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01/07/2025 | FRANCE | N°23BX01206

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 01 juillet 2025, 23BX01206


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner le centre hospitalier universitaire (CHUR) de La Réunion à lui verser la somme globale de 143 811 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de la mesure de suspension de fonctions dont il a fait l'objet le 14 octobre 2016.



Par un jugement n° 2100561 du 30 janvier 2023, le trib

unal administratif de La Réunion a rejeté ses demandes.



Procédure devant la cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner le centre hospitalier universitaire (CHUR) de La Réunion à lui verser la somme globale de 143 811 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de la mesure de suspension de fonctions dont il a fait l'objet le 14 octobre 2016.

Par un jugement n° 2100561 du 30 janvier 2023, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 mai 2023, M. B..., représenté par Me Maillot, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de la Réunion à lui verser une somme globale de 143 811 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'illégalité de la décision du 14 octobre 2016, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de la Réunion la somme

de 2 170 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'illégalité de la décision par laquelle le directeur d'un centre hospitalier suspend un praticien constitue une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ;

- le retrait de la décision de suspension intervenu le 15 décembre 2016 démontre le caractère mal-fondé de la décision du 14 octobre 2016 ; aucune procédure n'a été diligentée par le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) ;

- la décision du 14 octobre 2016 est insuffisamment motivée ; le rapport du 13 octobre 2016 visé par la décision ne le mentionne pas explicitement, seul le nom d'une autre personne y est lisible, et aucune situation d'urgence n'y est décrite ;

- cette décision est entachée d'une erreur de fait, aucune faute ne pouvant lui être reprochée ; il n'est pas à l'origine de la dégradation de l'ambiance du service, contrairement aux docteurs Hurt et Estève, lesquels ont précipité le départ de deux praticiens ; ses qualités humaines et professionnelles sont reconnues ;

- le CHUR a également omis d'informer le CNG, ce qui constitue un autre motif d'illégalité de la suspension ;

- il est fondé à obtenir une indemnité correspondant au préjudice qu'il a réellement subi du fait de la mesure illégale dont il a été l'objet ;

- son préjudice financier doit être déterminé en prenant en compte les traitements et primes dont il avait une chance sérieuse de bénéficier, déduction faite des gains dont il aurait pu bénéficier au cours de la période concernée, notamment les revenus de remplacement ainsi que les salaires et rémunérations qu'il aurait pu se procurer par son travail ; en l'espèce, il a mis deux ans à rétablir une activité libérale pérenne, du fait de l'atteinte à sa réputation liée à la mesure de suspension illégale ; il est fondé à demander une somme de 43 811 euros à ce titre ;

- son préjudice moral s'élève à la somme de 100 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 mars 2025, le centre hospitalier universitaire de La Réunion conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable, faute pour le requérant d'établir la date de dépôt de sa demande indemnitaire préalable ;

- les prétentions indemnitaires de M. B... doivent être rejetées dès lors que la décision du 14 octobre 2016 n'est pas illégale ; le CNG a bien été informé de la mesure ; la circonstance que l'enquête administrative ait été menée en moins de deux mois et ait abouti à une abrogation ne permet pas de conclure à l'illégalité de la mesure de suspension ;

- le requérant n'établit pas avoir subi un préjudice moral lié à une atteinte à sa réputation ;

- la somme demandée au titre du préjudice financier est disproportionnée ; ce préjudice ne saurait être calculé en comparant les résultats nets annuels de son activité, et il ressort de l'attestation comptable produite par le requérant que les recettes de l'année 2016 sont équivalentes à celles de l'année 2015, et que seule l'année 2017 présente une baisse, limitée à un peu plus de 20 000 euros, soit une diminution d'environ 10 % par rapport à l'année précédente ; en outre, aucun élément ne permet de démontrer que la baisse des recettes en 2017 serait en lien avec la mesure de suspension, limitée à deux mois, intervenue en fin d'année 2016, laquelle n'a fait l'objet d'aucune publicité particulière susceptible d'affecter la réputation ou les compétences professionnelles de l'intéressé ; la somme demandée au titre du préjudice moral n'est pas justifiée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Antoine Rives,

- et les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., praticien hospitalier à plein temps au sein du service de cardiologie du centre hospitalier universitaire de La Réunion du 18 octobre 2007 au 8 septembre 2019, a fait l'objet, par un arrêté du 14 octobre 2016 de la directrice de l'établissement, d'une mesure de suspension de fonctions à titre conservatoire prise sur le fondement de l'article

L. 6143-7 du code de la santé publique. Cette mesure a été levée par un nouvel arrêté en date du 15 décembre 2016. M. B... a saisi le tribunal administratif de La Réunion d'une demande tendant à l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de cette mesure. Il relève appel du jugement n° 2100561 du 30 janvier 2023 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

2. Il résulte de l'article R. 421-1 du code de justice administrative qu'en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d'une somme d'argent est irrecevable et peut être rejetée pour ce motif même si, dans son mémoire en défense, l'administration n'a pas soutenu que cette requête était irrecevable, mais seulement que les conclusions du requérant n'étaient pas fondées. En revanche, les termes du second alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative n'impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l'existence d'une décision de l'administration s'apprécie à la date de son introduction. Cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l'administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle. Par suite, l'intervention d'une telle décision en cours d'instance régularise la requête, sans qu'il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l'administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l'absence de décision.

3. Il résulte de l'instruction que M. B... a adressé au centre hospitalier universitaire de La Réunion une réclamation préalable tendant à la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la mesure de suspension prononcée à son encontre, laquelle a été réceptionnée par l'établissement le 31 août 2021. Le silence gardé sur cette demande a fait naître, en cours d'instance devant le tribunal administratif, une décision implicite de rejet qui a lié le contentieux. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier universitaire de La Réunion, tirée de l'absence de décision administrative préalable, ne peut qu'être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité de la décision du 14 octobre 2016 :

4. S'il appartient, en cas d'urgence, au directeur général de l'agence régionale de santé compétent de suspendre, sur le fondement de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, le droit d'exercer d'un médecin qui exposerait ses patients à un danger grave, le directeur d'un centre hospitalier, qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du même code, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut toutefois, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, décider lui aussi de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné.

5. Pour édicter la décision de suspension contestée du 14 octobre 2016 à l'encontre de

M. B..., praticien hospitalier, la directrice du centre hospitalier universitaire de La Réunion s'est fondée sur plusieurs signalements internes, en particulier les courriels des docteurs Estève, Hurt et Pierre, tous trois en fonctions au sein du service de cardiologie, faisant état de plusieurs incidents récents impliquant directement l'intéressé. Ces signalements, datés des 11 et 13 octobre 2016, relatent notamment, s'agissant du mois d'août 2016, l'annulation d'une coronarographie pour un patient fébrile atteint d'une bronchite, sans que M. B... ait pris contact ni se soit informé de l'état du patient. Ils mentionnent également, pour la journée du 23 septembre, le refus de l'intéressé de réaliser un examen sur un patient du service public hospitalier au motif qu'il n'avait pas été averti, alors même qu'il se serait ensuite emporté de ne pas avoir pu réaliser, dans l'après-midi, un examen sur un de ses patients relevant de son activité libérale, qui avait quitté l'établissement de sa propre initiative. Pour la journée du 4 octobre, ils rapportent l'interruption prématurée d'une vacation de coronarographie après seulement trois actes, sans participation de M. B... à l'activité du service durant l'après-midi, en dépit d'une liste d'attente en échographie cardiaque. Ils évoquent enfin, pour la journée du 11 octobre, la sortie d'un patient imposée aux internes, contre l'avis du médecin en charge et sans concertation, alors qu'un maintien avait été décidé en raison de la nécessité de poursuivre les examens. Ces signalements dénoncent en outre une gestion unilatérale des lits d'hospitalisation au profit des patients à coronarographier suivis par l'intéressé, empêchant une répartition équitable entre praticiens, ainsi qu'une implication perçue comme insuffisante dans le fonctionnement collectif du service. Toutefois, les nombreuses attestations versées à l'instruction par M. B..., émanant de praticiens et de personnels paramédicaux, qui saluent sa compétence clinique et son professionnalisme, font également apparaître l'existence de tensions relationnelles persistantes au sein du service, dont l'origine ne peut être exclusivement imputée à l'intéressé, et mettent directement en cause l'attitude des praticiens à l'origine des signalements, décrits comme clivants et hostiles. Dans ces circonstances, les seuls trois signalements produits, qui ne sont corroborés par aucun constat objectif et qui ne révèlent aucun manquement clinique grave et répété, ne suffisent pas à établir l'existence de circonstances exceptionnelles de nature à compromettre la continuité du service ou la sécurité des patients. Dès lors, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le requérant est fondé à soutenir que la décision de la directrice du centre hospitalier universitaire du 14 octobre 2016, le suspendant à titre conservatoire de ses fonctions, était entachée d'illégalité.

6. Il en résulte, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré du défaut de motivation, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a estimé que la mesure de suspension prise à son encontre le 14 octobre 2016 était fondée.

En ce qui concerne les préjudices :

7. En premier lieu, si M. B... soutient avoir subi, du fait de la mesure de suspension litigieuse, une perte de revenus liée à son activité libérale, il ne produit à l'appui de cette allégation qu'une attestation de son expert-comptable faisant état d'une baisse des recettes et du résultat net pour les années 2016 et 2017 par rapport à 2015. Toutefois, alors qu'avait été reproché à M. B... le volume particulièrement important de son activité libérale, ce document ne permet pas d'établir que cette diminution serait en lien direct et certain avec la suspension intervenue en octobre 2016, laquelle n'a produit ses effets que pendant une période de deux mois, à l'exclusion d'autres causes d'ordre personnel ou conjoncturel. Dans ces conditions, le préjudice financier invoqué par le requérant ne peut être retenu.

8. En second lieu, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. B... du fait de son éviction du service pendant une durée de deux mois, en l'évaluant à la somme de 2 000 euros.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier universitaire de La Réunion doit être condamné à verser une somme de 2 000 euros à M. B.... Cette somme portera intérêts à compter de la réception de sa demande préalable le 13 août 2021, et les intérêts seront capitalisés au 13 août 2022 et à chaque échéance ultérieure.

Sur les frais liés au litige :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de La Réunion une somme de 1 500 euros à verser à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2100561 du tribunal administratif de La Réunion est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier universitaire de La Réunion est condamné à verser à M. B... une somme de 2 000 euros. Cette somme portera intérêts à compter de la réception de sa demande préalable le 13 août 2021, et les intérêts seront capitalisés au 13 août 2022 et à chaque échéance ultérieure.

Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de La Réunion versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au centre hospitalier universitaire de La Réunion. Copie en sera adressée au Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière.

Délibéré après l'audience du 17 juin 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Sabrina Ladoire, présidente assesseure,

M. Antoine Rives, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er juillet 2025.

Le rapporteur,

Antoine Rives

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23BX01206 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX01206
Date de la décision : 01/07/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Antoine RIVES
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : MAILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-01;23bx01206 ?
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