Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision du 17 décembre 2021 par laquelle la présidente du conseil régional de La Réunion lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle.
Par un jugement n° 2200212 du 9 mars 2023, le tribunal administratif de La Réunion a annulé la décision du 17 décembre 2021 de la présidente du conseil régional de La Réunion et a enjoint à la région Réunion d'accorder à M. A... le bénéfice de la protection fonctionnelle, au titre des faits de dénonciation calomnieuse dont il a fait l'objet en juin 2021.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 mai 2023, la région Réunion, représentée par Me Lafay, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2200212 du tribunal administratif de la Réunion du 9 mars 2023 ;
2°) de rejeter la demande de M. A... ;
3°) de mettre à la charge de M. A... le versement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement n'a pas été signé en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- aucune dénonciation calomnieuse au sens de l'article 226-10 du code pénal n'est démontrée et la protection fonctionnelle ne pouvait être accordée sur ce fondement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2023, M. C... A..., représenté par Me Rakotonirina conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la région Réunion ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- la requête d'appel est irrecevable car tardive ;
- le jugement comporte les signatures ;
- les dénonciations de Mme B..., en dehors du cadre du travail, sont infondées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Clémentine Voillemot,
- et les conclusions de M. Sébastien Ellie, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., adjoint technique principal de 2ème classe au sein de la région Réunion, occupe le poste d'agent d'exploitation au sein du secteur Est de la subdivision routière nord. Par un courrier du 21 juin 2021, Mme B..., responsable de restauration au lycée Mahatma Gandhi, a informé le président de région que M. A... l'avait insulté et menacé de mort le dimanche 20 juin 2021 alors qu'ils se trouvaient dans un bureau de vote. M. A... a demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle afin de déposer plainte pour dénonciation calomnieuse. Par un arrêté du 17 décembre 2021, la présidente du conseil régional de La Réunion a rejeté la demande de protection fonctionnelle présentée par M. A.... Par un jugement du 9 mars 2023, le tribunal administratif de la Réunion a annulé la décision du 17 décembre 2021 de la présidente du conseil régional de La Réunion. La région Réunion relève appel de ce jugement.
Sur la fin de non-recevoir opposée par M. A... à la requête d'appel :
2. L'article R. 811-2 du code de justice administrative dispose : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues par les articles R. 751-3 et R. 751-4. (...) ". Selon l'article R. 811-5 du même code, " les délais supplémentaires de distance prévus à l'article R. 421-7 s'ajoutent aux délais normalement impartis ". Enfin, aux termes de l'article R. 421-7 de ce code : " Lorsque la demande est portée devant un tribunal administratif qui a son siège en France métropolitaine ou devant le Conseil d'Etat statuant en premier et dernier ressort, le délai de recours prévu à l'article R. 421-1 est augmenté d'un mois pour les personnes qui demeurent (...) à La Réunion (...) ". Il résulte de ces dispositions que le délai pour introduire une requête d'appel dirigée contre un jugement du tribunal administratif de La Réunion devant une cour administrative d'appel qui a son siège en France métropolitaine est de trois mois lorsque le requérant demeure sur ce territoire.
3. Il ressort de l'examen du dossier de première instance que le jugement attaqué a été notifié et mis à disposition par le moyen de l'application Télérecours à la région Réunion le 9 mars 2023. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la région appelante, qui se situe sur le territoire de La Réunion, bénéficiait du délai de distance d'un mois supplémentaire prévu à l'article R. 421-7 du code de justice administrative, lequel s'ajoutait au délai d'appel de droit commun de deux mois prévu à l'article R. 811-2 du même code. Dès lors, et contrairement à ce que fait valoir M. A..., la requête d'appel de la région Réunion, enregistrée au greffe de la cour le 26 mai 2023, soit dans le délai majoré de trois mois qui lui était imparti pour contester le jugement attaqué, n'est pas tardive.
Sur la régularité du jugement :
4. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ". Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué comporte les signatures mentionnées par les dispositions de l'article R. 741-7 précité. Ainsi, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué n'aurait pas été signé ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité de la décision du 17 décembre 2021 :
5. Aux termes de l'article 11de la loi du 13 juillet 1983 : " I.-A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire./ (...) IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. (...) ". Selon les dispositions de l'article 226-10 du code pénal : " La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. / La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant que le fait n'a pas été commis ou que celui-ci n'est pas imputable à la personne dénoncée ".
6. Les dispositions citées au point précédent établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des agents publics, lorsqu'ils ont été victimes d'attaques à raison de leurs fonctions ou à l'occasion de leurs fonctions, sans qu'une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles le fonctionnaire ou l'agent public est exposé, mais aussi de lui assurer une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances.
7. Les dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 mentionnées au point 5 sont applicables notamment lorsqu'un agent, mis en cause par un tiers à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, engage une procédure de dénonciation calomnieuse sur le fondement de l'article 226-10 du code pénal. Lorsqu'elle est saisie d'une demande de protection fonctionnelle de la part d'un agent qui estime avoir été victime de dénonciation calomnieuse, il appartient à l'autorité administrative de rechercher si les faits qui lui sont soumis sont avérés et, si tel est le cas, s'ils sont susceptibles de recevoir une telle qualification ou de faire présumer l'existence de dénonciation calomnieuse, d'autre part de rechercher si l'agent a commis une faute personnelle détachable du service.
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a informé la région Réunion que M. A... l'aurait insulté, menacé de mort dans un bureau de vote à l'occasion d'élection et l'aurait effrayé en roulant à vive allure en sa direction avec son véhicule et qu'elle a déposé plainte contre M. A... pour ces mêmes faits. M. A... produit quatre attestations dont deux indiquant ne pas l'avoir entendu proférer des menaces à l'encontre de Mme B... lors de leur rencontre dans le bureau de vote et relatent une altercation entre eux deux au cours de laquelle Mme B... aurait souhaité s'expliquer avec M. A... et aurait crié. Toutefois, aucun des témoignages ne relate la cause de cette altercation ni les propos tenus par Mme B... et M. A... alors qu'il est constant que ce dernier avait une animosité contre Mme B... en raison de son témoignage dans une affaire concernant son épouse. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme B... aurait dénoncé un fait qu'elle savait totalement ou partiellement inexact alors que l'existence d'une situation conflictuelle liée à son témoignage n'est pas contestée par M. A..., qu'aucun élément ne justifie que Mme B... soit à l'initiative d'une altercation avec ce dernier et alors qu'elle a porté plainte en raison des agissements dont elle accuse M. A... et produit un certificat médical faisant état d'injures, tentative d'agression et de menaces de mort à son encontre engendrant une anxiété inhabituelle. Au demeurant, aucune décision juridictionnelle n'a déclaré que le fait n'a pas été commis permettant d'établir, au regard des dispositions de l'article 226-10 du code pénal, de façon incontestable la fausseté du fait dénoncé. Enfin, la seule circonstance que la matérialité des faits dénoncés ne soit pas établie ne suffit pas à démontrer l'existence d'une dénonciation calomnieuse.
9. Il résulte de ce qui précède, et alors que les faits dénoncés sont sans lien avec les fonctions de M. A..., que la présidente de la région Réunion, en refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle, n'a pas entaché sa décision d'illégalité.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la région Réunion est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 9 mars 2023, le tribunal administratif de la Réunion a annulé la décision du 17 décembre 2021 de la présidente du conseil régional de La Réunion et a enjoint à la région Réunion d'accorder à M. A... le bénéfice de la protection fonctionnelle au titre des faits de dénonciation calomnieuse dont il a fait l'objet en juin 2021.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la région Réunion, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à M. A... une somme sur ce fondement. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de M. A... une somme au titre des frais exposés par la région Réunion et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Réunion n° 2200212 du 9 mars 2023 est annulé.
Article 2 : La demande de première instance de M. A... et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la région Réunion est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la région Réunion et à M. C... A....
Délibéré après l'audience du 1er juillet 2025 à laquelle siégeaient :
M. Nicolas Normand, président,
Mme Clémentine Voillemot, première conseillère,
Mme Carine Farault, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2025.
La rapporteure,
Clémentine VoillemotLe président,
Nicolas Normand
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au préfet de la Réunion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX01441