Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, de condamner l'Etat à réparer le préjudice matériel subi du fait de l'absence de versement de frais de mission pour la période de 2013 jusqu'au jugement à intervenir assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable, la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable et, d'autre part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision refusant de lui attribuer ces indemnités pour l'avenir.
Par un jugement n° 1503383 du 22 mai 2018, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 7 214,76 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2015 et a rejeté le surplus des conclusions.
Procédure devant la cour :
I) Par une requête enregistrée le 20 juillet 2018 sous le n° 18DA01515 et un mémoire enregistré le 6 décembre 2019, M. B... A..., représenté par la SCP Manuel Gros, Héloïse Hicter et associés, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du 22 mai 2018 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a limité à la somme de 7 214,76 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2015 l'indemnisation du préjudice matériel né de l'absence de versement des frais de mission en excluant les frais de transport et la réparation du préjudice moral subi ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 32 716,96 euros au titre de l'indemnisation du préjudice matériel né de l'absence de versement de ses frais de mission et la somme de 2 000 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice moral, assorties des intérêts moratoires à compter de sa demande préalable ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
II) Par une requête enregistrée le 23 juillet 2018 sous le n° 18DA01535, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement du 22 mai 2018 du tribunal administratif de Lille ;
2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal administratif de Lille.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- les accords des 5 mars 2001 et 18 mars 2013 entre le gouvernement du Royaume de Belgique et le gouvernement de la République française relatifs à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de Me C... D..., représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes susvisées n° 18DA01515 et n° 18DA01535 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, de condamner l'Etat à réparer le préjudice matériel subi du fait de l'absence de versement de frais de mission pour la période de 2013 jusqu'au jugement à intervenir assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable, la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable et, d'autre part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision refusant de lui attribuer ces indemnités pour l'avenir. Sous le n° 18DA01515, M. A... relève appel du jugement du 22 mai 2018 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a limité à la somme de 7 214,76 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2015 l'indemnisation du préjudice matériel né de l'absence de versement des frais de mission pour les repas pris et des frais divers exposés à l'étranger et qu'il a rejeté ses conclusions tendant, au remboursement de ses frais de transport et à la réparation du préjudice moral subi. Sous le n° 18DA01535, le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 7 214,76 euros en réparation du préjudice matériel né de l'absence de versement de frais de mission pour 294 jours de mission, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2015 et à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les conclusions d'appel du ministre de l'intérieur :
3. Aux termes de l'article 1er du décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'Etat : " Le présent décret fixe les conditions et les modalités de règlement des frais de déplacements temporaires des personnels civils à la charge des budgets des services de l'Etat ". ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " Pour l'application du présent décret, sont considérés comme : 1° Agent en mission : agent en service, muni d'un ordre de mission pour une durée totale qui ne peut excéder douze mois, qui se déplace, pour l'exécution du service, hors de sa résidence administrative et hors de sa résidence familiale ; / (...) / 6° Résidence administrative : le territoire de la commune sur lequel se situe le service où l'agent est affecté ou l'école où il effectue sa scolarité. Lorsqu'il est fait mention de la résidence de l'agent, sans autre précision, cette résidence est sa résidence administrative ; / 7° Résidence familiale : le territoire de la commune sur lequel se situe le domicile de l'agent (...) ". Enfin, l'article 3 du même texte prévoit que : " Lorsque l'agent se déplace pour les besoins du service à l'occasion d'une mission, d'une tournée ou d'un intérim, il peut prétendre, sous réserve de pouvoir justifier du paiement auprès du seul ordonnateur : - à la prise en charge de ses frais de transport ; - à des indemnités de mission qui ouvrent droit, cumulativement ou séparément, selon les cas, au remboursement forfaitaire des frais supplémentaires de repas, au remboursement forfaitaire des frais et taxes d'hébergement et, pour l'étranger et l'outre-mer, des frais divers directement liés au déplacement temporaire de l'agent. (...) ".
4. Si ces dispositions prévoient qu'un agent peut être muni d'un ordre de mission pour une durée totale de douze mois et bénéficier, notamment, d'une indemnité de mission pour ses déplacements hors de ses résidences administrative et familiale, seuls les frais de déplacement exposés au titre de déplacements temporaires peuvent toutefois être pris en charge en application des dispositions précitées. Un agent affecté administrativement, sans limitation de durée, dans un service, situé en France, sur un poste de travail situé à l'étranger ne peut être regardé, lorsqu'il exerce ses fonctions sur ce lieu de travail, comme un agent effectuant des déplacements temporaires au sens du décret du 3 juillet 2006 et ne saurait, dès lors, solliciter une indemnité de mission au titre des repas pris et des frais divers exposés à l'étranger.
5. En vertu des stipulations de l'accord du 5 mars 2001 entre le gouvernement du Royaume de Belgique et le gouvernement de la République française relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière, un centre de coordination policière et douanière a été mis en place à Tournai (Belgique). Il regroupe, pour la partie française, vingt-huit fonctionnaires de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de la direction des douanes et droits indirects et pour la partie belge des fonctionnaires de la police locale, de la police fédérale et de l'administration des douanes et accises. Le centre de coordination policière et douanière vise à lutter contre l'immigration irrégulière, contre la délinquance transfrontalière, les trafics illicites, les faux documents. Il contribue à la prévention des menaces à l'ordre public par l'échange de renseignements, l'identification des véhicules et de leurs conducteurs, l'identification des détenteurs de lignes téléphoniques, la vérification de l'authenticité des documents d'identité. Ce centre de coordination policière et douanière est territorialement compétent en France dans les cinq départements frontaliers de l'Aisne, des Ardennes, du Nord, de la Meuse, et de la Meurthe-et Moselle. Il est territorialement compétent en Belgique dans les quatre provinces frontalières de la Flandre occidentale, du Hainaut, de Namur et du Luxembourg. Le centre de coordination policière et douanière, est dirigé pour la partie française, par un coordinateur, commissaire divisionnaire, placé sous l'autorité du préfet de la zone de défense et de sécurité Nord.
6. En l'espèce, il est constant que M. A..., gardien de la paix en résidence administrative à Lille à la direction départementale de la sécurité publique du Nord, a été " mis pour emploi opérationnel ", sur sa demande, à compter du 1er septembre 2013, au centre de coopération policière et douanière de Tournai. Il s'y rend chaque jour depuis son domicile situé à Mouscron (Belgique) pour y prendre son service. Les déplacements quotidiens et permanents qu'il effectue ainsi ne présentent aucun caractère temporaire dès lors que cette affectation n'est pas limitée dans le temps. En dépit de la production d'ordres de mission mensuels prévoyant l'utilisation du véhicule administratif du centre de coordination policière et douanière et non l'utilisation de son véhicule personnel, ordres de mission faisant apparaître la résidence administrative de l'intimé, sa résidence personnelle et une mission de coordination police douanes au centre de coordination policière et douanière de Tournai, sans qu'il soit, au demeurant, possible de déterminer si ce document autorise un déplacement entre la résidence personnelle de l'intimé et le centre de coordination policière et douanière, ou entre sa résidence personnelle et son service d'origine ou entre son service d'origine et le centre de coordination policière et douanière de Tournai, eu égard à l'absence de dimension temporaire de cette affectation et à son absence de limitation dans le temps, M. A... ne peut être regardé comme étant en mission temporaire à l'étranger. Il ne peut, par ailleurs, se prévaloir d'un jugement du 18 juillet 2017 du tribunal administratif de Lille passé en force de chose jugée, relatif à la situation personnelle d'un autre fonctionnaire du centre de coordination policière et douanière de Tournai, le décret précité du 3 juillet 2006 relatif au frais de déplacements temporaires des fonctionnaires de l'Etat n'ayant pas vocation à s'appliquer à la situation de fonctionnaires français affectés de façon permanente dans un tel centre de coordination policière et douanière. Par suite, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 7 214,76 euros avec intérêt au taux légal à compter du 16 avril 2015 en réparation du préjudice matériel né de l'absence de versement de frais de mission prévus par le décret précité du 3 juillet 2006. Dès lors, les articles 1 et 2 de ce jugement doivent être annulés.
Sur les conclusions d'appel de M. A... :
7. L'annulation des articles 1 et 2 du jugement attaqué ayant condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 7 214,76 euros avec intérêt au taux légal à compter du 16 avril 2015, au motif de l'inapplicabilité à sa situation du décret précité n° 2006-781 du 3 juillet 2006 relatif au frais de déplacements temporaires des fonctionnaires de l'Etat, a pour conséquence le rejet de l'ensemble de ses conclusions d'appel fondées sur les dispositions de ce texte tendant à l'indemnisation du préjudice matériel né de l'absence de versement des frais de mission prévus par ce texte, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué en ce qui concerne le nombre de vacations pris en compte par le tribunal.
8. En l'absence de toute faute de l'Etat, les conclusions de M. A... tendant à l'indemnisation de son préjudice moral ne peuvent qu'être écartées.
9. Il résulte de tout ce qui précède que, d'une part, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que par les articles 1 et 2 du jugement du 22 mai 2018, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser la somme de 7 214,76 euros avec intérêt au taux légal à compter du 16 avril 2015, à M. A... et la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et d'autre part, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par ce jugement, le tribunal administratif de Lille a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions de M. A... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 1 et 2 du jugement du 22 mai 2018 du tribunal administratif de Lille sont annulés.
Article 2 : Les conclusions d'appel de M. A... et sa demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à l'encontre de l'Etat en cause d'appel sont rejetées.
Article 3 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille tendant à ce que l'Etat soit condamné à réparer son préjudice matériel résultant de l'absence de versement de frais de mission au titre des repas pris et des frais divers exposés à l'étranger, y compris la demande de versement d'intérêts, est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Copie en sera adressée, pour information au préfet de la zone de défense et de sécurité Nord.
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N°18DA01515-18DA01535
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