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12/05/2016 | FRANCE | N°14DA00997

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 12 mai 2016, 14DA00997


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...J..., Mme G...J..., Mme L...J..., Mme E...J..., Mme A...J...et M. K...J..., ont demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à les indemniser des préjudices économiques et moraux nés du décès de leur époux, père et frère, M. H...J..., intervenu le 10 octobre 2004 au centre de semi-liberté de la maison d'arrêt de Rouen.

Par un jugement nos0802942-0900208 du 3 juin 2010, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 10DA00944 du 1er d

cembre 2011, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté la requête des consortsJ......

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...J..., Mme G...J..., Mme L...J..., Mme E...J..., Mme A...J...et M. K...J..., ont demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à les indemniser des préjudices économiques et moraux nés du décès de leur époux, père et frère, M. H...J..., intervenu le 10 octobre 2004 au centre de semi-liberté de la maison d'arrêt de Rouen.

Par un jugement nos0802942-0900208 du 3 juin 2010, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 10DA00944 du 1er décembre 2011, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté la requête des consortsJ....

Par une décision n° 359244 du 4 juin 2014, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 1er décembre 2011 et lui a renvoyé l'affaire.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 juillet 2014, Mme D...J..., Mme G...J..., Mme L...J..., Mme E...J..., Mme A...J..., M. K...J..., représentés par Me B...C..., ont demandé à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 3 juin 2010 du tribunal administratif de Rouen ;

2°) de condamner l'Etat à verser la somme de 200 000 euros à Mme D...J...en réparation des préjudices économiques et moraux nés du décès de son mari, M. H...J... ;

3°) de condamner l'Etat à verser la somme de 150 000 euros à Mme G...J..., Mme L...J..., Mme E...J..., Mme A...J...en réparation des préjudices économiques et moraux nés du décès de leur père, M. H...J... ;

4°) de condamner l'Etat à verser la somme de 100 000 euros à M. K...J...en réparation du préjudice moral né du décès de son frère, M. H...J... ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait du défaut de surveillance et de prise en charge adéquate de M. H...J....

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2015, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête comme irrecevable en ce qui concerne les demandes présentées par Mme A...J...et M. K...J... ;

2°) de rejeter les demandes présentées par les autres requérants ;

3°) à titre subsidiaire, par la voie de l'appel provoqué, de condamner le centre hospitalier universitaire de Rouen à le garantir des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.

Il soutient que :

- Mme A...J...et M. K...J...ne s'étant pas pourvus en cassation, l'arrêt n° 10DA00944 du 1er décembre 2011 de la cour administrative d'appel de Douai est définitif à leur égard ;

- la prise en charge sanitaire des détenus incombe au seul service public hospitalier ;

- l'administration pénitentiaire ignorait totalement le risque d'insuffisance cardiaque dont souffrait M. H...J... ;

- son état de santé ne nécessitait aucun régime particulier de surveillance ;

- la prise en charge médicale a été adéquate.

Par un mémoire, enregistré le 20 mars 2015, les consorts J...concluent aux mêmes fins par les mêmes moyens ; ils concluent en outre à la condamnation solidaire de l'Etat et du centre hospitalier universitaire de Rouen.

Ils soutiennent en outre que :

- une demande en intervention pouvant être formulée pour la première fois en appel, les demandes de Mme A...J...et M. K...J...sont recevables ;

- les services médicaux avaient connaissance des antécédents médicaux de M. H... J... ;

- l'infirmière a commis une faute en ne faisant pas appel à un médecin pour l'examiner ;

- l'erreur de diagnostic ainsi commise a été pour lui constitutive d'une perte de chance ;

- l'administration pénitentiaire et le service public hospitalier doivent être déclarés solidairement responsables des fautes commises au sein de l'établissement pénitentiaire.

Par un mémoire, enregistré le 31 août 2015, le centre hospitalier universitaire de Rouen, représenté par Me F...I..., conclut au rejet de la requête des consorts J...et au rejet des conclusions d'appel en garantie dirigées contre lui.

Il soutient que :

- les conclusions des consortsJ..., en tant qu'elles sont dirigées contre le centre hospitalier universitaire de Rouen, sont nouvelles en appel et dès lors irrecevables ;

- il en est de même des conclusions du garde des sceaux, ministre de la justice tendant à ce que le centre hospitalier universitaire de Rouen le garantisse des condamnations prononcées à son encontre ;

- les conclusions de Mme A...J...et M. K...J...leur sont propres et ne constituent pas une intervention ;

- en raison de la symptomatologie atypique de M. H...J... et de l'absence d'antécédents cardiaques connus, aucune faute ne saurait lui être imputée ;

- l'intéressé n'a perdu aucune chance de ne pas décéder du fait de l'absence de lien direct et certain entre son décès et l'absence de soins prodigués le 10 octobre 2004.

Par un mémoire, enregistré le 15 septembre 2015, les consorts J...concluent aux mêmes fins par les mêmes moyens.

Mme D...J...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 novembre 2014.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Maryse Pestka, rapporteur public,

- et les observations de Mme D...J..., Mme G...J...et Mme E...J....

1. Considérant que le dimanche 10 octobre 2004, à 10 h 45, M. H...J..., détenu à la maison d'arrêt de Rouen depuis le 6 juillet 2004, a été examiné à sa demande par l'infirmière de l'unité de consultations et de soins ambulatoires à la suite de douleurs thoraciques et gastriques ; qu'à 13 h 55, un détenu a retrouvé M. J...inconscient et a immédiatement prévenu les gardiens ; que, malgré l'arrivée à 14 h 22 d'un service mobile d'urgence et de réanimation et après trente minutes de soins de réanimation prodigués par un médecin de ce service, son décès a été constaté ; que le rapport d'autopsie a conclu à une mort subite d'origine cardiaque en lien avec une cardiopathie ischémique sur athérosclérose coronarienne ; que les consorts J...recherchent la responsabilité de l'Etat au titre d'une faute commise par le service public pénitentiaire ; que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 1er décembre 2011, qui avait confirmé le rejet des demandes des consortsJ..., prononcé par un jugement du tribunal administratif de Rouen du 3 juin 2010, a été annulé par une décision du 4 juin 2014 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, au motif que le juge administratif, saisi par un détenu ou, en cas de décès, par ses ayants droit, d'un recours indemnitaire dirigé contre l'Etat et tendant à la réparation d'un dommage imputé à une carence fautive dans le suivi médical de l'intéressé à l'intérieur de l'établissement pénitentiaire, ne peut sans erreur de droit rejeter ces conclusions comme étant mal dirigées ; qu'il appartient à l'Etat, s'il s'y croit fondé, d'appeler en garantie l'établissement public hospitalier dont relève l'unité de consultations et de soins ambulatoires dont la faute a pu causer le dommage ou y concourir ; qu'en rejetant comme mal dirigées les conclusions des consorts J...fondées sur une faute de l'infirmière de l'unité de consultation et de soins ambulatoires de la maison d'arrêt de Rouen, alors qu'une telle faute, à la supposer établie, était imputable à une carence fautive dans le suivi médical de l'intéressé à l'intérieur de l'établissement pénitentiaire, la cour administrative d'appel de Douai a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que le Conseil d'Etat, lui a renvoyé l'affaire pour y statuer à nouveau ;

Sur les conclusions d'appel provoqué du ministre de la justice, garde des sceaux :

2. Considérant que ces conclusions, qui tendent à mettre en cause le centre hospitalier universitaire de Rouen afin qu'il garantisse l'Etat des condamnations qui viendraient à être prononcées à son encontre, n'ont pas été soumises au tribunal administratif de Rouen, et constituent des conclusions nouvelles présentées pour la première fois en appel ; que la fin de non-recevoir opposée de ce chef par le centre hospitalier universitaire de Rouen doit, par suite, être accueillie ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 6112-1 du code de la santé publique, dans sa version alors en vigueur : " Le service public hospitalier assure, dans des conditions fixées par voie réglementaire, les examens de diagnostic et les soins dispensés aux détenus en milieu pénitentiaire (...) " ; qu'aux termes de l'article D. 368 du code de procédure pénale : " Les missions de diagnostic et de soins en milieu pénitentiaire et la coordination des actions de prévention et d'éducation pour la santé sont assurées par une équipe hospitalière placée sous l'autorité médicale d'un praticien hospitalier, dans le cadre d'une unité de consultations et de soins ambulatoires, conformément aux dispositions des articles R. 6112-14 à R. 6112-25 du code de la santé publique. " ;

4. Considérant que, lorsque les ayants droit d'un détenu recherchent la responsabilité de l'Etat du fait des services pénitentiaires en cas de dommage résultant du décès de ce détenu, ils peuvent utilement invoquer à l'appui de cette action en responsabilité, indépendamment du cas où une faute serait exclusivement imputable à l'établissement public de santé où a été soigné le détenu, une faute du personnel de santé de l'unité de consultations et de soins ambulatoires de l'établissement public de santé auquel est rattaché l'établissement pénitentiaire s'il s'avère que cette faute a contribué à la faute du service public pénitentiaire ; qu'il en va ainsi alors même que l'unité de consultations et de soins ambulatoires où le personnel médical et paramédical exerce son art est placée sous l'autorité du centre hospitalier ; que dans un tel cas, il est loisible à l'Etat, s'il l'estime fondé, d'exercer une action en garantie contre l'établissement public de santé dont le personnel a concouru à la faute du service public pénitentiaire ;

5. Considérant qu'eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis à vis de l'administration, il appartient tout particulièrement à celle-ci, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise ordonnée par le vice-président chargé de l'instruction au tribunal de grande instance de Rouen, destinée à établir les causes du décès de M.J..., qu'après l'avoir examiné, l'infirmière de l'unité de consultation et de soins ambulatoires lui a prescrit un médicament de pansement gastrique ; que la pathologie cardiovasculaire qui s'est manifestée le 10 octobre 2004 et dont il est décédé était caractérisée par une absence totale d'antécédents cardiaques et par une symptomatologie atypique, constituée par des douleurs ou des brûlures de la région épigastrique ou de la poitrine ; que cette pathologie était difficile à interpréter par un personnel paramédical ; que cette symptomatologie associant aux douleurs ou aux brûlures des " plaintes pulmonaires " et des " remontées vers la gorge " présentait, toutefois, plusieurs signes qui auraient dû faire suspecter par un médecin, que M. J...n'a pas été mis à même de consulter, une pathologie thoracique grave ; que, malgré une prise en charge immédiate par les services de secours intervenus avec des moyens adaptés, dès que M. J...a été découvert inconscient en début d'après-midi, celui-ci est décédé ; que dès lors, l'existence de la faute, constituée par le défaut de prise en charge adéquate de M.J... par le service public pénitentiaire, dans la matinée du 10 octobre 2004, est établie ;

7. Considérant, toutefois, que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

8. Considérant qu'il résulte de l'expertise susvisée que l'absence de soins spécialisés en milieu cardiologique a constitué pour M. J...une perte de chance de survie ; que, toutefois, l'état du dossier ne permet pas à la cour d'apprécier l'ampleur de la chance perdue ; que, dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur les préjudices des consorts J...d'ordonner avant dire droit une expertise sur ce point ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'appel provoqué du ministre de la justice, garde des sceaux, est rejeté.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur le surplus des conclusions de la requête des consortsJ..., procédé par un expert, désigné par le président de la cour administrative d'appel, à une expertise médicale avec mission pour l'expert de préciser la fraction de la chance perdue par M. J...du fait de son défaut de prise en charge adéquate dans la matinée du 10 octobre 2004.

Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la cour L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la cour dans sa décision le désignant.

Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent jugement, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...J..., Mme G...J..., Mme L...J..., Mme E...J..., Mme A...J..., M. K...J..., au ministre de la justice, garde des sceaux et au centre hospitalier universitaire de Rouen.

Délibéré après l'audience publique du 28 avril 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,

- M. Olivier Nizet, président-assesseur,

- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller.

Lu en audience publique le 12 mai 2016.

Le rapporteur,

Signé : J.-J. GAUTHÉLe président de chambre,

Signé : P.-L. ALBERTINILe greffier,

Signé : I. GENOT

La République mande et ordonne au ministre de la justice, garde des sceaux, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

Isabelle Genot

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