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11/06/2020 | FRANCE | N°18DA00484

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 11 juin 2020, 18DA00484


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Prodomicile a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler les décisions du 7 mai 2014 et du 1er août 2014 par lesquelles le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais lui a fait obligation de verser au Trésor public :

- une somme de 138 273 euros au titre des montants perçus de l'organisme paritaire collecteur agréé Opcalia sur l'année 2010 pour un montant de 13 695 euros et sur l'année 2011 pour un montant de 37 798 euros pour des contrats de professionnalisation et des sommes p

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Prodomicile a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler les décisions du 7 mai 2014 et du 1er août 2014 par lesquelles le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais lui a fait obligation de verser au Trésor public :

- une somme de 138 273 euros au titre des montants perçus de l'organisme paritaire collecteur agréé Opcalia sur l'année 2010 pour un montant de 13 695 euros et sur l'année 2011 pour un montant de 37 798 euros pour des contrats de professionnalisation et des sommes perçues en 2011 pour un montant de 86 780 euros pour les parcours d'assistante ménagère en période de professionnalisation réputés inexécutés conformément aux dispositions des articles L. 6362-6 et L. 6362-7-1 du code du travail ;

- une somme de 86 780 euros au titre de l'établissement intentionnel de faux émargements ayant permis l'obtention de paiements et de prise en charge indus en ce qui concerne les formations " Bonnes pratiques " pour l'année 2011 en application des dispositions de l'article L. 6362-7-2 du même code ;

- une somme de 164 351 euros au titre des rejets de dépenses prononcés pour les exercices 2010 et 2011 sur le fondement de l'article L. 6362-7 de ce code.

Par un jugement n° 1407116 du 29 décembre 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 6 mars 2018, le 12 octobre 2018, le 15 octobre 2018 et le 31 octobre 2018, la société Prodomicile, représentée par Wilfried Polaert, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 29 décembre 2017 du tribunal administratif de Lille ;

2°) d'annuler les décisions du 14 mai 2014 et du 1er août 2014 par lesquelles le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais a ordonné le versement au Trésor public par la société Prodomicile de la somme d'un montant total de 389 404 euros ;

3°) de mettre la somme de 2 500 euros à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le livre des procédures fiscales ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code du travail ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-405 du 8 avril 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,

- et les observations de Me B... A..., représentant la société Prodomicile.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Prodomicile, fondée en 2006, est une société de formation professionnelle faisant partie du groupe Joker qui a pour objet le service de ménage à domicile pour les particuliers. Ce groupe comprend également la Sarl Atoudomicile, société de services à la personne. En application de l'article L. 6361-2 du code du travail, la société Prodomicile a fait l'objet d'un contrôle administratif et financier par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Nord-Pas-de-Calais, au titre de son activité de prestataire de formation professionnelle continue au titre des exercices comptables 2010 et 2011. Parallèlement, la société Atoudomicile a fait l'objet d'un contrôle en ce qui concerne son obligation de financement de la formation professionnelle continue de ses salariés au titre de l'article L 6361-1 de ce code pour l'année 2011. Le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais a pris le 7 mai 2014 une décision mettant à la charge de la société Prodomicile le versement au Trésor public d'une somme de 389 404 euros. La société Prodomicile relève appel du jugement du 29 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 1er août 2014 par laquelle le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais a confirmé le versement au Trésor public par la société Prodomicile de la somme d'un montant total de 389 404 euros.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort des pièces du dossier que les avis en vue de l'audience du 20 décembre 2017 du tribunal administratif de Lille au cours de laquelle le dossier de la société Prodomicile devait être examiné ont été envoyés dès le 4 décembre 2017. La société Prodomicile, qui a informé le 19 décembre 2017 le tribunal administratif de son changement d'avocat, a transmis via l'application Télerecours, le 4 janvier 2018 à 10 heures 34, un document intitulé " Mémoire en réplique valant note en délibéré " alors que le jugement attaqué a été lu le 29 décembre 2017. La société Prodomicile ne produit aucune pièce de nature à établir, qu'à l'audience, le tribunal lui aurait accordé un délai de quinze jours pour produire son mémoire. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement ne peut qu'être écarté dès lors que celui-ci ne peut viser un mémoire enregistré à une date postérieure à celle de sa lecture.

Sur les conclusions dirigées contre la décision du 14 mai 2014 :

3. Aux termes de l'article R. 6362-6 du code du travail : " L'intéressé qui entend contester la décision administrative qui lui a été notifiée en application de l'article R. 6362-4, saisit d'une réclamation, préalablement à tout recours pour excès de pouvoir, l'autorité qui a pris la décision. Le rejet total ou partiel de la réclamation fait l'objet d'une décision motivée notifiée à l'intéressé ".

4. D'une part, il n'existe dans la présente procédure, aucune décision du 14 mai 2014. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 1, le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais a pris le 7 mai 2014 une décision mettant à la charge de la société Prodomicile le versement au Trésor public d'une somme de 389 404 euros. Cette décision a été contestée par la société Prodomicile. En application des dispositions précitées de l'article R. 6362-6 du code du travail, du fait de son caractère de recours préalable obligatoire, la décision du 1er août 2014 du préfet de la région Nord-Pas-de-Calais s'est substituée à celle-ci. A supposer même que la société Prodomicile ait entendu demander l'annulation de la décision du 7 mai 2014, celle-ci a disparu et les conclusions dirigées contre elle sont, par suite, irrecevables.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. Aux termes de l'article L 6361-2 du code du travail, dans sa version alors en vigueur : " L'Etat exerce un contrôle administratif et financier sur :1° Les activités en matière de formation professionnelle continue conduites par ; (...) /c) Les organismes de formation et leurs sous-traitants (...) ". Aux termes de l'article L. 6362-9 de ce code : " Les résultats du contrôle sont notifiés à l'intéressé. Cette notification interrompt la prescription courant à l'encontre du Trésor public, au regard des versements dus et des pénalités fiscales correspondantes. ". Aux termes de l'article R 6362-2 de ce code : " La notification des résultats du contrôle prévue à l'article L. 6362-9 intervient dans un délai ne pouvant dépasser trois mois à compter de la fin de la période d'instruction avec l'indication des procédures dont l'organisme contrôlé dispose pour faire valoir ses observations. / Les résultats du contrôle peuvent comporter des observations adressées à l'organisme (...) ".

En ce qui concerne la légalité externe de la décision du 1er août 2014 :

6. En cause d'appel, la société Prodomicile invoque plusieurs moyens de légalité externe à l'encontre de la décision du 1er août 2014, tirés de la méconnaissance du délai maximum de trois mois prévu par les dispositions précitées de l'article R. 6362-2 du code du travail entre la fin de la période d'instruction et la notification du rapport de contrôle, du vice de procédure constitué par la contradiction entre le délai de réponse d'un mois prévu par le rapport lui-même et le délai de deux mois prévu dans sa lettre de notification, de l'absence de signature du rapport de contrôle par l'ensemble des agents ayant opéré le contrôle, de la méconnaissance du principe du contradictoire du fait de l'absence de notification préalable d'un avis de contrôle, d'une insuffisante de motivation de la décision du 1er août 2014 et de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 6362-4 du code du travail du fait d'une absence de réponse à sa demande d'entretien contenue dans sa réponse du 17 janvier 2014. Ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, présentés pour la première fois en appel alors qu'aucun moyen de légalité externe n'avait été invoqué par la société Prodomicile devant les premiers juges avant l'expiration du délai de recours contentieux, ne sont pas recevables. Ils doivent, par suite, être rejetés.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision du 1er août 2014 :

7. Après le contrôle effectué de février 2013 à octobre 2013 par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Nord-Pas-de-Calais en ce qui concerne son activité de prestataire de formation professionnelle continue au titre des exercices comptables 2010 et 2011, la société Prodomicile a fait l'objet d'un contrôle fiscal sur l'impôt sur les sociétés pour la période du 1er janvier 2009 - 31 décembre 2010 et sur la taxe à la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier 2009 - 31 décembre 2011. Eu égard à l'indépendance des législations du code du travail et du livre des procédures fiscales, la société Prodomicile ne peut utilement soutenir que les dispositions de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales en vertu desquelles, lorsque la vérification de la comptabilité, pour une période déterminée, au regard d'un impôt ou taxe ou d'un groupe d'impôts ou de taxes est achevée, l'administration ne peut procéder à une nouvelle vérification de ces écritures au regard des mêmes impôts ou taxes et pour la même période, auraient été méconnues.

8. Aux termes de l'article L 6325-1 du code du travail, dans sa version alors en vigueur : " Le contrat de professionnalisation a pour objet de permettre d'acquérir une des qualifications prévues à l'article L. 6314-1 et de favoriser l'insertion ou la réinsertion professionnelle (...) ". Aux termes de l'article L 6314-1 de ce code, dans sa version alors en vigueur : " Tout travailleur engagé dans la vie active ou toute personne qui s'y engage a droit à l'information, à l'orientation et à la qualification professionnelles et doit pouvoir suivre, à son initiative, une formation lui permettant, quel que soit son statut, de progresser au cours de sa vie professionnelle d'au moins un niveau en acquérant une qualification correspondant aux besoins de l'économie prévisibles à court ou moyen terme : 1° Soit enregistrée dans le répertoire national des certifications professionnelles prévu à l'article L. 335-6 du code de l'éducation ; 2° Soit reconnue dans les classifications d'une convention collective nationale de branche ; 3° Soit figurant sur une liste établie par la commission paritaire nationale de l'emploi d'une branche professionnelle. ". Aux termes de l'article L. 6362-6 de ce code, dans sa version alors en vigueur : " Les organismes chargés de réaliser tout ou partie des actions mentionnées à l'article L. 6313-1 présentent tous documents et pièces établissant les objectifs et la réalisation de ces actions ainsi que les moyens mis en œuvre à cet effet. A défaut, celles-ci sont réputées ne pas avoir été exécutées et donnent lieu à remboursement au cocontractant des sommes indûment perçues ".

9. Il est constant que les contrats de professionnalisation signés en 2010 par la société Prodomicile n'aboutissaient pas à une formation qualifiante reconnue, en méconnaissance des dispositions précitées des articles L 6325-1 et L. 6314-1 du code du travail. Si la société Prodomicile se prévaut d'une dérogation prévue par un accord expérimental signé le 18 octobre 2006, entre l'organisme paritaire collecteur agréé Opcareg Nord-Pas-de-Calais devenu ensuite Opcalia, et les directions départementales du travail de l'emploi et de la formation professionnelle de Nord-Lille et de Nord-Valenciennes, il résulte de l'article 1er de cette convention que celle-ci se terminait au 30 juin 2007, à défaut de signature de la convention collective nationale des entreprises de services à la personne. Celle-ci a finalement été signée le 20 septembre 2012. La société Prodomicile ne peut sérieusement soutenir que la lettre du 22 mars 2017 de la direction régionale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle Nord-Pas-de-Calais adressée au Mouvement des entreprises de France Nord-Pas-de-Calais et relative à la codification informatique des contrats de professionnalisation, contiendrait une ambiguïté devant lui profiter, constituée par l'emploi du futur dans ce document, ce qui lui permettait de penser que la procédure serait maintenue pour l'avenir, alors au demeurant que cette lettre est écrite au présent. Par suite, les actions de formation organisées par la société Prodomicile au titre de l'année 2010 doivent être regardées comme inexécutées dès lors qu'elles ne permettent pas d'acquérir une qualification professionnelle au sens des dispositions précitées du code du travail.

10. Il appartient à l'administration d'apprécier, au regard des pièces produites par l'organisme de formation sur lequel pèse la charge de la preuve, et sous le contrôle du juge, la réalité des activités conduites en matière de formation professionnelle continue au regard des dispositions précitées du code du travail. La décision contestée est fondée sur l'incohérence des plannings des formateurs, recoupée avec les émargements des stagiaires, l'absence de traçabilité du déroulement et des lieux de formation, l'ambiguïté des actions menées en " maison pédagogique " dont le caractère de formation n'est pas établi. En se bornant à soutenir que les propos de la formatrice auraient été mal interprétés par les agents de contrôle et que celle-ci aurait été profondément déstabilisée par leurs questions, la société Prodomicile ne démontre pas l'erreur d'appréciation du préfet de la région Nord-Pas-de-Calais sur la réalité de ses actions de formation.

11. Aux termes de l'article L. 6362-7-2 du code du travail : " Tout employeur ou prestataire de formation qui établit ou utilise intentionnellement des documents de nature à éluder l'une de ses obligations en matière de formation professionnelle ou à obtenir indûment le versement d'une aide, le paiement ou la prise en charge de tout ou partie du prix des prestations de formation professionnelle est tenu, par décision de l'autorité administrative, solidairement avec ses dirigeants de fait ou de droit, de verser au Trésor public une somme égale aux montants imputés à tort sur l'obligation en matière de formation ou indûment reçus ".

12. La société Prodomicile reconnaît des régularisations a posteriori des émargements de stagiaires tout en niant toute intention frauduleuse, soutenant qu'il ne s'agissait que de répondre à la demande d'Opcalia pour clôturer les dossiers. Ces émargements ne permettent dès lors pas d'identifier quels stagiaires étaient réellement présents et quelles formations ont été effectivement effectuées. Par suite, cette fraude justifie l'application des dispositions de l'article L. 6362-7-2 du code du travail.

13. Aux termes de l'article L 6362-5 du code du travail : " Les organismes mentionnés à l'article L. 6361-2 sont tenus, à l'égard des agents de contrôle mentionnés à l'article L. 6361-5 : 1° De présenter les documents et pièces établissant l'origine des produits et des fonds reçus ainsi que la nature et la réalité des dépenses exposées pour l'exercice des activités conduites en matière de formation professionnelle ; 2° De justifier le bien-fondé de ces dépenses et leur rattachement à leurs activités ainsi que la conformité de l'utilisation des fonds aux dispositions légales et réglementaires régissant ces activités. A défaut de remplir ces conditions, les organismes font, pour les dépenses ou les emplois de fonds considérés, l'objet de la décision de rejet prévue à l'article L. 6362-10. ".

14. La charge de la preuve du rattachement et du bien-fondé des dépenses aux actions de formation incombe aux organismes de formation qui doivent fournir les éléments prévus par l'article L 6362-5 précité. Par suite, le seul fait qu'un expert-comptable intervienne au bénéfice de la société Prodomicile ne peut suffire à établir la réalité de ce rattachement. La décision de rejet est dès lors fondée.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la société Prodomicile n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 29 décembre 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Prodomicile est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Prodomicile et à la ministre du travail.

Copie sera adressée au préfet de la région Hauts-de-France.

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N°18DA00484


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18DA00484
Date de la décision : 11/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-09 Travail et emploi. - Formation professionnelle.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Jean-Jacques Gauthé
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : SELAS BARTHELEMY AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-06-11;18da00484 ?
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