 du code du travail et n'est susceptible d'entrer dans le champ de l'article L. 1233-71 que par le renvoi qu'opère cet article à l'article L. 2331-1 du même code.
7. En premier lieu, le renvoi ainsi opéré par l'article L. 1233-71 vise les " entreprises " et non le dispositif même du comité de groupe auquel sont consacrés le titre III et le chapitre 1er " mise en place " où s'insère l'article L. 2331-1. La circonstance que les dispositions contenues dans les articles L. 2331-1 et L. 2231-4 du code du travail sont similaires à celles qui figuraient au sein d'un seul et même article L439-1, antérieurement à l'ordonnance portant nouvelle codification du code du travail du 12 mars 2007, ne saurait suffire à faire regarder ce renvoi explicite comme s'étendant implicitement à l'article L. 2331-4 du code du travail qui exclut certaines entreprises du champ du dispositif de comité de groupe. Dès lors et ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, le moyen tiré de ce que les dispositions de cet article L. 2331-4 devraient être également prises en compte pour la détermination du périmètre du groupe retenu pour imposer à l'employeur de proposer un congé de reclassement doit être écarté.
8. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que la société Top Office appartient à l'ensemble des entreprises placées sous le contrôle de la société Singita Bis, située en Belgique qui détient 99,9 % du capital de la société Singita SCA, autre société de droit belge qui détient 66 % du capital de la société Acadie, également basée en Belgique, qui détient la totalité du capital de la société SFPP, société basée en France, qui détient elle-même, d'une part, 100 % de la société SDAB, qui détient la totalité du capital de la société Top office et, d'autre part, 96,865% de la société SDAE, qui détient quant à elle la totalité de la société Tape à l'oeil, spécialisée dans la vente de vêtements pour enfants. Ainsi que l'ont également estimé à juste titre les premiers juges, les détentions capitalistiques ainsi décrites révèlent que la société Top Office doit être regardée comme appartenant à un groupe de sociétés au sens du I de l'article L. 2331-1 du code du travail, dominé en France par la société SFPP, quand bien même elle n'est qu'une société de prise de participation, et sans qu'ait d'influence sur cette qualification la circonstance que la société SFPP est elle-même dominée par des sociétés ayant leur siège en Belgique. Compte tenu du nombre de salariés employés au sein des entreprises placées sous la domination de la société SFPP, qui comprend notamment la société Tape à l'oeil qui emploie sept cent cinquante-sept salariés, le seuil de 1 000 salariés prévu par le premier alinéa de l'article L. 1233-71 du code du travail se trouve atteint. Dès lors, l'autorité administrative ne pouvait légalement valider l'accord collectif en cause alors que la société Top Office n'avait pas proposé au sein de l'accord majoritaire un congé de reclassement à ses salariés. Par suite, la société Top Office n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, pour ce motif, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 6 novembre 2020.
Sur la requête n°21DA00815 :
9. La cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête de la société Top Office tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 21DA00815 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
10. Il résulte de ce qui précède que la société Top Office n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 6 novembre 2020. La présente instance n'ayant entraîné aucuns dépens, les conclusions de la société Top Office tendant à ce que les dépens soient " réservés " ne peuvent qu'être rejetées. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Top Office, le versement à la fédération de la CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête n°21DA00734 de la société Top Office est rejetée.
Article 2 : La société Top Office versera à la fédération de la CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n°21DA00815 tendant au sursis à l'exécution du jugement.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Top Office et à la fédération de la CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services.
Copie sera adressée pour information à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
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N°s21DA00734,21DA00815
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N°"Numéro"