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01/07/2025 | FRANCE | N°21BX03948

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 01 juillet 2025, 21BX03948


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner solidairement le centre hospitalier de Lannemezan et la compagnie Aréas dommages, ou subsidiairement la société hospitalière d'assurances mutuelles (Sham), à lui verser, d'une part, en sa qualité de représentante légale de sa fille C..., une provision de 832 380 euros en réparation des préjudices subis par celle-ci, d'autre part, une provision de 50 000 euros en réparation de ses préjudices propres, et d

'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2018, date de sa d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner solidairement le centre hospitalier de Lannemezan et la compagnie Aréas dommages, ou subsidiairement la société hospitalière d'assurances mutuelles (Sham), à lui verser, d'une part, en sa qualité de représentante légale de sa fille C..., une provision de 832 380 euros en réparation des préjudices subis par celle-ci, d'autre part, une provision de 50 000 euros en réparation de ses préjudices propres, et d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2018, date de sa demande indemnitaire préalable.

Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie de Pau-Pyrénées a demandé que le centre hospitalier de Lannemezan et la compagnie Aréas dommages, ou subsidiairement la société hospitalière d'assurance mutuelle, soient condamnés, in solidum, à lui verser une somme de 162 317,13 euros au titre de ses débours, dont le montant a été arrêté provisoirement, ainsi qu'une somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1801233 du 11 février 2021, le tribunal administratif de Pau a :

- condamné le centre hospitalier de Lannemezan à verser à Mme D..., en sa qualité de représentante légale de sa fille C..., désormais dite H..., une provision de 175 035 euros en réparation des préjudices subis par l'enfant, ainsi qu'à lui verser, en son nom propre, une provision de 14 400 euros au titre de ses propres préjudices, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 28 mars 2018 ;

- condamné le centre hospitalier de Lannemezan à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de Pau-Pyrénées la somme de 146 085,42 euros en remboursement des débours provisoires qu'elle a exposés pour l'enfant, ainsi qu'une somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

- mis à la charge du centre hospitalier le montant des frais et honoraires de l'expertise ordonnée en référé, liquidés et taxés à la somme de 1 500 euros ;

- rejeté les conclusions dirigées contre la compagnie Aréas Dommages et la Société hospitalière d'assurances mutuelles.

Le centre hospitalier de Lannemezan a relevé appel de ce jugement.

Par un arrêt avant dire droit du 9 novembre 2023, la cour a mis l'ONIAM hors de cause, a rejeté les appels en garantie formés par le centre hospitalier de Lannemezan contre la compagnie Aréas Dommages et la SHAM et, après avoir retenu comme fondé le moyen tiré de ce que l'expertise du 1er août 2016 était entachée d'irrégularité, a ordonné une expertise médicale de l'enfant C..., dite H... I....

Le rapport d'expertise des Docteurs Bahi-Buisson et Girard a été déposé le 17 mai 2024.

Procédure après expertise :

Par un mémoire enregistré le 21 octobre 2024, C..., dit H... I... et Mme F... D..., représentés par Me Beynet, demandent à la cour, par la voie de l'appel incident :

1°) à titre principal, de réformer le jugement du 11 février 2021 du tribunal administratif de Pau en ce qui concerne le montant des indemnités allouées et de condamner le centre hospitalier de Lannemezan à verser à C..., dit H... I..., une provision

de 784 459 euros avec intérêts au taux légal à compter de la demande préalable du 27 mars 2018 et capitalisation des intérêts à compter du 27 mars 2019 ;

2°) à titre subsidiaire, de confirmer ce jugement ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Lannemezan une somme

de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Lannemezan est engagée, en application de l'article L. 1142-1 I du code de la santé publique, au regard des manquements relevés par les deux collèges d'experts, consistant notamment en une insuffisance de surveillance du rythme cardiaque fœtal, une mauvaise interprétation des anomalies observées, l'interruption du monitoring en fin de travail et un retard dans la réalisation de la césarienne ;

- le fait que le monitorage ait été interrompu avant la césarienne est à la fois un manquement aux règles de l'art et aux données acquises de la science et l'obstacle à ce que la preuve soit apportée que les dommages subis par C..., dit H..., sont la conséquence d'une hypoxie ; alors que l'absence de monitoring en fin de travail est en lien avec la faute du centre hospitalier, que les experts ont relevé que l'état clinique de l'enfant et l'imagerie sont " hautement évocateurs d'une asphyxie anté ou périnatale " et qu'il n'existe pas d'état antérieur qui serait lié notamment aux consommations de substances de la mère, l'imputabilité doit être retenue ;

- les manquements du centre hospitalier ont compromis les chances d'éviter l'anoxie périnatale à l'origine des séquelles neurologiques irréversibles de l'enfant ; le taux de perte de chance doit être évalué à 90 %, ainsi que l'ont retenu à la fois les experts et le tribunal administratif de Pau ;

- s'agissant des frais d'assistance par médecins conseils, les honoraires exposés pour les besoins de l'expertise préalable, ainsi que de la seconde expertise, s'élèvent à un montant total de 6'694 euros, correspondant aux prestations du Dr B..., du Dr G... et du Pr E..., et doivent être intégralement indemnisés, sans application du taux de perte de chance contrairement à ce qu'avait jugé le tribunal ;

- le tribunal a sous-évalué le déficit fonctionnel temporaire, en retenant un taux journalier de 13 euros, alors qu'un montant de 30 euros par jour doit être appliqué ; il est justifié d'un déficit fonctionnel temporaire total de 1'016 jours, et d'un déficit partiel à 80'% sur une période de 5'571 jours, soit un montant global de 164'184 euros à ce titre ;

- les souffrances endurées, évaluées à 6/7 par les premiers experts et à 5/7 par le second collège, doivent être réparées à hauteur d'une provision de 50'000 euros, compte tenu de leur nature et de leur durée ;

- le préjudice esthétique temporaire, estimé à 6/7 par les premiers experts et 5/7 par les seconds en raison d'une dystonie généralisée, d'une tétraparésie spastique et de troubles bucco-faciaux, doit faire l'objet, compte tenu de la durée de la période durant laquelle il a été subi, d'une provision de 20'000 euros ;

- le déficit fonctionnel permanent, évalué à 80 % par les seconds experts, justifie l'allocation d'une provision qui ne soit pas être inférieure à 570'000 euros ;

- le préjudice esthétique permanent, évalué à 6/7 par les premiers experts et 5/7 par les seconds, est désormais établi, et il doit faire l'objet d'une provision de 60'000 euros.

Par des mémoires enregistrés le 20 novembre 2024 et le 3 janvier 2025, le centre hospitalier de Lannemezan, représenté par la SELARL Montazeau Cara, demande à la cour de réformer le jugement du tribunal administratif de Pau du 11 février 2021 en ce qui concerne le taux de perte de chance retenu et le montant des indemnités allouées aux consorts D... et à la caisse primaire d'assurance maladie de Pau Pyrénées.

Il soutient que :

- les experts ont relevé une décélération progressive du rythme cardiaque dès minuit, une baisse à 70 bpm à 1h10, puis un rythme stabilisé à 90 bpm jusqu'à l'arrêt du monitoring à 2h, mais au moment de la réalisation de la césarienne, à 3 heures du matin, le rythme cardiaque n'était pas connu et il ne peut être tenu pour établi que l'état de santé de l'enfant n'était pas stabilisé ou qu'il aurait empiré ; il n'existe ainsi pas de preuve certaine que l'anomalie du RCF était telle au moment de l'accouchement qu'elle aurait provoqué une anoxie, à l'origine des séquelles constatées ; par ailleurs, les experts ne se sont pas prononcés sur l'existence d'un état antérieur, notamment sur la consommation de cannabis par la mère ; il est plus probable que le taux de perte de chance se situe aux alentours de 70 % ;

- l'évaluation du déficit fonctionnel temporaire par les premiers juges n'est pas insuffisante, mais l'indemnité accordée doit être réduite par application du taux de perte de chance de 70 % ;

- la demande tendant à l'octroi d'une indemnité provisionnelle de 50 000 euros au titre des souffrances endurées est excessive ; C..., dit H..., ne présente pas une tétraplégie complète mais une tétraparésie ;

- s'agissant du préjudice esthétique temporaire, le montant de 10 000 euros alloué par les premiers juges, soit 9 000 euros après application du taux de perte de chance, est supérieur à celui généralement admis par la jurisprudence administrative pour un préjudice de même intensité, indemnisé autour de 3 000 euros ; l'indemnité accordée devra également être réduite par application du taux de perte de chance de 70 % ;

- selon le barème appliqué par l'ONIAM, l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent de 80 % pour un jeune homme de 18 ans se situe aux alentours de 400 000 euros ; l'indemnité accordée devra être réduite par application du taux de perte de chance de 70 % ;

- s'agissant du préjudice esthétique permanent, le montant de 60 000 euros sollicité par C..., dit H..., est supérieur à celui généralement admis par la jurisprudence administrative, ; l'évaluation de ce chef de préjudice ne doit pas excéder 15 000 euros et l'indemnité accordée devra être réduite par application du taux de perte de chance de 70 % ;

- il s'en remet à la sagesse de la cour quant à la demande tendant au remboursement des frais de médecins-conseils ;

- la somme de 14'400 euros allouée en première instance à Mme D..., à titre personnel, au titre d'un préjudice d'accompagnement, ne saurait être maintenue dès lors que ce poste de préjudice vise à réparer les troubles dans les conditions d'existence d'un proche ayant partagé une communauté de vie effective avec une victime décédée, et ne s'applique donc qu'en cas de décès de celle-ci, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; en outre, Mme D... a été déchue de ses droits au cours de l'année 2017 et l'enfant a été placé en co-partage de droits avec l'ASE et son père en 2020 ;

- la CPAM ne justifie pas du caractère imputable à la faute du centre hospitalier de plusieurs périodes d'hospitalisation pour lesquelles elle sollicite une indemnité, celles-ci ne figurant ni dans le rapport d'expertise des Drs Bahi-Buisson et Girard, ni dans le dire adressé par le médecin-conseil de la caisse aux experts, ou y figurant pour une durée moindre ; en tout état de cause, l'indemnité accordée à la caisse doit tenir compte du taux de perte de chance.

Par un mémoire enregistré le 17 décembre 2024, la CPAM de Pau-Pyrénées, représentée par Me Bardet, demande à la cour, par la voie de l'appel incident :

1°) de condamner le centre hospitalier de Lannemezan à lui verser une somme

de 425 720,26 euros, avec intérêt au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et capitalisation de ces intérêts, au titre de ses frais échus ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Lannemezan à lui rembourser les frais futurs au fur et à mesure de leur engagement, à moins qu'il ne préfère se libérer de son obligation par le

versement immédiat d'un capital représentatif de ces frais à hauteur de 174 102,84 euros, avec intérêt au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et capitalisation de ces intérêts ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Lannemezan à lui verser une somme

de 1 191 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Lannemezan la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le centre hospitalier a commis un manquement fautif en cessant le monitorage du rythme cardiaque fœtal plus d'une heure avant la réalisation de la césarienne, lequel est à l'origine de la perte de chance d'éviter une asphyxie per partum ; si les experts, compte tenu de l'absence de monitorage du rythme cardiaque fœtal, ne peuvent conclure avec certitude au lien direct entre l'asphyxie fœtale au cours du travail et les souffrances cérébrales de l'enfant, ils écartent toutefois toute pathologie antérieure ; c'est à juste titre que les premiers juges, au vu du rapport d'expertise, ont arrêté l'ampleur de la perte de chance d'éviter le dommage survenu

à 90 % ;

- elle produit une attestation d'imputabilité qui permet de justifier les frais dont le remboursement est demandé ;

- ses débours définitifs échus s'élèvent à la somme de 425 720,26 euros ;

- ses frais futurs, incluant des frais d'appareillage, s'élèvent à la somme

de 174 102,84 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 23 décembre 2024 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Montamat, représentant le centre hospitalier de Lannemezan, de Me Eyraud, représentant C..., dit H... I... et Mme D..., et celles de Me Boux de Casson, représentant la CPAM de Pau-Pyrénées.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... a été admise le 2 août 2005 à 20 heures dans le service d'obstétrique du centre hospitalier de Lannemezan, au terme de quarante semaines d'aménorrhée. Une césarienne a été pratiquée le lendemain, conduisant à la naissance de l'enfant C... à 3h01. Cette dernière, née en état de mort apparente, a fait l'objet d'une réanimation qui a permis la récupération d'une respiration spontanée. Une consultation en neuropédiatrie, le 30 août 2007, a toutefois mis en évidence des troubles moteurs sous la forme d'une quadriparésie spastique avec dysarthrie.

2. Après avoir obtenu une expertise, Mme D... a saisi le tribunal administratif de Pau, en son nom propre et en sa qualité de représentante légale de l'enfant C..., d'une demande de condamnation du centre hospitalier de Lannemezan à réparer les préjudices qu'elles ont subis du fait de la prise en charge des 2 et 3 août 2005. Par un jugement du 11 février 2021, le tribunal administratif de Pau a condamné le centre hospitalier à verser une somme provisionnelle de 175 035 euros au titre des préjudices subis par l'enfant C... et une somme de 14 400 euros au titre des préjudices propres de Mme D.... Le tribunal a également condamné le centre hospitalier à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Pau Pyrénées une somme de 146 085,42 euros en remboursement de ses débours, arrêtés provisoirement, et la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et mis à la charge définitive de l'établissement le montant des frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 500 euros. Le centre hospitalier de Lannemezan a relevé appel de ce jugement et la caisse primaire d'assurance maladie de Pau-Pyrénées, par la voie de l'appel incident, a demandé à la cour de réformer le jugement afin de condamner le centre hospitalier de Lannemezan à lui verser la somme de 162 317,13 euros en remboursement des prestations versées pour le compte de son assurée. Par un arrêt avant dire droit du 9 novembre 2023, la cour a estimé que le défaut de surveillance en fin de travail des ralentissements du rythme cardiaque fœtal, ainsi que l'absence de recours à des examens de deuxième ligne, comme l'analyse du pH et des lactates, ou de réalisation plus rapide de la césarienne, étaient constitutifs de manquements de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier. Elle a ordonné une nouvelle expertise afin, notamment, d'être éclairée sur l'existence d'un lien de causalité entre ces fautes et le dommage corporel subi par l'enfant et, le cas échéant, sur l'ampleur de la perte de chance. Les Drs Bahi-Buisson, neuropédiatre et Girard, gynécologue-obstétricien, ont remis leur rapport le 17 mai 2024. Les consorts I... ont, après le dépôt de ce rapport, formé un appel incident à l'encontre du jugement attaqué du 11 février 2021.

Sur la perte de chance :

3. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

4. Il résulte du rapport de l'expertise ordonnée par l'arrêt avant dire droit qu'au moment de l'interruption de la surveillance du rythme cardio-fœtal, à 2h08, celui-ci présentait des anomalies traduisant un risque intermédiaire d'acidose, lequel imposait, conformément aux données acquises de la science, la réalisation rapide d'une césarienne. Les experts relèvent que l'importance de l'anoxie per partum présentée à la naissance par l'enfant, ne peut être expliquée par les seules anomalies enregistrées avant 2h08, ce qui implique nécessairement que l'acidose s'est fortement aggravée au cours de la période non surveillée par monitoring précédant la naissance, entre 2h08 et 3h01. Ils estiment que cette absence d'enregistrement n'est pas conforme aux règles de l'art. Ils en concluent que si une extraction fœtale avait été pratiquée aux environs de 2h15, elle aurait très probablement permis d'éviter l'anoxie sévère, l'acidose en cause n'étant alors pas profonde et, en conséquence, probablement insusceptible d'engendrer les séquelles cérébrales constatées. Ils ont ainsi évalué à 90 % la perte de chance pour C..., dite dorénavant H..., d'éviter le dommage corporel finalement advenu. Dans ces circonstances, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu la responsabilité du centre hospitalier de Lannemezan à hauteur de cette fraction, et celui-ci ne saurait demander une réduction de ce taux au motif, qui lui est entièrement imputable, qu'il n'existe pas d'enregistrement du rythme cardiaque fœtal démontrant l'aggravation de l'acidose dans l'heure précédant la naissance.

Sur les préjudices de C..., dit H... I... :

En ce qui concerne la date de consolidation et la nature des indemnités accordées :

5. Il résulte du rapport d'expertise du 17 mai 2024 que l'état de santé de C..., dit H..., est consolidé depuis le 15 août 2023, quelques jours après sa majorité. Toutefois, à l'exception des frais de médecin-conseil, les consorts I... n'ont pas sollicité, par la voie de l'appel incident, l'indemnisation définitive de leur préjudice, mais se sont bornés à demander la réformation du jugement attaqué en ce qui concerne le montant des indemnités provisionnelles accordées par les premiers juges sur les chefs de préjudice qui avaient été chiffrés. Il en résulte que la cour, saisie dans les limites de ces conclusions, ne peut statuer qu'à titre provisionnel.

En ce qui concerne l'assistance par des médecins-conseils :

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que Mme D... et C..., dit H..., I... ont été assistés par le Dr B..., médecin-conseil, lequel a établi un rapport produit devant le tribunal administratif de Pau au soutien d'une requête en référé expertise, puis les a accompagnés au cours des opérations d'expertise menées en exécution de l'ordonnance rendue sur cette requête. Ils justifient avoir exposé, à ce titre, des frais s'élevant à 2 094 euros. Ainsi que le soutiennent les intimés, dès lors que ces frais résultaient entièrement du dommage subi par l'enfant, c'est à tort que les premiers juges leur ont appliqué le taux de perte de chance de 90 %. Dans ces conditions, la somme de 1 885 euros accordée par le tribunal doit être portée à 2 094 euros. Alors que cette somme a été exposée par Mme D..., il y a lieu d'en prévoir le remboursement à son bénéfice.

7. En second lieu, il résulte de l'instruction que C..., dit H..., justifie avoir acquitté une somme globale de 4 600 euros au titre des secondes opérations d'expertise ordonnées par la cour, correspondant aux honoraires du Dr G..., qui y a participé, et de ceux du Dr E..., neuroradiologue sollicité pour l'analyse approfondie des IRM réalisées entre 2006 et 2016. Il y a lieu de mettre intégralement cette somme à la charge du centre hospitalier de Lannemezan.

En ce qui concerne le déficit fonctionnel temporaire :

8. Dans les circonstances de l'espèce, l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire peut être évaluée, contrairement à ce que soutiennent les parties, sur la base d'un montant journalier de 20 euros. Antérieurement à la consolidation de l'état de santé de C..., dit H..., les seconds experts ont retenu, au regard des périodes d'hospitalisation et de séjour de l'intéressé dans différents établissements, notamment en néonatologie, en services de rééducation fonctionnelle et en instituts médicoéducatifs, un déficit fonctionnel temporaire total de 1'113 jours, ainsi qu'un déficit fonctionnel temporaire partiel évalué à 80'% pour une période de 5'574 jours. Il y a lieu, toutefois, d'exclure du décompte du déficit fonctionnel temporaire total la prise en charge néonatale du 3 au 8 août 2005, laquelle aurait en tout état de cause été nécessaire, indépendamment de toute faute. Dans ces conditions, compte tenu du taux de perte de chance, une somme provisionnelle de 100 300 euros, non sérieusement contestable, peut être allouée à C..., dit H... I....

En ce qui concerne les souffrances endurées :

9. En l'espèce, il résulte de l'instruction que l'enfant a présenté, à compter des premiers instants de sa vie, des symptômes de souffrance cérébrale aiguë, dans un contexte d'état de mort apparente, ayant nécessité une réanimation prolongée, un transfert en néonatologie, puis une hospitalisation sous morphine. Elle a souffert, dès la petite enfance, d'une infirmité motrice cérébrale d'origine périnatale, caractérisée par une tétraparésie spastique, des troubles de la coordination, une dystonie généralisée justifiant une prise en charge pluridisciplinaire ininterrompue, incluant kinésithérapie, orthophonie et psychomotricité, ainsi que des périodes d'hospitalisation et de séjour en institut médicoéducatif, qui se sont cumulées sur près de trois années au cours de la période antérieure à la consolidation. Dans ces conditions, et alors que les seconds experts ont estimé que les souffrances endurées ne pouvaient être inférieures à 5 sur une échelle de 7, les premiers juges ont, à juste titre, évalué ce préjudice en allouant à C..., dit H... I..., une somme provisionnelle de 18 000 euros, après application du taux de perte de chance.

En ce qui concerne le préjudice esthétique temporaire :

10. Il résulte de l'instruction que, durant toute la période antérieure à la consolidation de son état de santé, C..., dit H... I..., a été notamment affecté par une altération de la posture corporelle en lien avec ses troubles moteurs, laquelle a nécessairement eu une incidence sur son apparence physique, et des troubles salivaires et bucco-faciaux. Dans ces conditions, et alors que les seconds experts ont évalué le préjudice esthétique temporaire à 5 sur une échelle de 7, les premiers juges n'en ont pas fait une évaluation excessive ou insuffisante en allouant à l'intéressé, après application du taux de perte de chance, une somme provisionnelle de 9'000 euros à ce titre, laquelle tient compte de la durée pendant laquelle ce préjudice a été subi.

En ce qui concerne le préjudice esthétique permanent :

11. Au cours de l'examen clinique du 25 mai 2023, les experts ont relevé des difficultés d'élocution s'accompagnant d'une hypersalivation entravant l'expression orale, ont constaté le maintien d'une posture corporelle altérée et des troubles moteurs, caractérisés notamment par une dystonie généralisée asymétrique, une tétraparésie spastique, une rétraction de l'hémicorps gauche et une absence de motricité fine, ainsi que le recours à un fauteuil roulant. Ils ont évalué le préjudice esthétique permanent à un minimum de 5 sur une échelle de 7. Dans ces conditions, ce préjudice peut être évalué à la somme de 20'000 euros, et il y a lieu d'allouer à C..., dit H... I..., une provision de 18'000 euros à ce titre, après application du taux de perte de chance.

En ce qui concerne le déficit fonctionnel permanent :

12. Il résulte de l'instruction que C..., dit H... I..., présente un déficit fonctionnel permanent évalué par les experts à 80 %, lequel, en l'absence de tout état antérieur, est en lien direct avec les fautes commises par le centre hospitalier de Lannemezan. Il peut en être fait une juste appréciation en l'évaluant, compte tenu de l'âge de la victime, à la somme de 400 000 euros. Dans ces conditions, après application du taux de perte de chance de 90 %, une somme provisionnelle de 360 000 euros doit être allouée à C..., dit H..., I... au titre de ce poste de préjudice.

Sur les préjudices de Mme D... :

13. Si, ainsi que le fait valoir le centre hospitalier de Lannemezan, il résulte de l'instruction que Mme D... a été déchue de ses droits parentaux en 2017, et que, depuis cette date, tout lien direct avec son enfant a été interrompu, il n'en demeure pas moins qu'elle l'a accompagnée au quotidien depuis sa naissance jusqu'à cette date, en particulier dans le cadre de sa prise en charge médicale et paramédicale. Dans ces conditions, et en dépit de la rupture ultérieure du lien, il y a lieu de maintenir la somme de 14 400 euros allouée en première instance, après application du taux de perte de chance, au titre des préjudices d'affection et d'accompagnement subis par l'intéressée, laquelle s'ajoute aux frais de médecin conseil mentionnés au point 6.

14. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de porter à 509 900 euros les sommes que le centre hospitalier de Lannemezan a été condamné à verser à C..., dit H... D... J..., dont 505 300 doivent être accordées à titre provisionnel, et de fixer à 16 494 euros la somme à verser à Mme D....

Sur les droits de la caisse :

15. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment de la notification actualisée des débours établie le 30 août 2024, que la CPAM de Pau-Pyrénées a exposé des débours en lien avec l'état de santé de C..., dit H... I..., dont le montant échu au 6 juin 2023 s'élevait à 425 720,26 euros. La seule circonstance que certaines périodes d'hospitalisation ne figurent pas dans le second rapport d'expertise ni dans le dire du médecin-conseil ne suffit pas, à elle seule, à remettre en cause la valeur probante de l'attestation d'imputabilité produite par la CPAM, établie par son médecin-conseil, laquelle indique que seules les prestations en lien direct et certain avec l'accident en cause ont été retenues, à l'exclusion des soins qui y seraient étrangers. Ainsi, en l'absence d'élément de nature à contredire cette analyse, les frais correspondants à ces périodes d'hospitalisation ne peuvent être écartés du remboursement sollicité au seul motif de leur absence de mention dans le rapport d'expertise. La caisse peut dès lors prétendre à être remboursée de ses débours dans la limite du taux de perte de chance retenu de 90 %, soit 383 148,23 euros.

16. En deuxième lieu, s'agissant des frais futurs, le remboursement à la caisse par le tiers responsable des prestations qu'elle sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente. Il ne peut être mis à la charge du responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec son accord. Dès lors que le centre hospitalier de Lannemezan n'a pas donné son accord au versement d'un capital, celui-ci ne peut être accordé comme le demande la caisse. L'état des frais futurs produit par celle-ci comporte des frais d'appareillage. Par suite, il y a lieu d'allouer à la caisse, dans la limite de 90 % du montant capitalisé de 174 102,84 euros estimé par elle, soit 156 692,56 euros, le remboursement sur justificatifs de ces frais à mesure de leur engagement.

17. En dernier lieu, la caisse ayant obtenu une majoration de ses indemnités en cause d'appel, la somme que le centre hospitalier de Lannemezan a été condamné à lui verser au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion doit être portée à 1 212 euros, en application de l'arrêté du 23 décembre 2024.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

18. En premier lieu, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1231-6 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine.

19. En second lieu, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande.

20. D'une part, il résulte de l'instruction que la réclamation indemnitaire préalable des consorts I... a été reçue par le centre hospitalier de Lannemezan le 28 mars 2018. Par suite, ils sont en droit de prétendre aux intérêts légaux sur les sommes dues au titre du présent arrêt à compter de cette date, sous réserve des provisions perçues qui font obstacle au cours d'intérêts. Il y a également lieu de faire droit à la demande de capitalisation de ces mêmes intérêts à compter du 21 octobre 2024, date à laquelle ils ont été demandés pour la première fois devant la juridiction, puis à chaque échéance ultérieure.

21. D'autre part, même en l'absence de demande tendant à l'allocation d'intérêts, toute décision juridictionnelle prononçant une condamnation à une indemnité fait courir les intérêts du jour de son prononcé jusqu'à son exécution, en vertu de l'article 1231-7 du code civil. Par suite, les conclusions de la CPAM de Pau-Pyrénées tendant à ce que les sommes qui lui ont été allouées portent intérêt à compter du présent arrêt sont dépourvues d'objet. Par suite, les demandes tendant au versement d'intérêts et à la capitalisation de ces intérêts sont irrecevables.

Sur les frais liés au litige :

22. D'une part, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Lannemezan une somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par C..., dit H..., I... à l'occasion du présent litige et il n'y pas lieu de faire droit aux conclusions de la caisse présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

23. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, les frais de l'expertise ordonnée par la cour, liquidés et taxés à la somme de 6 990 euros par une ordonnance du président de la cour du 6 août 2024, doivent être mis à la charge du centre hospitalier de Lannemezan.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que le centre hospitalier de Lannemezan a été condamné à verser à C..., dit H..., I... est portée à 509 900 euros, dont 505 300 euros à titre provisionnel. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du

28 mars 2018, dans les conditions énoncées au point 20 du présent arrêt. Les intérêts échus le

21 octobre 2024 seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle.

Article 2 : Le centre hospitalier de Lannemezan versera à Mme D... la somme de 16 494 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 mars 2018. Les intérêts échus le 21 octobre 2024 seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle.

Article 3 : La somme que le centre hospitalier de Lannemezan a été condamné à verser à la CPAM de Pau-Pyrénées, au titre de ses débours échus, est portée de 146 085,42

à 383 148,23 euros.

Article 4 : Le centre hospitalier de Lannemezan est condamné à rembourser à la CPAM de Pau-Pyrénées les frais futurs exposés pour le compte de C..., dit H..., I..., sur présentation de justificatifs, dans la limite d'un montant de 156 692,56 euros.

Article 5 : L'indemnité forfaitaire de gestion allouée par le tribunal administratif de Pau à la caisse primaire d'assurance maladie de Pau-Pyrénées est portée à la somme de 1 212 euros.

Article 6 : Le jugement du tribunal administratif de Pau n° 1900076 du 11 février 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 7 : Les frais de l'expertise ordonnée par la cour, liquidés et taxés à la somme

de 6 990 euros par une ordonnance du président de la cour du 6 août 2024, sont mis à la charge du centre hospitalier de Lannemezan.

Article 8 : Le centre hospitalier de Lannemezan versera à C..., dit H..., I... une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que son avocat renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle accordée par décision du 17 octobre 2023.

Article 9 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 10 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Lannemezan, à C..., dit H... I..., à Mme F... D... et à la caisse primaire d'assurance maladie de Pau-Pyrénées.

Délibéré après l'audience du 17 juin 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Sabrina Ladoire, présidente-assesseure,

M. Antoine Rives, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juillet 2025.

Le rapporteur,

Antoine A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX03948


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03948
Date de la décision : 01/07/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Antoine RIVES
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SELARL MONTAZEAU & CARA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-01;21bx03948 ?
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