Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme et M. A... et D... B... ont demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision du 17 novembre 2020 par laquelle la directrice générale de l'établissement public foncier (EPF) de Guadeloupe a exercé le droit de préemption urbain en vue d'acquérir la parcelle cadastrée section AM n° 124 sur le territoire de la commune de Petit Bourg ainsi que la décision du 19 janvier 2021 rejetant le recours gracieux formé à son encontre.
Par un jugement n° 2100247 du 15 décembre 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé ces deux décisions.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 février 2023, un mémoire en production de pièces enregistré le 4 juillet 2024, non communiqué, et un mémoire enregistré le 25 octobre 2024, l'EPF de Guadeloupe et la commune de Petit-Bourg, représentés par Me Waltuch, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 15 décembre 2022 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de la Guadeloupe ;
3°) de mettre à la charge de M. et Mme B..., sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 000 euros à verser à la commune de Petit-Bourg et la même somme à verser à l'EPF de Guadeloupe.
Ils soutiennent que :
- c'est à tort que le tribunal a considéré que la décision en litige du 17 novembre 2020 n'était pas motivée dès lors que la nature de l'opération en vue de laquelle le droit de préemption est exercé est clairement indiqué, à savoir mettre en œuvre le programme de renouvellement urbain ;
- c'est également à tort que le tribunal a considéré que la réalité du projet et son caractère d'intérêt général n'étaient pas établis à la date à laquelle le droit de préemption a été exercé ; la commune a engagé dès 2011 une politique active de renouvellement urbain qui s'est traduite par l'approbation de plusieurs délibérations, dont celle du 5 août 2015 qui vise le réaménagement de la rue Victor Schoelcher à la perpendiculaire de laquelle se trouve la rue Gerville Réache, bordant la parcelle en cause, elle-même située en face de la mairie ; ce terrain fait bien partie de ce programme de renouvellement urbain, d'ailleurs repris par les orientations majeures du projet d'aménagement et de développement durables du plan local d'urbanisme approuvé le 28 février 2019, dont l'une décline l'objectif tendant à la revitalisation du centre-bourg par des " actions de reconquêtes (..) [pour] accueillir un niveau d'équipements et de services conférant au bourg une dimension urbaine moderne " ; le bien répond également aux objectifs de la convention conclue avec l'EPF de Guadeloupe en vue de la réappropriation des dents creuses du centre urbain et l'amélioration du niveau des équipements publics, approuvée par une délibération du 19 mai 2016 ; le projet de construction d'un bâtiment en vue d'accueillir une partie des services municipaux jusque-là installés dans un immeuble en location est un projet évoqué dans le courrier adressé à l'EPF le 26 octobre 2020, soit avant l'exercice du droit de préemption.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 septembre 2024, M. et Mme B..., représentés par Me Armand, concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'EPF de Guadeloupe et de la commune de Saint-Pierre sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- aucun des moyens de la requête d'appel n'est fondé ;
- la décision du 17 novembre 2020 est bien illégale :
- aucune des pièces du dossier n'établit que la commune de Petit-Bourg a exercé le droit de préemption dans le délai ni que le prix a été payé dans le délai de quatre mois suivant la réception de la déclaration d'intention d'aliéner ;
- l'EPF de Guadeloupe ne justifie pas de la réalité du projet au titre duquel il exerce le droit de préemption ;
- l'EPF de Guadeloupe devait transmettre à la commune leur recours gracieux exposant le projet en vue duquel ils se sont portés acquéreurs, afin qu'elle se prononce sur celui-ci ;
- l'exercice du droit de préemption leur a causé un préjudice considérable au regard de l'importance du projet qu'ils envisagent de réaliser.
Par une ordonnance du 6 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 25 octobre 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Valérie Réaut,
- les conclusions de M. Vincent Bureau, rapporteur public,
- et les observations de Me Huck, représentant l'EPF de Guadeloupe et la commune de Petit-Bourg.
Considérant ce qui suit :
1. Les époux B... se sont portés acquéreurs d'un terrain nu appartenant aux consorts C..., situé rue Gerville Réache à Petit-Bourg, au prix de 30 200 euros. Le maire de cette commune a réceptionné le 6 octobre 2020 la déclaration d'intention d'aliéner établie par l'office notarial du centre d'affaires de Bergevin portant sur cette parcelle cadastrée section AM n° 124, d'une superficie de 151 m². Par une décision du 17 novembre 2020, la directrice générale de l'établissement public foncier (EPF) de Guadeloupe, agissant par délégation du maire de Petit Bourg, a exercé le droit de préemption urbain en vue d'acquérir ce terrain. Saisi par les acquéreurs évincés, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé cette décision et celle du 19 janvier 2021 rejetant le recours gracieux formé à son encontre par les époux B.... Par la présente requête, l'EPF de Guadeloupe relève appel de ce jugement.
Sur les moyens d'annulation retenus par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, à préserver la qualité de la ressource en eau et à permettre l'adaptation des territoires au recul du trait de côte, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...)./ Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat ou, en l'absence de programme local de l'habitat, lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux, la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération. Il en est de même lorsque la commune a délibéré pour délimiter des périmètres déterminés dans lesquels elle décide d'intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine. ". Aux termes de l'article L. 300-1 du même code, dans sa version applicable au présent litige : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations. (...) ".
3. Il résulte des dispositions précitées que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. Lorsque la loi autorise la motivation par référence à une délibération qui a défini un périmètre déterminé dans lequel l'autorité compétente décide d'intervenir pour l'aménager et améliorer sa qualité urbaine, les exigences résultant de l'article L. 210-1 doivent être regardées comme remplies lorsque la décision de préemption se réfère à une délibération fixant le contenu ou les modalités de mise en œuvre de ce projet et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption. A cette fin, l'autorité compétente peut soit indiquer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement à laquelle la décision de préemption participe, soit se borner à renvoyer à la délibération si celle-ci permet d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement poursuivie, eu égard notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
4. La décision en litige du 17 novembre 2020 indique notamment que l'exercice du droit de préemption sur la parcelle cadastrée section AM n° 224 procède du programme de renouvellement urbain de la commune de Petit-Bourg, dont les pièces du dossier révèlent qu'il a été adopté par une délibération du 21 novembre 2014. Elle précise également qu'il s'est agi en l'occurrence, dans le cadre de l'exécution de ce programme, d'assurer la revitalisation du centre-ville de la commune par la résorption d'une " dent creuse " du centre-bourg. En se référant à cette opération de renouvellement urbain et à l'objectif qu'elle comporte de résorption des " dents creuses " dans un périmètre comprenant, notamment, la section cadastrale AM à l'intérieur de laquelle se situe la parcelle n° 124 en cause, la décision du 17 novembre 2020 indique ainsi clairement la nature du projet d'ensemble auquel concourt l'exercice du droit de préemption. La réalité de ce projet d'intérêt général est, par ailleurs, établie par une délibération du 19 mai 2016 qui a approuvé une convention " d'assistance foncière " avec l'EPF de Guadeloupe tendant à " mettre à niveau les équipements publics et [à] réhabiliter les espaces de déprises urbaines (dents creuses, ilots urbains déstructurés, habitat délabré,) ". Il s'ensuit que la directrice générale de l'EPF de Guadeloupe qui pouvait, de manière surabondante, préciser qu'il était envisagé de combler la " dent creuse " par un bâtiment abritant des services municipaux, n'a pas fait une inexacte application des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal.
Sur les autres moyens :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme : " Toute aliénation visée à l'article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. Cette déclaration comporte obligatoirement l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée (...) / Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. "
6. Il ressort des pièces du dossier que la commune de Petit-Bourg a accusé réception de la déclaration d'intention d'aliéner établie pour les consorts C... par l'office notarial du centre d'affaires de Bergevin le 6 octobre 2020 et que le droit de préemption a été exercé sur le bien visé par cette déclaration par la directrice générale de l'EPF de Guadeloupe en vertu d'une décision du 17 novembre 2020. Celle-ci a donc été prise dans le délai de deux mois prévu par les dispositions énoncées au point précédent, qui n'ont pas été méconnues.
7. En deuxième lieu, les conditions dans lesquelles est intervenue la vente de la parcelle cadastrée section AM n° 124 conclue entre les consorts C... et l'EPF de Guadeloupe sont sans incidence sur la légalité des décisions attaquées.
8. En troisième lieu, contrairement à ce que les époux B... soutiennent, aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait à la directrice générale de l'EPF de Guadeloupe, habilitée à exercer le droit de préemption pour la commune de Petit-Bourg, de transmettre à celle-ci le recours gracieux qu'ils ont présenté contre sa décision du 17 novembre 2020 afin que la collectivité se prononce sur le projet qu'ils envisageaient de réaliser sur la parcelle en cause.
9. En dernier lieu, la circonstance que l'exercice du droit de préemption urbain sur la parcelle dont les époux B... se sont portés acquéreurs mette un terme à leur projet et leur cause un important préjudice est sans incidence sur la légalité des décisions attaquées.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que l'EPF de Guadeloupe est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé les décisions de sa directrice générale du 17 novembre 2020 et du 19 janvier 2021.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'EPF de Guadeloupe et de la commune de Petit-Bourg, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que demandent les époux B... au titre des frais d'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application des mêmes dispositions et de mettre à la charge des requérants les sommes que demandent, au même titre, l'EPF de Guadeloupe et la commune de Petit-Bourg.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2100247 du tribunal administratif de la Guadeloupe du 15 décembre 2022 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par les époux B... devant le tribunal administratif de la Guadeloupe est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'établissement public foncier de Guadeloupe, à la commune de Petit-Bourg,à M. et Mme A... et D... B... et aux consorts C....
Délibéré après l'audience du 10 juin 2025 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juillet 2025.
La rapporteure,
Valérie RéautLe président
Laurent Pouget
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au préfet de La Guadeloupe en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX00439