Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière (SCI) Norma a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 3 décembre 2020 par lequel le maire de Jurançon a délivré à la société CDV 99 un permis de construire en vue de la démolition de constructions existantes et de l'édification d'un ensemble immobilier à usage d'habitation, de commerce ou de bureaux, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé contre cet arrêté.
Par un jugement n° 2101500 du 10 novembre 2023, le tribunal administratif de Pau a annulé cet arrêté et cette décision.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 janvier 2024, la commune de Jurançon, représentée par Me Gallardo, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 10 novembre 2023 du tribunal administratif de Pau ;
2°) de mettre à la charge de la SCI Norma la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de première instance était irrecevable, dès lors qu'elle était tardive en l'absence de notification du recours gracieux à la société pétitionnaire ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit, dès lors que l'orientation d'aménagement et de programmation thématique " Entrées d'agglomération " du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) de la communauté d'agglomération de Pau-Béarn-Pyrénées n'interdit pas les commerces en rez-de-chaussée ;
- l'ensemble des moyens reposant sur la violation des règles issues du règlement de la zone UD du PLUi étaient inopérants.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 juillet 2024, la SCI Norma, représentée par Me Casadebaig, conclut à titre principal au non-lieu à statuer, à titre subsidiaire au rejet de la requête, et à ce que soit mise à la charge de la commune de Jurançon la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête a perdu son objet, dès lors que la commune a délivré un nouveau permis de construire sur les parcelles litigieuses ;
- la requête est irrecevable, dès lors que la commune est dépourvue d'un intérêt à agir.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vincent Bureau,
- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,
- les observations de Me Dupen, représentant la SCI Norma.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 3 décembre 2020, le maire de Jurançon a délivré à la société CDV 99 un permis de construire en vue de la démolition de constructions existantes et de l'édification d'un ensemble immobilier comprenant 62 logements, des commerces et des bureaux sur les parcelles cadastrées section AI n°s 132 et 133. Par une décision du 10 avril 2021, le maire de Jurançon a implicitement rejeté le recours gracieux formé contre cet arrêté. La société Norma a demandé au tribunal administratif de Pau l'annulation de cet arrêté et de cette décision. La commune de Jurançon relève appel du jugement du 10 novembre 2023 qui a fait droit à la demande de la société Norma.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. La circonstance que la commune ait délivré à la société Kaufman et Broad Pyrénées Atlantiques, postérieurement au jugement attaqué, un permis de construire pour l'édification d'un ensemble immobilier à usage d'habitation comprenant 30 logements collectifs sociaux et 24 logements en habitat inclusif, avec aménagements extérieurs, sur les parcelles cadastrées section AI n°s 132 et 133, ne prive pas d'objet l'appel dirigé contre le jugement d'annulation d'un précédent permis délivré sur les mêmes parcelles. En tout état de cause, lorsque l'autorité administrative, en exécution d'un jugement d'annulation, prend une nouvelle décision qui n'est motivée que par le souci de se conformer à ce jugement d'annulation, cette délivrance ne prive pas d'objet l'appel dirigé contre ce jugement. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer opposée par la société Norma doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
3. Aux termes de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme : " En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l'encontre d'un certificat d'urbanisme, ou d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, le préfet ou l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation. Cette notification doit également être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant un certificat d'urbanisme, ou une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code. L'auteur d'un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d'irrecevabilité du recours contentieux qu'il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif. / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré ou du recours. / La notification du recours à l'auteur de la décision et, s'il y a lieu, au titulaire de l'autorisation est réputée accomplie à la date d'envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception. Cette date est établie par le certificat de dépôt de la lettre recommandée auprès des services postaux. ".
4. La commune de Jurançon soutient que la demande de première instance était irrecevable dès lors qu'il n'est pas établi que la société Norma ait notifié son recours gracieux à la société pétitionnaire. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la société Norma a informé la société pétitionnaire, par un courrier du 15 février 2021, de son recours gracieux formé le 8 février 2021 contre l'arrêté du 3 décembre 2020, reçu par la commune de Jurançon le 10 février 2021. Si ce premier courrier ne contenait pas la copie de ce recours gracieux, il ressort des pièces du dossier que la société Norma a régularisé cet oubli par un second courrier daté du 19 février 2021 qui a été reçu avant le 25 février 2021, date du cachet postal figurant sur l'avis de réexpédition de ce courrier. Par suite, alors que la requête de la société Norma n'était pas tardive, le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande de première instance en l'absence d'accomplissement des formalités de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme doit être écarté.
En ce qui concerne les moyens d'annulation retenus par le tribunal :
5. En premier lieu, et d'une part, aux termes de l'article L. 151-6 du code de l'urbanisme, alors en vigueur : " Les orientations d'aménagement et de programmation comprennent, en cohérence avec le projet d'aménagement et de développement durables, des dispositions portant sur l'aménagement, l'habitat, les transports, les déplacements et, en zone de montagne, sur les unités touristiques nouvelles. (...) ". Aux termes de l'article L. 151-7 du même code : " I. - Les orientations d'aménagement et de programmation peuvent notamment : / 1° Définir les actions et opérations nécessaires pour mettre en valeur l'environnement, notamment les continuités écologiques, les paysages, les entrées de villes et le patrimoine, lutter contre l'insalubrité, permettre le renouvellement urbain, favoriser la densification et assurer le développement de la commune ; / 2° Favoriser la mixité fonctionnelle en prévoyant qu'en cas de réalisation d'opérations d'aménagement, de construction ou de réhabilitation un pourcentage de ces opérations est destiné à la réalisation de commerces ; / 3° Comporter un échéancier prévisionnel de l'ouverture à l'urbanisation des zones à urbaniser et de la réalisation des équipements correspondants ; / 4° Porter sur des quartiers ou des secteurs à mettre en valeur, réhabiliter, restructurer ou aménager ; (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 152-1 du même code : " L'exécution par toute personne publique ou privée de tous travaux, constructions, aménagements, plantations, affouillements ou exhaussements des sols, et ouverture d'installations classées appartenant aux catégories déterminées dans le plan sont conformes au règlement et à ses documents graphiques. / Ces travaux ou opérations sont, en outre, compatibles, lorsqu'elles existent, avec les orientations d'aménagement et de programmation ".
6. Il résulte de ces dispositions qu'une autorisation d'urbanisme ne peut être légalement délivrée si les travaux qu'elle prévoit sont incompatibles avec les orientations d'aménagement et de programmation (OAP) d'un plan local d'urbanisme et, en particulier, en contrarient les objectifs. Cette compatibilité s'apprécie en procédant à une analyse globale des effets du projet sur l'objectif ou les différents objectifs d'une orientation d'aménagement et de programmation, à l'échelle de la zone à laquelle ils se rapportent.
7. D'autre part, aux termes de l'article UD2 du règlement du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) de la communauté d'agglomération de Pau-Béarn-Pyrénées : " Dans l'ensemble de la zone, sont autorisées sous conditions : / (...) - L'artisanat et les commerces de détails (ex : boulangerie, brasserie, salon de coiffure...) (...) à condition qu'ils ne se situent pas dans les entrées d'agglomération (telles que déclinées dans le plan en p7 de l'Orientation d'Aménagement et de Programmation thématique " Entrées d'agglomération " /(...) ".
8. En l'espèce, l'OAP thématique " Entrées d'agglomération " du PLUi précise que : " Les axes d'entrée d'agglomération sont le support d'un important trafic journalier. Les espaces bâtis de part et d'autre profitent ainsi à la fois d'une très bonne accessibilité et d'une grande visibilité, donc d'une importante attractivité. De nombreux commerces se sont ainsi implantés le long de ces axes, profitant de cette situation. Cependant, la logique de développement commercial tend aujourd'hui davantage à centraliser les surfaces commerciales au sein d'espaces identifiés au sein du SCoT en tant que zones d'activités commerciales. C'est pourquoi le développement d'activités commerciales sera désormais interdit le long des voies d'entrées d'agglomération, en dehors des ZACOM ".
9. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet en litige se situe en zone UD et dans le périmètre de l'entrée d'agglomération " sud - route de Gan ", identifiée par l'OAP thématique " Entrées d'agglomération " du PLUi. Il ressort également des pièces du dossier que le projet en litige prévoit une surface de plancher de commerces ou de bureaux de 315,30 m² dont il n'est pas contesté qu'elle est susceptible d'être affectée à une activité commerciale. Dans ces conditions, alors que la parcelle litigieuse ne situe pas dans la zone d'aménagement commercial fixée par le schéma de cohérence territoriale du Grand Pau, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Pau a retenu l'incompatibilité de l'arrêté du 3 décembre 2020 avec l'OAP thématique " Entrées d'agglomération ", sans qu'ait une incidence à cet égard la circonstance que l'OAP du secteur " Jurançon - Henri IV " relative au projet litigieux a pour objectif une programmation mixte de logements collectifs et individuels afin de " conforter les activités commerciales et équipements existants ".
10. En second lieu, aux termes de l'article R. 151-8 du code de l'urbanisme : " Les orientations d'aménagement et de programmation des secteurs de zones urbaines ou de zones à urbaniser mentionnées au deuxième alinéa du R. 151-20 dont les conditions d'aménagement et d'équipement ne sont pas définies par des dispositions réglementaires garantissent la cohérence des projets d'aménagement et de construction avec le projet d'aménagement et de développement durables. (...) ".
11. La commune de Jurançon ne peut utilement soutenir qu'en zone UD et dans les périmètres fixés par les OAP du PLUi le règlement du PLUi ne s'appliquerait pas, dès lors que le règlement de la zone UD du PLUi définit les conditions d'aménagement et d'équipement de la zone, ainsi qu'il ressort du point 7 du présent arrêt.
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que la commune de Jurançon n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a annulé l'arrêté du 3 décembre 2020 par lequel le maire de Jurançon a délivré à la société CDV 99 un permis de construire, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux formé par la société Norma contre cet arrêté.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Jurançon la somme de 1 500 euros à verser à la société Norma au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de la société Norma, qui n'est pas la partie perdante.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Jurançon est rejetée.
Article 2 : La commune de Jurançon versera à la société Norma la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Jurançon, à la société Norma et à la société CDV 99.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2025, à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, présidente-assesseure,
M. Vincent Bureau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2025.
Le rapporteur,
Vincent Bureau
Le président,
Laurent Pouget
La greffière,
Caroline Brunier
La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Atlantiques en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX00041