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15/12/2015 | FRANCE | N°14DA01377

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre - formation à 3, 15 décembre 2015, 14DA01377


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Nord-Pas-de-Calais a demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 7 850 000 euros au titre des frais de remise en état du quai des paquebots sur le port de Boulogne-sur-Mer et, à titre subsidiaire, de nommer un expert judiciaire ayant pour mission d'établir le lien de causalité entre le défaut d'entretien de l'ouvrage par l'Etat et le préjudice subi du fait de la ruine de l'ouvrage.

Par un jugement n° 1103149 du 27 mai 201

4, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de la région Nord-Pas...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Nord-Pas-de-Calais a demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 7 850 000 euros au titre des frais de remise en état du quai des paquebots sur le port de Boulogne-sur-Mer et, à titre subsidiaire, de nommer un expert judiciaire ayant pour mission d'établir le lien de causalité entre le défaut d'entretien de l'ouvrage par l'Etat et le préjudice subi du fait de la ruine de l'ouvrage.

Par un jugement n° 1103149 du 27 mai 2014, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de la région Nord-Pas-de-Calais.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 août 2014, et un mémoire, enregistré le 23 octobre 2015, la région Nord-Pas-de-Calais, représentée par la SELARL Latournerie, Wolfrom et associés, demande, dans le dernier état de ses écritures, à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 7 072 177,59 euros toutes taxes comprises (TTC) sauf à parfaire, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa requête par le tribunal ;

3°) en tout état de cause d'ordonner une expertise afin de déterminer le montant des investissements consentis par l'Etat, de constater l'état de l'ouvrage avant et après le transfert, de déterminer l'étendue des dommages et le coût de la réparation et de se prononcer sur les responsabilités ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en sus les dépens.

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas motivé le refus d'ordonner une expertise ;

- il n'a pas visé son mémoire en date du 10 avril 2013 ;

- il n'a pas répondu à l'argument tiré du classement en zone B du quai des paquebots ;

- elle a la qualité de tiers ou, à défaut, d'usager, d'un ouvrage public dont l'Etat était propriétaire et qu'il a mal entretenu ;

- l'Etat ne l'a pas suffisamment informée de la gravité du délabrement qui affectait le quai des paquebots au moment du transfert ;

- l'Etat a manqué à son obligation d'entretien et de conservation d'un ouvrage public fondée sur les articles L. 3111-1 et L. 2121-1 du code général des propriétés des personnes publiques, ce qui l'a conduit à minorer la compensation financière qui lui a été accordée ;

- l'expertise est utile compte tenu de la technicité de la matière et de l'ampleur de l'ouvrage.

Par des mémoires, enregistrés les 15 octobre 2014 et 20 novembre 2015, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des propriétés des personnes publiques ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 ;

- le décret n° 2005-1509 du 6 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Christian Bernier, président-assesseur,

- les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public,

- et les observations de Me B...A..., représentant la région Nord-Pas-de-Calais.

1. Considérant que, par une convention du 22 novembre 2006, établie en application du III de l'article 30 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales et du décret du 6 décembre 2005 pris pour l'application de l'article 119 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, l'Etat a transféré à la région Nord-Pas-de-Calais la propriété du port de Boulogne-sur-Mer à compter du 1er janvier 2007 et les compétences relatives à sa gestion ; qu'à la suite d'un affouillement survenu le 3 février 2010, une expertise a révélé le délabrement du quai des paquebots ; que la région, qui sollicite de l'Etat la réparation de ses préjudices ou, à tout le moins, la désignation d'un expert, relève appel du jugement du tribunal administratif de Lille qui a rejeté ses demandes ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que le tribunal administratif, qui avait préalablement estimé au vu des moyens et des pièces dont il était saisi que la responsabilité de l'Etat n'était pas engagée, a pu, sans entacher son jugement d'irrégularité, rejeter implicitement mais nécessairement les conclusions de la région Nord-Pas-de-Calais tendant à la désignation d'un expert à titre subsidiaire dès lors qu'il résultait nécessairement du jugement qu'une telle expertise, qui n'aurait pu en tout état de cause porter sur des questions de droit, était dépourvue d'utilité ;

3. Considérant qu'il ressort de la minute du jugement que le tribunal a visé et analysé le mémoire de la région Nord-Pas-de-Calais enregistré le 10 avril 2013 ;

4. Considérant que le tribunal n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments des parties ; que la circonstance qu'il ne se soit pas prononcé sur celui tiré du classement en zone B du quai des paquebots développé dans un mémoire produit avant la clôture d'instruction, n'a pas eu d'incidence sur le sens du jugement et donc sur sa régularité ;

Sur la responsabilité de l'Etat pour défaut d'entretien normal de l'ouvrage public :

5. Considérant qu'en cas de défaut d'entretien normal de l'ouvrage public, la responsabilité de la collectivité qui a la qualité de maître de l'ouvrage ne peut être recherchée que par la victime d'un dommage de travaux publics ; qu'à la date où le dommage est survenu, la région Nord-Pas-de-Calais n'avait pas la qualité de tiers ni celle d'usager ; qu'elle n'avait pas davantage subi un dommage de travaux publics à l'époque où l'Etat avait la propriété de l'ouvrage ; qu'ayant la qualité de maître d'ouvrage lors de la constatation des délabrements du port, elle ne saurait rechercher, sur le fondement du défaut d'entretien normal, la responsabilité sans faute de l'Etat dans les droits et obligations duquel elle a été substituée par application du III de l'article 30 de la loi du 13 août 2004 ;

Sur la responsabilité de l'Etat pour défaut d'information :

6. Considérant qu'aux termes du I de l'article 30 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales : " La propriété, l'aménagement, l'entretien et la gestion des ports non autonomes relevant de l'Etat sont transférés, au plus tard au 1er janvier 2007 et dans les conditions fixées par le code des ports maritimes et au présent article, aux collectivités territoriales ou à leurs groupements dans le ressort géographique desquels sont situées ces infrastructures " ; qu'aux termes des deux premiers alinéas du III du même article : " Pour chaque port transféré, une convention conclue entre l'Etat et la collectivité territoriale ou le groupement intéressé, ou, à défaut, un arrêté du ministre chargé des ports maritimes dresse un diagnostic de l'état du port, définit les modalités du transfert et fixe sa date d'entrée en vigueur. / La collectivité ou le groupement bénéficiaire du transfert succède à l'Etat dans l'ensemble de ses droits et obligations à l'égard des tiers " ;

7. Considérant que l'annexe 3-1-1 de la convention de transfert du port de Boulogne-sur-Mer, négociée par l'Etat et la région Nord-Pas-de-Calais et signée le 22 décembre 2006, comporte un état des lieux au moment de la cession dont il ressort que le quai des paquebots, construit en béton armé sur pieux à partir de 1908 dans ses parties A et B, dégradé pendant la guerre et sommairement restauré depuis cette date, souffrait de " corrosion perforante de la tête du rideau qui (allait) à terme se déverser et entraîner l'effondrement du terre-plein " et que les parties C et D construites en 1961 souffraient d'une " corrosion avancée " ;

8. Considérant que la région Nord-Pas-de-Calais qui avait ainsi connaissance, avant la cession, des risques d'effondrement imminent et de la nécessité des travaux qu'il lui incomberait de prendre en charge après le transfert ne peut donc rechercher la responsabilité de l'Etat en invoquant l'insuffisance des informations fournies ;

Sur la responsabilité de l'Etat pour insuffisance de compensation financière :

9. Considérant que l'article L. 3111-1 du code général des propriétés des personnes publiques, qui pose le principe que les biens des personnes publiques sont inaliénables, et l'article L. 2121-1 du même code qui prévoit que les biens du domaine public sont utilisés conformément à leur affectation à l'utilité publique, ne créent pas à la charge de la personne publique propriétaire de l'ouvrage une obligation générale, qui ne saurait résulter que de dispositions législatives particulières ou de stipulations conventionnelles, de consacrer des investissements pour l'entretien d'un ouvrage, notamment quand de surcroît celui-ci, ce qui est le cas en l'espèce, aurait cessé d'être utilisé ;

10. Considérant qu'aux termes de l'article 119 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales : " Sous réserve des dispositions prévues au présent article et à l'article 121, les transferts de compétences à titre définitif inscrits dans la présente loi et ayant pour conséquence d'accroître les charges des collectivités territoriales ou de leurs groupements ouvrent droit à une compensation financière dans les condition fixées par les articles L. 1614-1 à L. 1614-7 du code général des collectivités territoriales. / Les ressources attribuées au titre de cette compensation sont équivalentes aux dépenses consacrées, à la date du transfert, par l'Etat, à l'exercice des compétences transférées, diminuées du montant des éventuelles réductions brutes de charges ou des augmentations de ressources entraînées par les transferts. / Le droit à compensation des charges d'investissement transférées par la présente loi est égal à la moyenne des dépenses actualisées, hors taxes et hors fonds de concours, constatées sur une période d'au moins cinq ans précédant le transfert de compétences " ;

11. Considérant que, s'agissant des ports maritimes, le décret du 6 décembre 2005, pris pour l'application de l'article 119 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, fixe à dix ans la période prise en compte pour le calcul des dépenses ouvrant droit à compensation des charges d'investissement transférées ;

12. Considérant que, contrairement à ce qu'allègue la région Nord-Pas-de-Calais, il ne résulte ni des dispositions citées aux deux points précédents, ni d'une autre disposition, ni d'aucun principe que l'Etat était légalement tenu de lui transférer des ouvrages portuaires parfaitement entretenus ou qui ne nécessiteraient aucun investissement nouveau ;

13. Considérant qu'à supposer que l'Etat ait délibérément réduit ses dépenses d'entretien ou qu'il ait renoncé à certains investissements lorsque le transfert du port de Boulogne-sur-Mer à la région Nord-Pas-de-Calais a été envisagé à partir de 2005, il ne résulte pas de l'instruction que cette circonstance a été, en l'espèce, de nature à réduire de manière significative le montant de la compensation financière qu'il devait lui verser dès lors notamment que celle-ci a été calculée à partir des dépenses engagées au cours des dix années qui ont précédé le transfert et donc en prenant en compte une période de temps qui a largement précédé cette hypothèse d'un transfert ; qu'en tout état de cause, le montant a été négocié entre les parties et fixé en connaissance de cause en application des dispositions législatives précitées ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de prescrire l'expertise sollicitée qui ne présente pas de caractère utile, que la région Nord-Pas-de-Calais n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la région Nord-Pas-de-Calais est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la région Nord-Pas-de-Calais et au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

Copie en sera adressée pour information au préfet du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 26 novembre 2015 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,

- M. Christian Bernier, président-assesseur,

- M. Hadi Habchi, premier conseiller.

Lu en audience publique le 15 décembre 2015.

Le président-rapporteur,

Signé : C. BERNIERLe président de chambre,

Signé : O. YEZNIKIAN

Le greffier,

Signé : S. DUPUIS

La République mande et ordonne au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

Sylviane Dupuis

N°14DA01377 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14DA01377
Date de la décision : 15/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Collectivités territoriales - Dispositions générales - Biens des collectivités territoriales.

Collectivités territoriales - Dispositions générales - Dispositions financières - Compensation des transferts de compétences.

Travaux publics - Différentes catégories de dommages.


Composition du Tribunal
Président : M. Yeznikian
Rapporteur ?: M. Christian Bernier
Rapporteur public ?: M. Riou
Avocat(s) : SOCIÉTÉ D'AVOCATS LATOURNERIE WOLFROM et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2015-12-15;14da01377 ?
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