Vu la requête, enregistrée par télécopie le 30 avril 2004 et régularisée par l'envoi de l'original enregistré le 3 mai 2004, présentée pour la COMMUNE DES DAMPS, représentée par son maire en exercice, dûment autorisé par le conseil municipal de la commune, et par la SCP Hubert, Lemaitre ; la COMMUNE DES DAMPS demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 00-2334 en date du 25 février 2004 par lequel le Tribunal administratif de Rouen, à la demande de l'association Atoucirque, l'a condamnée à lui verser, d'une part, la somme de 62 339,60 euros en réparation de divers préjudices qu'elle a subis du fait de l'illégalité de la délibération du 6 septembre 1996 du conseil municipal de la commune autorisant l'exercice du droit de préemption sur un immeuble dont l'acquisition était envisagée par ladite association et à lui verser, d'autre part, la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la demande présentée en première instance par l'association Atoucirque ;
3°) de statuer ce que de droit sur la condamnation de la commune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La commune soutient que le document versé au débat par l'association Atoucirque émane d'un expert-comptable n'ayant pas la qualité d'expert judiciaire ; que seul un rapport établi de manière contradictoire par un expert aurait pu permettre à la commune de faire valoir ses observations ; que le tribunal s'est borné à juger que l'intégralité des frais de personnel ouvrait droit pour leur totalité à indemnisation ; que si l'association prétend subir un préjudice en frais de personnel s'élevant à une somme de 63 517 francs, ces frais engagés ont eu pour l'association une contrepartie de travail dont elle a profité ; que le montant des salaires sollicité par l'association correspond à des périodes, pour certaines, antérieures à la décision contestée ; que le caractère provisoire des locaux que l'association était contrainte de posséder n'a pas entraîné un surcoût injustifié ; que les frais financiers et les cotisations n'ont aucun lien direct avec le projet immobilier de l'association ; que les cotisations devaient être engagées pour permettre à l'association d'obtenir sa qualité d'utilité publique et les frais financiers sont la conséquence directe du financement par l'association de ses locaux ; qu'il est vrai que les frais irrépétibles engagés par l'association sont de nature à constituer un préjudice ; que le tribunal administratif a indemnisé à deux reprises l'association pour le même préjudice lié à des frais irrépétibles ; que le montant des factures fourni par l'association est exorbitant et ne correspond à aucun travail dont il serait produit un justificatif ; que l'association sollicite des dépenses au titre de frais de déplacement dont le préjudice n'est à l'évidence pas lié à la décision annulée ; que certains justificatifs sont datés bien avant l'acquisition projetée ; que l'association produit des factures de fournitures administratives qui n'ont aucun caractère de préjudice et entrent dans le cadre des dépenses de fonctionnement normales ; qu'étant une association sans but lucratif, elle ne peut pas solliciter une indemnité au titre d'un manque à gagner ; qu'eu égard au jugement, rien ne permet de penser que l'implantation de l'association sur le territoire communal aurait généré à son profit une suractivité dont elle n'aurait pas pu tirer profit du fait de son emplacement actuel sur le territoire d'une commune voisine ; que le bien de remplacement a une consistance et une superficie supérieures au bien situé à Damps, ce qui suffit à justifier le surcoût constaté ; que la circonstance que l'association soit devenue propriétaire du bien acheté sur la commune d'Amfreville-sur-Iton ne constitue pas un préjudice ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le recours d'appel incident, enregistré le 2 août 2004, présenté pour l'association Atoucirque dont le siège est Usines des Planches, 7 rue des Rives de l'Iton à Amfreville-sur-Iton (27400), par la SCP Fouche Brulard Lafont, par lequel l'association demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement du Tribunal administratif de Rouen en date du 25 février 2004 en ce qu'il a limité l'indemnisation de l'association à 62 339,60 euros ;
2°) de fixer à 238 189 euros le préjudice de l'association ;
3°) de condamner la COMMUNE DES DAMPS à lui payer, d'une part, la somme de
238 189 euros au titre du préjudice et, d'autre part, la somme de 3 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ;
L'association soutient que la commune, sans élément pertinent, ne saurait sérieusement reprocher le caractère non contradictoire de l'évaluation du préjudice ; que le document établi par un expert-comptable a été versé aux débats devant la juridiction ; qu'en ce qui concerne, en premier lieu, les frais de personnel, il convient d'ajouter la somme de 9 682,47 euros à celle retenue par le tribunal administratif pour le préjudice subi, les salaires du gardien de chapiteau et de
Mme X pour un total de 2 844,37 euros correspondant à des salaires qu'il a fallu régler alors que la contrepartie du travail n'a pas pu être perçue dans des conditions normales faute de locaux ; qu'en deuxième lieu, en ce qui concerne les frais de relogement dans un autre local, la somme de 1 598,02 euros correspond à des frais qui n'auraient pas été exposés dans les locaux immédiatement utilisables que devait acheter l'association ; qu'en troisième lieu, en ce qui concerne les frais financiers et cotisations, ces derniers ont été exposés en pure perte, l'association n'ayant pu être reconnue d'utilité publique et son projet n'ayant pas été mené à bien ; qu'en quatrième lieu, en ce qui concerne les frais de consultation juridique, ils ne sont pas directement liés à la procédure mais à la rémunération de consultation et de travaux liés au projet général d'acquisition sur la COMMUNE DES DAMPS ; qu'en cinquième lieu, en ce qui concerne les frais de déplacement, en ignorant les démarches de la commune, l'association se devait d'assumer les missions confiées par la Fédération européenne des écoles du cirque et par la Fédération européenne pour l'éducation des populations itinérantes, au Canada et à Wiesbaden ; qu'en sixième lieu, en ce qui concerne les fournitures administratives, il s'agit de dépenses liées à la mise en place d'importants dossiers pour se défendre dans la contestation par la commune de son projet ; qu'en septième lieu, en ce qui concerne le manque à gagner, il est légitime car, bien que sans but lucratif, l'association doit prévoir des recettes en augmentation ; qu'en huitième lieu, en ce qui concerne le surcoût financier lié à l'achat de nouveaux locaux, l'association n'a pu trouver ailleurs un local identique à un prix similaire et a dû se résoudre à acquérir le seul immeuble sur le marché qui présentait un certain nombre d'inconvénients ; que le préjudice dont l'association réclame l'indemnisation à hauteur de 238 189 euros est ainsi parfaitement justifié ;
Vu le mémoire, enregistré le 24 août 2005, présenté pour la COMMUNE DES DAMPS qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 3 mars 2006, présenté pour l'association Atoucirque qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 6 avril 2006 par télécopie et son original reçu le 10 avril 2006, présenté pour l'association Atoucirque tendant à corriger une erreur matérielle dans son dernier mémoire en réplique ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 avril 2006 à laquelle siégeaient Mme Christiane Tricot, président de chambre, M. Olivier Yeznikian, président-assesseur,
Mme Agnès Eliot, conseiller :
- le rapport de M. Olivier Yeznikian, président-assesseur ;
- et les conclusions de M. Jacques Lepers, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par une délibération en date du 6 septembre 1996, la COMMUNE DES DAMPS a entendu faire usage de son droit de préemption urbain en application de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, à propos de l'ancienne usine, propriété de M. et Mme Y, située à Damps sur un terrain cadastré A 1013 ; que la Cour administrative d'appel de Douai ayant, par son arrêt n° 98DA10961, en date du 4 novembre 1999, prononcé l'annulation de cette délibération au motif que sa motivation ne précisait pas l'opération en vue de laquelle la préemption était décidée et méconnaissait, dès lors, les prescriptions de l'article L. 210-1 précité, l'association Atoucirque, acquéreur évincé, a recherché la responsabilité de la COMMUNE DES DAMPS sur le terrain de l'illégalité fautive résultant de cette délibération ; que la commune relève appel du jugement
n° 00-2334, en date du 25 février 2004, par lequel le Tribunal administratif de Rouen l'a condamnée à verser à l'association la somme de 62 339,60 euros (408 921 francs) en réparation de divers préjudices et a mis à sa charge la somme de 800 euros en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ; que l'association Atoucirque, par un appel incident, demande l'entière réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de cette illégalité ;
Considérant que si la COMMUNE DES DAMPS fait valoir que la délibération annulée n'est à l'origine d'aucun préjudice dès lors qu'elle aurait finalement acquis le bien immobilier par la voie d'une cession de gré à gré, il résulte de l'instruction que seule la mise en oeuvre par la commune du droit de préemption urbain par sa délibération du 6 septembre 1996 explique que les propriétaires aient finalement renoncé à donner suite à la promesse de vente conclue avec l'association Atoucirque en estimant que la commune disposait des moyens juridiques d'y faire obstacle ; qu'en outre, il résulte également de l'instruction que la COMMUNE DES DAMPS ne disposait pas, à la date de la délibération du 6 septembre 1996, de projets certains et précis concernant la parcelle en question ; que, dans ces conditions, l'association Atoucirque est fondée à rechercher la responsabilité pour faute de la COMMUNE DES DAMPS qui avait illégalement décidé d'exercer son droit de préemption par sa délibération du 6 septembre 1996 ;
Considérant qu'à l'appui de ses conclusions indemnitaires, l'association Atoucirque fait valoir que la décision illégale ne lui aurait pas permis de mener à terme son projet d'acquisition et aurait totalement entravé son fonctionnement en se prévalant de plusieurs chefs de préjudice distincts et en se fondant sur un document récapitulatif fourni par un expert-comptable assorti de pièces justificatives ; que si la commune soutient que ce document n'a pas été établi contradictoirement, il est constant qu'il lui a été communiqué comme une pièce du dossier et a pu être discuté par elle tant en première instance qu'en appel ;
Sur le préjudice :
En ce qui concerne les frais de personnel :
Considérant que l'association Atoucirque demande le remboursement des frais de personnel, évalués à 25 386,82 francs, qu'elle prétend avoir embauchés dès juin 1996 dans le cadre de contrats emploi-solidarité (CES) pour faciliter son déménagement et son installation dans ses nouveaux locaux qui devait intervenir en août 1996 ; qu'il ne résulte, toutefois, pas de l'instruction et notamment des pièces justificatives que ces contrats aient été spécialement conclus en vue de permettre l'installation de l'association à Damps mais répondaient à l'objet même de l'association et aux besoins de fonctionnement d'un cirque ; que ces frais de personnel n'ayant pas été ainsi exposés en pure perte du fait de l'impossibilité pour l'acquéreur évincé de réaliser son projet, l'association ne peut prétendre en obtenir l'indemnisation ; qu'il en va de même des autres frais de personnel correspondant à l'emploi de secrétaire de l'association d'un montant de 38 130,96 francs, à la rémunération de M. Z, artiste de cirque et à celle de Mme X, artiste chorégraphe ; que ces divers chefs de préjudices ne présentent ainsi pas de lien direct et certain avec la faute commise par la commune ;
En ce qui concerne les frais de relogement de l'association dans un autre local et les frais de déplacements :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'association a pu continuer à bénéficier, jusqu'en février 1997, date à laquelle elle a transféré son siège sur le territoire d'Amfreville-sur-Iton dans une ancienne usine, acquise en janvier de la même année, des locaux qu'elle louait, sur le territoire de la commune du Val-de-Reuil, pour répondre à ses différentes activités statuaires ; qu'elle n'établit pas, en tout état de cause, avoir exposé, ainsi qu'elle le reconnaît d'ailleurs en appel, des frais de relogement dans un local intermédiaire ; que si, devant la Cour, elle fait valoir que les frais en question étaient liés à la mise en place d'un chapiteau, de caravanes et de la location d'un WC chimique, de tels frais, nécessaires à son activité habituelle, sont sans lien direct avec l'illégalité qui a été commise par la commune ; qu'il en va de même des frais de déplacements qu'elle a supportés pour faire face aux missions qui lui avaient été confiées par la Fédération européenne des écoles du cirque et la Fédération européenne pour l'éducation des populations itinérantes ;
En ce qui concerne les frais financiers et les cotisations :
Considérant que les frais financiers et les cotisations dont l'association réclame l'indemnisation ont été exposés par elle à l'occasion d'une demande qu'elle avait adressée en vue d'obtenir le statut d'association reconnue d'utilité publique ; qu'il n'est pas établi que l'échec de cette démarche trouverait sa cause directe et certaine dans l'abandon du projet d'acquisition de locaux sur le territoire de la COMMUNE DE DAMPS ; que, pour les mêmes raisons, sa demande indemnitaire liée à l'échec d'une demande engagée auprès des institutions européennes pour être reconnue comme « centre européen des arts du cirque », ne peut qu'être rejetée ;
En ce qui concerne les honoraires de consultations :
Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, il résulte de l'instruction que les honoraires de consultation dont l'association Atoucirque demande le remboursement ont été exposés par cette dernière dans le cadre des différents litiges qu'elle a engagés contres les décisions prises par la COMMUNE DES DAMPS à l'occasion de l'acquisition de l'ancienne usine des Damps ; que de telles sommes dont le remboursement doit être en principe réclamé dans le cadre de chacune des instances au cours desquelles elles sont exposées, ne sont pas susceptibles de constituer un chef de préjudice indemnisable à l'occasion d'une action en responsabilité dirigée contre la même commune même lorsqu'elle se fonde, comme en l'espèce, sur la faute commise par celle-ci et qui résulte de l'annulation d'une de ses décisions attaquées ;
En ce qui concerne les frais de fournitures administratives :
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que les frais susmentionnés auraient été générés par la faute de la commune ;
En ce qui concerne le manque à gagner :
Considérant que si l'association Atoucirque soutient que les mauvais résultats d'exploitation qu'elle a enregistrés au cours des exercices 1996 et 1997 seraient la conséquence de l'abandon du projet d'acquisition de l'ensemble immobilier à Damps, il ne résulte pas de l'instruction que, compte tenu notamment de la durée pendant laquelle son projet initial d'acquisition a été perturbé et des modalités habituelles d'exercice de ses activités, les mauvais résultats constatés sur deux exercices entiers trouveraient leur cause directe et certaine dans la décision illégale prise par la commune ;
En ce qui concerne les surcoûts liés à l'achat de nouveaux locaux :
Considérant que si l'association Atoucirque sollicite l'indemnisation du préjudice qu'elle estime résulter de l'achat d'un ensemble immobilier plus onéreux et moins adapté à ses besoins, il n'est pas établi, d'une part, que le coût de ce bien soit, toutes proportions gardées, nettement supérieur à celui de l'ancienne usine de Damps auquel elle a dû renoncer et, d'autre part, que son choix qui s'est porté sur l'ancienne usine d'Amfreville-sur-Iton et qui relève en principe d'une décision de gestion qui lui est opposable, aurait été rendu inévitable du fait de l'échec de son projet d'acquisition à Damps ; que, dès lors, l'association n'est pas fondée à prétendre que les surcoûts liés à l'achat de ses nouveaux locaux trouveraient leur cause directe et certaine dans la faute commise par la COMMUNE DES DAMPS ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'association Atoucirque ne se prévaut d'aucun chef de préjudice indemnisable au titre des conséquences dommageables de l'illégalité commise par la collectivité publique ; que, par suite, la COMMUNE DES DAMPS est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rouen a retenu que les préjudices allégués par l'association trouvaient leur cause directe et certaine dans la faute commise par la commune et a condamné cette dernière à lui verser la somme de 62 339,69 euros à titre principal ainsi que la somme de 800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu, par conséquent, d'annuler le jugement attaqué en date du 25 février 2004 et de rejeter la demande indemnitaire de l'association Atoucirque ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la COMMUNE DES DAMPS, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que l'association Atoucirque demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'à supposer que la COMMUNE DES DAMPS ait entendu demander la condamnation de l'association Atoucirque sur le fondement des dispositions précitées, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à une telle demande ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 00-2334 du Tribunal administratif de Rouen en date du
25 février 2004 est annulé et la demande de l'association Atoucirque est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'association Atoucirque et de la COMMUNE DES DAMPS présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la COMMUNE DES DAMPS, à l'association Atoucirque ainsi qu'au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
Copie sera transmise pour information au préfet de l'Eure.
N°04DA00360 2