La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/06/2020 | FRANCE | N°19DA01209

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 02 juin 2020, 19DA01209


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 6 novembre 2018 par lequel le préfet de la Seine-Maritime, a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêté et a fixé l'Algérie comme pays de destination. M. A... a également demandé au tribunal administratif d'enjoindre au préfet de lui délivrer un certificat de résidence portant la mention " commerçant " ou

" vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 6 novembre 2018 par lequel le préfet de la Seine-Maritime, a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêté et a fixé l'Algérie comme pays de destination. M. A... a également demandé au tribunal administratif d'enjoindre au préfet de lui délivrer un certificat de résidence portant la mention " commerçant " ou " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement ou, à défaut, d'examiner à nouveau sa situation dans le même délai.

Par un jugement n° 1900293 du 23 avril 2019, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 6 novembre 2018 et enjoint au préfet de délivrer à M. A... un certificat de résidence portant la mention " commerçant " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mai 2019, le préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 23 avril 2019 ;

2°) de rejeter la demande de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 novembre 2018.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- l'article 12 de l'ordonnance n° 2020-305 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif modifiée par les ordonnances n° 2020-405 du 8 avril 2020, n° 2020-427 du 15 avril 2020 et n° 2020-558 du 13 mai 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Aurélien Gloux-Saliou, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Titulaire depuis le 14 septembre 2016 de certificats de résidence valables un an portant la mention " commerçant ", M. A..., de nationalité algérienne, a demandé le 13 septembre 2018 au préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime, de renouveler ce titre de séjour. Par un arrêté du 6 novembre 2018, le préfet a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêté et a fixé l'Algérie comme pays de destination. Le préfet interjette appel du jugement du 23 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 6 novembre 2018 et lui a enjoint de délivrer à M. A... un certificat de résidence portant la mention " commerçant " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Sur la légalité de l'arrêté du 6 novembre 2018 :

2. Aux termes de l'article 5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles : " Les ressortissants algériens s'établissant en France pour exercer une activité professionnelle autre que salariée reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur justification, selon le cas, qu'ils sont inscrits au registre du commerce ou au registre des métiers ou à un ordre professionnel, un certificat de résidence dans les conditions fixées aux articles 7 et 7 bis " et aux termes de l'article 7 du même accord : " (...) c) Les ressortissants algériens désireux d'exercer une activité professionnelle soumise à autorisation reçoivent, s'ils justifient l'avoir obtenue, un certificat de résidence valable un an renouvelable et portant la mention de cette activité (...) ". Il résulte de ces stipulations que l'autorité administrative, saisie par un ressortissant algérien d'une demande de renouvellement d'un certificat de résidence en qualité de commerçant, est en droit de vérifier le caractère effectif de l'activité commerciale du demandeur.

3. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., immatriculé au registre du commerce et des sociétés depuis le 10 janvier 2017 pour une activité de vente d'articles scolaires et d'accessoires informatiques, a réalisé un chiffre d'affaires nul en 2017 et s'élevant à 530 euros pendant les trois premiers trimestres de l'année 2018. Pour documenter cette quasi absence de chiffre d'affaires pendant près de deux ans, M. A..., qui ne produit ni comptabilité ni même factures pour les quelques ventes réalisées, se prévaut seulement d'un relevé de situation de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) ainsi que d'un courrier de l'association Inseraction faisant état de ses efforts " pour rester à jour administrativement " ainsi que des soutiens associatifs envisagés pour développer son activité professionnelle. Dans ces conditions, nonobstant le fait que l'intéressé justifie avoir dû se rendre en Algérie du 9 septembre au 18 novembre 2017 puis du 29 décembre 2017 au 27 janvier 2018 en raison de la maladie puis du décès de sa mère, le préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime, a pu considérer, à la date de sa décision, que l'activité commerciale de M. A... n'était pas effective et lui refuser, pour ce motif, le renouvellement de son certificat de résidence en qualité de commerçant. Si le préfet s'est également fondé sur le fait que l'intéressé ne justifierait pas d'une résidence habituelle sur le territoire français, où il ne dispose pas d'un logement propre, et subviendrait à ses besoins grâce aux prestations sociales, il ressort des pièces du dossier que le préfet aurait pris la même décision en ne prenant en compte que le motif tiré du caractère non effectif de l'activité de M. A.... Le préfet n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 5 et du c) de l'article 7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur la violation de ces stipulations ainsi que sur une erreur de droit commise par le préfet pour annuler son arrêté du 6 novembre 2018.

4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Rouen.

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

5. En premier lieu, si M. A..., qui a été reçu à la préfecture à l'occasion du dépôt de sa demande de renouvellement de titre de séjour, soutient qu'il a été empêché d'expliquer sa situation lors de cet entretien et en a saisi le Défenseur des droits, il ne l'établit pas. Au demeurant, alors qu'il appartenait à l'intéressé de produire dans son dossier tous éléments susceptibles de venir au soutien de sa demande, il n'établit ni même n'allègue avoir demandé à faire valoir des observations complémentaires au cours de l'instruction de la demande. Le moyen tiré de l'absence d'entretien individuel doit donc être écarté.

6. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet, au vu des éléments qui lui avaient été soumis par M. A..., n'aurait pas examiné la situation particulière de l'intéressé avant de refuser sa demande.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) / 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ". En outre, en vertu de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale.

8. S'il ressort des pièces du dossier que M. A..., entré légalement en France en 2010 en qualité d'étudiant, y a obtenu un diplôme de maîtrise lors de l'année universitaire 2012-2013 puis s'est immatriculé, ainsi qu'il a été dit au point 3 du présent arrêt, en janvier 2017 au registre du commerce et des sociétés pour une activité de vente d'articles scolaires et d'accessoires informatiques, il ne démontre pas le caractère effectif de cette activité, ainsi qu'il a été dit plus haut. Hébergé chez un cousin et justifiant être en contact avec une autre parente et un ami demeurant comme lui aux environs de Rouen, il ne conteste pas être célibataire et sans enfant. Sa mère, qui résidait en Algérie, est décédée en décembre 2017 mais il n'allègue pas être dépourvu de liens dans son pays d'origine, où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de vingt-six ans et où il est revenu passer plus de deux mois à l'été 2018. Eu égard à ces éléments, en refusant à la date à laquelle il s'est prononcé d'autoriser son séjour en France, le préfet n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux motifs du refus. Il n'a donc méconnu ni les stipulations de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ni celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes raisons, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. A....

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour (...) " et aux termes de l'article R. 312-2 du même code : " Le préfet ou, à Paris, le préfet de police saisit pour avis la commission lorsqu'il envisage de refuser de délivrer ou de renouveler l'un des titres mentionnés aux articles L. 313-11, L. 314-11 et L. 314-12 à l'étranger qui remplit effectivement les conditions qui président à leur délivrance (...) ".

10. Ainsi qu'il a été dit au point 8 du présent arrêt, M. A... ne remplissait pas, à la date de l'arrêté en litige, les conditions prévues pour se voir délivrer un certificat de résidence au titre de sa vie privée et familiale. Le préfet n'était donc pas tenu de réunir la commission du titre de séjour avant de rejeter sa demande.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (...) 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré (...) ". En outre, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / a) le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, dans le cas prévu au 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du refus de titre de séjour. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu avant que n'intervienne la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour.

12. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 du présent arrêt que le droit de M. A... d'être entendu a été respecté.

13. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet, au vu des éléments qui lui avaient été soumis par M. A..., n'aurait pas examiné la situation particulière de l'intéressé avant de l'obliger à quitter le territoire français.

14. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 10 du présent arrêt que le préfet a pu légalement refuser la demande de titre de séjour de M. A... et que, partant, l'obligation de quitter le territoire français décidée à la suite de ce refus n'était pas dépourvue de base légale.

15. En quatrième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 8 du présent arrêt, qu'en obligeant M. A... à quitter le territoire français, le préfet n'a ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni commis d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé.

En ce qui concerne la fixation du pays de destination :

16. Il résulte de ce qui a été dit aux points 11 à 15 du présent arrêt que le préfet a pu légalement obliger M. A... à quitter le territoire français et que, partant, la décision fixant le pays de destination n'était pas dépourvue de base légale.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 6 novembre 2018.

Sur l'injonction :

18. Le présent arrêt n'impliquant aucune mesure d'exécution, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... en première instance doivent être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

19. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les frais exposés par M. A....

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 23 avril 2019 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Rouen est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., au ministre de l'intérieur et à Me B... C....

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Seine-Maritime.

N°19DA01209 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19DA01209
Date de la décision : 02/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.

Étrangers - Emploi des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. Boulanger
Rapporteur ?: M. Aurélien Gloux-Saliou
Rapporteur public ?: M. Minet
Avocat(s) : LEPEUC

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-06-02;19da01209 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award