Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... veuve B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 23 mars 2015 lui concédant une pension de retraite ainsi que la décision du 1er mai 2017 lui accordant une prestation de retraite additionnelle de la fonction publique, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de reconstituer sa carrière en fixant sa pension civile de retraite à l'indice 1048, et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 135 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.
Par un jugement n° 1900950 du 9 juin 2022, le tribunal administratif de Limoges a condamné l'Etat à verser à Mme A... la somme de 6 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle a subi et a rejeté le surplus de ses demandes.
Mme A... a saisi le Conseil d'Etat d'un pourvoi dirigé contre ce jugement.
Par une décision n° 466551 du 9 juin 2023, le Conseil d'Etat a renvoyé à la cour administrative d'appel de Bordeaux le soin de statuer sur l'appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Limoges du 9 juin 2022 en tant qu'il a statué sur les conclusions relatives au défaut de report et de paiement de ses congés et de versement de la garantie individuelle du pouvoir d'achat, a annulé ce jugement en tant qu'il a statué sur les conclusions tendant à l'annulation du titre de prestation de retraite additionnelle de la fonction publique en renvoyant l'affaire dans cette mesure au tribunal administratif de Limoges, et a rejeté le surplus des conclusions du pourvoi.
Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :
Par des mémoires enregistrés les 7 et 21 mars 2025, Mme A..., représentée par Me Andrault, demande à la cour :
1°) d'annuler la décision implicite par laquelle l'Etat a refusé de lui verser une indemnité compensatrice des congés annuels non pris pour un montant de 30 000 euros ainsi qu'une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice moral subi ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa demande n'est pas prescrite dans la mesure où la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie a été reconnue seulement le 20 avril 2016, soit trois ans après sa mise à la retraite ;
- en vertu de l'article 31 paragraphe 2 de la Charte reconnaissant le droit de tout travailleur à une période annuelle de congés et de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 tels qu'explicités par les jurisprudences de la Cour de justice de l'Union européenne, elle a conservé un droit, durant le congé de longue durée dont elle a bénéficié du 1er janvier 2009 au 28 janvier 2013, à quatre semaines de congés payés par an ; elle est ainsi en droit de solliciter une indemnité représentative de ses congés annuels non pris ;
- dès lors que le congé de longue durée a été reconnu imputable au service par un arrêté du 20 avril 2016 et qu'elle a été privée de la possibilité de prendre ses congés annuels à l'issue de ce congé maladie en raison de sa mise à la retraite, elle a droit à une indemnité compensatrice de congés payés d'un montant de 10 000 euros par an eu égard à la grille indiciaire applicable à sa situation ;
- elle a également droit au versement de la garantie de maintien du pouvoir d'achat au titre des années 2009 à 2013 ;
- en outre, une somme de 5 000 euros lui sera allouée en réparation d'un préjudice moral.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 mars 2025, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, la créance dont se prévaut Mme A... au titre des congés annuels non pris était prescrite à la date à laquelle elle a présenté sa réclamation ; à supposer qu'il existerait un reliquat à verser, le montant de l'indemnisation ne pourrait être calculé que par application d'un taux journalier correspondant au trentième de son traitement net ;
- la requérante ne conteste pas les versements qu'elle a perçus en septembre 2013 et septembre 2014 au titre de la garantie de maintien du pouvoir d'achat.
Par une ordonnance du 10 mars 2025, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 25 mars 2025.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;
- la loi n° 83-636 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 ;
- le décret n° 2008-539 du 6 juin 2008 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Valérie Réaut,
- et les conclusions de M. Vincent Bureau, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., entrée dans les cadres de la police nationale en 1976, a été placée en congé de longue durée du 19 janvier 2009 au 28 janvier 2013. Admise à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 18 avril 2013, une pension civile de retraite lui a été concédée par un arrêté du 23 mars 2015, ainsi qu'une prestation de retraite additionnelle de la fonction publique par une décision du 24 mai 2017. Par un arrêté du 20 avril 2016, son congé de longue durée a été reconnu comme imputable au service. Par des courriers des 12 et 14 juin 2017, elle a demandé au ministre de l'intérieur et au ministre de l'économie, des finances et de la relance de réviser son décompte de carrière et de prendre en compte cette révision dans le calcul de sa prestation de retraite additionnelle de la fonction publique. Elle a ensuite demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 23 mars 2015 lui concédant une pension de retraite ainsi que la décision du 1er mai 2017 lui accordant une prestation de retraite additionnelle de la fonction publique, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de reconstituer sa carrière en fixant sa pension civile de retraite à l'indice 1048, et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 135 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis. Par un jugement du 9 juin 2022, le tribunal administratif de Limoges a condamné l'Etat à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de son préjudice moral et a rejeté le surplus de ses conclusions. Mme A... s'est pourvue en cassation contre ce jugement. Par une décision du 9 juin 2023, le Conseil d'Etat a renvoyé à la cour administrative d'appel de Bordeaux le soin de statuer sur les conclusions dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Limoges du 9 juin 2022 en tant qu'il a statué sur les demandes de Mme A... relatives au droit à l'indemnisation de ses congés annuels non pris pour cause de maladie ainsi qu'au droit au versement de la garantie individuelle du pouvoir d'achat.
Sur l'étendue du litige :
2. Comme il vient d'être dit, aux termes de sa décision du 9 juin 2023, le Conseil d'Etat a renvoyé à la cour administrative d'appel de Bordeaux le soin de statuer en appel sur les conclusions dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Limoges du 9 juin 2022 en tant seulement qu'il a statué sur les demandes de Mme A... tendant à la reconnaissance d'un droit au paiement de congés annuels non pris et d'un droit au versement de la garantie individuelle du pouvoir d'achat. Le litige soumis à la cour est ainsi limité à cet examen et ne porte pas sur la demande de Mme A... tendant à la réparation de son préjudice moral, à laquelle le tribunal a au demeurant fait droit.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le droit à indemnisation des congés annuels non pris du fait d'un congé de maladie :
3. D'une part, les dispositions de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail, telles qu'elles sont interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, font obstacle à ce que le droit au congé annuel payé qu'un travailleur n'a pas pu exercer pendant une certaine période parce qu'il était placé en congé de maladie pendant tout ou partie de cette période s'éteigne à l'expiration de celle-ci. Le droit au report des congés annuels non exercés pour ce motif n'est toutefois pas illimité dans le temps. En l'absence de dispositions législatives ou réglementaires de droit interne fixant ainsi une période de report des congés payés qu'un agent s'est trouvé, du fait d'un congé maladie, dans l'impossibilité de prendre au cours d'une année civile donnée, le juge peut en principe considérer, afin d'assurer le respect des dispositions de la directive, que ces congés peuvent être pris au cours d'une période de quinze mois après le terme de cette année. Toutefois ce droit au report s'exerce, en l'absence de dispositions, sur ce point également, dans le droit national, dans la limite de quatre semaines prévues par cet article 7. De même, en l'absence de disposition législative ou réglementaire plus favorable, les droits à congés acquis par un agent public au titre d'une période de référence ne lui ouvrent droit à indemnisation que dans la même limite de 20 jours par an.
4. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat applicable à la période en cause : " Tout fonctionnaire de l'Etat en activité a droit, dans les conditions et sous les réserves précisées aux articles ci-après, pour une année de service accompli du 1er janvier au 31 décembre, à un congé annuel d'une durée égale à cinq fois ses obligations hebdomadaires de service (...). ". Aux termes de l'article 5 du même décret : " Le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par le chef de service. / Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ". Ces dispositions réglementaires, qui ne prévoient le report des congés non pris au cours d'une année de service qu'à titre exceptionnel, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'un congé de maladie, sont, dans cette mesure, incompatibles avec les dispositions de l'article 7 de la directive citée au point précédent et, par suite, illégales. Il y a donc lieu de considérer que Mme A... bénéficie d'un droit au report des congés annuels non pris ou bien d'un droit à une indemnisation de ces congés dans les conditions rappelées au point précédent.
5. Enfin, le premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics dispose que : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Lorsqu'un litige oppose un agent public à son administration sur le montant des rémunérations auxquelles il a droit et que le fait générateur de la créance se trouve ainsi dans les services accomplis par l'intéressé, la prescription est acquise au début de la quatrième année suivant chacune de celles au titre desquelles ses services auraient dû être rémunérés.
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a été placée en congé de longue durée du 19 janvier 2009 au 27 janvier 2013. Par un arrêté du 13 février 2013, elle a été mise à la retraite à compter du 18 avril 2013 mais, à la suite du retrait de cette décision, elle a repris ses fonctions de novembre 2013 à février 2015. A supposer, comme elle le prétend, qu'elle était titulaire d'un droit à indemnisation des congés annuels non pris pour cause de maladie, acquis au titre des années 2009, 2010, 2011 et 2012, alors pourtant que la reprise de ses fonctions lui avait ouvert la possibilité d'obtenir le report d'une partie de ces congés, les créances de l'Etat à son égard, correspondant à l'indemnisation des droits à congés annuels acquis au 31 décembre des années 2009, 2010, 2011 et 2012 étaient respectivement prescrites aux 1er janvier 2014, 1er janvier 2015, 1er janvier 2016 et 1er janvier 2017, soit avant qu'elle demande au ministre de l'intérieur, par un courrier du 15 mai 2019, de lui reconnaitre un droit à indemnisation de ses droits à congés annuels non pris.
7. Par ailleurs, si Mme A... se prévaut de ce que son congé de longue durée a été reconnu imputable au service seulement le 20 avril 2016, une telle décision demeure sans incidence sur les droits à congés annuels acquis au cours du congé de maladie et par suite, sur le fait générateur de la créance, de sorte qu'elle n'a pas pu interrompre le délai de prescription. Il en est de même du second courrier auquel se réfère la requérante, en date du 25 juillet 2016, dont l'objet est étranger au fait générateur de sa créance. C'est ainsi à bon droit que le ministre de l'intérieur oppose la prescription quadriennale à la demande d'indemnisation de Mme A....
En ce qui concerne le droit au versement de la garantie au maintien du pouvoir d'achat :
8. Aux termes de l'article 1er du décret du 6 juin 2008 relatif à l'instauration d'une indemnité dite de garantie individuelle du pouvoir d'achat : " Une indemnité dite de garantie individuelle du pouvoir d'achat est attribuée dans les conditions et selon les modalités fixées par le présent décret aux fonctionnaires mentionnés à l'article 2 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée (...) ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " Les agents publics mentionnés à l'article 1er du présent décret doivent détenir, s'agissant des fonctionnaires, magistrats ou militaires, un grade dont l'indice sommital est inférieur ou égal à la hors-échelle B (...) ". L'article 3 de ce décret précise que : " La garantie individuelle du pouvoir d'achat résulte d'une comparaison établie entre l'évolution du traitement indiciaire brut (TIB) détenu par l'agent sur une période de référence de quatre ans et celle de l'indice des prix à la consommation (IPC hors tabac en moyenne annuelle) sur la même période. Si le TIB effectivement perçu par l'agent au terme de la période a évolué moins vite que l'inflation, un montant indemnitaire brut équivalent à la perte de pouvoir d'achat ainsi constatée est versé à chaque agent concerné. "
9. S'il ressort des pièces du dossier que, dans son courrier du 15 mai 2019, Mme A... a sollicité le versement de la garantie individuelle du pouvoir d'achat au titre de la période courant du 19 janvier 2009 au 27 janvier 2013 durant laquelle elle a bénéficié d'un congé de longue durée reconnu imputable au service, elle n'apporte aucun élément de nature à établir qu'elle était éligible à son versement dans les conditions posées par les dispositions précitées, la seule circonstance que cette indemnité lui a été servie au titre des années 2013 et 2014 ne pouvant en attester. Dans ces conditions, le refus qui a été opposé à sa demande tendant au versement de la garantie individuelle de pouvoir d'achat au titre des années 2009 à 2012 ne peut être considéré comme illégal.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le premier juge a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de lui verser l'indemnité compensatrice des congés annuels non pris et la garantie individuelle du pouvoir d'achat.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... veuve B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 10 juin 2025 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juillet 2025.
La rapporteure,
Valérie RéautLe président
Laurent Pouget
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX01658