Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté
du 21 juillet 2024 par lequel le préfet de la Haute-Vienne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi, et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2401883 du 26 juillet 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 novembre 2024, M. A..., représenté par Me Massou
dit E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 juillet 2024 du préfet de la Haute-Vienne ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois suivant la notification de la décision à intervenir et de le munir, durant cet examen, d'une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi
du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il omet d'examiner la légalité de la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- le préfet a entaché sa décision d'un défaut d'examen en s'abstenant de rechercher s'il pouvait prétendre à un titre de séjour de plein droit, en méconnaissance de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il a rejoint son père et ses frères en France, et vit en concubinage avec une française depuis plus d'un an ; le préfet n'a pas légalement obtenu les renseignements judiciaires sur les infractions qu'il relève dans sa décision ; sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;
En ce qui concerne l'interdiction de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée et est entachée d'un défaut d'examen ;
- le préfet s'est abstenu d'examiner l'existence de circonstances humanitaires faisant obstacle au prononcé de cette décision ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 juin 2025, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- sa situation a fait l'objet d'un examen sérieux ; il n'était pas tenu d'examiner d'office son droit au séjour dès lors que le requérant n'en avait pas fait la demande ;
- l'obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
M. A..., qui s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement, n'est présent en France que depuis 2021 ou 2022, période durant laquelle il a d'ailleurs été incarcéré ; il ne justifie pas des liens qu'il allègue entretenir avec son père ; les éléments produits sont postérieurs à l'arrêté attaqué ; il conserve des attaches en Algérie, notamment sa mère et sa sœur ;
- aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère ;
M. A... est entré en France sans visa et son comportement représente un trouble à l'ordre public ; il ne justifie pas posséder d'attaches personnelles et familiales particulièrement fortes en France et a fait l'objet, le 21 juillet 2024, d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai, à la suite d'une interpellation par les services de police de Limoges la veille pour des faits de recel de biens provenant d'un vol ; il ne justifie d'aucune circonstance humanitaire faisant obstacle au prononcé d'une interdiction de retour sur le territoire français.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision
du 26 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant algérien né le 10 janvier 1993 à Mostaganem (Algérie), est entré en France au cours du mois de septembre 2022 selon ses déclarations. Par un arrêté
du 21 juillet 2024, le préfet de la Haute-Vienne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi, et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. M. A..., qui a été placé en rétention administrative au centre de rétention d'Hendaye, a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler cet arrêté. Par un jugement n° 2401883 du 26 juillet 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande. M. A... relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si M. A... soutient que le jugement attaqué a omis d'examiner la légalité de la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français, il ressort toutefois des pièces du dossier que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Pau n'était saisie d'aucun moyen dirigé spécifiquement contre cette décision, et qu'elle a répondu globalement sur l'atteinte à la vie privée et familiale invoquée. Par suite, le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité sur ce point.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle est édictée après vérification du droit au séjour, en tenant notamment compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France et des considérations humanitaires pouvant justifier un tel droit. "
4. La décision portant obligation de quitter le territoire français évoque la situation administrative et personnelle de M. A..., et fait état des conditions déclarées de son entrée en France et de sa condamnation, le 25 juillet 2023, à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis pour détention, offre, acquisition et transports de produits stupéfiants. Elle précise également les textes dont elle fait application, notamment les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui constituent son fondement. Ainsi, alors qu'il ne ressort pas de l'audition de M. A... que les éléments portés par lui à la connaissance des services de police auraient pu lui ouvrir un droit au séjour de plein droit, la décision attaquée n'est pas entachée d'un défaut d'examen de sa situation.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". L'étranger qui invoque la protection du droit à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité, l'intensité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
6. Pour contester la mesure d'éloignement prise à son encontre, M. A... fait valoir qu'il réside depuis plus d'un an en concubinage avec une ressortissante française, Mme D..., qu'il est hébergé à son domicile, qu'il a engagé avec elle des démarches en vue d'un mariage, et qu'il a rejoint en France son père ainsi que trois de ses frères. Toutefois, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, les éléments qu'il verse au soutien de ses allégations sont postérieurs à l'édiction de la décision attaquée. En tout état de cause, le dossier de mariage du service de l'état civil de la commune de Limoges ainsi que l'attestation d'hébergement de sa compagne ne suffisent pas à établir l'effectivité d'une communauté de vie entre les intéressés, ni même, au demeurant, l'existence d'une relation affective établie et ancienne. De même, alors qu'il ressort des pièces du dossier que sa mère et sa sœur résident au Maroc, M. A... n'établit pas entretenir des liens avec son père et ses trois frères en France, dont au demeurant il ne justifie la résidence régulière que pour un seul d'entre eux. Enfin, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été condamné
le 25 juillet 2023 par le tribunal judiciaire de Limoges à six mois d'emprisonnement avec sursis pour détention, offre, acquisition et transport de stupéfiants, sursis qui a été révoqué, et qu'il a de nouveau été interpellé le 20 juillet 2024 pour des faits de recel. L'intéressé ne nie pas ces faits, et ne peut utilement s'interroger sur la manière dont le préfet, qui a accès au casier judiciaire et au fichier des antécédents judiciaires, a légalement obtenu ces informations. Dans ces conditions, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni qu'il serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
7. En premier lieu, en application des dispositions de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision portant interdiction de retour doit être motivée. Aux termes de l'article L. 612-6 du même code : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, et dix ans en cas de menace grave pour l'ordre
public ". Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / (...) ".
8. La décision prononçant à l'encontre de M. A... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en particulier ses articles 3 et 8, ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment son article L. 612-6. Il ressort également des termes de cette décision que le préfet de la Haute-Vienne, pour fixer la durée de l'interdiction de retour, a estimé que l'intéressé était célibataire, sans enfant et sans charge de famille. Il a également considéré que ses liens personnels et familiaux en France n'étaient ni anciens, ni intenses, ni stables, et qu'il n'était pas démuni d'attaches familiales dans son pays d'origine. De surcroît, le préfet a relevé le fait que M. A... était défavorablement connu des services de police et de justice en raison d'une condamnation antérieure. Alors que le préfet ne disposait que du procès-verbal d'audition de l'intéressé par les services de police, au cours de laquelle celui-ci avait déclaré être célibataire, ce qui est au demeurant exact, la décision contestée énonce suffisamment les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement,
et M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'elle serait entachée d'un défaut d'examen de sa situation au motif qu'elle ne mentionnerait pas la relation de concubinage qu'il allègue entretenir
avec Mme D....
9. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 6, la décision attaquée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. En dernier lieu, si le requérant soutient qu'il revenait au préfet de la Haute-Vienne de rechercher si des circonstances humanitaires faisaient obstacle à ce que soit prononcée l'interdiction de retour sur le territoire français, il ne justifie pas de telles circonstances, compte tenu de ce qui a été dit précédemment. Par suite, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté en litige. Par voie de conséquence, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 1er juillet 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Sabrina Ladoire, première conseillère,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2025.
Le rapporteur,
Antoine C...
La présidente,
Catherine GiraultLe greffier,
Fabrice Benoit
Pour le greffier d'audience décédé
La greffière de chambre
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°24BX02627