Vu la requête, enregistrée le 15 février 2013, présentée pour Mme B...F..., M. E... C...et M. A...C..., demeurant ... et M. H... C..., demeurant..., par Me J...D... ; les requérants demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1007973 du 11 décembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté leur demande tendant, d'une part, à la condamnation de la commune de Lille à verser à M. E...C...la somme de 806 933,33 euros ou, à défaut, la somme de 50 000 euros à valoir sur son préjudice, à Mme B...F...la somme de 150 000 euros, à M. H... C..., père de Sofian, la somme de 50 000 euros et à M. A...C..., frère de Sofian, la somme de 25 000 euros, à titre de dommages et intérêts, d'autre part, à ce qu'une expertise soit ordonnée pour déterminer le préjudice corporel subi par M. E...C...et, enfin, à mettre à la charge de la commune de Lille une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) d'ordonner une expertise aux fins de déterminer le préjudice corporel subi par M. E...C..., à défaut, de condamner la commune à verser, à titre de dommages et intérêts, à M. E...C...la somme de 806 933,33 euros, à Mme B...F...la somme de 150 000 euros, à M. H... C...la somme de 50 000 euros, et à M. A...C...la somme de 25 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Lille une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 décembre 2013, présentée pour Mme B...F..., M. E...C..., M. A...C...et M. H...C... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 décembre 2013, présentée pour la commune de Lille ;
Vu le code de la propriété des personnes publiques ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu l'arrêté du 3 décembre 2012 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- les conclusions de M. Vladan Marjanovic, rapporteur public,
- les observations de Me G...I..., substituant Me Frank Berton, avocat de Mme F... et des consorts C...et de Me Sébastien Mabile, avocat de la commune de Lille ;
1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. E...C..., alors âgé de 13 ans, a fait une chute accidentelle, le 19 mai 2002, peu après minuit, alors qu'il se trouvait sur l'une des fortifications du site de la porte de Gand située rue du Bastion du Meunier à Lille ; que l'intéressé et sa mère, MmeF..., M. A...C..., son frère, ainsi que M. H...C..., son père, relèvent appel du jugement du 11 décembre 2012, par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté leur demande tendant à ce que la commune de Lille soit condamnée à les indemniser des préjudices subis par M. E...C...à la suite de l'accident dont il a été victime ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Lille aux conclusions d'appel de la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. Conformément à l'article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée. Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice (...) " ;
3. Considérant que compte tenu, d'une part, du lien qu'établissent ces dispositions entre la détermination des droits de la victime et celle des droits de la caisse et, d'autre part, de l'obligation qu'elles instituent de mettre en cause la caisse de sécurité sociale à laquelle est affiliée la victime en tout état de la procédure, afin de la mettre en mesure de poursuivre le remboursement de ses débours par l'auteur de l'accident, une caisse régulièrement mise en cause en première instance peut former appel à tout moment, en reprenant sa demande de première instance, augmentée le cas échéant pour tenir compte des prestations nouvelles servies depuis l'intervention du jugement de première instance, lorsque la victime a elle-même régulièrement exercé cette voie de recours ; qu'il résulte de l'instruction que la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut, régulièrement mise en cause, a, le 5 mai 2011, présenté devant le tribunal des conclusions tendant à la condamnation de la commune de Lille à lui verser la somme correspondant aux débours engagés pour le compte de M. E...C... ; que, par suite, les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut après l'expiration du délai de recours contre le jugement du tribunal administratif de Lille du 11 décembre 2012 sont recevables ;
Sur la responsabilité de la commune de Lille :
4. Considérant qu'il appartient à l'usager, victime d'un dommage survenu sur un ouvrage public, de rapporter la preuve du lien de causalité entre l'ouvrage public et le dommage dont il se plaint ; que la collectivité en charge de l'ouvrage public doit alors, pour que sa responsabilité ne soit pas retenue, établir que l'ouvrage public faisait l'objet d'un entretien normal ou que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. E...C..., accompagné d'un camarade de son âge, a quitté aux alentours de minuit le lieu de la fête à laquelle ils assistaient en famille, pour se diriger vers une pelouse située à environ 30 mètres ; que, souhaitant uriner, il s'est dirigé vers des buissons avant de faire une chute de 11 mètres, lui occasionnant d'importantes fractures ; que le danger représenté par le vide ne faisait l'objet d'aucune signalisation ; que les seuls panneaux annonçant le risque de chute étaient situés à plus de 50 mètres du lieu de l'accident, de part et d'autre de la porte de Gand ; que la haie en question, contrairement à ce que soutient la commune de Lille, ne faisait pas office de barrière naturelle infranchissable mais présentait par endroits des trouées ; que cet espace vert, situé au niveau de la rue et à proximité immédiate des habitations, était ouvert au public sans limitation d'accès ; que les usagers pouvaient y accéder sans passer par la porte de Gand qui marque l'entrée du site des remparts ; que l'ensemble de ces circonstances de fait, et notamment l'absence de signalisation particulière du danger résultant du surplomb, alors même que les aménagements du site de la porte de Gand, monument historique, nécessitent une autorisation administrative, révèle un défaut d'entretien normal de la voie publique de nature à engager la responsabilité de la commune de Lille ;
6. Considérant que, compte tenu de l'âge de la victime et des circonstances de fait décrites au point 5, aucun défaut de surveillance de la mère de la victime ne saurait être retenu ; que, par ailleurs, en allant uriner dans les buissons M. C...n'a pas fait un usage anormal des lieux ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que l'espace vert où se situait M. C...et la haie, vers laquelle il s'est dirigé, n'étaient pas éclairés ; qu'ainsi, en s'engageant, de nuit, dans un endroit qu'il méconnaissait, M. C...a commis une imprudence de nature à exonérer la commune de Lille de sa responsabilité dans une proportion d'un quart ;
Sur les préjudices subis par M. E...C...:
7. Considérant qu'il résulte des différentes expertises menées suite à l'accident, notamment celles du Dr Busi, expert mandaté par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Lille, et du Dr Durieux, réalisée à la demande de MmeF..., qu'à la suite de l'accident dont il a été victime et qui a entraîné des fractures des os de l'avant bras droit, des deux poignets et des deux fémurs, M. E...C...a été hospitalisé pendant 10 jours ; qu'il a ensuite porté des plâtres et des broches, et a progressivement bénéficié de soins au centre de rééducation infantile " Marc Sautelet " de Villeneuve d'Ascq ; qu'il a débuté la marche le 27 juillet 2002 à l'aide de cannes anglaises et a regagné le domicile parental le 2 août 2002 en continuant la kinésithérapie à raison de trois séances par semaine ; qu'une hospitalisation de deux journées à compter du 23 août 2002 a été nécessaire afin de retirer le matériel d'ostéosynthèse du poignet gauche qui avait été posé ; qu'il a repris, avec difficulté, sa scolarité à compter du 2 septembre 2002 ; que la kinésithérapie s'est poursuivie à raison de trois séances par semaine jusqu'en janvier 2003, puis de deux séances jusqu'en avril 2003 et d'une par semaine ensuite ; qu'il a de nouveau été hospitalisé du 19 au 24 mars 2003 pour procéder au retrait du matériel d'ostéosynthèse des fémurs, nécessitant une interruption de la scolarité pendant deux semaines ; que le requérant a supporté un déficit fonctionnel temporaire total du 19 mai 2002 au 31 août 2002, du 19 mars 2003 au 2 avril 2003 et du 4 au 7 juillet 2006, date de consolidation de son état ; que l'expert judiciaire a évalué le préjudice esthétique à 2,5 sur une échelle de 7, le déficit fonctionnel permanent à 8 % ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble de ces préjudices, en ce compris les souffrances endurées évaluées à 5 sur une échelle de 7, ainsi que le préjudice d'agrément, en les fixant à la somme totale de 25 000 euros ; qu'en revanche, M. C...ne justifie d'aucun préjudice au titre de l'incidence professionnelle ;
Sur les préjudices subis par MmeF..., M. H...C...et M. A...C... :
8. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation des préjudices de toute nature subis par MmeF..., mère de la victime et par M. H...C..., père de la victime, en leur accordant une somme de 2 000 euros chacun, et à M. A...C..., frère de la victime, une somme de 1 000 euros ;
Sur les conclusions incidentes de la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut :
9. Considérant qu'il résulte du relevé de ses débours définitifs en date du 21 février 2012, que la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut est fondée à demander la condamnation de la commune de Lille à lui rembourser la somme de 50 059,72 euros au titre des soins et des frais médicaux et pharmaceutiques engagés au profit de M. E...C..., ce compris les frais futurs, dont l'organisme social produit la liste précise et exhaustive, pour le montant demandé de 5 321,46 euros ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté leur demande ; que, compte tenu du partage de responsabilité fixé au point 6, il y a lieu de condamner la commune de Lille à verser les sommes de 18 750 euros à M. E...C..., 1 500 euros à Mme F..., 1 500 euros à M. H...C..., 750 euros à M. A...C...et 37 544,79 euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut ;
Sur les intérêts :
11. Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut a droit aux intérêts, au taux légal, sur la somme de 12 373,85 euros à compter du 29 avril 2011, date d'enregistrement de sa première demande, puis sur la somme de 25 170,94 euros à compter du 15 avril 2013 ;
Sur les intérêts des intérêts :
12. Considérant que la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année ; qu'en ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 29 avril 2011 sur la somme de 12 373,85 euros ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 29 avril 2012, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ; que la capitalisation des intérêts a également été demandée le 15 avril 2013 sur la somme de 25 170,94 euros ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 15 avril 2014, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur l'application des dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :
13. Considérant qu'en vertu du cinquième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, en contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa, la caisse primaire d'assurance maladie, à laquelle est affilié l'assuré social victime d'un accident, recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie égale au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum fixé annuellement par arrêté ;
14. Considérant qu'il y a lieu, en application de ces dispositions, de condamner la commune de Lille à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut la somme de 1 015 euros ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
16. Considérant qu'en vertu des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la commune de Lille doivent dès lors être rejetées ;
17. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Lille une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme F...et autres et non compris dans les dépens ;
18. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Lille la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1007973 du tribunal administratif de Lille, en date du 11 décembre 2012, est annulé.
Article 2 : La commune de Lille est condamnée à verser à M. E...C...la somme de 18 750 euros, à Mme F...et à M. H...C...la somme de 1 500 euros, chacun, et à M. A... C...la somme de 750 euros.
Article 3 : La commune de Lille versera à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut une somme de 37 544,79 euros, correspondant au montant de ses débours. Les intérêts au taux légal porteront sur la somme de 12 373,85 euros à compter du 29 avril 2011, et sur la somme de 25 170,94 euros à compter du 15 avril 2013. Les intérêts échus à ces dates puis à chaque échéance annuelle à compter de ces dates seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : La commune de Lille versera à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut une somme de 1 015 euros au titre des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Article 5 : La commune de Lille versera à Mme F...et à M. E...C..., à M. H... C...et à M. A...C..., une somme totale de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La commune de Lille versera à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...F..., à M. E...C..., à M. H... C..., à M. A...C..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut et à la commune de Lille.
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N°13DA00216