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01/07/2025 | FRANCE | N°24BX03021

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 01 juillet 2025, 24BX03021


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.



Par un jugement n° 2402456 du 20 novembre 2024, le tribunal a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une

requête, enregistrée le 19 décembre 2024, Mme D..., représentée par

Me Nakache-Haarfi, demande à la cour :



1°) ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2402456 du 20 novembre 2024, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2024, Mme D..., représentée par

Me Nakache-Haarfi, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 20 novembre 2024 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 26 octobre 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer le titre de séjour sollicité, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué a été signé par une autorité incompétente ;

- la décision contestée est insuffisamment motivée, dès lors que le préfet s'est borné à reprendre l'avis de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) sans exposer de manière individualisée les raisons concrètes pour lesquelles elle pourrait bénéficier d'un traitement approprié en Algérie et qu'il n'a pas examiné les éléments relatifs à sa vie privée et familiale au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la commission du titre de séjour aurait dû être saisie, dès lors qu'elle avait formé sa demande sur le fondement de l'article 6 de l'accord franco-algérien, équivalent à l'article

L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 6 (7°) de l'accord franco-algérien ; elle remplit les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour pour raisons de santé, son état nécessitant une prise en charge à vie dont l'interruption entraînerait des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; la fréquence des consultations nécessaires à son suivi médical ainsi que la complexité de sa pathologie font obstacle à une prise en charge appropriée dans son pays d'origine ; les médecins algériens ne sont jamais parvenus à traiter ses pathologies ; en outre, étant dépourvue de ressources, elle n'est pas en mesure de faire réaliser les injections dont elle a besoin en Algérie, et ce d'autant que le traitement par ranibizumab n'est pas disponible ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 6 (5) de l'accord franco-algérien et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu de sa durée de présence sur le territoire français de douze ans, de son intégration par le travail, de la présence en France de son frère et de son cousin germain, et de l'absence d'attaches familiales et en Algérie ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2025, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par Mme D... ne sont pas fondés et renvoie à ses écritures de première instance, qu'il produit.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Antoine Rives a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... D..., ressortissante algérienne née le 5 septembre 1966, a déclaré être entrée en France le 5 avril 2012. Elle a été mise en possession de titres de séjour portant la mention " vie privée et familiale " entre le 6 novembre 2013 et le 6 novembre 2014, puis entre le 14 février 2020 et le 14 septembre 2023. Le 12 juin 2023, elle a sollicité le renouvellement de son titre de séjour sur le fondement de l'article 6 (7) de l'accord franco-algérien du

27 décembre 1968. Par un arrêté du 26 octobre 2023, le préfet de la Gironde a refusé de faire droit à cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme D... relève appel du jugement n° 2402456 du

20 novembre 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, le préfet de la Gironde a, par un arrêté du 31 août 2023 régulièrement publié au recueil des actes administratifs n° 33-2023-164 et accessible tant au juge qu'aux parties, donné délégation à Mme G... F..., adjointe au bureau de l'admission au séjour des étrangers et signataire de l'arrêté litigieux, à l'effet de signer, dans la limite de ses attributions, toutes décisions, documents et correspondances prises en application des livres II, IV, VI et VIII (partie législative et réglementaire) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence ou d'empêchement de M. A... E... et de Mme H... C.... Il ne ressort pas des pièces du dossier, ni n'est d'ailleurs allégué, que ces derniers n'auraient pas été absents ou empêchés à la date de l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté litigieux doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

4. La décision contestée vise les stipulations et dispositions pertinentes de l'accord franco-algérien et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales applicables à la situation de Mme D.... Elle mentionne les éléments relatifs à sa situation personnelle et administrative, en relevant notamment l'absence d'attaches en France et l'absence d'éléments établissant son insertion dans la société française. Elle précise, en se fondant sur l'avis émis par le collège de médecins de l'OFII et sur les pièces produites par l'intéressée, que les conditions prévues pour la délivrance d'un titre de séjour pour raisons de santé ne sont pas réunies. Contrairement à ce que soutient Mme D..., la décision n'avait pas à comporter de précisions détaillées sur la nature de ses pathologies ni sur la disponibilité des traitements requis, dès lors que le respect du secret médical interdit au collège de médecins de l'OFII de transmettre ces informations au préfet. Par ailleurs, Mme D... n'établit pas, ni même n'allègue, avoir elle-même communiqué de telles précisions au service instructeur dans le cadre de sa demande. Par suite, la décision attaquée, qui énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde, et qui a tenu compte de la situation familiale de l'intéressée, est suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. (...) ".

6. Portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaire prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, cet article est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre d'une activité salariée, soit au titre de la vie familiale. S'agissant des ressortissants algériens, ces conditions sont régies de manière exclusive par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet aurait préalablement dû saisir, en application du second alinéa de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la commission du titre de séjour, ne peut qu'être écarté dès lors que ces dispositions ne sont pas applicables aux ressortissants algériens.

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du

27 décembre 1968 modifié : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : [...] / 7) au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays ; (...) ".

8. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... souffre de polypathologies chroniques, notamment d'un diabète de type 1 déséquilibré avec rétinopathie diabétique, œdème maculaire gauche, cécité de l'œil droit et complications microangiopathiques et macroangiopathiques, d'une maladie de Biermer, d'une gastroparésie de stade 3 ainsi que d'une dyslipidémie, nécessitant un suivi pluridisciplinaire régulier associant notamment diabétologue, ophtalmologue, gastro-entérologue et cardiologue. À la date de la décision du 26 octobre 2023, son traitement médicamenteux était composé, s'agissant du diabète, de Tresiba et de Novorapid, et, s'agissant des autres affections, de Pantoprazole, d'Aspirine Protect, de Liptruzet et de Prokinyl. Par son avis du 2 octobre 2023, dont le préfet s'est approprié les termes, le collège des médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de Mme D... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, elle pouvait y bénéficier effectivement d'un traitement approprié et voyager sans risque vers ce pays. Mme D... ne produit, à l'appui de sa requête, aucun élément médical de nature à remettre en cause cet avis, les nombreux documents versés faisant pour l'essentiel état de la nature de ses pathologies, de la nécessité d'un suivi spécialisé et des traitements actuellement prescrits, sans toutefois comporter d'élément relatif à la disponibilité desdits traitements en Algérie. Si, dans ses écritures, elle invoque en termes généraux les carences de l'offre de soins du système de santé algérien, les pénuries de certains médicaments prescrits ou sa situation d'impécuniosité, ces seules allégations, non étayées par la production de pièces, ne permettent pas d'établir qu'elle ne pourrait pas bénéficier effectivement des soins nécessaires dans son pays d'origine. En outre, la circonstance que le médecin rapporteur de l'OFII ainsi que les médecins membres du collège de cet office ne soient pas spécialisés dans le traitement des pathologies dont elle est atteinte ne saurait, à elle seule, être de nature à infirmer le sens de l'avis du 2 octobre 2023. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 (7) de l'accord franco-algérien doit être écarté.

9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...)/ 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ; (...) ". Pour l'application des stipulations précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

10. Si Mme D..., qui est entrée en France à l'âge de 46 ans, se prévaut d'une présence continue sur le territoire français depuis avril 2012, il ressort des pièces du dossier qu'elle n'y a séjourné régulièrement, sous couvert de titres de séjour, qu'entre le 6 novembre 2013 et le 6 novembre 2014, puis du 14 février 2020 au 14 septembre 2023. Contrairement à ses allégations, elle n'établit par aucune pièce avoir tissé, avec son frère et sa belle-sœur, ressortissants français résidant à Rouen, ainsi qu'avec un cousin germain également de nationalité française établi à Bordeaux, des liens d'une particulière intensité. En outre, si

Mme D... fait valoir qu'elle maîtrise la langue française et qu'elle exerce une activité professionnelle depuis 2021 en tant qu'agent de service au sein d'une société de nettoyage, ces éléments ne suffisent pas, par eux-mêmes, à caractériser une insertion particulière en France. Dans ces conditions, et alors que la requérante est sans charge de famille et qu'ainsi qu'il a été exposé, il n'est pas établi qu'elle serait dans l'impossibilité d'accéder effectivement en Algérie aux traitements nécessités par son état de santé, elle n'est pas fondée à soutenir que le préfet de la Gironde aurait méconnu les stipulations de l'article 6 (5) de l'accord franco-algérien ni celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

12. Mme D... soutient qu'elle serait exposée à des traitements contraires à ces stipulations en cas de retour dans son pays d'origine en raison de son état de santé. Toutefois, elle n'établit pas que la prise en charge médicale rendue nécessaire par son état de santé ne serait pas accessible en Algérie. Par suite, en tout état de cause, le moyen tiré la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 17 juin 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Sabrina Ladoire, présidente-assesseure,

M. Antoine Rives, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juillet 2025.

Le rapporteur,

Antoine Rives

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24BX03021


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX03021
Date de la décision : 01/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Antoine RIVES
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : NAKACHE-HAARFI

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-01;24bx03021 ?
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