Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 90 000 euros au titre du préjudice financier et la somme de 15 000 euros au titre du préjudice moral qu'elle estime avoir subis ainsi que les intérêts au taux légal et la capitalisation de ces intérêts à compter de la réception de sa réclamation préalable, en raison de fautes résultant de la mauvaise gestion de sa carrière, de son absence d'affectation sur un poste, du harcèlement moral dont elle a été victime, de son absence d'avancement de grade et de la discrimination syndicale dont elle a fait l'objet ainsi que de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1602727 du 7 juin 2018, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 juillet 2018 et 1er décembre 2020, Mme B..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 90 000 euros en réparation de son préjudice financier et de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral, assorties des intérêts à taux légal à compter de la réception de sa réclamation préalable et de leur capitalisation à compter d'une année d'intérêts due et à chaque échéance ultérieure ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
- le décret n° 92-1189 du 6 novembre 1992 ;
- le décret n° 99-823 du 17 septembre 1999 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... B... a été recrutée en qualité d'auxiliaire d'enseignement le 2 mai 1981. A la suite de sa titularisation dans le grade de professeur de lycée professionnel de classe normale, elle a enseigné dans plusieurs collèges et lycées du département de la Seine-Maritime avant de faire valoir ses droits à la retraite le 1er novembre 2012. Elle a adressé à la rectrice de l'académie de Rouen, le 6 juillet 2015, une réclamation préalable, demeurée sans réponse, tendant à ce que lui soit allouée une indemnisation compte tenu des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la mauvaise gestion de sa carrière, de son absence d'affectation sur un poste au cours de l'année scolaire 2011-2012, du harcèlement moral dont elle a été victime, de son absence d'avancement au grade de professeur hors classe et de la discrimination syndicale dont elle a fait l'objet. Mme B... relève appel du jugement du 7 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat l'indemnise des préjudices subis.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité pour faute de l'Etat :
S'agissant de l'absence de missions :
2. Aux termes de l'article 1er du décret du 17 septembre 1999 relatif à l'exercice des fonctions de remplacement dans les établissements d'enseignement du second degré : " Des personnels enseignants du second degré, des personnels d'éducation et d'orientation, titulaires et stagiaires, peuvent être chargés, dans le cadre de l'académie et conformément à leur qualification, d'assurer le remplacement des agents momentanément absents ou d'occuper un poste provisoirement vacant. " Aux termes de l'article 5 du même décret : " Entre deux remplacements, les personnels enseignants peuvent être chargés, dans la limite de leur obligation de service statutaire et conformément à leur qualification, d'assurer des activités de nature pédagogique dans leur établissement ou service de rattachement. [...] ".
3. Il résulte de l'instruction que, bien qu'affectée administrativement à l'établissement régional d'enseignement adapté Maurice Genevoix du Havre en qualité de titulaire en zone de remplacement du 1er septembre 2009 au 1er novembre 2012, Mme B... ne s'est vu confier aucune mission effective au cours de l'année scolaire 2011-2012. Le régime particulier auxquels sont soumis les titulaires en zone de remplacement implique que, par nature, ceux-ci n'exercent pas d'activités de manière continue dès lors qu'ils ont vocation à assurer le remplacement des agents momentanément absents ou à occuper un poste provisoirement vacant et qu'ils peuvent, entre deux remplacements, se voir confier certaines activités de nature pédagogique. Toutefois, Mme B... soutient sans être contestée en défense que certains postes étaient vacants, notamment celui qu'elle avait occupé au collège Georges Brassens d'Epouville lors des deux années précédentes. En outre, il résulte de l'instruction que Mme B... a rencontré, le 5 octobre 2011, le chef de cabinet du recteur qui lui a fait état de la possibilité de travailler en binôme avec l'enseignant de technologie au sein de l'établissement régional d'enseignement adapté Maurice Genevoix du Havre. Dans ces conditions, en l'absence de toute explication apportée par l'administration et nonobstant le régime particulier auquel est soumise Mme B... en application des dispositions précitées du décret du 17 septembre 1999, l'absence de tout travail effectif confié à Mme B... au cours d'une entière année scolaire doit, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
S'agissant de l'absence d'avancement :
4. Aux termes de l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " [...] l'avancement de grade a lieu, selon les proportions définies par les statuts particuliers, suivant l'une ou plusieurs des modalités ci-après : 1° Soit au choix, par voie d'inscription à un tableau annuel d'avancement, établi par appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l'expérience professionnelle des agents. [...] ". Aux termes de l'article 25 du décret du 6 novembre 1992 relatif au statut particulier des professeurs de lycée professionnel : " Dans la limite des emplois prévus par la loi de finances, peuvent être promus à la hors-classe de leur corps les professeurs de lycée professionnel ayant atteint au moins le septième échelon de la classe normale. ".
5. Il résulte de l'instruction que Mme B... a été promue à l'échelon 11, échelon maximum de la classe normale qui était la sienne lors de son départ à la retraite à compter du 1er novembre 2012. Elle fait valoir qu'elle aurait dû être promue à la hors classe. Les appréciations de ses notations annuelles produites au dossier à compter de celle établie le 5 mars 2002 sont globalement bonnes, bien que se bornant à relever, s'agissant des trois dernières années produites, que l'intéressée est soucieuse de la réussite de ses élèves. Mais l'administration fait valoir sans être contredite que les mérites professionnels de l'intéressée n'étaient pas supérieurs à ceux de ses collègues promus alors qu'elle a été classée en 149ème position pour 81 promotions en 2009, en 143ème position pour 77 promotions en 2010, en 113ème position pour 76 promotions en 2011 et en 110ème position pour 74 promotions en 2012. Dans ces conditions, eu égard aux mérites comparés de Mme B... et des agents promus à la hors-classe, son absence de promotion ne saurait être regardée comme illégale et donc fautive. Par suite, cette dernière n'est pas fondée à solliciter l'engagement de la responsabilité de l'Etat sur ce fondement.
S'agissant du harcèlement moral :
6. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".
7. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
8. S'il est constant, ainsi qu'il a été dit précédemment, que l'absence de missions effectives confiées à Mme B... au cours de l'année scolaire 2011-2012 constitue une faute, il ne résulte pas de l'instruction que celle-ci aurait eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Par ailleurs, si la requérante soutient qu'aucune réponse n'a été apportée par l'administration à ses correspondances, il résulte de l'instruction qu'elle a été reçue par le rectorat le 5 octobre 2011 ainsi qu'il a été dit au point 3. En outre, les difficultés dans l'accès à son dossier administratif ainsi que son affectation à compter du mois de septembre 2012 au sein de la section d'enseignement et professionnel adapté du collège Pierre Mendès-France à Lillebonne ne sauraient, à eux seuls, faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à solliciter l'engagement de la responsabilité de l'Etat sur ce fondement.
S'agissant de la discrimination syndicale :
9. De manière générale, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que le comportement fautif reproché repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si le comportement fautif reproché devant lui a été ou non pris pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
10. Mme B... a bénéficié d'une décharge syndicale entre 2005 et 2012. Elle souligne avoir participé au cours du premier semestre 2011 à un mouvement de contestation contre la fermeture, à compter de la rentrée de septembre 2011, de deux classes au sein du collège Georges Brassens d'Epouville. Toutefois ni l'attitude fautive de l'administration, évoquée au point 3, qui ne lui a pas confié de travail effectif au cours de l'année 2011-2012, ni son absence de promotion hors-classe, évoquée au point 5, ne sauraient, au vu des pièces du dossier, être mises en lien avec son engagement syndical et laisser présumer l'existence d'une discrimination liée à un tel engagement. Par suite, le moyen tiré de la discrimination syndicale dont serait entaché le déroulement de sa carrière doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la responsabilité de l'Etat pour faute est uniquement engagée du fait de l'absence de travail effectif attribué au titre de l'année scolaire 2011-2012. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande sur ce point.
En ce qui concerne les préjudices subis :
12. En premier lieu, le préjudice financier invoqué par la requérante et tiré de l'absence de promotion est dépourvu de lien avec la faute retenue au point 3. Par suite, ce chef de préjudice ne saurait faire l'objet d'une indemnisation.
13. En second lieu, si le préjudice moral dont se prévaut Mme B... est dépourvu de lien avec la faute retenue s'agissant du préjudice lié à son absence de promotion, il peut être regardé comme direct et certain s'agissant de celui lié à l'absence de missions confiées au titre de l'année scolaire 2011-2012 ainsi que cela ressort notamment des attestations versées au dossier. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 1 000 euros.
En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :
14. Mme B... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 1 000 euros à compter du 7 juillet 2015, date de la réception de sa demande indemnitaire préalable par le rectorat de l'académie de Rouen, ainsi que leur capitalisation à compter du 12 août 2016, date à laquelle celle-ci a été demandée et à laquelle était due au moins une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mme B... au titre des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 7 juin 2018 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme B... la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2015 ainsi que de leur capitalisation à compter du 12 août 2016 puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Me A... pour Mme B... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
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N°18DA01527
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