Vu la procédure suivante :
Par un arrêt du 12 mai 2016, la cour administrative d'appel de Douai, a, avant de se prononcer sur la requête des consortsH..., ordonné qu'il soit procédé par un expert désigné par le président de la cour, à une expertise en vue de déterminer l'ampleur de la perte de chance de survie de M. F...H..., détenu à la maison d'arrêt de Rouen, née du défaut de prise en charge adéquate dans la matinée du 10 octobre 2004 à la suite d'un malaise cardiaque ayant conduit à son décès ;
Par un mémoire enregistré le 22 avril 2016, Mme B...H..., Mme E...H..., Mme J...H..., Mme C...H..., Mme A...H..., M. I... H..., représentés par Me Ahmed Akaba, concluent aux mêmes fins par les mêmes moyens ;
Par un mémoire, enregistré le 21 novembre 2016, le centre hospitalier universitaire de Rouen, représenté par Me D...G..., conclut au rejet de la requête des consorts H...et au rejet des conclusions d'appel en garantie dirigées contre lui ;
Il soutient que :
- la perte de chance doit être limitée à 65 % ;
- le préjudice économique n'est pas établi ;
Par un mémoire enregistré le 25 janvier 2017, les consorts H...demandent à la cour :
1°) de condamner l'Etat à verser la somme de 212 525 euros à Mme B...H...en réparation des préjudices économiques et moraux nés du décès de son mari, M. F...H... ;
2°) de condamner l'Etat à verser la somme de 162 525 euros à Mme E...H..., Mme J...H..., Mme C...H..., Mme A...H...en réparation des préjudices économiques et moraux nés du décès de leur père, M. F...H... ;
3°) de condamner l'Etat à verser la somme de 100 000 euros à M. I...H...en réparation du préjudice moral né du décès de son frère, M. F...H... ;
Ils soutiennent en outre que :
- le préjudice économique est établi et s'étend sur une période de 13 années et 5 mois, soit jusqu'au 11 mars 2018, date du départ à la retraite de M. F...H... ;
Par des mémoires, enregistrés le 1er mars 2017 et le 19 avril 2017, le centre hospitalier universitaire de Rouen, représenté par Me D...G..., conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;
Il soutient en outre que :
- les dernières conclusions indemnitaires de Mme B...H..., de Mme E...H..., Mme J...H..., Mme C...H...et Mme A...H...sont irrecevables car nouvelles en appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le rapport de l'expert, enregistré le 3 novembre 2016 ;
- l'ordonnance du 14 novembre 2016, par laquelle le président de la cour a taxé les frais de l'expertise réalisée par le docteur Michel Bernard ;
- le décret n° 64-217 du 10 mars 1964 ;
- le code pénal ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hadi Habchi, rapporteur public.
1. Considérant que pour juger de l'ampleur de la perte de chance de survie de M. F...H..., née du défaut de prise en charge adéquate dans la matinée du 10 octobre 2004 à la suite d'un malaise cardiaque ayant conduit à son décès, alors qu'il était détenu à la maison d'arrêt de Rouen depuis le 6 juillet 2004, la cour administrative d'appel de Douai, a, par un arrêt avant dire droit du 12 mai 2016, rendu après renvoi du Conseil d'Etat, d'une part rejeté les conclusions d'appel provoqué du garde des sceaux, ministre de la justice, dirigées contre le centre hospitalier universitaire de Rouen, d'autre part, après avoir admis l'existence de la faute constituée par le défaut de prise en charge adéquate de M.H... par le service public pénitentiaire, ordonné une expertise ;
Sur les fins de non-recevoir :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance (...) " ; que la présente procédure, suite à l'arrêt de cassation n° 359244 du 4 juin 2014 du Conseil d'Etat, constitue l'appel du jugement du 3 juin 2010 du tribunal administratif de Rouen ; qu'il est constant que M. I...H...et Mme A...H...étaient parties à cette instance ; qu'ils sont, dès lors, fondés à en relever appel, en dépit du fait qu'ils n'aient pas été parties à l'instance devant le Conseil d'Etat ; que la fin de non-recevoir opposée pour cette raison par le garde des sceaux, ministre de la justice et par le centre hospitalier universitaire de Rouen doit être écartée ;
3. Considérant que si Mme A...H..., née le 18 juillet 1996, était encore mineure à la date de la demande préalable d'indemnisation faite en son nom propre et non par sa représentante légale, le 26 septembre 2008, le fait d'être devenue majeure en cours d'instance, le 18 juillet 2014, a régularisé sa situation ; que dès lors, la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice et par le centre hospitalier universitaire de Rouen, tirée de la minorité de Mme A...H..., doit être écartée ;
4. Considérant que l'augmentation des sommes demandées en cause d'appel par les consorts H...est fondée sur l'évolution de l'âge théorique du départ à la retraite de M.H... ; qu'elle ne constitue dès lors pas des conclusions nouvelles en appel ; que la fin de non-recevoir opposée pour cette raison par le centre hospitalier universitaire de Rouen doit être écartée ;
Sur la perte de chance :
5. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le dimanche 10 octobre 2004, à 10 h 45, M. H...a été examiné à sa demande par l'infirmière de l'unité de consultations et de soins ambulatoires de la maison d'arrêt de Rouen à la suite de douleurs thoraciques et gastriques ; qu'à 13 h 55, un détenu a retrouvé M. H...inconscient et a immédiatement prévenu les gardiens ; que, malgré l'intervention à 14 h 22 du service mobile d'urgence et de réanimation et après trente minutes de soins de réanimation prodigués par un médecin de ce service, son décès a été constaté ; que, dans son rapport d'expertise du 3 novembre 2016, le docteur Michel Bernard fixe à 85 % la fraction de la chance perdue par M. H...du fait de son défaut de prise en charge conforme aux bonnes pratiques en application en 2004 ; que le taux de 65 %, invoqué par le centre hospitalier universitaire de Rouen, ne constitue qu'un taux de survie en cas d'accident cardiaque survenant en milieu hospitalier ou en présence d'une équipe de réanimation, ce qui n'était pas le cas de M.H..., alors détenu en maison d'arrêt ; qu'eu égard à la faute ainsi commise par le service public pénitentiaire dans la prise en charge du patient et à la nature du dommage subi par M.H..., il sera fait une juste appréciation de la perte de chance de ce dernier à raison de cette faute en la fixant à 85 % du préjudice né de son décès ;
Sur les préjudices :
7. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret n° 64-217 du 10 mars 1964 relatif aux maîtres contractuels et agréés des établissements d'enseignement privés sous contrat, alors en vigueur : " Nul ne peut exercer en qualité de maître contractuel ou de documentaliste dans les établissements sous contrat d'association ou de maître agréé dans les établissements sous contrat simple : b) S'il ne jouit de ses droits civiques dans l'Etat dont il est ressortissant (...) e) Si, étant de nationalité française, les mentions portées au bulletin n° 2 de son casier judiciaire sont incompatibles avec les fonctions d'enseignement ou si, étant ressortissant d'un Etat autre que la France, il a subi une condamnation incompatible avec les fonctions d'enseignement.(...) ;
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, d'une part, par un arrêt du 30 septembre 2002 de la chambre correctionnelle de la cour d'appel d'Amiens, confirmé par un arrêt du 28 janvier 2004 de la chambre criminelle de la Cour de cassation, M. H...a été condamné à trois ans d'emprisonnement, dont un an avec sursis, pour escroquerie, faux et usage de faux ; que cette condamnation comportait, à titre de peine complémentaire, une interdiction d'exercer les droits civiques et civils prévus à l'article 131-26 du code pénal pour une durée de cinq ans ; que, d'autre part, par un arrêté du 28 juin 2004 faisant suite au rejet de son pourvoi en cassation, le recteur de l'académie de Rouen a résilié le contrat liant M. H...à l'Etat en vue d'exercer ses fonctions au lycée polyvalent privé La Chataigneraie à Mesnil-Esnard ; que dès lors, M.H..., avait perdu la qualité d'enseignant ; que par suite, les consorts H...n'établissent pas l'existence d'un préjudice économique qui serait en lien direct avec la faute commise, tiré de l'absence des rémunérations de M.H... ; que les conclusions des consorts H...à fin d'indemnisation de ce chef de préjudice ne peuvent qu'être rejetées ;
9. Considérant qu'aux regards des liens existant entre les demandeurs et la victime, leur époux, père et frère, décédé à l'âge de quarante-huit ans, il sera fait une juste appréciation de leur préjudice moral, après application du pourcentage correspondant à la fraction du préjudice indemnisable, en le fixant à la somme de 4 000 euros ;
Sur les frais d'expertise :
10. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée par la cour administrative d'appel de Douai, d'un montant de 1 974,60 euros, à la charge de l'Etat ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les consorts H...sont fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 3 juin 2010, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
12. Considérant que Mme B...H...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Ahmed Akaba, avocat de Mme B...H..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de ce dernier le versement à Me Ahmed Akaba, de la somme de 3 000 euros ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 3 juin 2010 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser la somme de 4 000 euros chacun à Mme B...H..., Mme E...H..., Mme J...H..., Mme C...H..., Mme A...H..., M. I...H....
Article 3 : Le surplus des conclusions des consorts H...est rejeté.
Article 4 : Les frais d'expertise d'un montant de 1 974,60 euros sont mis à la charge de l'Etat.
Article 5 : L'Etat versera à Me Ahmed Akaba, une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...H..., Mme E...H..., Mme J...H..., Mme C...H..., Mme A...H..., M. I...H..., à Me Ahmed Akaba, au garde des sceaux, ministre de la justice et au centre hospitalier universitaire de Rouen.
Copie en sera adressée pour information au docteur Michel Bernard.
Délibéré après l'audience publique du 27 avril 2017 à laquelle siégeaient :
- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,
- M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller.
Lu en audience publique le 11 mai 2017.
Le rapporteur,
Signé : J.-J. GAUTHÉ Le président de chambre,
Signé : P.-L. ALBERTINI Le greffier,
Signé : I. GENOT
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Isabelle Genot
1
2
N° 14DA00997
1
3
N°"Numéro"