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30/06/2016 | FRANCE | N°14DA01278

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre - formation à 3, 30 juin 2016, 14DA01278


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Crooner a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 11 septembre 2012 par lequel le maire de la commune de Beauvais a autorisé M. E... à installer, sur le domaine public, une plaque en mémoire de son fils, rue du Faubourg Saint-Jean au droit de l'établissement " Le Calypso ".

Par un jugement n° 1202921 du 29 avril 2014, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté la demande de la SARL Crooner.

Procédure devant la cour :

Par une

requête, enregistrée le 21 juillet 2014, la SARL Crooner, représentée par Me C...G..., dema...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Crooner a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 11 septembre 2012 par lequel le maire de la commune de Beauvais a autorisé M. E... à installer, sur le domaine public, une plaque en mémoire de son fils, rue du Faubourg Saint-Jean au droit de l'établissement " Le Calypso ".

Par un jugement n° 1202921 du 29 avril 2014, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté la demande de la SARL Crooner.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2014, la SARL Crooner, représentée par Me C...G..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 11 septembre 2012 ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Beauvais le versement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'autorisation accordée n'est pas compatible avec l'affection du domaine public routier, en vertu de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;

- les dispositions de l'article L. 2212-2 et L. 2213-1 du code général des collectivités territoriales, relatifs à la police municipale ne peuvent constituer la base légale pertinente de la décision ;

- l'autorisation accordée porte atteinte au principe de neutralité du service public ;

- elle viole également, dans le contexte du dossier, la présomption d'innocence ;

- elle porte atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie et à la libre concurrence ;

- elle repose sur une erreur de fait dans la mesure où le lieu choisi ne correspond pas à la vie du défunt ou à l'endroit de sa mort ;

- l'arrêté ne précise pas les caractéristiques de la plaque dont la pose est autorisée ;

- ce défaut de mentions viole les dispositions de l'article R. 2122-6 du code général de la propriété des personnes publiques ;

- l'occupant du domaine public ne justifie pas détenir une assurance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2015, la commune de Beauvais, représentée par la Selarl Garnier, Roucoux et associés conclut au rejet de la requête de la SARL Crooner et à la mise à sa charge du versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens tirés de la violation de la destination du domaine public routier, de l'erreur de droit, de la violation de la loi, de l'atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie et du défaut d'assurance du propriétaire de la stèle, nouveaux en appel, sont irrecevables ;

- les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties on été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Yeznikian, président de chambre,

- les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public,

- et les observations de Me C...G..., représentant la SARL Crooner et celles de Me B...D..., représentant la commune de Beauvais.

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le jeuneF..., alors âgé de dix neuf ans, est décédé le 24 septembre 2011 au foyer des jeunes travailleurs où il résidait et où il avait été transporté par l'un de ses amis après avoir passé une partie de la nuit du 23 au 24 septembre à la discothèque " Le Calypso " située à Beauvais rue du faubourg Saint-Jean ; que les causes du décès ont fait naître une polémique mettant en cause un des membres du personnel de l'établissement privé ; que l'autorité judiciaire a été saisie à fin d'enquête ; qu'après avoir apposé des petites plaques sur des réverbères et une croix en bois devant le grillage délimitant la propriété de la discothèque, qui a été saccagée, la famille, qui avait également réclamé en vain que l'une des rues de la ville porte le nom du jeune homme décédé, a obtenu du maire de la commune, par un arrêté du 11 septembre 2012, l'autorisation d'installer une plaque en mémoire du défunt, sur le domaine public constitué par la rue du Faubourg Saint-Jean et de ses dépendances, " au droit de l'établissement Le Calypso " ; que la SARL Crooner qui exploite cet établissement relève appel du jugement du 29 avril 2014 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande d'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté municipal ;

Sur la recevabilité des moyens d'appel :

2. Considérant qu'il ressort des mémoires de première instance que la SARL Crooner a présenté devant le tribunal administratif d'Amiens des moyens de légalité interne ; que les moyens présentés devant la cour relèvent de la même cause juridique ; que, par suite, la commune de Beauvais n'est pas fondée à soutenir que les nouveaux moyens présentés en cause d'appel par la SARL Crooner sont irrecevables ;

Sur le moyen tiré de la violation de la destination du domaine public routier :

3. Considérant que l'article L. 2121-1 du code général de la propriété des personnes publiques dispose que : " Les biens du domaine public sont utilisés conformément à leur affectation à l'utilité publique. / Aucun droit d'aucune nature ne peut être consenti s'il fait obstacle au respect de cette affectation " ;

4. Considérant que l'arrêté du 11 septembre 2012 du maire de Beauvais autorise, par la pose d'une " plaque en mémoire d'Arnaud Lepage ", l'occupation privative à titre précaire et révocable, mais sans durée déterminée, d'un emplacement situé sur le domaine public routier rue du faubourg Saint-Jean devant la discothèque " Le Calypso " ; qu'il est précisé par cet arrêté que l'" installation ne devra pas obstruer la signalisation routière " ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment des photographies produites et des articles de presse fournis, qui ont largement couvert les évènements, que, selon les déclarations du père adoptif du jeune homme, " l'emplacement a été fixé avec le concours de la DDE [direction départementale de l'équipement] pour vérifier notamment l'alignement par rapport à la route ", et que la stèle de 130 kg, coulée dans du béton à même le sol, se trouve à 80 cm du grillage délimitant la propriété de l'établissement " Le Calypso ", à proximité de l'accès principal de cet établissement ; que cette stèle sur laquelle sont gravées les mentions suivantes : " A la mémoire de Arnaud Lepage, 1992-2011 ", est prolongée par un tapis de gravier imitant une tombe ; que l'ensemble constitue ainsi une forme de cénotaphe ; que ce monument se trouve installé sur un accessoire de la voie publique affectée à la circulation, pouvant servir de trottoir ou de lieu de stationnement pour les véhicules ; que si l'arrêté du maire ne précisait pas par lui-même l'ensemble des modalités de l'occupation privative et si l'implantation a été réalisée par les soins de la famille, il ressort des pièces du dossier que la commune doit être regardée, au moins en s'abstenant de toute réaction, comme ayant accepté ce qui a été réalisé ; que telle doit être la portée en définitive de l'arrêté attaqué ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'en autorisant cette implantation, le maire a entendu tenir compte de " la douleur " de la famille ; que si les membres de celle-ci ont déclaré ne pas manifester un esprit de revanche contre " les gens du Calypso ", il est constant que l'inauguration est intervenue un an après le décès du jeune homme, dans un climat de forte émotion et à un moment où les polémiques n'étaient pas éteintes compte tenu de l'instruction pénale en cours et des diverses actions judiciaires engagées ; que les parents et amis du défunt entendaient d'ailleurs " obtenir justice " en défendant la thèse selon laquelle la mort du jeune homme serait imputable à des coups portés par un des membres du personnel de la discothèque ; que, compte tenu de son emplacement, de son inscription et de ses autres caractéristiques, le cénotaphe tend à établir un lien durable entre la mort du jeune homme et l'activité de la boîte de nuit et constitue ainsi un témoignage de la position des parents et des amis de la victime ; que la présence de ce monument est susceptible d'entretenir des polémiques et de favoriser un climat de suspicion à l'égard de l'établissement devant lequel il est placé ; qu'enfin, si, compte tenu de ses dimensions et de celle du trottoir, ce lieu mémoriel n'empêche pas l'usage de la voirie routière et la fréquentation de la dépendance par les piétons, il ne répond cependant pas à sa destination et ne repose sur aucune nécessité d'intérêt général ; que, dans ces conditions, par l'arrêté attaqué, le maire de Beauvais a autorisé une occupation du domaine public communal qui n'est pas compatible avec la destination normale de cette dépendance ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que la SARL Crooner est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du maire de Beauvais du 11 septembre 2012 ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Beauvais la somme de 2 000 euros à verser à la SARL Crooner sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur leur fondement par la commune de Beauvais, qui est dans la présente instance, la partie perdante ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 29 avril 2014 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du maire de Beauvais du 11 septembre 2012 portant occupation du domaine public est annulé.

Article 3 : La commune de Beauvais versera à la SARL Crooner la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la commune de Beauvais présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Crooner, à M. A...E...et à la commune de Beauvais.

Copie en sera adressée pour information au préfet de l'Oise.

Délibéré après l'audience publique du 16 juin 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,

- M. Christian Bernier, président-assesseur,

- Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller.

Lu en audience publique le 30 juin 2016.

Le président-assesseur

Signé : C. BERNIERLe premier vice-président de la cour,

Président-rapporteur

Signé : O. YEZNIKIAN

Le greffier,

Signé : S. DUPUIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier

Sylviane Dupuis

N°14DA01278 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14DA01278
Date de la décision : 30/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

24-01-02-01-01-01 Domaine. Domaine public. Régime. Occupation. Utilisations privatives du domaine. Autorisations unilatérales.


Composition du Tribunal
Président : M. Yeznikian
Rapporteur ?: M. Olivier Yeznikian
Rapporteur public ?: M. Riou
Avocat(s) : BELEM AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-06-30;14da01278 ?
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