Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 30 avril 2019 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de maintenir son droit au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination et, d'autre part, de suspendre l'exécution de la décision d'obligation de quitter le territoire français.
Par un jugement n° 1901804 du 16 juillet 2019, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen, après avoir suspendu l'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français, a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 novembre 2019, M. B... E..., représenté par Me C... A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement, en tant qu'il rejette le surplus de sa demande ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif modifiée par les ordonnances n° 2020-405 du 8 avril 2020, n° 2020-427 du 15 avril 2020 et n° 2020-558 du 13 mai 2020 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-Pierre Bouchut, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant géorgien né le 4 mars 1985, déclare être entré en France le 22 mai 2018 en compagnie de son épouse, Mme D..., et de leurs deux enfants. Sa demande d'asile, traitée en procédure accélérée, a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 14 février 2019. M. E... relève appel du jugement du 16 juillet 2019 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 30 avril 2019 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de maintenir son droit au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des motifs du jugement attaqué que le premier juge s'est prononcé sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lesquelles protègent tant la vie familiale que la vie privée et n'avait pas à se prononcer sur l'ensemble des arguments invoqués par l'intéressé à l'appui de ce moyen. Par suite, le moyen tiré ce que le tribunal administratif aurait omis de répondre au moyen tiré de ce que l'arrêté en litige, en ne distinguant pas les notions de vie privée et de vie familiale, serait entaché d'erreur de droit doit être écarté.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
3. L'arrêté attaqué comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Sa motivation n'est pas stéréotypée. Le préfet a cité les éléments pertinents dont il avait connaissance et qui fondent sa décision. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
4. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, dans le cas prévu au 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise après que la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du défaut de reconnaissance de cette qualité ou de ce bénéfice. Lorsqu'il sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection internationale, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, l'intéressé ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Il appartenait à M. E..., à l'occasion du dépôt de sa demande d'asile, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il jugeait utiles, et notamment celles de nature à permettre à l'administration d'apprécier son droit au séjour au regard d'autres fondements que celui de l'asile. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de la reconnaissance de la qualité de réfugié, n'imposait pas à l'autorité administrative de le mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français. Ainsi, la circonstance que M. E... n'ait pas été invité à formuler des observations avant l'édiction de la décision d'éloignement ne permet pas de le regarder comme ayant été privé de son droit à être entendu. Le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu tel que garanti par le principe général du droit de l'Union européenne doit, dès lors, être écarté.
5. Aux termes de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version issue de l'article 44 de la loi n° 218-778 du 10 septembre 2018, invoquée par l'appelante : " Lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile qui relève de la compétence de la France, l'autorité administrative, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, l'invite à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l'article L. 511-4, il ne pourra, à l'expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour ". En vertu du IV de l'article 71 de la loi du 10 septembre 2018, les dispositions de l'article 44 sont entrées en vigueur au 1er mars 2019 et s'appliquaient aux demandes postérieures à cette date. Or, il ressort des pièces du dossier que la demande d'asile de l'appelant a été enregistrée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 6 juillet 2018, date à laquelle la version précitée de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'était pas entrée en vigueur. Par suite, M. E... ne peut utilement soulever la méconnaissance de cet article à l'encontre de la décision attaquée.
6. Il ne résulte ni de la motivation de l'arrêté en litige, ni d'aucune autre pièce du dossier, que le préfet de la Seine-Maritime n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. E... avant de prendre la décision contestée. Dès lors, le moyen tiré du défaut d'examen de la situation particulière de l'intéressé doit être écarté.
7. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 24 de la directive du 26 juin 2013, qui ne peut, en tout état de cause, être directement invoqué à l'encontre d'une décision individuelle, n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant à la cour d'en apprécier l'éventuel bien-fondé.
8. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ;(...) ".
9. Lorsqu'elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir qu'un étranger, résidant habituellement en France, présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire, l'autorité préfectorale doit, lorsqu'elle envisage de prendre une telle mesure à son égard, et alors même que l'intéressé n'a pas sollicité le bénéfice d'une prise en charge médicale en France, recueillir préalablement l'avis du collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
10. M. E... soutient souffrir de pathologies qui nécessitent une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Il produit à l'appui de ses déclarations un unique certificat médical rédigé par un psychiatre qui se borne à indiquer que " compte tenu des soins engagés, il ne semble pas envisageable que cette prise en charge puisse se faire dans son pays d'origine " et que " les soins spécialisés ne doivent pas être interrompus au risque de conséquences d'une exceptionnelle gravité ". Ce document peu circonstancié, dont le préfet n'a pas eu connaissance avant la décision en litige, n'est pas de nature à établir que l'état de santé de l'appelant nécessite une prise en charge dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il ne pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Dans ces conditions, M. E... n'est pas fondé à soutenir le préfet de la Seine-Maritime disposait, à la date de la décision contestée, d'éléments d'information précis lui permettant d'établir que son état de santé était susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré du défaut de saisine du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration doit être écarté. Pour les mêmes raisons, le moyen tiré de la méconnaissance du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit également être écarté.
11. M. E... est présent en France, avec son épouse et ses enfants, depuis moins d'un an à la date de l'arrêté attaqué. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 14 février 2019. Son épouse, de même nationalité, fait également l'objet d'une décision l'obligeant à quitter le territoire français. Il n'est pas démontré, ni même allégué, que les deux enfants du couple, âgés de huit et cinq ans à la date de l'arrêté attaqué, sont scolarisés en France. Ni l'appelant ni son épouse ne font état d'une quelconque insertion sociale ou professionnelle. Ainsi, M. E... ne justifie pas avoir fixé le centre de ses intérêts en France. Il n'établit pas davantage qu'il serait isolé en cas de retour en Géorgie où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de trente-trois ans. Dès lors, compte tenu des conditions et de la durée du séjour en France de l'intéressé, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision a été prise. Le préfet n'a pas davantage commis d'erreur de droit dans l'application des notions de vie privée et de vie familiale dès lors que le droit en question porte sur le respect de tous ces aspects de la vie d'une personne, qu'il a appréciés globalement. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes raisons, celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise le préfet quant aux conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé doit également être écarté.
12. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, il n'est pas établi que les enfants de l'appelant sont scolarisés en France, ni qu'ils ne pourraient pas l'être en Géorgie. Il n'est pas davantage démontré que la cellule familiale ne pourrait pas se recomposer dans ce pays, la décision en litige n'ayant pas pour objet ni pour effet de séparer les enfants de leurs parents. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Seine-Maritime aurait porté une attention insuffisante à l'intérêt supérieur des enfants de l'appelant avant de l'obliger à quitter le territoire français. Par suite, la décision en litige n'a pas méconnu les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
13. Il résulte de ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français est entachée d'illégalité.
Sur la décision fixant le pays de destination :
14. Compte tenu de ce qui a été dit au point 13, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
15. Les motivations en fait de la décision fixant le pays de destination et de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne se confondent pas nécessairement. En revanche, la motivation en droit de ces deux décisions est identique et résulte des termes mêmes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'arrêté attaqué précise la nationalité de M. E... et énonce que l'intéressé n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Ainsi, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision contestée fixant le pays de destination de l'éloignement manque en fait.
16. Pour les motifs exposés au point 4, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu tel que garanti par le principe général du droit de l'Union européenne doit être écarté.
17. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment de la motivation de l'arrêté attaqué, que le préfet de la Seine-Maritime se serait estimé lié par l'avis de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et qu'il n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. E....
18. Il n'appartient pas au préfet d'examiner les conditions d'octroi du statut de réfugié et de la protection subsidiaire en application des articles L. 711-1 et L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, l'appelant ne peut utilement soutenir qu'en ne visant pas ces dispositions du code, le préfet aurait entaché sa décision d'une erreur de droit.
19. M. E... soutient avoir fui la Géorgie pour échapper aux persécutions dont il fait l'objet en raison de ses origines yézides et aux menaces que font peser sur sa famille des membres de la police géorgienne. Cependant, il ne produit aucun élément de nature à justifier ses affirmations. Par ailleurs, sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. En l'absence d'éléments susceptibles d'établir qu'il serait exposé à des mauvais traitements en cas de retour en Géorgie, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
20. Pour les motifs mentionnés aux points 10 et 11, M. E... n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Seine-Maritime aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.
21. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., au ministre de l'intérieur et à Me C... A....
N°19DA02574 6