Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 31 décembre 2024 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a refusé de lui accorder le bénéfice des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile, et d'enjoindre à l'OFII de le rétablir dans ses droits.
Par un jugement n° 2500037 en date du 20 janvier 2025, la magistrate désignée par le président du tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
I) Par une requête enregistrée le 23 avril 2025, et un mémoire, enregistré le 19 juin 2025, M. B..., représenté par Me Atger, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 31 décembre 2024 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a refusé de lui octroyer le bénéfice des conditions matérielles d'accueil ;
3°) d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de rétablir rétroactivement à son profit le bénéfice des conditions matérielles d'accueil dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et à défaut de réexaminer sa situation dans un délai de huit jours, sous la même astreinte ;
4°) de condamner l'Office français de l'immigration et de l'intégration à lui verser une somme de 2 000 euros hors taxes, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- le jugement du 20 janvier 2025 est entaché d'omissions à statuer, la magistrate désignée ne s'étant pas prononcée sur deux moyens tirés d'une part de l'utilisation détournée de la privation des conditions matérielles d'accueil, et d'autre part des défaillances imputables à l'administration dans la tardiveté de l'enregistrement de sa demande d'asile, dès lors qu'il doit être considéré comme demandeur d'asile à compter, au plus tard, du 9 septembre 2024 , date de l'évaluation socio-éducative l'orientant vers une demande d'asile ;
- la première juge a méconnu la jurisprudence européenne sur la reconnaissance de la qualité de demandeur d'asile et la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 qui qualifie de demandeurs d'asile les personnes qui " ont exprimé le souhait de demander une protection internationale " et prévoit une obligation de transmission à l'autorité compétente si la demande a été verbalisée auprès d'une autre autorité ; il n'est pas responsable du défaut de transmission de sa demande par les autorités départementales en charge de l'évaluation de sa minorité ;
- le refus de lui octroyer le bénéfice des conditions matérielles d'accueil est entaché d'un défaut d'examen sérieux de sa situation, d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît des dispositions des articles L. 522-1, L. 522-3 et L. 551-15 du code de l'entrée du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que, en premier lieu, il a déposé sa demande d'asile dans le délai de quatre-vingt-dix jours suivant son entrée sur le territoire français, et en second lieu, il justifiait de motifs légitimes permettant de déroger à ce délai en raison de sa condition de mineur, qu'il établit par la production de sa " tazkera ", seul document d'état civil usité en Afghanistan, qui le déclare né en 2008 ;
- il méconnaît les dispositions de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 juin 2025, et des observations additionnelles présentées le 20 juin 2025, l'Office français de l'immigration et de l'intégration conclut au rejet de la requête, et subsidiairement si la cour annulait le jugement, au rejet des conclusions de M. B....
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision
du 27 mars 2025.
II) Par une requête enregistrée le 23 avril 2025 sous le numéro 25BX01033, et un mémoire enregistré le 17 juin 2025, M. B..., représenté par Me Atger, demande à la cour :
1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2500037 du tribunal administratif de Bordeaux du 20 janvier 2025;
2°) " d'ordonner le sursis à exécution de la décision " du 31 décembre 2024 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a refusé de lui octroyer le bénéfice des conditions matérielles d'accueil ;
3°) d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de rétablir rétroactivement le bénéfice des conditions matérielles d'accueil dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard et, à défaut de réexaminer sa situation dans un délai de huit jours sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 2 000 euros hors taxes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que les moyens qu'il invoque à l'appui de sa requête d'appel contre le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 janvier 2025 sont de nature à justifier son annulation ainsi que l'infirmation de la solution retenue par les premiers juges.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision
du 27 mars 2025.
Par des mémoires en défense enregistrés le 13 juin et le 19 juin 2025, l'Office français de l'immigration et de l'intégration conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... B..., ressortissant afghan entré en France selon ses dires
le 1er septembre 2024, a sollicité une protection en qualité d'étranger mineur isolé. L'évaluation socio-éducative réalisée, après divers entretiens, le 9 septembre 2024 a conclu qu'il ne pouvait être regardé comme mineur au regard de sa morphologie d'adulte et de l'incohérence de son récit en ce qui concerne sa minorité, mais a recommandé une orientation vers une demande d'asile.
M. B... indique avoir formé alors une demande d'asile avec une autre date de naissance le présentant comme majeur, laquelle a été enregistrée à l'OFII le 31 décembre 2024. L'évaluation de vulnérabilité conduite le même jour n'ayant pas relevé d'urgence dans sa situation, l'OFII lui a notifié un refus du bénéfice des conditions matérielles d'accueil au motif qu'il avait présenté sa demande au-delà du délai de 90 jours suivant son entrée en France. M. B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux l'annulation de cette décision du 31 décembre 2024, et relève appel du jugement du 20 janvier 2025 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal a rejeté sa demande, jugement dont il demande également le sursis à exécution.
Sur la jonction :
2. Les requêtes susvisées, sollicitant l'annulation et le sursis à exécution du même jugement, ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.
Sur la régularité du jugement :
3. Contrairement à ce que soutient M. B..., la première juge a statué au point 8 de son jugement sur son moyen tiré d'une utilisation détournée de la privation des conditions matérielles d'accueil, moyen que sa requête avait expressément rattaché à l'erreur manifeste d'appréciation, en écartant une telle erreur. Elle a également statué sur la tardiveté de l'enregistrement de sa demande d'asile, en relevant que le requérant n'apportait aucun élément permettant de tenir pour établi que le rapport d'évaluation du 9 septembre 2024 aurait été communiqué aux autorités de l'Etat compétentes pour instruire une demande d'asile avant le 31 décembre 2024. Alors que la critique de ces motifs relève du bien-fondé du jugement, M. B... n'est donc pas fondé à soutenir qu'une insuffisance de motivation entacherait celui-ci d'irrégularité.
Sur la légalité du refus de l'OFII :
4. L'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " A la suite de la présentation d'une demande d'asile, l'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de procéder, dans un délai raisonnable et après un entretien personnel avec le demandeur d'asile, à une évaluation de la vulnérabilité de ce dernier afin de déterminer, le cas échéant, ses besoins particuliers en matière d'accueil. Ces besoins particuliers sont également pris en compte s'ils deviennent manifestes à une étape ultérieure de la procédure d'asile. Dans la mise en œuvre des droits des demandeurs d'asile et pendant toute la période d'instruction de leur demande, il est tenu compte de la situation spécifique des personnes vulnérables. Lors de l'entretien personnel, le demandeur est informé de sa possibilité de bénéficier de l'examen de santé gratuit prévu à l'article L. 321-3 du code de la sécurité sociale. ". Aux termes de l'article R. 522-1 du même code : " L'appréciation de la vulnérabilité des demandeurs d'asile est effectuée par les agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, en application des articles L. 522-1 à L. 522-4, à l'aide d'un questionnaire dont le contenu est fixé par arrêté des ministres chargés de l'asile et de la santé. ".
5. Aux termes de l'article 20 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale : " 1. Les États membres peuvent limiter ou, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, retirer le bénéfice des conditions matérielles d'accueil lorsqu'un demandeur: / a) abandonne le lieu de résidence fixé par l'autorité compétente sans en avoir informé ladite autorité ou, si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l'avoir obtenue; ou b) ne respecte pas l'obligation de se présenter aux autorités, ne répond pas aux demandes d'information ou ne se rend pas aux entretiens personnels concernant la procédure d'asile dans un délai raisonnable fixé par le droit national; ou c) a introduit une demande ultérieure telle que définie à l'article 2, point q), de la directive 2013/32/UE. 2. Les États membres peuvent aussi limiter les conditions matérielles d'accueil lorsqu'ils peuvent attester que le demandeur, sans raison valable, n'a pas introduit de demande de protection internationale dès qu'il pouvait raisonnablement le faire après son arrivée dans l'État membre.(...) / 5. Les décisions portant limitation ou retrait du bénéfice des conditions matérielles d'accueil ou les sanctions visées aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 du présent article sont prises au cas par cas, objectivement et impartialement et sont motivées. Elles sont fondées sur la situation particulière de la personne concernée, en particulier dans le cas des personnes visées à l'article 21, compte tenu du principe de proportionnalité. Les États membres assurent en toutes circonstances l'accès aux soins médicaux conformément à l'article 19 et garantissent un niveau de vie digne à tous les demandeurs. ". L'article 21 de la même directive prévoit que : " Dans leur droit national transposant la présente directive, les États membres tiennent compte de la situation particulière des personnes vulnérables, telles que les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation génitale féminine. ".
6. L'article L. 551-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit
d'asile, qui transpose ces dispositions, prévoit : " Les conditions matérielles d'accueil sont refusées, totalement ou partiellement, au demandeur, dans le respect de l'article 20 de la directive 2013/33/ UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, dans les cas suivants : (...) / 4° Il n'a pas sollicité l'asile, sans motif légitime, dans le délai prévu au 3° de l'article L. 531-27. / La décision de refus des conditions matérielles d'accueil prise en application du présent article est
écrite et motivée. / Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur ". Le délai fixé par
l'article L. 531-27 du même code est de quatre-vingt-dix jours à compter de l'entrée de l'intéressé en France.
7. Au regard de la nature de son argumentation, M. B... doit être regardé comme soutenant qu'il disposait d'un motif légitime au sens de ces dispositions. Il ressort du dossier de première instance qu'après l'évaluation des services départementaux concluant qu'il ne pouvait être regardé comme mineur, M. B... a saisi le juge des enfants d'une demande de placement provisoire, reçue par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 7 octobre 2024. Il fait valoir sans être contredit que les services de la préfecture ne pouvaient enregistrer sa demande d'asile en qualité de mineur non représenté. Alors qu'il avait entendu contester l'évaluation selon laquelle il aurait été majeur à son arrivée en France, et qu'il n'est pas allégué ni établi que sa requête aurait été rejetée par le tribunal judiciaire avant le 31 décembre 2024, il disposait ainsi d'un motif légitime expliquant le délai de quatre mois dans lequel il a finalement présenté une demande d'asile fondée sur une autre date de naissance que celle initialement déclarée. Dans ces conditions, il est fondé à soutenir que c'est à tort que l'OFII lui a refusé le bénéfice des conditions matérielles d'accueil sur le fondement du 4°) de l'article L.551-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur les conclusions à fins d'injonction :
8. Dès lors que M. B... n'entrait dans aucun des cas où le bénéfice des conditions matérielles d'accueil pouvait lui être refusé, il y a lieu d'enjoindre à l'OFII de lui accorder rétroactivement ce bénéfice pour la période allant jusqu'à la décision de l'OFPRA sur sa demande d'asile, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :
9. La cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête n° 25BX01032 de M. B... tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 janvier 2025, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 25BX01033 sollicitant que soit ordonné le sursis à exécution de ce jugement.
Sur les demandes au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'OFII une somme de 1 200 euros à verser à Me Atger au titre de la requête n°25BX01032, et de rejeter les conclusions présentées sur le même fondement dans la requête 25BX01033.
DECIDE :
Article 1er : La décision de l'OFII du 31 décembre 2024 et le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 janvier 2025 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à l'OFII d'accorder rétroactivement à M. B... le bénéfice des conditions matérielles d'accueil pour la période allant du 1er janvier 2025 jusqu'à la décision de l'OFPRA sur sa demande d'asile.
Article 3 : L'OFII versera à Me Atger une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n°25BX01033 à fin de sursis à exécution du jugement.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à l'OFII.
Délibéré après l'audience du 1er juillet 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Sabrina Ladoire, présidente-assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2025.
La présidente-assesseure,
Sabrina Ladoire
La présidente, rapporteure
Catherine A...Le greffier,
Fabrice Benoit
Pour le greffier d'audience décédé
La greffière de chambre
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
25BX01032, 25BX01033 2