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12/11/2020 | FRANCE | N°19DA00253

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 12 novembre 2020, 19DA00253


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Etat à lui verser la somme de 50 777,54 euros en réparation des préjudices résultant de l'intervention de la décision du 7 avril 2005, par laquelle le ministre chargé du travail a autorisé son licenciement, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1601325 du 27 novembre 2018, le tribunal administratif d'Amiens a rejet

sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Etat à lui verser la somme de 50 777,54 euros en réparation des préjudices résultant de l'intervention de la décision du 7 avril 2005, par laquelle le ministre chargé du travail a autorisé son licenciement, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1601325 du 27 novembre 2018, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 janvier 2019, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 50 777,54 euros en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 7 avril 2005 par laquelle le ministre chargé du travail a autorisé son licenciement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le ministre en charge du travail a autorisé, aux termes d'une décision du 7 avril 2005, la société Presto Forme à procéder au licenciement pour motif économique de M. A..., qu'elle employait en qualité de dessinateur industriel et qui exerçait les mandats de délégué du personnel et de conseiller prud'homal. Cette autorisation a fait l'objet d'une annulation, par un jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 5 février 2008, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 15 décembre 2009, au motif que le ministre avait omis d'apprécier le bien-fondé du motif économique avancé par l'employeur au niveau du secteur d'activité du groupe auquel l'entreprise appartenait.

2. Après que cette annulation fût devenue définitive, M. A... a demandé à la juridiction judiciaire de condamner son employeur à l'indemniser du préjudice causé par son licenciement prononcé le 21 juin 2005. Il a obtenu, par un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 26 février 2013, que la créance de 265 922, 33 euros qui lui était due en réparation de ce préjudice ainsi que celle de 4 500 euros fondée sur l'article 700 du code de procédure civile soient inscrites au passif de la société Presto Forme et rendues opposables à l'association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, la société Presto Forme faisant alors l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire ouverte par un jugement du tribunal de commerce de Limoges du 21 décembre 2011.

3. M. A..., qui soutient n'avoir été indemnisé, au titre du régime de garantie des salaires, qu'à hauteur de 60 384 euros en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, a demandé au ministre chargé du travail, par un courrier réceptionné le 31 décembre 2015 qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet, l'indemnisation de ses préjudices. Il a saisi le tribunal administratif d'Amiens d'une demande indemnitaire visant à ce que l'Etat soit condamné à réparer certaines des conséquences dommageables de son licenciement qui n'auraient pas déjà fait l'objet d'une indemnisation à raison de la limitation de la somme qu'il a effectivement perçue. Le requérant relève appel du jugement du 27 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement :

4. En premier lieu, le juge administratif, saisi de conclusions mettant en jeu la responsabilité de la puissance publique, ne soulève pas d'office un moyen d'ordre public lorsqu'il constate au vu des pièces du dossier, qu'une des conditions d'engagement de la responsabilité publique n'est pas remplie et cela alors même qu'il fonde ce constat sur des dispositions législatives ou réglementaires non invoquées en défense. En conséquence, il n'est alors pas tenu de procéder à la communication prescrite par les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative qui ne concerne que les moyens relevés d'office par le juge.

5. Si M. A... soutient que le tribunal administratif d'Amiens s'est saisi d'office des dispositions des articles 1253 et suivants du code civil concernant les modalités d'imputation des paiements, les premiers juges ont pu valablement, ainsi qu'il a été dit au point précédent, s'appuyer sur les dispositions du code civil, sans en informer les parties et alors même que ces dispositions n'avaient pas été invoquées en défense, pour estimer que la créance de 21 277,54 euros due à M. A... avait déjà été indemnisée. Par suite, ce moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.

6. En second lieu, et dès lors qu'il proposait le rejet au fond de la demande, le rapporteur public, lorsqu'il a porté à la connaissance des parties le sens de ses conclusions avant la tenue de l'audience, n'avait pas, contrairement à ce que soutient M. A..., à préciser qu'il allait se fonder sur les dispositions précitées du code civil. Par suite, ce moyen doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

7. En cas de cumul de fautes et de responsabilités, si une condamnation par les tribunaux judiciaires à des dommages-intérêts a été effectivement prononcée, cette circonstance ne saurait avoir pour conséquence de priver la victime du droit de poursuivre directement la personne publique responsable. Il appartient seulement au juge administratif de prendre les mesures nécessaires en vue d'empêcher que sa décision n'ait pour effet de procurer à la victime, par suite des indemnités qu'elle a pu ou qu'elle peut obtenir devant d'autres juridictions, une réparation supérieure à la valeur totale du préjudice subi. Par suite, et nonobstant la responsabilité de son employeur reconnue par l'arrêt précité de la cour d'appel de Versailles du 26 février 2013, M. A... est en droit de rechercher la responsabilité de l'Etat.

8. L'illégalité de la décision du 7 avril 2005 par laquelle le ministre en charge du travail a autorisé la société Presto Forme à prononcer le licenciement pour motif économique de M. A... a été établie par le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 5 février 2008 mentionné au point 1. Cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat et M. A... est en droit d'obtenir réparation du préjudice direct et certain en résultant pour lui.

9. En premier lieu, d'une part, l'article L. 2122-4 du code du travail dispose que : " Lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire. " Par ailleurs, l'article L. 3253-6 du même code dispose que : " Tout employeur de droit privé assure ses salariés, y compris ceux détachés à l'étranger ou expatriés mentionnés à l'article L. 5422-13, contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. " Les articles L. 3253-8 à L. 3253-13 du même code précisent les créances couvertes par l'assurance. Aux termes de l'article L. 3253-14 : " L'assurance prévue à l'article L. 3253-6 est mise en oeuvre par une association créée par les organisations nationales professionnelles d'employeurs représentatives et agréée par l'autorité administrative. " L'article L. 3253-15 prévoit que : " Les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 avancent les sommes comprises dans le relevé établi par le mandataire judiciaire, même en cas de contestation par un tiers. / Elles avancent également les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire, même si les délais de garantie sont expirés. / Les décisions de justice sont de plein droit opposables à l'association prévue à l'article L. 3253-14 [...] ". Enfin, aux termes de l'article L. 3253-17 : " La garantie des institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 est limitée, toutes créances du salarié confondues, à un ou des montants déterminés par décret, en référence au plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions du régime d'assurance chômage. ".

10. D'autre part, l'article 1342-10 du code civil, qui reprend en substance les dispositions des articles 1253 et 1256 précédemment applicables, dispose que : " Le débiteur de plusieurs dettes peut indiquer, lorsqu'il paie, celle qu'il entend acquitter. / A défaut d'indication par le débiteur, l'imputation a lieu comme suit : d'abord sur les dettes échues ; parmi celles-ci, sur les dettes que le débiteur avait le plus d'intérêt d'acquitter. A égalité d'intérêt, l'imputation se fait sur la plus ancienne ; toutes choses égales, elle se fait proportionnellement. ".

11. L'arrêt du 26 février 2013 de la cour d'appel de Versailles confirme le jugement du conseil des prud'hommes de Montmorency du 27 septembre 2011 notamment en tant qu'il a condamné l'employeur de M. A... à lui verser la somme de 21 277,54 euros, au titre du préjudice subi entre la date de son licenciement et sa demande de réintégration en application de l'article L. 2422-4 du code du travail précité. La cour d'appel a déclaré son arrêt opposable au régime de garantie des créances des salariés (AGS). Le 24 mai 2013, le liquidateur judiciaire a remis à M. A... un chèque d'un montant de 60 384 euros, tenant compte de la limitation de cette garantie prévue par l'article L. 3253-17 du code du travail et des dispositions règlementaires auxquelles il renvoie. En l'absence d'éléments permettant de définir les modalités d'imputation de cette somme sur les créances détenues par M. A... et dès lors que le débiteur n'avait pas d'intérêt au paiement prioritaire de l'une des sommes fixées par le juge judiciaire, ces dettes doivent être regardées comme étant d'égal intérêt au sens de l'article L. 1342-10 du code civil précité, de sorte que l'imputation de la somme versée par le liquidateur judiciaire s'est faite sur la dette la plus ancienne. Dans ces conditions, la somme de 21 277,54 euros, qui correspond, ainsi qu'il a été dit, à l'indemnité prévue à l'article L. 2422-4 du code du travail dont le point de départ est la date du licenciement, doit être regardée comme ayant déjà été indemnisée par celle versée à M. A... au titre du régime de garantie des créances salariales. A cet égard, la circonstance que le liquidateur judiciaire aurait mal rempli l'état des créances soumis au régime de garantie des créances des salariés est sans incidence sur ce constat dès lors qu'il résulte de l'instruction que l'erreur portait sur la date qu'il convenait de retenir pour définir le plafond de garantie qui était, en tout état de cause, supérieur à la somme de 21 277, 54 euros sollicitée. Enfin, la production d'un courrier de l'UNEDIC mentionnant, au titre d'une créance " salaire ", une somme de 77 354,14 euros qui n'aurait pas été versée ne permet pas d'établir l'absence de paiement de la créance précitée de 21 277,54 euros dont le montant est distinct et qui a la nature d'une indemnité, ainsi que cela résulte de l'article L. 2422-4 du code du travail, et dès lors qu'il n'est pas établi que cette somme de 77 354,14 euros ne correspondrait pas à d'autres rappels de salaires prononcés par le juge judiciaire. Ainsi c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande du requérant tendant au versement de cette somme.

12. En deuxième lieu, si M. A... soutient qu'il a subi un préjudice du fait de la réduction de ses droits à pension qui n'ont pas été calculés sur la base des salaires qu'il aurait dû percevoir, il résulte des termes mêmes de l'article L. 2122-4 du code du travail précité, que l'indemnité qui lui a été versée sur ce fondement a entendu couvrir la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa demande de réintégration. Dans ces conditions, le tribunal administratif d'Amiens a pu valablement rejeter sa demande tendant à l'indemnisation de la perte de droits à la retraite invoquée.

13. En troisième lieu, en se bornant à évoquer sa précarité et sa situation psychologique, M. A... n'établit pas l'existence d'un préjudice moral ni, en tout état de cause, que celui-ci résulterait directement de l'illégalité de la décision ministérielle du 7 avril 2005. Par suite, sa demande sur ce fondement doit être rejetée.

14. En dernier lieu, si M. A... sollicite le remboursement de ses frais de justice devant le juge judiciaire, ceux-ci sont dépourvus de lien direct avec la faute commise par l'administration. Par suite, sa demande sur ce fondement doit être rejetée.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 50 777,54 euros résultant de l'illégalité fautive commise. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

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N°19DA00253

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA00253
Date de la décision : 12/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère indemnisable du préjudice - Questions diverses.

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Nil Carpentier-Daubresse
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : LECOURT

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-11-12;19da00253 ?
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