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02/03/2017 | FRANCE | N°16DA01698

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre - formation à 3 (bis), 02 mars 2017, 16DA01698


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...D..., veuve E...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 26 mars 2012 par laquelle le ministre de la défense a, suivant la recommandation du 13 décembre 2011 du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, rejeté sa demande présentée en sa qualité d'ayant droit de M. A... E..., sur le fondement de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...D..., veuve E...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 26 mars 2012 par laquelle le ministre de la défense a, suivant la recommandation du 13 décembre 2011 du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, rejeté sa demande présentée en sa qualité d'ayant droit de M. A... E..., sur le fondement de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Par un jugement n° 1203032 du 26 juillet 2016, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 26 mars 2012 du ministre de la défense, a enjoint au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de procéder, dans le délai de trois mois à compter de la notification de son jugement, à l'évaluation des préjudices de toute nature imputables à la maladie radio-induite dont a été atteint M. E...et a rejeté le surplus des conclusions de MmeE....

Procédure devant la cour :

Par un recours enregistrée le 23 septembre 2016, le ministre de la défense, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 26 juillet 2016 du tribunal administratif de Lille ;

2°) de rejeter la demande de Mme E...devant le tribunal administratif de Lille.

Il soutient que :

- le tribunal a méconnu son office en statuant en excès de pouvoir dans un litige relevant du plein contentieux ;

- les conditions concrètes d'exposition de M. E...aux rayonnements ionisants n'ont engendré pour lui qu'un risque négligeable ;

- il n'a pas été exposé à un risque de contamination interne.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2016, MmeD..., veuveE..., représentée par Me B...F..., conclut au rejet du recours, à ce qu'il soit enjoint au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de procéder, dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, à l'évaluation et à l'indemnisation des préjudices de toute nature imputables à la maladie radio-induite dont a été atteint M.E..., sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir, au versement des intérêts de droit à compter de la date de première demande d'indemnisation avec capitalisation des intérêts échus à cette date et à la mise à la charge du ministre de la défense la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par le ministre de la défense ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 16 novembre 2016, le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires s'associe a présenté des observations et s'associe aux conclusions du ministre de la défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,

- les conclusions de M. Hadi Habchi, rapporteur public,

- et les observations de Me G...H..., représentant Mme C...E....

1. Considérant que M. A...E..., né en 1943, appelé en octobre 1962 au service militaire a notamment été affecté du 20 mai 1963 au 28 novembre 1963 au Centre d'expérimentations militaires des Oasis à In-Amguel (Algérie) où il a servi comme caporal au sein de la 4° compagnie portée d'infanterie de marine ; que durant sa période d'affectation, l'essai nucléaire souterrain Rubis a été effectué le 20 octobre 1963 ; que M. E...est décédé le 9 octobre 2006 d'une leucémie aigüe myéloblastique ; que par une décision du 26 mars 2012, le ministre de la défense a, sur recommandation du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, rejeté la demande d'indemnisation de Mme C...E..., néeD..., son épouse ; que le ministre de la défense relève appel du jugement du 26 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 26 mars 2012 du ministre de la défense, a enjoint au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) de procéder, dans le délai de trois mois à compter de la notification de son jugement, à l'évaluation des préjudices de toute nature imputables à la maladie radio-induite dont a été atteint M. E...et a rejeté le surplus des conclusions de MmeE... ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant qu'il résulte des termes mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Lille a estimé qu'il était saisi d'un recours en excès de pouvoir contre la décision du ministre de refus d'indemnisation alors qu'il était saisi d'un recours de plein contentieux tendant à indemniser les victimes des essais nucléaires sur le fondement de la solidarité nationale ; que le ministre de la défense est dès lors fondé à soutenir que le tribunal a ainsi méconnu le champ de son office ;

3. Considérant qu'il y a lieu pour la cour d'annuler le jugement et de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions de Mme E...devant la juridiction administrative ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette loi dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres " ; qu'aux termes de l'article 4 de cette loi dans sa rédaction alors en vigueur: " I. - Les demandes d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, (...) / II. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé / " ; qu'aux termes de l'article 7 du décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, en vigueur à la date de la décision contestée : " La présomption de causalité prévue au II de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée bénéficie au demandeur lorsqu'il souffre de l'une des maladies radio-induites mentionnées à l'annexe du présent décret et qu'il a résidé ou séjourné dans l'une des zones définies à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée et à l'article 2 du présent décret. Cette présomption ne peut être écartée que si le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants (...) ;

5. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant d'une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Polynésie française et en Algérie, d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu'il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d'exposition du demandeur, est négligeable ; qu'à ce titre, l'appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu'il exerçait effectivement, ses conditions d'affectation, ainsi que, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs ;

6. Considérant que le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l'un des éléments sur lequel l'autorité chargée d'examiner la demande peut se fonder afin d'évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ; que si, pour ce calcul, l'autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; qu'en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette même autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires ; que si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable et la présomption de causalité ne peut être renversée ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. E...remplissait les conditions de résidence, de date de séjour et d'affection prévues à l'article 2 de la loi précitée du 5 janvier 2010 pour bénéficier de la présomption de causalité prévue par l'article 4 ce texte ; que pour la renverser, le ministre de la défense se borne à soutenir que compte tenu du niveau d'exposition aux rayonnements ionisants subis par M. E...lors de sa présence sur les sites d'expérimentation nucléaires, la probabilité d'une relation de causalité entre cette exposition et la maladie dont il est atteint est de 0,02 % ;

8. Considérant que la seule mesure de surveillance dont a bénéficié M. E...a été constituée par le port de deux dosimètres en août et en octobre 1963 dont les doses étaient nulles ; que conformément à sa méthodologie, le Civen lui a attribué une dose forfaitaire de 0,4 millisievert (mSv), soit 0,2 mSv par dosimètre à dose nulle ; qu'ainsi qu'il vient d'être dit au point 5, le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants ne constitue que l'un des éléments sur lequel l'autorité chargée d'examiner la demande peut se fonder ; que celle-ci doit s'assurer que les mesures de surveillance de contamination externe ont été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé ; qu'il est constant que l'ensemble des activités de M. E...sur le site d'In-Aguel est inconnu ; que le ministre de la défense, s'il établit l'absence de contamination interne par ingestion alimentaire, eu égard aux conditions d'hygiène et d'alimentation imposées aux personnels de ce site, ne produit aucun élément relatif aux conditions concrètes d'exposition de M. E...au regard d'une contamination externe et n'établit pas si des mesures de surveillance de sa contamination interne auraient été nécessaires au regard de ces mêmes conditions concrètes d'exposition ; que le ministre de la défense ne peut, dès lors, être regardé comme renversant la présomption de causalité prévue par la loi ; que sa décision du 26 mars 2012 doit, par suite, être annulée ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Considérant que l'annulation prononcée par le présent arrêt, qui implique nécessairement qu'une offre d'indemnisation soit notifiée à Mme E...par le Civen, implique aussi nécessairement, au préalable, que cette autorité évalue les préjudices de toute nature imputables à la maladie radio-induite dont a été atteint M.E... ; qu'il y a lieu, par suite, en application de la loi susvisée du 5 janvier 2010, de renvoyer Mme E...devant le Civen, d'enjoindre à cette autorité de procéder à cette évaluation dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte, et d'autre part de lui enjoindre que le montant de l'indemnité produise des intérêts légaux à compter de la date de la première demande de MmeE..., cette somme étant capitalisée ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme E...est fondée à demander l'annulation de la décision du 26 mars 2012 du ministre de la défense ayant rejeté sa demande d'indemnisation ; que dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme E...d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 26 juillet 2016 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La décision du 26 mars 2012 du ministre de la défense est annulée.

Article 3 : Mme E...est renvoyée devant le Civen afin qu'il lui fasse une offre d'indemnisation.

Article 4 : Il est enjoint au Civen d'une part de procéder dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt de procéder à l'évaluation des dommages dont Mme E... a été victime et de lui verser les intérêts au taux légal sur le montant de cette indemnisation, cette somme étant capitalisée à compter de la date de la première demande de MmeE....

Article 5 : L'Etat versera à Mme E...une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la défense, au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires et à Mme C...D..., veuveE....

Délibéré après l'audience publique du 9 février 2017 à laquelle siégeaient :

- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,

- M. Olivier Nizet, président-assesseur,

- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller.

Lu en audience publique le 2 mars 2017.

Le rapporteur,

Signé : J.-J. GAUTHÉ Le président de chambre,

Signé : P.-L. ALBERTINI Le greffier,

Signé : I. GENOT

La République mande et ordonne au ministre de la défense en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

Isabelle Genot

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N°16DA01698

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 16DA01698
Date de la décision : 02/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Procédure - Voies de recours - Appel - Effet dévolutif et évocation - Évocation.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité régie par des textes spéciaux.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service de l'armée.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Jean-Jacques Gauthé
Rapporteur public ?: M. Habchi
Avocat(s) : TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2017-03-02;16da01698 ?
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