Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 897 808,04 euros, en réparation des préjudices que lui ont causé les manquements fautifs de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé dans l'exercice de son pouvoir de police administrative sanitaire à l'égard de dispositifs médicaux qu'elle a acquis et utilisés pour l'exercice d'actes relevant de la médecine morphologique et anti-âge.
Par un jugement n° 1603080 du 20 juillet 2018, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 septembre 2018 et le 19 mars 2019, Mme C... A..., représentée par Me B... D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 2 897 808,04 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'inaction fautive de l'Agence nationale de sécurité du médicament ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., médecin généraliste, installée à Bailleul dans le Nord, a acquis des matériels afin de se spécialiser dans des soins à fins d'amincissement ou à visée esthétique. Ces matériels n'ont pu être assurés et Mme A... soutient qu'en conséquence, elle n'a pu les utiliser. Estimant que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et auparavant l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, à laquelle elle s'est substituée, avaient commis une faute dans l'exercice de leurs pouvoirs de police, Mme A... a saisi cet établissement public d'une demande indemnitaire préalable par courrier en recommandé avec accusé de réception du 22 décembre 2015. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a transmis cette demande préalable au ministre chargé de la santé. Faute de réponse, Mme A... a saisi le tribunal administratif de Lille de conclusions indemnitaires. Elle relève appel du jugement du 20 juillet 2018 de ce tribunal qui a rejeté sa demande.
2. La responsabilité de l'Etat peut être engagée à raison de la faute commise par les autorités agissant en son nom dans l'exercice de leurs pouvoirs de police sanitaire relative aux dispositifs médicaux, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain.
3. Il résulte des dispositions du code de la santé publique relative aux prérogatives de l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé, et avant le 1er mai 2012, à celles de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé que ces établissements publics exercent au nom de l'Etat un pouvoir de police sanitaire. Ils peuvent ainsi à ce titre "soumettre à des conditions particulières, restreindre ou suspendre les essais, la fabrication, la préparation, l'importation, l'exploitation, l'exportation, la distribution en gros, le conditionnement, la conservation, la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux, la détention en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, la publicité, la mise en service, l'utilisation, la prescription, la délivrance ou l'administration " les matériels médicaux " non soumis à autorisation ou un enregistrement préalable à sa mise sur le marché, sa mise en service ou son utilisation ", lorsque ce matériel présente ou est soupçonné de présenter un danger pour la santé humaine ou est en infraction aux dispositions législatives et règlementaires qui lui sont applicables, en application de l'article L. 5312-1 du code de la santé publique. Ils peuvent interdire ces matériels en cas de danger grave ou de suspicion de danger grave pour la santé humaine, en application des mêmes dispositions. Ils peuvent également, en application des dispositions de l'article L. 5312-2 du même code, suspendre notamment la mise sur le marché, la mise en service ou l'utilisation de matériels médicaux qui n'ont pas " obtenu l'autorisation, l'enregistrement ou la certification préalable exigé par les dispositions législatives ou réglementaires " applicables à ces matériels, jusqu'à leur mise en conformité. Ils disposent encore, dans ces deux cas, de pouvoir d'injonction de retrait, voire de destruction de ces matériels, en application de l'article L. 5312-3 du même code. Ils ont enfin un devoir d'information de l'opinion publique et des professionnels de santé dans les cas mentionnés précédemment " ainsi que dans tous les cas où l'intérêt de la santé publique l'exige ". Toutefois, ces établissements publics ne sont compétents, en application du 3° du II de l'article L. 5212-1 dudit code, et par suite n'ont un pouvoir de police sanitaire que lorsque les matériels constituent des dispositifs médicaux. Il résulte des dispositions de l'article L. 5211-1 du code de la santé publique, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment par un arrêt du 7 décembre 2017, C-329/16, que, pour être qualifié de "dispositif médical", un matériel doit, d'une part, poursuivre une finalité médicale, en particulier en étant utilisé à des fins de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d'atténuation d'une maladie, et, d'autre part, produire son action sur le patient sans recourir à des moyens pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques, sans toutefois qu'il soit nécessaire que le dispositif agisse directement dans ou sur le corps humain.
4. Mme A... soutient que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, puis l'Agence nationale de sécurité du médicament, ont commis une faute dans l'exercice de leurs pouvoirs de police sanitaire rappelés au point 3. Elle considère que, pour les matériels dont elle donne la liste dans ses écritures, l'Agence aurait dû exercer ce pouvoir, soit de manière plus sévère, soit plus tôt.
5. En premier lieu, Mme A... met en cause l'exercice du pouvoir de police sanitaire concernant le matériel Sonopowerlyse de la société Eureka concept France. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, ni qu'il s'agisse d'un dispositif médical, le seul fait qu'il soit utilisé par un médecin ne suffisant pas à le définir comme tel, ainsi que cela résulte de ce qui a été dit au point 3, ni qu'il présente un risque pour la santé humaine. Par suite, il n'est pas établi que ce matériel rentrait dans le champ de compétence de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, ni ensuite dans celui de l'Agence nationale de sécurité du médicament.
6. En deuxième lieu, en ce qui concerne, la lampe " MD One " fabriquée par la société MD Light, il résulte de l'instruction que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a indiqué qu'aucune déclaration de matériovigilance n'avait été effectuée concernant ce matériel, le 14 février 2007, en réponse au courrier électronique adressé par Mme A... le 5 décembre 2006 demandant si elle pouvait acquérir ce matériel en tant que médecin. Ce courrier électronique ne lui a pas rappelé que l'utilisation d'un dispositif médical et auparavant sa mise sur le marché nécessitent une certification de conformité constituée par le marquage " CE ", conformément aux dispositions des articles L. 5211-3 et R. 5211-12 du code de la santé publique. Certes, la mise sur le marché de dispositifs médicaux sans certification justifie que l'Agence nationale de sécurité du médicament ordonne leur retrait, sauf si l'utilisation de ces dispositifs médicaux n'est pas susceptible d'exposer les patients à un risque pour leur santé. Toutefois, la seule demande d'information de Mme A..., qui ne précisait pas si ce matériel était dépourvu de certification, ne justifiait pas que l'établissement public fasse usage de ses prérogatives, d'autant qu'il ne disposait pas d'alertes sur les risques pour la santé de son usage. Au surplus, par un courrier du 17 septembre 2010, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a précisé, à Mme A..., que ce matériel constituait un dispositif médical, nécessitant en conséquence une certification CE dont il ne disposait pas mais que sa fabrication avait été arrêtée. Mme A... n'a pas alors fait état de risques pour la santé qui aurait justifié le retrait de ces produits. Par ailleurs, il appartenait à Mme A..., qui au surplus suivait une formation spécialisée sur les actes ayant recours à ces matériels, de connaître la règlementation applicable aux matériels qu'elle comptait utiliser. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé aurait commis une faute dans l'exercice de son pouvoir de police sanitaire, s'agissant de ce produit.
7. En troisième lieu, s'agissant de l'appareil Sonotrode de la société Bio Medical Electronics, le conseil de Mme A... a demandé, le 25 août 2009, à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé de " statuer sur la régularité du fonctionnement " de cet appareil, sans pour autant établir de risque pour la santé. Mme A... avait en fait déjà acquis en crédit-bail ce matériel depuis 2007. L'agence, par une réponse reçue par le conseil de l'appelante le 3 décembre 2009, a informé l'intéressée que ce produit a été mis sur le marché sans certification mais que le fabricant s'est engagé à retirer toute finalité médicale, nécessitant une certification, dans sa présentation. Si Mme A... soutient que ce matériel permet l'anesthésie et ne pouvait donc qu'être qualifié de dispositif médical, elle n'apporte aucun élément probant au soutien de ses allégations, alors que ce matériel est une sonde à ultrasons invasive, dont l'Agence nationale de sécurité du médicament fait valoir qu'elle ne réalise aucune injection de produits anesthésiques. Ce matériel, dont il n'est pas établi qu'il était susceptible de présenter un risque pour la santé, ni qu'il constituait un dispositif médical, ne pouvait donc, faire l'objet d'une mesure de police sanitaire.
8. En quatrième lieu, s'agissant de l'appareil Lumisculpt de la société Bio Medical Electronics, Mme A... a interrogé l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et a été informée dans les mêmes conditions que pour l'appareil mentionné au point 7, soit après l'acquisition de ce matériel et sans établir de risque pour la santé. L'Agence a indiqué que la société a suspendu la mise sur le marché de cet appareil jusqu'à l'obtention de sa certification. Mme A... n'est donc pas fondée à soutenir que les autorités sanitaires ont commis une faute dans l'exercice de leur pouvoir de police en ce qui concerne ce matériel.
9. En cinquième lieu, pour ce qui concerne l'appareil Morpholiposculpt dit " MLS " de la même société, dans les mêmes circonstances que celles indiquées au point 7, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a informé Mme A... que ce dispositif a fait l'objet d'une certification CE à compter du 10 juillet 2008, pour une durée de quatre mois. S'agissant des machines distribuées avant cette date, comme celle acquise par Mme A..., le fabricant s'était engagé, à la suite d'une inspection de l'Agence, à mettre à niveau ces matériels et il a formé leurs utilisateurs. Mme A... n'établit pas, en conséquence, de faute des autorités de police sanitaire, s'agissant de ce matériel.
10. Sans pour autant établir que les matériels qu'elle utilisait étaient tous concernés, Mme A... cite un avis de la Haute autorité de santé de décembre 2010, qui indique que les techniques de lyse adipocytaire présentent une suspicion ou un danger grave pour la santé humaine. Néanmoins, il résulte du courrier que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé lui a adressé le 6 novembre 2014, qu'aucun incident sur les matériels cités aux points 7, 8 et 9, n'avait été porté à la connaissance de l'établissement public avant le signalement fait par Mme A..., le 11 juin 2014. Au surplus, à la date de l'avis précité, la mise sur le marché de l'appareil Lumisculpt avait été suspendue. A la suite de cet avis, un décret du 11 avril 2011 a interdit les techniques pour lesquelles la Haute autorité de santé a estimé qu'elles présentaient un risque grave pour la santé humaine. La circonstance que certaines techniques invasives de lyse adipocytaire à visée esthétique, qui pouvaient être utilisées avec certains des appareils employés par Mme A..., ont ainsi été interdites à compter de ce décret est sans incidence sur la responsabilité au titre de la matériovigilance de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé puis de l'Agence nationale de sécurité du médicament. En outre, si Mme A... a déclaré le 11 juin 2014 des incidents sur les matériels de la société Bio Medical Electronics qu'elle utilisait, certains de ces incidents remontaient à 2008, alors qu'en application de l'article L.5212-2 du code de la santé publique, les incidents " ayant entraîné ou susceptible d'entraîner la mort ou la dégradation grave de l'état de santé " doivent être signalés sans délai. Le rapport de l'expertise du 13 juillet 2011 ordonnée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil, le 22 juin 2010, suite à la demande de médecins dont l'appelante, n'apporte pas d'autres éléments sur la dangerosité des produits de la société Bio Medical Electronics ou sur leur absence de respect de la règlementation que ceux déjà présents dans les courriers précités de l'agence, notamment celui du 3 décembre 2009. Le fait que d'autres matériels de la société Bio Medical Electronics, qui a été mise en liquidation judiciaire le 27 mai 2013, aient été mis en cause, est sans incidence sur l'exercice du pouvoir de police sanitaire à l'égard des dispositifs de cette société, utilisés par l'appelante. Il ne résulte pas de tous ces éléments que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé aurait dû prendre des mesures plus sévères, s'agissant des dispositifs de la société Bio Medical Electronics, acquis par l'appelante.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et au ministre des solidarités et de la santé.
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N°18DA01956
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