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13/04/2021 | FRANCE | N°21DA00148

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 13 avril 2021, 21DA00148


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 9 de la loi du 5 juillet 2020 et d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 28 décembre 2020 portant mise en demeure des occupants sans titre appartenant à la communauté des gens du voyage de quitter dans les vingt-quatre heures la presqu'île Waddington-Esplanade Saint Gervais à Rouen.

Par jugement n° 2100016 du 11 janvier 2021

, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 9 de la loi du 5 juillet 2020 et d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 28 décembre 2020 portant mise en demeure des occupants sans titre appartenant à la communauté des gens du voyage de quitter dans les vingt-quatre heures la presqu'île Waddington-Esplanade Saint Gervais à Rouen.

Par jugement n° 2100016 du 11 janvier 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par requête enregistrée le 22 janvier 2021, M. B..., représenté par Me Benoît Arvis, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative, notamment ses articles L. et R. 779-1 et suivants.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Heinis, président de chambre,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique du litige :

1. La loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage impose aux communes figurant à un schéma départemental de créer des aires d'accueil des gens du voyage et, pour les inciter à remplir cette obligation, prévoit qu'elles peuvent dans ce cas interdire le stationnement des gens du voyage hors des aires d'accueil et faire procéder, en cas de stationnement irrégulier de nature à porter atteinte à l'ordre public, à l'évacuation forcée des occupants au terme d'une procédure rapide qui déroge au droit commun.

2. Aux termes de l'article 9 de cette loi : " (...) II. En cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté prévu au I ou au I bis, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain occupé peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. / La mise en demeure ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques. / La mise en demeure est assortie d'un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à 24 heures. Elle est notifiée aux occupants et publiée sous forme d'affichage en mairie et sur les lieux. (...) II bis. Les personnes destinataires de la décision de mise en demeure (...) peuvent, dans le délai fixé par celle-ci, demander son annulation au tribunal administratif. Le recours suspend l'exécution de la décision du préfet à leur égard. Le président du tribunal ou son délégué statue dans un délai de 48 heures à compter de sa saisine. (...) ".

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

4. Par ses décisions n° 2010-13 QPC du 9 juillet 2010 et n° 2019-805 QPC du 27 septembre 2019, le Conseil constitutionnel a, dans ses motifs et son dispositif, déclaré l'article 9 de la loi du 5 juillet 2020 conforme à la Constitution. Aucun changement de circonstances survenu depuis ces décisions n'est de nature à justifier que la conformité de cette disposition à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel. Ainsi, et alors même que ces décisions ne se sont pas expressément prononcées sur les moyens tirés, en l'absence de procédure administrative contradictoire préalable à la mise en demeure, de l'incompétence négative du législateur et de la méconnaissance du principe constitutionnel des droits de la défense, ces moyens doivent être écartés, sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

5. En tout état de cause, les II et II bis de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2020, ainsi que les articles R. 779-1 et suivants du code de justice administrative pris pour leur application, ont prévu que le destinataire de la mise en demeure peut la contester devant le tribunal administratif dans le délai d'exécution, d'au moins vingt-quatre heures, fixé par la mise en demeure, que ce recours suspend l'exécution de la mise en demeure et que le magistrat désigné statue dans les quarante-huit heures de sa saisine. A l'appui de sa requête en annulation et jusqu'à la clôture de l'instruction à l'issue de l'audience, le requérant peut présenter tous moyens. Si ces II et II bis n'ont ainsi pas instauré une procédure contradictoire avant la mise en demeure, ils ont instauré une procédure contradictoire avant la prise d'effet de cette mise en demeure. La question prioritaire de constitutionnalité invoquée est ainsi dépourvue de caractère sérieux.

Sur la régularité du jugement :

6. Il résulte de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 et de l'article R. 779-3 du code de justice administrative qu'un délai de quarante-huit heures à compter de l'enregistrement de la requête est imparti au président du tribunal administratif ou à son délégué pour statuer sur la requête dirigée contre une mise en demeure de quitter les lieux.

7. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence (...) ". Il résulte de cette disposition que le délai suffisant laissé à une partie pour répondre à un mémoire de l'adversaire doit être adapté aux nécessités de l'urgence.

8. En l'espèce, la requête de douze pages et le mémoire posant une question prioritaire de constitutionnalité de six pages présentés pour le requérant ont été déposés au tribunal administratif le 5 janvier 2021 à 22 heures 10 et le 6 janvier à 12 heures 39. Le greffe a communiqué cette requête et ce mémoire à la préfecture le 6 janvier à 14 heures 24 et à 16 heures 40. Les défenses de cinq et deux pages déposées au tribunal le 7 janvier à 16 heures 35 et 16 heures 41 ont été communiquées au conseil du requérant le 8 janvier à 8 heures 15. L'audience s'est tenue le 8 janvier à 10 heures et a vu le conseil du requérant présenter, ainsi que le jugement l'a relevé, des " observations " puis de " nouvelles observations " et enfin des " observations ultimes ".

9. Le requérant a ainsi produit à l'instance des observations écrites circonstanciées dont une question prioritaire de constitutionnalité. Les défenses lui ont été communiquées près de deux heures avant l'audience et, en vertu de l'article R. 779-3 du code de justice administrative, le conseil du requérant est réputé les avoir reçues dès leur mise à disposition dans l'application télérecours. Alors que selon l'article R. 779-5 du même code " le juge statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale ", le même conseil a présenté à trois reprises des observations pendant l'audience. Si l'instruction a été close après les observations orales des parties, en vertu de ce même article R. 779-5, ce conseil pouvait déposer une note en délibéré jusqu'à la lecture du jugement le 11 janvier 2021. Enfin, la requête d'appel n'a pas précisé quels éléments complémentaires auraient pu être invoqués si un délai supplémentaire avait été laissé au demandeur pour réagir aux défenses.

10. Dans ces conditions et alors que le délai imparti au magistrat désigné pour statuer sur la requête était expiré depuis le 7 janvier 2021 à 22 heures 10, le jugement du 11 janvier 2021 n'est pas intervenu en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure.

Sur la légalité de la mise en demeure :

11. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles le préfet, en cas de stationnement irrégulier d'occupants appartenant à la communauté des gens du voyage, les met en demeure de quitter les lieux.

12. Dès lors, l'article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 repris à l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, qui fixe les règles générales de procédure applicables aux décisions qui doivent être motivées ou qui sont prises en considération de la personne, ne saurait être utilement invoqué à l'encontre de la mise en demeure litigieuse.

13. En deuxième lieu, cette mise en demeure constitue une mesure de police administrative. Compte tenu de son caractère préventif, le principe général des droits de la défense ne lui est pas applicable et le moyen tiré de la violation de ce principe doit donc être écarté.

14. En troisième lieu, il résulte de l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 7 février 2014 que la presqu'île Waddington-Esplanade Saint Gervais est située à l'intérieur des limites administratives du Grand Port Maritime de Rouen. Elle relève donc, en vertu de l'article L. 2111-6 du code général de la propriété des personnes publiques, du domaine public maritime artificiel dont cet établissement public est le gestionnaire.

15. Dès lors, le Grand Port Maritime de Rouen était, même en l'absence de convention en ce sens, titulaire du droit d'usage du terrain occupé au sens du II de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 et son directeur avait donc qualité pour demander au préfet, comme il l'a fait par sa lettre du 3 décembre 2020, de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux.

16. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment de cette même lettre, du rapport de police et du procès-verbal du 22 décembre 2020, que 94 caravanes de gens du voyage et leurs véhicules tracteurs étaient alors installés sur la presqu'île Waddington-Esplanade Saint Gervais, sans disposer de sanitaires, et que des branchements illicites y avaient été réalisés, sans respecter les règles de l'art, sur quatre bornes à incendie et sept postes électriques affectés en principe aux forains et aux bateaux amarrés.

17. Dès lors, même si la foire de Saint-Romain a été annulée en 2020 et en admettant même que l'accès à ces quatre bornes à incendie n'ait pas été bloqué ou que d'autres bornes à incendie n'aient pas été utilisées, le stationnement en cause était de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques et le préfet n'a donc pas fait une inexacte application du II de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000.

18. En cinquième lieu, le II de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 a prévu d'assortir la mise en demeure, ainsi qu'il a été dit, " d'un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à 24 heures ".

19. En admettant même que l'occupation en cause ait débuté dès novembre 2020, eu égard à la nature des risques susanalysés, même si la mise en demeure litigieuse a été édictée six jours après le rapport de police, même si elle n'a été notifiée que huit jours plus tard et alors qu'elle a relevé, son inexactitude sur ce point ne résultant pas des photographies produites, que 30 emplacements étaient alors disponibles sur les aires d'accueil des gens du voyage de Rouen/Petit-Quevilly, Oissel, Elbeuf, Bois-Guillaume, Sotteville-lès-Rouen et Le Trait, le délai d'exécution de vingt-quatre heures imparti par cette mise en demeure était nécessaire, adapté et proportionné à sa finalité.

20. Il résulte de tout ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

21. La demande présentée par le requérant, partie perdante, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doit être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée pour M. B....

Article 2 : La requête de M. B... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me Benoît Arvis pour M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Seine-Maritime.

N° 21DA00148 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA00148
Date de la décision : 13/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Police - Polices spéciales - Police des gens du voyage.

Procédure.


Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Marc Heinis
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : SCP ARVIS et KOMLY-NALLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-04-13;21da00148 ?
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