Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune d'Ault a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 octobre 2015 par lequel la préfète de la région Picardie a approuvé le plan de prévention des risques littoraux liés au recul de la falaise et aux glissements des formations de versant sur les communes d'Ault, Saint-Quentin-La-Motte-Croix-au-Bailly et Woignarue.
Par un jugement n° 1601350 du 2 mai 2018, le tribunal administratif d'Amiens a, par son article 1er, annulé cet arrêté du 19 octobre 2015 à compter du 1er octobre 2019 en tant qu'il ne comporte qu'une seule zone rouge inconstructible déterminée à l'horizon de 100 ans, et annulé avec effet immédiat l'article 2.2 du titre II du règlement annexé à cet arrêté, enfin, par son article 2, rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 5 juillet 2018 sous le n° 18DA01379, et un mémoire, enregistré le 27 juillet 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par la commune d'Ault devant le tribunal administratif d'Amiens.
II. Par une requête, enregistrée le 12 novembre 2018 sous le n° 18DA02244, le ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement rendu par le tribunal administratif d'Amiens le 2 mai 2018 sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jimmy Robbe, premier conseiller,
- les conclusions de M. Charles-Edouard Minet, rapporteur public,
- et les observations de Me A... B..., représentant la commune d'Ault.
Une note en délibéré présentée par la commune d'Ault, commune aux deux instances, a été enregistrée le 29 janvier 2020.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 19 octobre 2015, la préfète de la région Picardie a approuvé le plan de prévention des risques littoraux liés au recul de falaises sur les communes d'Ault, Saint-Quentin-La-Motte-Croix-au-Bailly et Woignarue, dit " PPR des falaises picardes ". Sous le n° 18DA01379, le ministre de la transition écologique et solidaire relève appel du jugement du 2 mai 2018 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a, à la demande de la commune d'Ault, annulé cet arrêté à compter du 1er octobre 2019 en tant qu'il ne comporte qu'une seule zone rouge inconstructible déterminée à l'horizon de 100 ans, et annulé avec effet immédiat l'article 2.2 du titre II du règlement annexé à cet arrêté. Sous le n° 18DA02244, le ministre sollicite également qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-5 du code de justice administrative.
2. Les requêtes enregistrées sous le n° 18DA01379 et sous le n° 18DA02244 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y être statué par un seul arrêt.
Sur les motifs d'annulation retenus par les premiers juges :
En ce qui concerne la délimitation de la zone rouge :
3. Aux termes de l'article L. 562-1 du code de l'environnement : " I. - L'Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles tels que les inondations, les mouvements de terrain, les avalanches, les incendies de forêt, les séismes, les éruptions volcaniques, les tempêtes ou les cyclones. / II. - Ces plans ont pour objet, en tant que de besoin : / 1° De délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de la nature et de l'intensité du risque encouru, d'y interdire tout type de construction, d'ouvrage, d'aménagement ou d'exploitation agricole, forestière, artisanale, commerciale ou industrielle, notamment afin de ne pas aggraver le risque pour les vies humaines ou, dans le cas où des constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles, pourraient y être autorisés, prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités ; / 2° De délimiter les zones qui ne sont pas directement exposées aux risques mais où des constructions, des ouvrages, des aménagements ou des exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux et y prévoir des mesures d'interdiction ou des prescriptions telles que prévues au 1° ; / 3° De définir les mesures de prévention, de protection et de sauvegarde qui doivent être prises, dans les zones mentionnées au 1° et au 2°, par les collectivités publiques dans le cadre de leurs compétences, ainsi que celles qui peuvent incomber aux particuliers ; / 4° De définir, dans les zones mentionnées au 1° et au 2°, les mesures relatives à l'aménagement, l'utilisation ou l'exploitation des constructions, des ouvrages, des espaces mis en culture ou plantés existants à la date de l'approbation du plan qui doivent être prises par les propriétaires, exploitants ou utilisateurs (...) ".
4. Le littoral aultois, fortement urbanisé, est marqué par un phénomène d'érosion des falaises de craie le constituant, se traduisant par un recul du trait de côte, c'est-à-dire un déplacement vers l'intérieur des terres de la limite entre le domaine marin et le domaine continental. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier de l'étude réalisée par le bureau de recherches géologiques et minières, dont la teneur n'est pas sérieusement contestée, que ce recul présente un caractère irréversible et inéluctable.
5. Le plan de prévention des risques naturels prévisibles approuvé par l'arrêté en litige du 19 octobre 2015 est destiné à prévenir pour les biens et pour les personnes les dommages susceptibles d'être causés par ce recul du trait de côte. Il comprend notamment une carte des aléas distinguant, en fonction de la vitesse du recul de ce trait de côte, les secteurs où le risque d'érosion est estimé se réaliser, le premier entre 0 et 10 ans, le deuxième entre 10 et 30 ans, et le troisième entre 30 et 100 ans. Cette vitesse du recul du trait de côte a pu être fixée avec précision à moyen terme, c'est-à-dire sur une période d'environ 30 ans. En revanche, en l'état actuel des connaissances scientifiques et eu égard à l'impossibilité de prévoir l'impact des actions humaines, qui sont susceptibles d'avoir une influence sur cette vitesse, celle-ci n'a pu qu'être estimée par extrapolation à horizon de 100 ans. Le plan de prévention qualifie de fort l'aléa du risque d'érosion sur l'ensemble de ces secteurs. La carte de zonage réglementaire de ce plan délimite ainsi une seule zone exposée aux risques, dite " zone rouge inconstructible ", déterminée sur la base de l'estimation du recul du trait de côte sur une période de 100 ans, en retenant l'hypothèse que les ouvrages de protection existants n'ont pas à être pris en compte, à laquelle est ajouté un recul ponctuel majeur de 10 mètres. Il ressort du rapport établi par le bureau de recherches géologiques et minières que cette estimation a, plus précisément, été réalisée en tenant compte de ce que ces " protections existantes exerceraient encore un rôle de protection, au moins partiel à court et moyen terme et se réduisant au fil du temps ", et que le choix de procéder à cette estimation en écartant l'hypothèse d'un entretien de ces ouvrages de protection existants tient à l'incertitude quant à leur efficacité, laquelle n'est pas sérieusement remise en cause.
6. Le recul du trait de côte peut connaître des phases d'accélération, comme ce fut le cas lors des fortes houles de l'hiver 2013-2014, mais aussi des phases que le bureau de recherches géologiques et minières qualifie de " calmes ", comme celle des années 2010-2013. Cependant, ce recul n'en présente pas moins, ainsi qu'il a été dit, un caractère irréversible et inéluctable. En outre, il ressort de ce même rapport que l'estimation du recul du trait de côte (à horizon 2100) faite dans le précédent plan de prévention, approuvé en 2001, a, par endroits, été atteinte voire dépassée dès 2010. Ainsi, les circonstances que le risque d'éboulement résultant de ce recul ne devrait se réaliser, selon les estimations, qu'à long terme et qu'il n'est pas possible, en l'état actuel des connaissances, de fixer avec précision la vitesse de recul au-delà de 30 ans, ne permettent pas, à elles seules, d'exclure ou de tenir pour incertain ou indirect le risque auquel est exposée la zone rouge inconstructible délimitée par la carte de zonage réglementaire du plan de prévention en litige, y compris les secteurs pour lesquels il a été estimé, par extrapolation, que ce risque se réalisera à échéance comprise entre 30 et 100 ans. Ce risque, lié à l'éboulement de la falaise, et affectant nécessairement les constructions situées au-dessus, présente par lui-même, et sans qu'y fasse obstacle cette réalisation estimée par extrapolation à échéance comprise entre 30 et 100 ans, une intensité justifiant que ces secteurs soient également inclus dans la zone rouge inconstructible délimitée par la carte de zonage réglementaire du plan de prévention des risques naturels. La délimitation d'une seule zone règlementaire incluant ces secteurs ne saurait ainsi être regardée comme procédant d'une appréciation manifestement exagérée du risque d'éboulement lié au recul du trait de côte auquel ils sont exposés. Le ministre est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu ce motif pour annuler l'arrêté en litige.
En ce qui concerne l'erreur de droit entachant l'article 2.2 du titre II du règlement annexé à l'arrêté du 19 octobre 2015 :
7. Aux termes de l'article R. 562-5 du code de l'environnement : " I. - En application du 4° du II de l'article L. 562-1, pour les constructions, les ouvrages ou les espaces mis en culture ou plantés, existant à sa date d'approbation, le plan peut définir des mesures de prévention, de protection et de sauvegarde. (...) ".
8. L'article 2 du titre II du règlement annexé à l'arrêté du 19 octobre 2015, intitulé : " Construction, installations, ouvrages, aménagements, infrastructures et équipements existants situés en zone rouge ", comprend un article 2.1 relatif aux interdictions, et un article 2.2 relatif aux autorisations. L'article 2.1 pose le principe de l'interdiction des travaux sur les constructions, des installations, ouvrages, aménagements, infrastructures et équipement, en dehors des exceptions prévues à l'article 2.2, interdit les changements de destination autres que ceux autorisés par l'article 2.2, et interdit sans exception les reconstructions à l'identique après sinistre. L'article 2.2 dresse la liste limitative des projets qui peuvent être autorisés " sous réserve de vérification, par des études préalables, menées par un expert et financées par le maître d'ouvrage, de ne pas aggraver le risque d'érosion ".
9. L'obligation que cet article 2.2 fait peser sur les propriétaires des biens situés en zone rouge de faire réaliser des études préalables, destinées à vérifier que les projets susceptibles d'être autorisés ne vont pas aggraver le risque d'érosion, relève des mesures de prévention susceptibles d'être définies par le plan de prévention des risques naturels prévisibles en application des dispositions ci-dessus reproduites des articles L. 562-1 et R. 562-5 du code de l'environnement. Le ministre est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu ce motif pour annuler l'article 2.2 du règlement du plan de prévention des risques naturels approuvé par l'arrêté en litige.
10. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par la commune d'Ault devant la juridiction administrative.
Sur l'autre moyen soulevé par la commune d'Ault :
11. Aux termes de l'article 1.1 du titre II du règlement annexé à l'arrêté du 19 octobre 2015, intitulé : " Construction, installations, ouvrages, aménagements, infrastructures et équipements nouveaux situés en zone rouge ", " La zone rouge est rendue inconstructible. / Le principe est d'interdire les constructions, installations, ouvrages, aménagements, infrastructures et équipements nouveaux. Des exceptions sont prévues au paragraphe 1.2 dès lors qu'elles n'aggravent pas le risque d'érosion ".
12. Eu égard au caractère certain et à l'intensité du risque auquel est exposée la zone rouge délimitée par le plan de prévention, dans les conditions évoquées aux points 4 à 6, et à l'impossibilité d'y parer efficacement, le préfet n'a commis aucune erreur d'appréciation en prévoyant un tel principe d'interdiction de toute construction et en dressant une liste limitative d'exceptions à celui-ci.
13. Il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des moyens soulevés par la commune d'Ault devant le tribunal administratif d'Amiens ou devant la cour n'est fondé. Par voie de conséquence, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens d'irrégularité soulevés en appel, le ministre de la transition écologique et solidaire est fondé à demander l'annulation du jugement du 2 mai 2018 du tribunal administratif d'Amiens ainsi que le rejet de la demande de première instance de la commune d'Ault.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
14. La cour s'étant prononcée, par le présent arrêt, sur les conclusions d'appel des parties, les conclusions par lesquelles le ministre demande qu'il soit sursis à l'exécution du jugement sont devenues sans objet.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 2 mai 2018 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la commune d'Ault devant le tribunal administratif d'Amiens est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution présentées par le ministre de la transition écologique et solidaire dans la requête n° 18DA02244.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la transition écologique et solidaire et à la commune d'Ault.
Nos18DA01379,18DA02244 2