Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... C... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 par lequel le préfet de Mayotte a procédé au retrait de sa carte de résidente.
Par un jugement n° 2300936 du 21 janvier 2025, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête et des pièces complémentaires, non communiquées, enregistrées les 20 mars et 24 mai 2025, sous le n° 25BX00713, Mme E... C... épouse D..., représentée par Me Ghaem, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Mayotte du 21 janvier 2025 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 par lequel le préfet de Mayotte a procédé au retrait de sa carte de résidente ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son conseil d'une somme de
1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- en l'absence de caractère déterminant de la fraude dans l'obtention du droit au séjour, la décision de retrait de sa carte de résidente est entachée d'une erreur de droit ;
- elle est dépourvue de base légale, dès lors qu'aucune disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prévoit la possibilité pour le préfet de procéder au retrait d'une carte de résident au motif que le titulaire aurait fait usage d'une attestation d'hébergement apocryphe ;
- aucune disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne permet le retrait d'une carte de résident au motif que le détenteur constitue une menace pour l'ordre public ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 4 avril 2025, la Ligue des droits de l'homme (LDH) et le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), représentés par Me Ghaem, demandent que la cour fasse droit aux conclusions de la requête.
Ils soutiennent que :
- leur intervention est recevable ;
- ils soutiennent l'ensemble des moyens soulevés par la requérante à l'appui de sa requête.
La requête a été régulièrement communiquée au préfet de Mayotte, qui n'a pas communiqué de mémoire en défense.
Par une décision 2025/001000 du 30 avril 2025, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a admis Mme C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
II. Par une requête et des pièces complémentaires, non communiquées, enregistrées, sous le n° 25BX00972, les 17 avril et 24 mai 2025, Mme E... C... épouse D..., représentée par Me Ghaem, demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
2°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté du 3 février 2023 par lequel le préfet de Mayotte a procédé au retrait de sa carte de résidente, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond ;
3°) d'enjoindre au préfet de Mayotte de la munir sans délai d'une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de
1 500 euros en application des dispositions combinée de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est présumée satisfaite, dès lors que la décision contestée porte retrait d'un titre de séjour ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté préfectoral ;
- la décision contestée est dépourvue de base légale, dès lors qu'aucune disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prévoit la possibilité pour le préfet de procéder au retrait d'une carte de résident au motif que le titulaire aurait fait usage d'une attestation d'hébergement apocryphe ;
- elle n'est pas davantage justifiée sur le fondement de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, dès lors qu'elle n'a pas commis de fraude pour l'obtention de son titre de séjour, la seule production d'une fausse attestation d'hébergement ne suffisant pas à caractériser une fraude ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 20 avril 2025, la Ligue des droits de l'homme (LDH) et le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), représentés par Me Ghaem, demandent que la cour fasse droit aux conclusions de la requête.
Ils soutiennent que :
- leur intervention est recevable ;
- ils soutiennent l'ensemble des moyens soulevés par la requérante à l'appui de sa requête.
La requête a été régulièrement communiquée au préfet de Mayotte, qui n'a pas communiqué de mémoire en défense.
Par une décision 2025/001618 du 12 juin 2025, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a admis Mme C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Béatrice Molina-Andréo,
- et les observations de Me Ghaem, représentant Mme E... C... épouse D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... C... épouse D..., ressortissante comorienne née le 15 janvier 1971, s'est vu délivrer par la préfecture de Mayotte, à compter de 2014, un titre de séjour mention " vie privée et familiale ", à plusieurs reprises renouvelé. En dernier lieu, elle bénéficiait d'une carte de résident, valable du 19 juillet 2018 au 18 juillet 2028. Toutefois, par un arrêté du 3 février 2023, le préfet de Mayotte a procédé au retrait de cette carte de résident et lui a délivré à la place une carte de séjour mention " vie privée et familiale ". Par les présentes requêtes, Mme C..., d'une part, relève appel du jugement du 21 janvier 2025 par lequel le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté, d'autre part, sollicite la suspension de l'exécution de l'arrêté préfectoral du 3 février 2023 jusqu'à ce qu'il soit statué au fond.
2. Les requêtes n° 25BX00713 et 25BX00972 concernent la situation d'une même requérante. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur l'intervention de la Ligue des droits de l'homme (LDH) et du Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI) :
3. Eu égard à leurs objets respectifs, et compte tenu de la nature et de l'objet du litige, tant la LDH que le GISTI justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des moyens et conclusions de Mme C.... Leur intervention, dans le dossier n° 25BX00713, est, par suite, recevable.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire dans l'instance n° 25BX00972 :
4. Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, dans l'instance 25BX00972, par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 12 juin 2025. Par suite, ses conclusions, présentées dans cette instance, tendant à obtenir l'aide juridictionnelle à titre provisoire sont devenues sans objet. Il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. Il ressort des pièces du dossier que pour procéder au retrait de la carte de résident de Mme C..., le préfet de Mayotte s'est fondé, au visa de l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration, sur les motifs tirés que l'intéressée avait fourni, à l'appui de sa demande de carte, une fausse attestation d'hébergement émanant d'une personne ayant fait l'objet d'une condamnation pénale du tribunal judiciaire de Mamoudzou pour avoir établi au moins cent trente fausses attestations au profit de ses compatriotes et que sa carte de résident ayant ainsi été obtenue par fraude, elle devait être regardée comme n'ayant jamais rempli les conditions permettant d'en obtenir la délivrance.
6. D'une part, aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. ". Aux termes de l'article L. 241-2 du même code : " Par dérogation aux dispositions du présent titre, un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré. ". Il résulte de ces dispositions qu'un acte administratif obtenu par fraude ne crée pas de droits et peut, par suite, être retiré ou abrogé par l'autorité compétente pour le prendre, alors même que le délai de retrait de droit commun serait expiré.
7. D'autre part, aux termes de l'article L. 423-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France et titulaire depuis au moins trois années de la carte de séjour temporaire prévue à l'article L. 423-7 ou d'une carte de séjour pluriannuelle délivrée aux étrangers mentionnés aux articles L. 423-1, L. 423-7 et L. 423-23, sous réserve qu'il continue de remplir les conditions prévues pour l'obtention de cette carte de séjour, se voit délivrer une carte de résident d'une durée de dix ans. " Aux termes de l'article L. 423-23 du même code : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles (...) et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. (...) ".
8. Lorsque l'autorité compétente envisage de prendre une mesure de retrait d'un titre de séjour, qui prive un étranger du droit au séjour en France, il lui incombe notamment de s'assurer, en prenant en compte l'ensemble des circonstances relatives à la vie privée et familiale de l'intéressé, que cette mesure n'est pas de nature à porter à celle-ci une atteinte disproportionnée. S'il appartient à l'autorité administrative de tenir compte de manœuvres frauduleuses avérées qui, en raison notamment de leur nature, de leur durée et des circonstances dans lesquelles la fraude a été commise, sont susceptibles d'influer sur son appréciation, elle ne saurait se dispenser de prendre en compte les circonstances propres à la vie privée et familiale de l'intéressé postérieures à ces manœuvres au motif qu'elles se rapporteraient à une période entachée par la fraude.
9. En premier lieu, Mme C... soutient que ce n'est pas l'attestation d'hébergement frauduleuse mentionnée ci-dessus qui aurait déterminé le préfet à lui délivrer une carte de résident, mais l'intensité de ses liens familiaux en France. Toutefois, une pièce justificative de domicile, qui est au nombre des pièces à fournir par le demandeur pour la délivrance de la carte de résident aux termes des dispositions de l'annexe 10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, constitue, sauf impossibilité dûment justifiée pour l'étranger de la produire, l'un des éléments permettant au préfet d'apprécier la stabilité de ses liens avec la France et ses conditions d'existence pour l'application des dispositions des articles L. 423-10 et L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées ci-dessus. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait à ce titre entaché d'une erreur de droit doit être écarté.
10. En deuxième lieu, si Mme C... soutient que l'arrêté litigieux est dépourvu de base légale, dès lors qu'aucune disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne permettrait de retirer une carte de résident du fait d'une attestation d'hébergement apocryphe, la décision litigieuse a été prise sur le fondement de l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration, qui permet de retirer un acte administratif obtenu par fraude.
11. En troisième lieu, si Mme C... se prévaut de sa présence sur le territoire français depuis 1995, de la présence sur le territoire national de ses quatre enfants nés entre 1996 et 2005 et de la nationalité française de ceux-ci, le retrait de sa carte de résident n'a ni pour objet, ni pour effet de l'éloigner de ses enfants et de rompre les liens qu'elle a pu tisser en France, alors d'ailleurs que le préfet de Mayotte a décidé de lui délivrer, par l'arrêté contesté, un titre de séjour mention " vie privée et familiale ". Par suite, compte tenu des circonstances de l'espèce, la décision en litige n'a pas porté au droit de Mme C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport à ses motifs. Elle n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le préfet de Mayotte n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de la requérante.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté préfectoral du 3 février 2023. Ses conclusions présentées au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
Sur les conclusions à fin de suspension :
13. La cour statuant au fond par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du préfet de Mayotte du 3 février 2023, les conclusions de la requête n° 25BX00972 tendant à la suspension de l'exécution du même arrêté sont devenues sans objet.
DECIDE :
Article 1er : L'intervention de la Ligue des droits de l'homme (LDH) et du Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), dans le dossier n° 25BX00713, est admise.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire présentée par Mme B... A... dans le dossier n° 25BX00972.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le surplus des conclusions de la requête n° 25BX00972 tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du préfet de Mayotte du 3 février 2023.
Article 4 : La requête n° 25BX00713 de Mme C... est rejetée.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C... épouse D..., au ministre de l'intérieur, à la Ligue des droits de l'homme (LDH) et au Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI).
Copie en sera adressée au préfet de Mayotte.
Délibéré après l'audience du 19 juin 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juillet 2025.
La rapporteure,
Béatrice Molina-AndréoLa présidente,
Evelyne BalzamoLa greffière,
Stéphanie Larrue
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 25BX00713 ; 25BX00972