La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/12/2019 | FRANCE | N°19DA00952

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 04 décembre 2019, 19DA00952


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 7 décembre 2018 par lequel le préfet de l'Eure a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office en exécution d'une peine accessoire d'interdiction de territoire français d'une durée de dix ans prononcée par le tribunal correctionnel de Versailles.

Par un jugement n° 1900314 du 14 février 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen

a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 7 décembre 2018 par lequel le préfet de l'Eure a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office en exécution d'une peine accessoire d'interdiction de territoire français d'une durée de dix ans prononcée par le tribunal correctionnel de Versailles.

Par un jugement n° 1900314 du 14 février 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 avril 2019, M. B..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du préfet de l'Eure du 7 décembre 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code pénal ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant malien né le 7 août 1980, serait, selon ses déclarations, entré sur le territoire français alors qu'il n'était âgé que de quelques mois. Il indique y être demeuré en compagnie de plusieurs membres de sa famille proche. S'étant fait défavorablement remarquer des autorités au cours de son adolescence, il a fait l'objet, dès le 30 août 1999 et à plusieurs reprises, de condamnations pénales. Par un jugement du 13 avril 2015 confirmé le 30 novembre 2017 par la cour d'appel de Versailles, le tribunal correctionnel de Versailles l'a notamment condamné à une peine de cinq années de détention à raison de faits afférents à la législation sur l'acquisition, la détention, l'usage et le transport de produits stupéfiants, ainsi qu'à une peine complémentaire de dix années d'interdiction de territoire français. Afin d'assurer l'exécution de cette peine complémentaire à l'issue de la période de détention de M. B..., le préfet de l'Eure a, par un arrêté du 7 décembre 2018, fixé le pays à destination duquel l'intéressé pourrait être reconduit d'office. M. B... relève appel du jugement du 14 février 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cet arrêté.

2. Il ressort des motifs de l'arrêté en litige que ceux-ci mentionnent, sous le visa des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment de celles de l'article L. 511-1 de ce code, la nationalité de M. B... et précisent, après avoir cité les dispositions de l'article L. 541-1 du même code, reproduisant celles de l'article 131-30 du code pénal, selon lesquelles une interdiction du territoire entraîne de plein droit la reconduite de l'intéressé à la frontière, que M. B... n'établit pas qu'il serait exposé à des peines ou à des traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Ainsi rédigés, ces motifs, qui n'avaient pas à détailler les raisons précises ayant conduit le préfet de l'Eure à cette conclusion, ni à se référer expressément aux dispositions de l'article L. 513-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne constituent pas le fondement légal de la décision contestée, doivent être regardés comme comportant l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles se fonde la décision fixant le pays à destination duquel M. B... pourra être reconduit d'office. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit être écarté.

3. Aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'un mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la cour de justice de l'Union Européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Néanmoins, ce droit doit être entendu comme relevant des droits de la défense et figurant au nombre des principes généraux du droit de l'union européenne. Le préfet fixant, sur le fondement de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit interne de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, le pays à destination duquel un ressortissant étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement exécutoire doit être regardé comme mettant en oeuvre le droit de l'Union européenne. Il lui appartient, dès lors, d'en appliquer les principes généraux. Il appartient, selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne, aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

4. Il ressort des pièces du dossier, notamment d'un document signé le 6 décembre 2018 par M. B..., qu'il a été entendu le même jour, à 9 h 50, par les services de la préfecture, qui l'ont invité à présenter par écrit des observations quant à la perspective d'une reconduite d'office à destination de son pays d'origine. M. B..., qui a renseigné ce document en y portant des observations concernant l'ancienneté de son séjour, sa situation familiale et les attaches dont il dispose en France, a eu, ainsi, la possibilité de faire connaître des observations utiles et pertinentes de nature à influer sur la décision prise à son encontre. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé disposait d'informations tenant à sa situation personnelle qu'il aurait été empêché de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise à son encontre la mesure qu'il conteste et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à l'édiction de cette décision ou à en modifier le sens. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait le principe général du droit d'être entendu, qui est au nombre des principes fondamentaux du droit de l'Union européenne, doit être écarté.

5. Si M. B... soutient qu'à la date à laquelle l'arrêté en litige a été pris, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) était saisi de sa situation, les seules copies de la demande adressée, à une date postérieure à cet arrêté, par son conseil à la préfecture à cette fin et d'un certificat médical rédigé, à une date également postérieure à l'arrêté en litige, par un praticien hospitalier à l'attention des membres du collège ne sont pas de nature à l'établir. En outre, M. B... n'établit, ni d'ailleurs n'allègue, qu'il aurait formé une demande d'admission au séjour pour raison médicale, ni même qu'il aurait fait état auprès des services préfectoraux de difficultés de santé à une date antérieure à celle de l'arrêté en litige, ce qui est contesté en défense. D'ailleurs, si l'intéressé verse au dossier deux certificats médicaux, établis les 24 janvier 2019 et 7 février 2019, selon lesquels il souffre de pathologies multiples, telles des troubles neurologiques avec algies vasculaires de la face à l'origine de céphalées intenses, une bronchopneumopathie chronique et un eczéma persistant, rendant nécessaires une surveillance régulière et un traitement médicamenteux, ces documents, établis à des dates postérieures à celle à laquelle l'arrêté en litige a été pris, de sorte que le préfet de l'Eure n'a pu en disposer, ne sont pas de nature à établir que cette autorité aurait dû recueillir l'avis du collège de médecins de l'OFII avant de fixer le pays à destination duquel M. B... pourrait être reconduit d'office. Il suit de là que le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige aurait été pris à l'issue d'une procédure irrégulière doit, en tout état de cause, être écarté.

6. Ainsi que l'a retenu à ... comme le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.

7. M. B... invoque l'ancienneté de son séjour en France, où il est entré alors qu'il n'était âgé de quelques mois et où il a été scolarisé, ainsi que les attaches familiales dont il y dispose, puisque demeurent, sur le territoire français, sa mère, ainsi qu'une soeur et deux frères, avec lesquels il entretient des liens étroits. L'intéressé fait, en outre, état de la relation qu'il a nouée avec une ressortissante française, avec laquelle il vivait maritalement jusqu'à son incarcération, et de ce qu'un enfant, âgé de dix ans à la date de l'arrêté en litige, est né de leur union. Il ajoute qu'il contribue à l'éducation de l'enfant né d'une précédente union de sa compagne. Toutefois, l'arrêté que M. B... conteste a seulement pour objet de fixer le Mali comme le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office en exécution de la peine complémentaire d'interdiction du territoire français prononcée à son encontre par le juge pénal. Cet acte n'a, en revanche, par lui-même, ni pour objet, ni pour effet de le séparer de ses proches établis en France, en particulier de sa compagne et de son fils. Ainsi, M. B... ne peut utilement faire état, au soutien de son moyen, des attaches familiales proches dont il dispose sur le territoire français, mais seulement de circonstances susceptibles de faire obstacle à ce qu'il puisse poursuivre une vie privée et familiale dans le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit. A cet égard, par ses seules allégations, M. B... n'établit pas qu'il serait dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, ni qu'il ne pourrait s'y adapter faute de maîtriser la langue de l'ethnie à laquelle il appartientou celle la plus couramment parlée dans ce pays. Il suit de là que le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige aurait porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte excessive en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

8. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

9. M. B..., qui se borne à faire état de la situation générale d'insécurité régnant au Mali en 2018, n'établit pas encourir des risques actuels et personnels pour sa sécurité ou sa liberté en cas de retour dans ce pays. En outre, l'intéressé, qui, ainsi qu'il a été dit au point 5, n'établit pas avoir fait état auprès de l'administration de difficultés de santé à une date antérieure à celle de l'arrêté en litige, n'établit pas davantage qu'à la date de cet arrêté, son état de santé rendait déjà nécessaire une surveillance médicale et un traitement médicamenteux. Par suite, pour fixer le Mali comme le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office, le préfet de l'Eure n'a méconnu ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions précitées de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

10. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier, eu égard notamment à ce qui vient d'être dit au point précédent, que, en fixant le Mali comme le pays à destination duquel M. B... pourra être reconduit d'office, le préfet de l'Eure aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de l'intéressé.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Les conclusions qu'il présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de l'Eure.

1

2

N°19DA00952


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA00952
Date de la décision : 04/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Binand
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SELARL MADELINE-LEPRINCE-MAHIEU

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-12-04;19da00952 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award