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08/10/2020 | FRANCE | N°19DA00356

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 08 octobre 2020, 19DA00356


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 3 juillet 2015 par laquelle le maire de la commune de Douai a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle, de condamner la commune de Douai à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les préjudices subis du fait des agissements de harcèlement moral dont elle est victime, ainsi que la somme de 7 796,42 euros correspondant à l'ensemble des frais de justice engagés, d'enjoindre à la co

mmune de Douai de lui accorder la protection fonctionnelle, et de mettre à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 3 juillet 2015 par laquelle le maire de la commune de Douai a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle, de condamner la commune de Douai à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les préjudices subis du fait des agissements de harcèlement moral dont elle est victime, ainsi que la somme de 7 796,42 euros correspondant à l'ensemble des frais de justice engagés, d'enjoindre à la commune de Douai de lui accorder la protection fonctionnelle, et de mettre à la charge de la commune de Douai une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1507191 du 10 décembre 2018, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 février 2019 et 23 avril 2019, Mme A..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 10 décembre 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 3 juillet 2015 par laquelle le maire de la commune de Douai a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle ;

3°) de condamner la commune de Douai à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les préjudices subis du fait des agissements de harcèlement moral dont elle est victime, ainsi que la somme de 11 823,62 euros correspondant à l'ensemble des frais de justice engagés ;

4°) d'enjoindre à la commune de Douai de lui accorder la protection fonctionnelle ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Douai une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que de la condamner aux entiers dépens.

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Vu le mémoire, enregistré le 24 août 2020, de Mme A..., représentée par Me B....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le décret n°85-603 du 10 juin 1985 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant Mme A..., et de Me E..., représentant la commune de Douai.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a été recrutée par la commune de Douai en qualité de professeur d'enseignement artistique de classe normale, le 1er septembre 2003, et exerce ses fonctions en tant que professeur de flûte traversière au sein du conservatoire à rayonnement régional de Douai. Par un courrier du 6 mai 2015, Mme A... a, notamment, demandé à la commune de lui accorder la protection fonctionnelle et de l'indemniser en raison des préjudices subis du fait d'agissements constitutifs de harcèlement moral. Sa demande a fait l'objet d'un rejet par une décision du maire de Douai du 3 juillet 2015. Mme A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à la condamnation de la commune de Douai à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison des agissements de harcèlement moral dont elle s'estime victime ainsi qu'au remboursement de ses frais de justice.

Sur la régularité du jugement :

2. Mme A... soutient que le tribunal administratif de Lille a omis de se prononcer sur le moyen tiré du manquement à l'obligation de sécurité et de protection de la santé à laquelle est soumise la commune de Douai en sa qualité d'employeur. Il résulte toutefois du point 11 du jugement attaqué que le tribunal a considéré, s'agissant des conclusions indemnitaires présentées par la requérante, que " la méconnaissance de l'obligation de sécurité par la commune n'est pas davantage établie par Mme A..., qui n'assortit, à ce titre, son argumentation d'aucune précision en se bornant à soutenir qu'il s'agirait d'une faute distincte des faits de harcèlement moral dont elle se prévaut ". Par ailleurs, si l'intéressée peut aussi être regardée comme reprochant aux premiers juges de ne pas avoir examiné ce moyen à l'appui de ses conclusions à fin d'annulation de la décision du 3 juillet 2015, un tel moyen, qui tend à démontrer l'existence d'une faute de la commune, est inopérant à l'encontre d'une décision refusant l'octroi de la protection fonctionnelle. Il ne saurait, dès lors, être utilement reproché au tribunal de ne pas avoir écarté ce moyen par des motifs explicites. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif de Lille ne se serait pas prononcé sur le moyen tiré du manquement à l'obligation de sécurité et de protection de la santé à laquelle est soumise la commune de Douai.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :

3. En premier lieu, Mme A... soutient que la commune de Douai a méconnu son obligation de saisir le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de sa situation. Toutefois, aucune disposition législative ou règlementaire, et notamment pas celles des articles 38, 39 et 41 du décret n° 85-603 du 10 juin 1985 invoqués par la requérante, n'impose à l'administration de saisir le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail avant de refuser de faire droit à une demande de protection fonctionnelle. Par suite, le moyen tiré de l'absence de saisine du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail doit donc être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 susvisé : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". L'article 11 de la même loi, dans sa version alors applicable, dispose que : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. [...] La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. ".

5. D'une part, si la protection fonctionnelle résultant d'un principe général du droit n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

6. D'autre part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

7. Mme A... soutient, tout d'abord, qu'après quasiment dix années d'exercice professionnel irréprochable, elle a fait l'objet d'un compte-rendu d'entretien professionnel mensonger au titre de l'année 2012, ce qui a marqué le début de la dégradation de ses conditions de travail. Il résulte toutefois de ce compte-rendu d'entretien professionnel que ses aptitudes pédagogiques et artistiques ont été jugées bonnes tout comme ses relations avec ses interlocuteurs en général, qu'il lui est juste demandé d'améliorer l'attractivité de sa classe de flûte traversière au niveau régional et d'envisager ses actions dans l'intérêt du conservatoire dans son ensemble autant que dans celui de sa classe. Il résulte des comptes-rendus d'entretien au titre des années 2010 et 2011 que le directeur du conservatoire, M. D..., avait notamment déjà fait état de la nécessité, pour Mme A..., de rendre plus attractive sa classe au niveau régional. Si la requérante ne saurait être tenue pour seule responsable de la baisse des effectifs de sa classe, la circonstance que le directeur du conservatoire lui ait demandé de participer à l'amélioration de cette attractivité n'apparaît pas excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Ainsi, s'il ressort des différentes attestations versées au dossier, que les départs d'élèves de sa classe résultent de causes diverses qui ne sauraient lui être principalement imputables, il n'apparaît pas que les remarques faites par sa hiérarchie à ce sujet aient un caractère dénigrant et qu'elles seraient insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

8. Par ailleurs, Mme A... conteste le refus que lui a opposé, dans un courriel du 17 janvier 2013, le directeur du conservatoire concernant un ordre de mission sans frais qu'elle souhaitait voir établi pour se rendre à Paris afin de conseiller ses élèves sur l'achat de leur instrument de musique. Mais il apparaît que ce refus était justifié par le fait que ce déplacement ne s'inscrivait pas directement dans l'exercice de ses missions. S'il ressort des pièces du dossier que les relations entre Mme A... et M. D... ont été tendues, en particulier lors de la réunion de rentrée qui s'est tenue le 4 septembre 2014, il n'est pas établi que la requérante aurait eu à y subir des propos de caractère vexatoire ou humiliant. Plusieurs professeurs ainsi que des délégués de professeurs ont apporté leur soutien au directeur du conservatoire, sans que le caractère apocryphe de l'attestation rédigée par le corps professoral ne soit établi, quand bien même deux signataires auraient contesté l'avoir effectivement signée. Si Mme A... soutient que M. D... et son adjoint, sont intervenus suite à la plupart de ses initiatives, notamment s'agissant de l'organisation d'une master-class au mois d'avril 2015, il ressort des pièces du dossier que des difficultés relationnelles avec une de ses collègues ont pu justifier les interventions de la direction du conservatoire dans ce projet. Si Mme A... soutient que cette collègue aurait été recrutée pour l'évincer, ces allégations ne sont pas étayées par des pièces du dossier. Enfin, il ne ressort pas de ces pièces que son absence de promotion au grade de professeur hors classe ferait présumer l'existence d'un harcèlement moral, eu égard notamment aux difficultés relationnelles survenues avec certains de ses collègues et avec sa hiérarchie et qui ont pu être prises en compte dans l'appréciation qui a été formulée, même si la qualité de son enseignement artistique n'est pas remise en cause.

9. Si la requérante indique aussi que ce serait à tort que M. D..., également directeur artistique de l'association " Musique à Douai ", aurait attribué son départ de ces fonctions à la remise en cause par Mme A... de ses choix de programmation, il ressort des pièces du dossier qu'il existait un litige tenant à ce que, selon Mme A... elle n'avait pas été amenée à jouer en soliste depuis plusieurs années. Mais la circonstance qu'elle n'ait été programmée qu'une fois en soliste au sein de l'association " Musique à Douai " depuis la saison 2011/2012 ne saurait être regardée comme une mesure vexatoire au regard de ses fonctions au conservatoire, alors qu'au demeurant elle indique elle-même que ses assistants n'y ont pas davantage joué en qualité de soliste.

10. Dans ces conditions, il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a écarté les moyens tirés de l'erreur de fait et de l'erreur d'appréciation qu'aurait commises la commune de Douai en estimant que les faits de harcèlement moral n'étaient pas avérés et en refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.

11. En troisième lieu, pour les mêmes motifs qu'évoqués précédemment et en l'absence d'actes de son supérieur hiérarchique insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision du 3 juillet 2015 serait entachée d'une erreur de droit au regard de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 précité en refusant de lui accorder la protection fonctionnelle.

12. En quatrième lieu, si Mme A... soutient que la commune de Douai a méconnu son obligation de sécurité et de protection de sa santé en méconnaissance des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, un tel moyen est inopérant à l'encontre de la décision attaquée en tant qu'elle lui a refusé l'octroi de la protection fonctionnelle ainsi qu'il a été dit au point 2.

13. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision attaquée du 3 juillet 2015 serait entachée d'un détournement de pouvoir.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 3 juillet 2015 par laquelle la commune de Douai a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle en l'absence de harcèlement moral.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

15. Il résulte de ce qui a été dit précédemment qu'en l'absence d'illégalité fautive de la décision du 3 juillet 2015 et de harcèlement moral, la responsabilité de la commune de Douai ne saurait être engagée. Par ailleurs, si Mme A... soutient également que la commune de Douai a, en sa qualité d'employeur, méconnu son obligation de sécurité et de protection de sa santé, il résulte de l'instruction que l'intéressée a été reçue à plusieurs reprises par le maire de Douai, qu'elle a obtenu le changement de son pianiste accompagnateur avec lequel elle a eu des différends, ainsi que le changement d'interlocuteur au sein du conservatoire, le directeur ayant été remplacé par son adjoint pour cette attribution. Dans ces conditions et nonobstant la reconnaissance de l'imputabilité au service de ses arrêts de travail, il n'apparaît pas que la direction du conservatoire et la commune de Douai auraient méconnu leurs obligations de sécurité et de protection de la santé d'un agent placé sous leur autorité. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à ce que la commune de Douai l'indemnise des préjudices qu'elle estime avoir subis.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :

16. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation n'implique aucune mesure d'exécution au sens des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Par suite, les conclusions présentées par Mme A... à fin d'injonction doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Douai, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme demandée au même titre par la commune de Douai.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Douai au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et à la commune de Douai.

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N°19DA00356

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA00356
Date de la décision : 08/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Nil Carpentier-Daubresse
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : MAZZA

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-10-08;19da00356 ?
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