Vu le recours, enregistré le 28 avril 2011 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, présenté pour le préfet de la région Nord/Pas-de-Calais, régularisé le 14 juin 2011 par la lettre du 9 juin 2011 par laquelle le ministre de la culture et de la communication déclare s'en approprier le contenu, par Me Cliquennois, avocate ; le ministre de la culture et de la communication demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0706001 du 24 février 2011 par lequel le tribunal administratif de Lille a, d'une part, annulé les décisions par lesquelles l'Etat a rejeté l'offre présentée par la SAS Gallis pour l'attribution du marché de restauration des couvertures de la cathédrale d'Arras et attribué ce marché à la SAS Battais et, d'autre part, condamné l'Etat à verser à la SAS Gallis la somme de 122 000 euros en réparation de son éviction illégale ;
2°) de rejeter les demandes de la SAS Gallis ;
3°) de condamner la SAS Gallis à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Patrick Minne, premier conseiller,
- les conclusions de M. Vladan Marjanovic, rapporteur public,
- les observations de Me Lenoir, avocat, substituant Me Cliquennois, avocate, pour le ministre de la culture et de la communication,
- les observations de Me Soubrane, avocate, substituant Me Langlois, avocat, pour la SAS Gallis ;
1. Considérant que la direction régionale des affaires culturelles du Nord/Pas-de-Calais a lancé le 19 mars 2007 une procédure de consultation, sous la forme d'un appel d'offres ouvert, en vue de l'attribution du marché de la restauration de la couverture de la cathédrale d'Arras ; que le ministre de la culture et de la communication fait appel du jugement du 24 février 2011 par lequel le tribunal administratif de Lille a, d'une part, annulé les décisions, contenues dans une lettre du 12 juillet 2007, par lesquelles ce marché de travaux a été attribué à la société Battais et l'offre présentée par la SAS Gallis a été rejetée et, d'autre part, condamné l'Etat à verser à cette dernière la somme de 122 000 euros en réparation du préjudice résultant de son éviction illégale ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant. " ; que l'administration ne peut être réputée avoir admis, par son silence, l'exactitude des faits invoqués contre elle que dans le cas où elle s'est abstenue de présenter ses observations en défense dans le délai fixé par une mise en demeure ;
3. Considérant qu'il ressort du jugement attaqué que, pour annuler les décisions d'attribution du marché à la société Battais et d'éviction de la SAS Gallis, le tribunal administratif a estimé que l'allégation de cette dernière selon laquelle son offre, produite à l'appui de ses écritures, était conforme aux exigences du dossier de consultation des entreprises était fondée au motif que la lettre du 12 juillet 2007 en litige ne précisait pas les motifs pour lesquels cette offre était irrégulière et que le représentant de l'Etat, qui n'avait pas produit d'observations en défense, n'apportait aucun élément de nature à contredire l'affirmation de la société évincée ; que le tribunal ne s'est pas exclusivement fondé sur le motif que l'administration était réputée avoir acquiescé, par son silence, aux faits exposés dans la requête introductive d'instance qui lui avait été communiquée ; que les premiers juges ont porté une appréciation sur les faits, tels qu'ils résultaient des pièces du dossier et en particulier de la lettre de rejet de l'offre de la SAS Gallis, suivant la dialectique de la preuve applicable dans le contentieux de l'excès de pouvoir ; que, pour accueillir les conclusions indemnitaires de la société évincée, le tribunal administratif n'a pas davantage entaché son jugement d'irrégularité en s'abstenant d'envoyer une mise en demeure à l'administration, dès lors qu'il a évalué le préjudice à partir de l'instruction ; que, par suite, le ministre de la culture et de la communication n'est, dans les circonstances de l'espèce, pas fondé à faire valoir que, faute d'avoir été précédé d'une mise en demeure en application des dispositions précitées de l'article R. 612-6 du code de justice administrative, le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance que le tribunal administratif ait fait droit aux moyens de la SAS Gallis, en l'absence de contradiction de la part de l'Etat, ne porte pas atteinte au principe d'impartialité de la juridiction ni, en tout état de cause, aux stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'elles rappellent le droit de tout justiciable de voir son affaire examinée par un tribunal impartial ;
5. Considérant, en dernier lieu, qu'en ayant statué sur les mérites d'une demande qui a été communiquée à la partie adverse sans que celle-ci n'ait présenté ses observations, le tribunal, qui avait au demeurant ordonné la clôture de l'instruction au 22 décembre 2010, n'a pas méconnu son office ;
Sur la légalité des décisions attaquées :
6. Considérant qu'aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. (...) Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. (...) " ; que la demande introductive d'instance présentée par la SAS Gallis au tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation des décisions attaquées se fonde sur le caractère régulier de son offre et sur le caractère économiquement plus avantageux de cette même offre ; qu'en ayant mentionné ces précisions, la société évincée, alors même qu'elle n'aurait pas explicitement visé un texte, présentait des moyens mettant le juge en mesure de se prononcer sur la légalité de la décision ayant estimé son offre irrégulière et, donc, sur les mérites de ses conclusions à fin d'annulation ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée de ce que le recours en excès de pouvoir présenté par la SAS Gallis n'était pas motivé, au sens des dispositions précitées de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, doit être écartée ;
7. Considérant qu'aux termes du III de l'article 53 du code des marchés publics : " Les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées. (...) " et qu'aux termes du 1°) du I de l'article 35 du même code : " Les marchés et les accords-cadres pour lesquels, après appel d'offres ou dialogue compétitif, il n'a été proposé que des offres irrégulières ou inacceptables que le pouvoir adjudicateur est tenu de rejeter. Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation. (...) " ;
8. Considérant que ni le cahier des clauses techniques particulières du lot n° 1 " couverture ", compris dans le dossier de consultation des entreprises, ni aucun autre document énuméré par le règlement de consultation, ne mentionnaient explicitement que la pente du toit de la cathédrale d'Arras présentait un angle de 30° ; qu'il ressort cependant des pièces du dossier, en particulier du courrier du 29 mai 2007 adressé par l'architecte en chef des monuments historiques au directeur régional des affaires culturelles du Nord/Pas-de-Calais, que les quantités définies dans les documents techniques composant le dossier de consultation des entreprises ont été calculées sur la base d'une pente de toiture de 30°, mesurée sur place par l'entreprise Battais, confirmée par un relevé de l'architecte en chef des monuments historiques et finalement validée par une lettre du 11 juin 2007 du directeur régional des affaires culturelles ; qu'il ressort également des pièces du dossier que les quantités d'ardoises et de main d'oeuvre proposées par la SAS Gallis, dans le devis estimatif du 19 avril 2007 qu'elle a remis à l'appui de son offre déposée le 20 avril suivant, s'avéraient inférieures aux ratios de couverture définis au règlement, au motif qu'elles avaient été calculées par elle sur la base d'une pente de 32° ; que, toutefois, la SAS Gallis, invitée à s'expliquer sur les sous-détails de ses prix, puis à confirmer ses propositions, a, par un courrier du 15 juin 2007, indiqué sans ambigüité qu'elle maintenait sa proposition initiale, même sur la base d'une inclinaison de 30°, dès lors que son offre, pour des motifs techniques liés notamment à l'absence de prise en compte dans la surface à couvrir de bandes d'égout, de besaces en plomb, de culées de contrefort et de vides de lucarnes, lui permettait de fournir des quantités suffisantes d'ardoises au regard des imprécisions des documents de consultation des entreprises appelées à formuler des propositions pour ce marché à prix global et forfaitaire ; que les quantités d'ardoises que la SAS Gallis proposait de fournir étaient, dans les divers cas de figure qu'elle développait dans son courrier du 15 juin 2007, supérieures aux ratios d'ardoises par m² prescrits par le cahier des charges ; que le pouvoir adjudicateur, qui n'a élevé aucune objection aux précisions techniques ainsi apportées par la société évincée, ne les contredit pas sérieusement devant la juridiction en se bornant à renvoyer aux analyses des offres réalisées antérieurement auxdites précisions techniques apportées ; que le directeur régional des affaires culturelles du Nord/Pas-de-Calais n'était donc pas en droit d'estimer que l'offre de la SAS Gallis ne respectait pas le dossier de consultation des entreprises au motif qu'elle avait été élaborée sur la base d'une déclivité de toiture de 32° dès lors qu'il avait, avant d'écarter cette offre, reçu la confirmation, suscitée par lui, que cette offre demeurait valide dans tous ses éléments dans l'hypothèse d'une pente de 30° résultant des documents techniques ; que, par suite, comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, le pouvoir adjudicateur n'était pas en droit d'évincer la SAS Gallis du marché de restauration de la couverture de la cathédrale d'Arras au motif que son offre était irrégulière au sens des dispositions précitées des articles 35 et 53 du code des marchés publics ;
Sur les conclusions indemnitaires :
9. Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours contre une décision (...) " ; que le recours en indemnité formé par un candidat irrégulièrement évincé d'un marché de travaux publics est au nombre des recours relevant de la matière des travaux publics pouvant, en application de ces dispositions, être présentés sans décision préalable ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée de ce que les conclusions indemnitaires ont été présentées directement devant le tribunal administratif doit être écartée ;
10. Considérant, d'une part, que si l'offre soumise par la SAS Gallis était régulière, le prix de 815 058,32 euros (hors taxes) qu'elle proposait n'était inférieur que de 1,4 % environ à celui de 827 030,65 euros (hors taxes) proposé par la société Battais, retenue par le pouvoir adjudicateur ; que, même si le critère du prix était, selon le règlement de consultation, affecté d'un coefficient de 60 %, cet écart de prix demeure peu significatif ; que, d'autre part, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'analyse établi par l'architecte en chef des monuments historiques, que l'offre de la SAS Gallis restait assez générique sur la méthodologie de pose décrite par rapport à celle de la société Battais qui, illustrations et photographies à l'appui, pointait les nombreuses difficultés techniques que pouvaient présenter les parties particulières de la toiture à restaurer, et proposait des solutions adaptées ; que, dès lors que le critère de la valeur technique de l'offre était affecté d'un coefficient de pondération de 40 %, l'offre de la SAS Gallis recelait des risques, justifiés par l'Etat, de mauvaise exécution du marché ; qu'ainsi, la société évincée, alors même qu'elle était le seul candidat avec l'entreprise retenue, n'a, dans les circonstances de l'espèce, pas perdu une chance sérieuse d'emporter le marché en cause ; qu'elle n'était, en revanche, pas dépourvue de toute chance d'emporter ce marché ; que, par suite, la SAS Gallis ne pouvait pas être indemnisée au-delà d'un montant correspondant au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre, lesquels consistent en du temps passé par ses salariés et dirigeant pour élaborer son offre et répondre aux demandes de précisions de l'administration ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 8 000 euros ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la culture et de la communication est seulement fondé à demander la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à la SAS Gallis une somme excédant celle de 8 000 euros correspondant aux frais qu'elle a engagés pour présenter son offre ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant qu'aux termes de l'article L 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
13. Considérant qu'en vertu de ces dispositions, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la SAS Gallis doivent, dès lors, être rejetées ;
14. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions susmentionnées de l'Etat ;
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 122 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à la SAS Gallis est ramenée à 8 000 euros.
Article 2 : Le jugement n° 0706001 du 24 février 2011 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus du recours du ministre de la culture et de la communication et le surplus des conclusions de la SAS Gallis sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la culture et de la communication, à la société par actions simplifiée Gallis et à la société Battais.
Copie sera adressée au préfet de la région Nord/Pas-de-Calais, préfet du Nord.
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N°11DA00633