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28/12/2015 | FRANCE | N°13DA00956

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3 (ter), 28 décembre 2015, 13DA00956


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) " Casino du Touquet " a demandé au tribunal administratif de Lille l'annulation de l'arrêté du 27 juillet 2005 par lequel le ministre de l'intérieur lui a délivré une autorisation d'exploiter des machines à sous jusqu'au 30 juin 2006 en réduisant leur nombre de 100 à 90.

Par un jugement n° 0505868 du 2 mai 2007, le tribunal administratif de Lille a fait droit à sa demande.

La société " Casino du Touquet " a demandé au tribunal administratif d

e Lille l'annulation de l'arrêté du 12 juillet 2006 par lequel le ministre de l'intérieur a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) " Casino du Touquet " a demandé au tribunal administratif de Lille l'annulation de l'arrêté du 27 juillet 2005 par lequel le ministre de l'intérieur lui a délivré une autorisation d'exploiter des machines à sous jusqu'au 30 juin 2006 en réduisant leur nombre de 100 à 90.

Par un jugement n° 0505868 du 2 mai 2007, le tribunal administratif de Lille a fait droit à sa demande.

La société " Casino du Touquet " a demandé au tribunal administratif de Lille l'annulation de l'arrêté du 12 juillet 2006 par lequel le ministre de l'intérieur a renouvelé jusqu'au 30 juin 2011 son autorisation d'exploiter en maintenant la limitation à 90 machines à sous.

Par un jugement n° 0801329 du 4 novembre 2010, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à la société une somme de 192 000 euros en réparation du préjudice subi pour la période du 1er août 2005 au 30 juin 2006 à raison de l'illégalité de l'arrêté du 27 juillet 2005 et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 10DA01667 du 29 septembre 2011, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté la demande de la société " Casino du Touquet " tendant à la réformation du jugement du 4 novembre 2010 du tribunal administratif de Lille et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme supplémentaire de 442 300 euros ou de 326 400 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2007.

Par une décision du 10 juin 2013, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt n° 10DA01667 de la cour administrative d'appel de Douai et a renvoyé l'affaire devant cette cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 décembre 2010, les 6 juin et 13 juillet 2011, la société " Casino du Touquet ", représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du 4 novembre 2010 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a limité à 192 000 euros la somme que l'Etat a été condamné à lui verser en réparation du préjudice subi du 1er août 2005 au 30 juin 2006 à raison de l'illégalité de l'arrêté du 27 juillet 2005 du ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire réduisant le nombre de machines à sous qu'elle était autorisée à exploiter ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser en réparation du préjudice subi une somme de 442 300 euros ou, à titre subsidiaire, une somme de 326 400 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2007 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'Etat ne conteste pas avoir commis une faute de nature à engager sa responsabilité en réduisant à 90 le nombre de machines à sous autorisé, ni son obligation à réparer le préjudice qu'elle a ainsi subi à raison de cette réduction ;

- l'évaluation par les premiers juges du préjudice subi est insuffisante.

Par des mémoires, enregistrés le 12 mai 2011 et le 24 décembre 2013, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'autorisation accordée par l'arrêté ministériel du 27 juillet 2005 arrivait à son terme le 30 juin 2006 et ainsi, seules les pertes subies pour la période du 1er août 2005 au 30 juin 2006 pouvait être indemnisées ;

- le lien de causalité entre le préjudice allégué et l'illégalité de l'arrêté du 12 juillet 2006 n'est pas établi ;

- la société " Casino du Touquet " ne peut prétendre à une indemnisation qu'au titre de la période du 1er août 2005 au 30 juin 2006 à raison de l'annulation de l'arrêté ministériel du 27 juillet 2005 ;

- la société n'a pas lié le contentieux pour la période postérieure au 9 octobre 2007 ;

- le montant de l'indemnité réclamée par la société requérante n'est pas justifié et est excessif.

Par des mémoires, enregistré le 25 juillet 2013 et le 23 février 2015, la SAS " Casino du Touquet " conclut aux mêmes fins que sa requête et demande, en outre, la capitalisation des intérêts et à ce que le montant de la somme mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soit portée à 3 000 euros ;

Elle soutient en outre que :

- la réduction du nombre de machines à sous de 100 à 90 prononcée à compter du 1er août 2005 et qui a été maintenue jusqu'au 1er novembre 2007 constitue une sanction illégale ;

- elle était tenue au regard des dispositions de l'article 67-7 de l'arrêté du 14 mai 2007 portant réglementation des casinos à installer des machines neuves après la levée de la limitation d'exploiter à 90 machines à sous ;

- les précédentes machines devaient en application des dispositions de l'article 67-9 du même arrêté être détruites ou exportées par la société de fourniture et de maintenance.

Par un mémoire, enregistré le 10 avril 2015, le ministre de l'intérieur conclut aux mêmes fins que ses précédents mémoires.

Il soutient en outre que :

- il n'est pas établi que les deux factures d'achat des dix machines à sous neuves d'un montant total de 180 000 euros aient été acquittées par la société ;

- il y aurait lieu en tout état de cause de retenir un abattement sur le prix d'acquisition.

Par un mémoire, enregistré le 6 mai 2015, la SAS " Casino du Touquet " conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'arrêté du 14 mai 2007 relatif à la réglementation des jeux dans les casinos ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Milard, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Guyau, rapporteur public.

1. Considérant que, par un arrêté du 27 juillet 2005, le ministre de l'intérieur a délivré à la société " Casino du Touquet " une autorisation d'exploiter des machines à sous jusqu'au 30 juin 2006, en réduisant leur nombre de 100 à 90 à raison du montant insuffisant des dépenses d'animation et l'absence d'ouverture de nouveaux " grands jeux " ; que, par un jugement du 2 mai 2007, devenu définitif, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté ; que, par un second arrêté du 12 juillet 2006, le ministre de l'intérieur a renouvelé jusqu'au 30 juin 2011 l'autorisation d'exploiter de la société en maintenant la limitation à 90 machines à sous ; que, par un jugement du 4 novembre 2010, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à la société une somme de 192 000 euros en réparation du préjudice subi pour la période du 1er août 2005 au 30 juin 2006 à raison de l'illégalité de l'arrêté du 27 juillet 2005 et rejeté le surplus des conclusions de sa demande ; que, par un arrêt du 29 septembre 2011, la cour administrative d'appel de Douai a confirmé ce jugement ; que, par une décision du 10 juin 2013, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt au motif que la cour avait dénaturé les écritures de la société requérante en première instance et en appel en estimant qu'elle n'avait pas été valablement saisie de conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'illégalité de l'arrêté du 12 juillet 2006 et a renvoyé cette affaire à la cour ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur :

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que si la société " Casino du Touquet " n'a pas saisi l'Etat d'une demande d'indemnisation en réparation du préjudice subi à raison de la diminution du nombre de machines à sous autorisé pour la période postérieure au 1er octobre 2007, le ministre de l'intérieur, dans son mémoire enregistré le 24 décembre 2013, a défendu au fond à titre principal et n'a opposé une fin de non-recevoir tirée de l'absence de liaison du contentieux pour la période concernée qu'à titre subsidiaire ; que, dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur doit être écartée ;

Sur les conclusions indemnitaires :

Sur la responsabilité de l'Etat :

3. Considérant, d'une part, que par jugement du 2 mai 2007, devenu définitif, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 27 juillet 2005 du ministre de l'intérieur accordant à la société " Casino du Touquet " l'autorisation d'exploiter des machines à sous du 1er août 2005 au 30 juin 2006, en réduisant leur nombre de 100 à 90 au motif que l'administration n'avait pas établi que les obligations prévues au contrat n'étaient pas respectées et que le ministre avait commis une erreur manifeste d'appréciation en prononçant cette sanction ; que cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

4. Considérant, d'autre part, que par un arrêté du 12 juillet 2006, le ministre de l'intérieur a renouvelé l'autorisation d'exploiter de la société " Casino du Touquet " en la limitant à 90 machines à sous en reprenant les mêmes motifs que ceux ayant servi de fondement à la réduction d'exploitation prononcée par l'arrêté censuré par le tribunal administratif de Lille le 2 mai 2007 ; que la société requérante est par suite fondée à soutenir, alors que le ministre de l'intérieur n'établit ni même n'allègue qu'elle aurait manqué à ses obligations contractuelles, qu'en maintenant à 90 le nombre de machines à sous susceptibles d'être exploitées, l'arrêté du 12 juillet 2006 par lequel a été renouvelée l'autorisation d'exploitation était illégal et que cette illégalité, constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, a perduré jusqu'à ce que l'arrêté ministériel du 2 octobre 2007 l'autorise à nouveau à exploiter 100 machines à sous ; que la société " Casino du Touquet " est dès lors fondée à demander réparation du préjudice subi à raison de l'illégalité de l'arrêté du 12 juillet 2006 ;

Sur les préjudices :

5. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 du présent arrêt, que la société " Casino du Touquet " a subi un préjudice direct et certain du fait de la privation des bénéfices qu'elle pouvait normalement attendre de l'exploitation des dix machines à sous pour la période du 1er août 2005, date de désactivation de ces machines, au 1er novembre 2007, date de leur remise en service effectif ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du tableau synoptique produit par la société requérante et établi par un expert comptable, qu'après comparaison entre le produit net des jeux comptabilisé et le même produit simulé en tenant compte de la possibilité d'exploitation de 100 machines à sous et déduction des différents prélèvements opérés par l'Etat et la commune, les pertes d'exploitation subies par la société s'établissent à 51 745,32 euros pour l'exercice 2005, à 210 203,95 euros pour l'exercice 2006 et à 192 351,01 euros pour l'exercice 2007, soit un montant total de 454 300,28 euros ; que ces éléments chiffrés, issus de la comptabilité de la société, ne sont pas utilement contestés par le ministre de l'intérieur qui se borne à les écarter par principe ; que la société " Casino du Touquet " est ainsi fondée à demander le versement d'une indemnité de 454 300 euros correspondant à la perte d'exploitation de 10 machines à sous pour la période du 1er août 2005 au 1er novembre 2007 ; que par suite, la somme de 192 000 euros allouée par les premiers juges en réparation de ce préjudice doit être portée à cette dernière somme ;

7. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 67-7 de l'arrêté du 14 mai 2007 relatif à la règlementation des jeux dans les casinos, dans sa rédaction alors en vigueur, les sociétés de fourniture et de maintenance sont tenues de livrer aux casinos des machines à l'état neuf ; qu'il ressort de l'examen du procès-verbal du 1er août 2005 que les dix machines à sous non autorisées par l'arrêté ministériel du 12 juillet 2006 ont été désactivées et restituées à ces sociétés, conformément aux dispositions de l'arrêté du 14 mai 2007 précité ; qu'il n'est nullement établi, contrairement à ce que soutient le ministre, que l'ancienneté des machines ainsi remises soit de nature à justifier l'application d'un abattement sur le prix d'acquisition du matériel neuf, alors que la société requérante relève, sans être utilement contredite, que ce type de machines nécessite le remplacement, en cours d'exploitation, d'éléments intérieurs et de la caisse métallique dont le coût n'est pas négligeable ; qu'ainsi, lorsque la société " Casino du Touquet " a été de nouveau autorisée à exploiter 100 machines à sous par l'arrêté ministériel précité du 2 octobre 2007, elle a été dans l'obligation d'acquérir dix machines neuves pour un montant total de 171 997,86 euros TTC, ainsi qu'il ressort des factures produites par la société requérante, laquelle justifie en outre en avoir acquitté le montant ; que dans ces conditions, la société " Casino du Touquet " peut ainsi prétendre à une indemnité de 171 998 euros au titre de ce chef de préjudice ;

Sur les intérêts :

8. Considérant qu'en application des dispositions de l'article 1153 du code civil, la société " Casino du Touquet " a droit aux intérêts au taux légal sur l'indemnisation qui lui est accordée à compter de la date de réception de sa demande préalable, soit le 9 novembre 2007 ;

Sur la capitalisation des intérêts demandée par la société " Casino du Touquet " :

9. Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 25 juillet 2013 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de porter à 626 298 euros le montant de l'indemnité due par l'Etat à la société " Casino du Touquet " et de réformer en ce sens le jugement attaqué du tribunal administratif de Lille ; qu'en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société " Casino du Touquet " d'une somme de 1 000 euros ;

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 192 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à la société " Casino du Touquet " est portée à la somme de 626 298 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2007. Ces intérêts seront capitalisés à la date du 25 juillet 2013, puis à chaque échéance annuelle, pour porter eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du 4 novembre 2010 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à la société " Casino du Touquet " une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société " Casino du Touquet " est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société " Casino du Touquet " et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience publique du 14 décembre 2015 à laquelle siégeaient :

- M. Michel Hoffmann, président de chambre,

- Mme Muriel Milard, premier conseiller,

- M. Laurent Domingo, premier conseiller.

Lu en audience publique le 28 décembre 2015.

Le rapporteur,

Signé : M. MILARDLe président de chambre,

Signé : M. B...

Le greffier,

Signé : S. DUPUIS La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

Sylviane Dupuis

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N°13DA00956


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation à 3 (ter)
Numéro d'arrêt : 13DA00956
Date de la décision : 28/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité.

Sports et jeux - Casinos.


Composition du Tribunal
Président : M. Hoffmann
Rapporteur ?: Mme Muriel Milard
Rapporteur public ?: M. Guyau
Avocat(s) : SEBAG

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2015-12-28;13da00956 ?
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