Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner la commune de Saint-Denis à lui verser la somme de 82 479 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de la chute dont il a été victime le 22 avril 2016 dans l'enceinte du Petit Marché de la commune de Saint-Denis.
Par un jugement n° 2001423 du 6 avril 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 juillet 2023 et le 10 décembre 2024,
M. B..., représenté par Me Kichenin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2001423 du 6 avril 2023 ;
2°) de condamner la commune de Saint-Denis à lui verser la somme de 76 934,50 euros en réparation de ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Denis la somme de 11 355 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la preuve du lien de causalité entre l'ouvrage public et son dommage est apportée par le rapport d'expertise ; il a glissé le 22 avril 2016 sur les détritus ayant recouvert une grille d'évacuation du marché couvert de la commune de Saint-Denis, ce qui lui a causé plusieurs fractures et entorses nécessitant une convalescence ;
- la commune n'a jamais démontré que l'ouvrage faisait l'objet d'un entretien normal, son assureur ayant au contraire inversé la charge de la preuve ; l'accumulation des détritus sur la grille d'évacuation est imputable à l'agent chargé de l'entretien, et caractérise un entretien anormal de l'ouvrage ;
- l'obstacle rencontré excédait par sa nature et sa localisation celui qu'un usager normalement attentif doit s'attendre à rencontrer, dès lors qu'il est anormal de trouver des détritus entassés sur une grille d'évacuation, et que l'agent municipal a précisément agi à l'encontre de sa mission d'entretien ;
- il justifie d'un déficit fonctionnel temporaire partiel qui peut être évalué, sur la base de 30 euros par jour de déficit total, à 3'262,50 euros selon les classes successives retenues par l'expert ;
- il a enduré des souffrances évaluées à 2,5/7 par l'expert, qui peuvent être évaluées à hauteur de 15'000 euros, tenant compte notamment de la mauvaise foi persistante de l'assureur et des angoisses induites ;
- il a dû recourir à l'aide d'une tierce personne pour une assistance active quotidienne, dont le coût est évalué à 8'448 euros sur la base de 33 euros par heure, en raison d'une impotence fonctionnelle nécessitant un fauteuil, des transferts assistés et une aide à la vie courante ;
- il présente un déficit fonctionnel permanent fixé à 8'%, soit un préjudice indemnisable de 9'600 euros ;
- il subit un préjudice d'agrément qui peut être évalué à 2'000 euros, en raison de l'impossibilité de pratiquer le tennis, le golf et la randonnée, activités qu'il exerçait régulièrement et qu'il a dû cesser en raison de ses séquelles ;
- il justifie de pertes de gains professionnels à hauteur de 28'124 euros, en raison de la fermeture de son cabinet du 25 avril au 30 novembre 2016, sans remplaçant, et d'une baisse d'activité ultérieure liée à ses séquelles ; cette perte est démontrée par les déclarations 2035 certifiées par AGAPS, faisant apparaître un revenu de 43'035 euros en 2015, contre 14'911 euros en 2016 et 30'082 euros en 2017 ;
- il a subi un préjudice moral qui peut être évalué à 10'000 euros, en raison du refus persistant de reconnaissance par la commune de sa responsabilité et de la résistance abusive de l'assureur, malgré les relances et interventions effectuées ;
- il a exposé 3'904 euros de frais d'expertise judiciaire et d'assistance (expert, médecin conseil, avocat en référé), 500 euros de frais de soins et déplacements, et 1'640,50 euros d'honoraires d'avocat pour la procédure au fond.
Par un mémoire enregistré le 4 janvier 2024, la caisse générale de sécurité sociale de
La Réunion a indiqué ne pas souhaiter intervenir dans l'instance.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 août 2024, la commune de Saint-Denis, représentée par Me Dubois, conclut au rejet et la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.
Elle fait valoir que :
- il n'est pas établi que l'ouvrage public soit à l'origine du dommage, aucun lien de causalité certain n'étant démontré entre la chute alléguée et l'état de la grille d'évacuation ou des détritus invoqués, en l'absence de photographie, de témoin oculaire de la scène, et compte tenu des contradictions entre les déclarations produites ; l'allégation selon laquelle un agent communal aurait accumulé les détritus sur la grille n'est étayée par aucun élément probant ; la matérialité de la chute ne permet pas, à elle seule, d'établir que l'obstacle excédait par sa nature ou son importance ceux que doit anticiper un usager normalement attentif dans un marché alimentaire ; le rapport d'expertise ne conclut nullement à un lien de causalité entre l'ouvrage public et le dommage ;
- la jurisprudence administrative confirme que la présence ponctuelle de détritus ou d'eau au sol dans un marché ne constitue pas un défaut d'entretien normal, même en l'absence de dispositif d'évacuation ou de signalisation, et que l'usager doit s'attendre à de tels aléas ;
- l'accident est survenu alors que le marché était en cours de nettoyage, ce qui ne saurait être considéré comme un défaut d'entretien, dès lors que l'ouvrage faisait précisément l'objet d'un entretien normal au moment des faits ;
- en tout état de cause, M. B... a commis une faute d'inattention, en marchant dans une zone qu'il pouvait contourner et en ne prêtant pas suffisamment attention à son cheminement, alors même que la configuration du marché et les circonstances appelaient à une vigilance accrue ; cette faute d'imprudence est exclusivement à l'origine de sa chute ;
- dans l'hypothèse où sa responsabilité viendrait à être retenue, les sommes réclamées par M. B... devraient, pour chaque poste de préjudice, être ramenées à de plus justes proportions ;
- s'agissant du déficit fonctionnel temporaire, l'indemnisation ne doit pas excéder une base de 10 euros par jour de déficit total, soit un total de 1'087,50 ;
- l'indemnisation des souffrances endurées, évaluées par l'expert à 2,5/7, ne doit pas excéder 1 200 euros ;
- la demande de 8'448 euros au titre de l'assistance par une tierce personne est injustifiée en l'absence de toute preuve de l'aide effectivement reçue et une éventuelle indemnisation devrait être fondée sur une base de 10 euros de l'heure, soit 2'560 euros pour
256 heures ;
- s'agissant de l'atteinte à l'intégrité physique et psychique (AIPP) évaluée à 8 %, une base de 1'000 euros par point doit être retenue, soit une indemnisation qui ne peut excéder
8'000 euros ;
- le préjudice d'agrément n'est pas établi faute de justificatifs de pratique régulière du tennis, du golf ou de la randonnée, et les affirmations du requérant sont contredites ou non corroborées par l'expert, qui ne conclut à aucune contre-indication, de sorte que cette demande doit être intégralement rejetée ;
- s'agissant de la demande relative à la perte de gains professionnels, aucun document relatif aux années 2013 et 2014 n'est produit pour évaluer l'évolution réelle des revenus, aucune analyse comptable indépendante n'a été versée, et l'augmentation des revenus en 2017 démontre une reprise d'activité, excluant l'imputabilité exclusive à l'accident ;
- le préjudice moral n'a jamais été évoqué devant l'expert, et le montant réclamé est disproportionné ;
- les frais d'expertise judiciaire relèvent des dépens et les frais liés à l'assistance d'un avocat pour la procédure au fond relèvent de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dubois, représentant la commune de Saint-Denis.
Considérant ce qui suit :
1. Le 22 avril 2016, aux alentours de 11 h 30, alors qu'il se trouvait dans l'enceinte du marché couvert de Saint-Denis à La Réunion, M. B... a été victime d'une chute. Pris en charge sur place par les sapeurs-pompiers, il a été autorisé à regagner son domicile après un premier examen médical. Des examens radiologiques réalisés le jour même ont mis en évidence une fracture de la base du cinquième métatarsien gauche ainsi qu'un traumatisme de l'épaule gauche. Il a été placé en arrêt de travail, a suivi des séances de rééducation et a conservé des séquelles fonctionnelles, notamment une limitation des amplitudes articulaires. Par une ordonnance du 17 octobre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion a ordonné une expertise médicale aux fins d'évaluer les préjudices résultant de cet accident. Après le dépôt du rapport d'expertise le 10 mars 2020 et le rejet implicite de sa réclamation indemnitaire, M. B... a saisi le tribunal administratif de La Réunion d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Denis à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis. Il relève appel du jugement du 6 avril 2023 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la responsabilité :
2. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit de l'absence de défaut d'entretien normal, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.
3. En l'espèce, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, les éléments versés à l'instruction, notamment les attestations de témoins, le rapport d'intervention du SDIS et le rapport d'expertise médicale du 10 mars 2020, établissent suffisamment les circonstances de l'accident subi par M. B... le 22 avril 2016, lequel a chuté en glissant sur une grille d'évacuation située dans l'enceinte du marché couvert de Saint-Denis, rendue humide et glissante par la présence d'une flaque d'eau mêlée de détritus végétaux. Cet accident lui a occasionné une fracture de la base du cinquième métatarsien gauche ainsi qu'un traumatisme de l'épaule gauche, à l'origine d'un arrêt de travail prolongé. Il résulte également de l'instruction que cet accident s'est produit alors que les agents municipaux procédaient aux opérations habituelles de nettoyage du marché, peu de temps après la fin des activités commerciales de la matinée. La présence résiduelle de détritus en cours de ramassage, dans un tel contexte, est au nombre des obstacles qu'un piéton normalement vigilant doit s'attendre à rencontrer en accédant à un marché lors de l'enlèvement des étals alimentaires et ne caractérise pas un défaut d'entretien normal du marché couvert. Au surplus, alors que l'un des témoins mentionne la présence d'un balai dans l'allée empruntée, cette circonstance aurait dû alerter M. B... sur la réalisation d'opérations de nettoyage en cours à cet endroit, alors au demeurant que l'intéressé aurait indiqué à ce témoin qu'il avait trébuché sur ce balai avant de glisser. Dans ces conditions, l'accident litigieux trouve son origine exclusive dans l'imprudence du requérant. Il suit de là que c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande de M. B... tendant à ce que la responsabilité de la commune de Saint-Denis soit engagée à raison d'un défaut d'entretien normal.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
4. M. B..., qui est la partie perdante, n'est pas fondé à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à sa charge la somme demandée par la commune de Saint-Denis au titre des frais exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Saint-Denis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à la commune de Saint-Denis et à la caisse générale de sécurité sociale de La Réunion.
Délibéré après l'audience du 17 juin 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Sabrina Ladoire, présidente-assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juillet 2025.
Le rapporteur,
Antoine A...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX01860