La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/09/2020 | FRANCE | N°18DA02030

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 17 septembre 2020, 18DA02030


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Section française de l'Observatoire international des prisons a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision par laquelle le directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge (Nord) a institué un régime de fouilles corporelles intégrales et systématiques des détenus au retour des parloirs.

Par un jugement n° 1304184 du 2 juillet 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 15DA01459 du 4 juillet 2017, la cour

administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé contre ce jugement par la Section...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Section française de l'Observatoire international des prisons a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision par laquelle le directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge (Nord) a institué un régime de fouilles corporelles intégrales et systématiques des détenus au retour des parloirs.

Par un jugement n° 1304184 du 2 juillet 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 15DA01459 du 4 juillet 2017, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé contre ce jugement par la Section française de l'Observatoire international des prisons.

Par une décision n° 413989 du 3 octobre 2018, le Conseil d'Etat, sur un pourvoi de la Section française de l'Observatoire international des prisons, a annulé l'arrêt de la cour et lui a renvoyé le jugement de l'affaire.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 septembre 2015, et par un mémoire, enregistré le 31 août 2020, qui n'a pas été communiqué, la Section française de l'Observatoire international des prisons, représentée par la SCP d'avocats aux Conseils Spinosi et Sureau, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 2 juillet 2015 du tribunal administratif de Lille ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision par laquelle le directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge a institué un régime de fouilles corporelles intégrales et systématiques des détenus au retour des parloirs ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La Section française de l'Observatoire international des prisons a demandé au tribunal administratif de Lille, le 28 juin 2013, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision définissant le régime des fouilles corporelles pratiquées à l'issue des parloirs au sein du centre pénitentiaire de Maubeuge, qu'elle estimait être révélée par les fouilles pratiquées sur trois détenus de cet établissement. Invitée par le tribunal administratif à produire la décision attaquée, la Section française de l'Observatoire international des prisons a saisi, le 12 juillet 2013, le directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge d'une demande de communication des notes de service relatives aux fouilles à l'issue des parloirs ou de tout document ayant le même objet, comme le règlement intérieur de l'établissement. Cette demande a été réitérée, le 29 août 2013. Il n'y a toutefois pas été donné suite. Le ministre de la justice a conclu, devant le tribunal administratif de Lille, à l'irrecevabilité de la demande présentée par la Section française de l'Observatoire international des prisons, en l'absence de production de la décision attaquée et d'élément permettant de démontrer son existence. Parallèlement à ces démarches, la Section française de l'Observatoire international des prisons a adressé à plusieurs détenus du centre pénitentiaire un questionnaire sur les fouilles pratiquées à l'issue des parloirs. Ces courriers ont été interceptés par le chef d'établissement au motif qu'ils " pourraient amener une partie de la population pénale à s'opposer aux mesures de sécurité et de contrôle auxquelles elles sont soumises ". Par un jugement du 2 juillet 2015, le tribunal administratif de Lille a fait droit à la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la justice et rejeté comme irrecevable la demande de la Section française de l'Observatoire international des prisons. La Section française de l'Observatoire international des prisons, qui a interjeté appel de ce jugement, a produit, à l'appui de sa requête, une note du chef d'établissement, en date du 3 janvier 2014, indiquant qu'" à compter du 6 janvier 2014, de nouvelles modalités de contrôle vont entrer en application à l'issue des parloirs ". Par un arrêt du 4 juillet 2017, la cour administrative d'appel de Douai, après avoir relevé que l'association requérante n'établissait pas l'existence d'une décision administrative susceptible de recours pour excès de pouvoir, a rejeté la requête dont elle était saisie.

2. Par une décision n° 413989 du 3 octobre 2018, le Conseil d'Etat, sur un pourvoi de la Section française de l'Observatoire international des prisons, a annulé l'arrêt de la cour et lui a renvoyé le jugement de l'affaire. Le Conseil d'Etat a estimé que, eu égard aux éléments produits devant elle par l'association requérante et aux diligences que celle-ci avait effectuées pour se procurer la décision qu'elle attaquait, la cour administrative d'appel de Douai avait méconnu son office et commis une erreur de droit en confirmant l'irrecevabilité des conclusions dont elle était saisie, sans avoir préalablement fait usage de ses pouvoirs inquisitoriaux en demandant à l'administration pénitentiaire de produire la note de service définissant le régime des fouilles des détenus à la sortie des parloirs au centre pénitentiaire de Maubeuge ou, à défaut de l'existence d'une telle note, tous éléments de nature à révéler le régime de fouilles contesté, notamment le registre de consignation des fouilles mises en oeuvre sur les détenus.

3. D'une part, aux termes de l'article R. 412-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors applicable : " La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de la décision attaquée (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une requête est irrecevable et doit être rejetée comme telle lorsque son auteur n'a pas, en dépit d'une invitation à régulariser, produit la décision attaquée ou, en cas d'impossibilité, tout document apportant la preuve des diligences qu'il a accomplies pour en obtenir la communication.

4. D'autre part, il revient au juge de l'excès de pouvoir, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l'administration en défense, de mettre en oeuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l'administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur.

5. Il ressort des éléments mentionnés au point 1 que la Section française de l'Observatoire international des prisons a accompli toutes les diligences qu'elle pouvait effectuer afin de se procurer la décision fixant le régime des fouilles des détenus à l'issue des parloirs du centre pénitentiaire de Maubeuge et que, en gardant le silence sur les demandes de communication d'un tel document dont elle était saisie ou en interceptant les courriers adressés aux détenus de l'établissement pénitentiaire, l'administration a fait obstacle à ce que cette association soit en mesure de satisfaire à l'exigence de production de la décision qu'elle attaquait.

6. Dans ces conditions, eu égard aux éléments produits devant lui par l'association requérante et aux diligences que celle-ci justifiait avoir effectuées pour se procurer la décision qu'elle attaquait, le tribunal administratif de Lille n'a pu, sans entacher d'irrégularité la procédure à l'issue de laquelle est intervenu le jugement attaqué, rejeter pour irrecevabilité, par ce jugement, la demande de la Section française de l'Observatoire international des prisons tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cette décision, sans avoir préalablement fait usage de ses pouvoirs inquisitoriaux en demandant à l'administration pénitentiaire de produire la note de service définissant le régime des fouilles des détenus à la sortie des parloirs au centre pénitentiaire de Maubeuge ou, à défaut d'existence d'une telle note, tous éléments de nature à révéler le régime de fouilles contesté, notamment le registre de consignation des fouilles mises en oeuvre sur les détenus. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de régularité qu'elle soulève à l'encontre du jugement attaqué, la Section française de l'Observatoire international des prisons est fondée à demander l'annulation de ce jugement.

7. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande de la Section française de l'Observatoire international des prisons tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de la décision qu'elle conteste.

8. A la suite du renvoi de l'affaire par le Conseil d'Etat, la cour a diligenté auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, la mesure d'instruction définie au point 6. Le ministre, après avoir reçu le 8 février 2019 le courrier correspondant, y a répondu, le 21 août 2020, en produisant une note de service du 1er mars 2012 du directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge définissant le régime de fouille des personnes détenues dans cet établissement.

9. Aux termes de l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. / Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. / (...) ". Il résulte de ces dispositions, d'une part, que les mesures de fouilles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l'un des motifs que ces dispositions prévoient et, d'autre part, que les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l'utilisation de moyens de détection électronique.

10. Aux termes du point 1, intitulé " Les motifs de la fouille ", de la note de service du 1er mars 2012 du directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge : " Les mesures de fouille peuvent être mises en oeuvre chaque fois qu'il existe des éléments permettant de suspecter un risque d'évasion, l'entrée, la sortie ou la circulation en détention d'objets ou substances prohibés ou dangereux pour la sécurité du personnel ou de l'établissement. ". Un paragraphe a), inclus dans ce même point 1, qui a pour objet de préciser " les motifs de fouille " susceptibles d'être retenus " en lien avec le contexte ", énonce que : " Le risque est avéré dans certaines circonstances particulières qui font naître un danger pour la sécurité des personnes ou le bon ordre de l'établissement ". Ce même a) énumère ensuite ces circonstances particulières et énonce notamment que, dans le cas des " contacts aux parloirs à l'occasion desquels les personnes détenues ou les visiteurs peuvent tenter d'introduire ou de remettre des objets ou produits illicites ", les personnes détenues " sont fouillées par palpation à l'entrée des parloirs familles, intégralement à leur sortie. Au parloir avocat, sauf circonstance particulière, elles font l'objet d'une fouille par palpation avant et après chaque visite. ".

11. Les dispositions précitées de la note de service du 1er mars 2012 du directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge rappellent tout d'abord qu'en règle générale, les mesures de fouille sont décidées par l'autorité compétente chaque fois que celle-ci estime que des éléments particuliers portés à sa connaissance permettent de révéler l'existence d'un risque pour la sécurité du personnel et de l'établissement. Cependant, après avoir posé ce principe général, ces dispositions précisent qu'une telle situation de risque doit être tenue pour avérée chaque fois qu'une personne détenue reçoit, au parloir, la visite d'un membre de sa famille et ajoutent qu'en conséquence, les personnes détenues seront, à ces occasions, fouillées par palpation à l'entrée des parloirs et intégralement à leur sortie. Ces dispositions instaurent donc un régime de fouilles intégrales systématiques, à la sortie des parloirs, des personnes détenues lorsqu'elles viennent de recevoir un membre de leur famille, sans organiser la possibilité d'en exonérer, au terme d'une appréciation particulière portée par l'autorité compétente, certains détenus au vu des critères, notamment liés à leur personnalité, à leur comportement en détention, ainsi qu'à la fréquence de leur fréquentation des parloirs, prévus par les dispositions précitées de l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Par suite, la décision, contenue dans la note de service en date du 1er mars 2012, prise par le directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge, d'instaurer un régime de fouilles corporelles intégrales applicable à chaque détenu à l'issue d'une visite d'un proche au parloir méconnaît, eu égard au caractère systématique de ce régime, ces dispositions. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen qu'elle invoque à l'encontre de cette décision, la Section française de l'Observatoire international des prisons est fondée à en demander l'annulation pour excès de pouvoir.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la Section française de l'Observatoire international des prisons est fondée à demander l'annulation des dispositions, citées au point 10, du a) du 1) de la note de service du 1er mars 2012 du directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge. Enfin, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros au titre des frais de procédure exposés par la Section française de l'Observatoire international des prisons.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1304184 du 2 juillet 2015 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : Les dispositions, citées au point 10 du présent arrêt, énoncées au a) du 1) de la note du 1er mars 2012 du directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge instaurant un régime de fouilles corporelles intégrales et systématiques dans cet établissement, sont annulées.

Article 3 : L'Etat versera à la Section française de l'Observatoire international des prisons la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Section française de l'Observatoire international des prisons et au garde des sceaux, ministre de la justice.

1

2

N°18DA02030

1

3

N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18DA02030
Date de la décision : 17/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Droits civils et individuels - Libertés publiques et libertés de la personne - Droits de la personne.

Juridictions administratives et judiciaires - Exécution des jugements - Exécution des peines - Service public pénitentiaire.

Procédure - Instruction - Pouvoirs généraux d'instruction du juge - Production ordonnée.


Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 03/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-09-17;18da02030 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award