Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la chambre de commerce et d'industrie de Normandie à lui verser une indemnité de 20 000 euros au titre des préjudices qu'elle a subis du fait de l'irrégularité de ses conditions de travail, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, et de mettre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie de Normandie une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1801405 du 31 janvier 2020, le tribunal administratif de Rouen a condamné la chambre de commerce et d'industrie de Normandie à verser à Mme B... une somme de 500 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 décembre 2016, capitalisés à compter du 21 avril 2018 au titre des préjudices subis ainsi qu'une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 mars 2020 et 23 mars 2021, Mme B..., représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement en tant qu'il ne lui a pas accordé la somme sollicitée ;
2°) de condamner la chambre de commerce et d'industrie de Normandie à lui verser une indemnité de 20 000 euros au titre des préjudices qu'elle a subis du fait de l'irrégularité de ses conditions de travail, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge la chambre de commerce et d'industrie de Normandie la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 7611 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ;
- l'arrêté du 25 juillet 1997 modifié relatif au statut du personnel de l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur-public,
- et les observations de Me C... pour la chambre de commerce et d'industrie de Normandie.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... B..., agent de la chambre de commerce et d'industrie de Normandie, a exercé les fonctions d'inspecteur des péages du 5 décembre 1994 au 13 août 2015 des ponts de Tancarville et de Normandie. Par deux réclamations préalables, adressées les 27 décembre 2016 et 22 décembre 2017, Mme B... a demandé à la chambre de commerce et d'industrie de Normandie d'être indemnisée au titre du préjudice financier et des troubles dans les conditions d'existence découlant de l'absence des temps de pause effectifs pendant son travail. Elle relève appel du jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 31 janvier 2020 en tant qu'il n'a fait droit qu'à hauteur de 500 euros à sa demande de condamnation de la chambre de commerce et d'industrie de Normandie à lui verser une somme totale de 20 000 euros au titre des préjudices résultant de l'irrégularité de ses conditions de travail. Par la voie de l'appel incident, la chambre de commerce et d'industrie de Normandie demande l'annulation de ce jugement.
Sur les fins de non-recevoir opposées par la chambre de commerce et d'industrie de Normandie :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. / Toutefois, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort : [...] 8° Sauf en matière de contrat de la commande publique sur toute action indemnitaire ne relevant pas des dispositions précédentes, lorsque le montant des indemnités demandées n'excède pas le montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 ". En application de ces derniers articles, ce montant est limité à 10 000 euros et est déterminé par la valeur totale des sommes demandées dans la requête introductive d'instance.
3. Il résulte de l'instruction que, dans sa demande introduite tant devant le tribunal administratif de Rouen que devant la cour administrative d'appel de Douai, Mme B... a sollicité l'indemnisation d'un préjudice évalué à la somme totale de 20 000 euros. Par suite et conformément à l'article R. 811-1 précité du code de justice administrative, le jugement attaqué est susceptible d'appel contrairement à ce que soutient la chambre de commerce et d'industrie de Normandie.
4. En second lieu, aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ".
5. Une requête d'appel qui se borne à reproduire intégralement et exclusivement le texte du mémoire de première instance ne satisfait pas aux prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, en vertu desquelles la requête doit, à peine d'irrecevabilité, contenir l'exposé des faits et moyens ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge et ne peut être régularisée que jusqu'à l'expiration du délai d'appel.
6. Il résulte de la requête d'appel présentée par Mme B... que celle-ci ne constitue pas la reproduction littérale de ses écritures de première instance mais qu'elle énonce de manière précise les critiques formulées à l'encontre du rejet de sa demande indemnitaire et à l'encontre du jugement attaqué, en particulier s'agissant du montant retenu par les premiers juges au titre du préjudice subi. Par suite, la requête d'appel répond aux exigences de motivation prévues par l'article R. 411-1 du code de justice administrative, de sorte que la fin de non-recevoir tirée de la méconnaissance de ces dispositions doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'existence d'une faute :
S'agissant du temps de pause :
7. D'une part, aux termes de l'article 2 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, le " temps de travail " est défini comme " toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales " et la " période de repos " est définie comme " toute période qui n'est pas du temps de travail ". Aux termes de l'article 4 " temps de pause " de la même directive : " Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie, au cas où le temps de travail journalier est supérieur à six heures, d'un temps de pause dont les modalités, et notamment la durée et les conditions d'octroi, sont fixées par des conventions collectives ou accords conclus entre partenaires sociaux ou, à défaut, par la législation nationale. " Aux termes de l'article 17 " dérogations " de la même directive : " 1. Dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, les États membres peuvent déroger aux articles 3 à 6, 8 et 16 lorsque la durée du temps de travail, en raison des caractéristiques particulières de l'activité exercée, n'est pas mesurée et/ou prédéterminée ou peut être déterminée par les travailleurs eux-mêmes [...] ".
8. D'autre part, aux termes de l'article 3-2 de l'annexe 1 à l'article 26 du statut du personnel de l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie approuvé par l'arrêté du 25 juillet 1997 modifié : " [...] Aucun temps de travail quotidien ne peut atteindre six heures sans que les agents bénéficient d'une pause d'une durée minimale de vingt minutes ".
9. En premier lieu, la chambre de commerce et d'industrie de Normandie ne saurait utilement se prévaloir de la dérogation prévue à l'article 17 précité de la directive du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, s'agissant notamment des dispositions relatives au temps de pause, qui renvoie expressément, pour ses modalités d'application, à la réglementation nationale dès lors que le statut du personnel de l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie, dont relève Mme B..., n'a pas entendu faire application d'une telle dérogation. En tout état de cause, si le temps consacré par l'intéressée à certaines de ses activités, notamment celles nécessitant ses interventions auprès des receveurs qu'elle encadrait et qui sont chargés de percevoir les péages acquittés par les usagers des ponts de Tancarville et de Normandie ou auprès des usagers eux-mêmes, ne peut être prédéterminé, il n'en va pas de même de la durée journalière du temps de travail de huit heures. Par suite, la chambre de commerce et d'industrie de Normandie n'est, en tout état de cause, pas fondée à solliciter le bénéfice des dérogations prévues à l'article 17 de la directive du 4 novembre 2003.
10. En second lieu, il résulte de l'instruction que Mme B... exerçait son activité sur des plages horaires de huit heures (5h-13h, 13h-21h ou 21h-5h). Si la chambre de commerce et d'industrie de Normandie soutient que celle-ci disposait nécessairement de temps de pause au cours de chacune des plages horaire de huit heures du fait du caractère discontinu de son activité, elle ne conteste pas que l'intéressée était, au cours des périodes d'absence d'activité, contrainte d'être physiquement présente sur son lieu de travail et de s'y tenir à la disposition de son employeur pour pouvoir immédiatement fournir ses services en cas de besoin. Dans ces conditions, l'intégralité de la période de huit heures durant laquelle Mme B... était au travail doit être regardée comme du temps de travail et non, y compris en partie, comme une période de repos au sens de la directive du 4 novembre 2003. Dès lors, Mme B... doit être regardée comme n'ayant pas pu bénéficier, et alors que son travail quotidien dépassait six heures, du temps de pause d'une durée minimale de vingt minutes prévu par l'article 3-2 de l'annexe 1 à l'article 26 du statut du personnel de l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie, lequel doit être interprété à la lumière des dispositions de la directive du 4 novembre 2003. La circonstance invoquée que les périodes d'absence d'activité effective aient été rémunérées à hauteur de trente minutes par jour en sus des huit heures de travail est sans incidence sur ce constat. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de l'inégalité de traitement avec les agents effectuant les tâches de receveurs soulevé dans la requête, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'une telle méconnaissance fautive du statut du personnel dont relevait Mme B... était susceptible d'engager la responsabilité de la chambre de commerce et d'industrie de Normandie.
S'agissant du temps de travail journalier :
11. Il résulte de l'instruction que, si Mme B... soutient qu'elle effectuait en réalité huit heures et trente minutes de travail quotidien effectif et non huit heures, dès lors qu'elle devait prendre son poste un quart d'heure avant le début de la plage horaire concernée et le terminer un quart d'heure après la fin de celle-ci, elle n'apporte pas d'élément de nature à l'établir. Par suite, elle n'est pas fondée à engager à demander la condamnation de la chambre de commerce et d'industrie de Normandie à ce titre.
En ce qui concerne le préjudice :
12. La méconnaissance des dispositions relatives au temps de pause applicables aux travailleurs dont le temps de travail journalier est supérieur à six heures prévues tant par le droit de l'Union européenne que par le droit national ne peut ouvrir droit par lui-même qu'à l'indemnisation des préjudices résultant de l'atteinte à la santé et à la sécurité ainsi que des troubles subis dans les conditions d'existence.
13. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que Mme B... ne saurait utilement se prévaloir d'un préjudice financier en lien direct avec l'illégalité fautive relevée. Par ailleurs, le préjudice moral invoqué n'est pas établi par les pièces versées au dossier. En revanche, et dès lors que l'intéressée n'a pu bénéficier du temps de pause d'au moins vingt minutes au cours de chaque plage horaire d'activité de huit heures qu'elle a accomplie, elle est fondée à solliciter l'indemnisation des troubles subis dans ses conditions d'existence. Il en sera fait une juste appréciation, au regard du temps de travail mensuel de l'intéressée et de son ancienneté dans ses fonctions, en évaluant l'indemnisation de ce chef de préjudice à la somme de 3 000 euros.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a limité l'indemnisation à laquelle elle pouvait prétendre à la somme de 500 euros. Cette somme doit être portée à 3 000 euros.
En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :
15. Mme B... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 3 000 euros à compter du 28 décembre 2016, date de la réception de sa demande indemnitaire préalable par la chambre de commerce et d'industrie de Normandie, ainsi que leur capitalisation à compter du 21 avril 2018, date à laquelle celle-ci a été demandée et à laquelle était due au moins une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
En ce qui concerne les conclusions d'appel incident :
16. Il résulte de ce qui précède, et notamment des points 9 et 10 du présent arrêt, que les conclusions d'appel incident de la chambre de commerce et d'industrie de Normandie tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 31 janvier 2020 et au rejet de la demande introduite par Mme B... devant le tribunal doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme B... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante au titre des frais exposés par la chambre de commerce et d'industrie de Normandie, et non compris dans les dépens. En revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie de Normandie, la somme de 1 500 euros à verser à Mme B... au titre de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 500 euros que la chambre de commerce et d'industrie de Normandie a été condamnée à verser à Mme B... par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Rouen du 31 janvier 2020, en réparation des préjudices subis du fait de ses conditions d'emploi, est portée à la somme de 3 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 décembre 2016 ainsi que de leur capitalisation à compter du 21 avril 2018 puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 31 janvier 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : La chambre de commerce et d'industrie de Normandie versera à Mme B... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions d'appel incident présentées par la chambre de commerce et d'industrie de Normandie et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Me E... pour Mme D... B... et à Me A... pour la chambre de commerce et d'industrie de Normandie.
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N°20DA00579
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