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27/06/2025 | FRANCE | N°24BX02838

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 27 juin 2025, 24BX02838


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 17 juin 2024 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de faire droit à sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'un durée d'un an, et l'a informé de son signalement dans le système d'information Schen

gen pour la durée de l'interdiction de retour.



Par un jugement n° 2401432 du 1e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 17 juin 2024 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de faire droit à sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'un durée d'un an, et l'a informé de son signalement dans le système d'information Schengen pour la durée de l'interdiction de retour.

Par un jugement n° 2401432 du 1er octobre 2024, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 décembre 2024, M. C..., représenté par

Me Toulouse, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 17 juin 2024 du préfet de la Haute-Vienne ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " ou " salarié " ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

- le tribunal n'a pas répondu à l'ensemble des arguments invoqués au soutien du moyen tiré de l'erreur de fait, tels que ses titres de séjour successifs accordés au titre de la maladie depuis 2011, la régularité du séjour de sa mère et de son frère, le décès de son père, et son insertion professionnelle ;

- la décision de refus de titre de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les articles L. 435-1 et L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; les éléments relatifs à son activité professionnelle future, son insertion sur le territoire français, son intégration et ses activités professionnelles antérieures révélatrices de sa durée de présence sur le territoire caractérisent l'existence d'un motif exceptionnel ;

- il a tissé des liens affectifs intenses en France en raison de la présence de sa mère, de son frère, de son ex belle-sœur, de ses jeunes neveux, de son cousin, de ses amis et connaissances ; il établit être dépourvu d'attaches en Arménie, où il n'est revenu qu'un mois au cours de l'année 2019 ;

- ses difficultés de santé, en lien avec les traumatismes subis dans son pays d'origine, ne sont pas contestées par les premiers juges ; ses troubles psychiques, pour lesquels il bénéficie de soins en France, ne pourraient pas être pris effectivement en charge dans son pays d'origine ;

- il est ancré durablement en France, où il réside depuis l'âge de 20 ans ; il y a construit toute sa vie d'adulte, y dispose d'un logement autonome depuis 2014, et y justifie de plusieurs expériences salariées et entrepreneuriales, de formations suivies, d'un contrat d'insertion ainsi que de plusieurs promesses d'embauche, en dernier lieu celle d'un dirigeant d'entreprise

de BTP ;

- il ne présente aucune menace pour l'ordre public ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est disproportionnée au regard de la durée de sa présence en France, de ses efforts d'insertion, et de la présence de tous les membres de sa famille en France ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les stipulations des articles 4 et 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que celles des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er avril 2025, le préfet de la Haute-Vienne, conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la mise à la charge de M. C... d'une somme

de 750 euros au titre des frais liés au litige.

Il soutient que :

- la motivation de la décision attaquée révèle qu'il a procédé à un examen exhaustif de la situation personnelle de M. C... ; les pièces produites en appel n'apportent aucun élément nouveau ou probant ;

- le requérant a été éloigné vers l'Arménie en octobre 2019 et ne justifie pas de la date de son retour ; en tout état de cause, il se maintient en situation irrégulière en dépit de deux précédents arrêtés portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi ;

- sa présence sur le territoire français n'est pas de plus de dix ans mais de cinq ans en situation irrégulière ; il est célibataire sans enfant, n'est pas en état de vulnérabilité et ne peut en conséquence se voir délivrer un titre de séjour pour des motifs exceptionnels ou humanitaires ;

- la simple présence sur le territoire des membres de sa famille n'est pas de nature à lui ouvrir un droit au séjour ;

- la condamnation pénale prononcée à son encontre en 2019 pour des faits récents de corruption active ne démontre pas une intégration réussie ;

- le seul motif tiré de l'absence de visa de long séjour suffisait à fonder légalement la décision attaquée ;

- la seule circonstance que l'intéressé dispose d'un projet de contrat à durée indéterminée en qualité de plaquiste au sein de l'entreprise " SAS DIATAXI " daté de janvier 2022, ne saurait être regardée comme un motif exceptionnel, alors qu'il n'apporte aucun élément de nature à établir que l'emploi proposé présenterait des spécificités telles qu'il ne pourrait pas être pourvu par l'un des candidats à l'emploi déjà présents sur le marché du travail ;

- il n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Arménie afin d'y solliciter la délivrance d'un visa long séjour pour revenir en France ;

- la décision de refus de séjour étant légale, l'exception d'illégalité soulevée à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français doit être écartée ; il en va de même en ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français et le pays de renvoi ;

- la motivation de l'interdiction de retour sur le territoire français atteste de la prise en compte des critères fixés par l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par une décision du 7 novembre 2024, M. C... a obtenu l'aide juridictionnelle totale.

Par ordonnance du 3 avril 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 5 mai 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., ressortissant arménien né le 15 décembre 1989, est entré en France le 25 août 2010. Il a été titulaire d'une carte de séjour pour motif de santé, renouvelée sans interruption jusqu'au 15 novembre 2018. Il a sollicité auprès du préfet de la Haute-Vienne, le 23 février 2024, la délivrance d'un titre de séjour en raison de son ancienneté de présence en France et d'une promesse d'embauche sous couvert d'un contrat à durée indéterminée. Par un arrêté du 17 juin 2024, le préfet de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un nouveau titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé l'Arménie comme pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant un an. M. C... relève appel du jugement du 1er octobre 2024 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ".

3. Pour refuser de délivrer à M. C... un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Haute-Vienne s'est notamment fondé sur les circonstances que l'intéressé ne justifie d'aucune ancienneté de travail en France, que sa présence sur le territoire est récente et qu'il ne démontre pas être dépourvu de tout lien personnel et familial dans son pays d'origine, l'Arménie, où il a vécu la majeure partie de sa vie. Toutefois, alors que M. C... a été titulaire, entre 2011 et 2018, d'un titre de séjour délivré pour soins, renouvelé à plusieurs reprises, il ressort des pièces du dossier, en particulier du certificat de travail du 21 novembre 2014 et des extraits Kbis produits, qu'il a exercé au cours de cette période plusieurs activités professionnelles, en qualité de chauffeur-manutentionnaire puis d'indépendant dans le secteur de la mécanique automobile. Postérieurement à l'année 2018, il verse au dossier plusieurs factures d'énergie établies à son nom, accompagnées d'un calendrier de prélèvements mensuels couvrant la période d'avril 2020 à mars 2021, ainsi qu'une facture de régularisation émise en mars 2023, des factures de téléphonie mobile relatives à un numéro français utilisé sur le territoire entre décembre 2019 et janvier 2020, plusieurs avis de taxe d'habitation pour les années 2019 à 2022 et des avis d'imposition sur le revenu pour les années 2023 et 2024, tous adressés à la même domiciliation. En outre, par une ordonnance du 17 août 2019, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rennes a mis fin à la mesure de rétention administrative dont M. C... faisait l'objet, au motif qu'il disposait de garanties de représentation suffisantes, en particulier un domicile stable à Limoges. Ainsi, il résulte de ces éléments que, contrairement à ce qu'a estimé le préfet de la Haute-Vienne, l'intéressé justifie d'une résidence habituelle en France depuis l'année 2011, soit depuis près de quatorze ans à la date de la décision attaquée, seulement interrompue brièvement au cours de l'année 2019 à la suite de l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement De plus, alors que son père est décédé le 23 mars 2003 en Arménie, il établit, par les pièces produites en appel, notamment constituées d'attestations et de clichés photographiques, entretenir des liens affectifs stables avec sa mère et son frère, ainsi que ses deux neveux, qui résidaient régulièrement sur le territoire national à la date de la décision attaquée. Par ailleurs, M. C... produit deux promesses d'embauche émanant de la société Diataxi, datées respectivement de décembre 2021 et février 2023, pour un poste de plaquiste à temps plein, la première en contrat à durée déterminée, la seconde en contrat à durée indéterminée. Enfin, s'il ressort des pièces du dossier que M. C... a fait l'objet, par jugement du 21 juin 2019 du tribunal correctionnel de Limoges, d'une condamnation à une amende de 1 000 euros pour des faits de corruption active, commis entre 2013 et 2018, à l'occasion de son activité professionnelle dans le secteur de la mécanique automobile, il n'est pas contesté que ces faits, au demeurant anciens et non suivis de réitération, ont consisté à remettre des sommes de l'ordre de cinq euros à des agents de centres de contrôle technique. Dans ces conditions, compte tenu de la durée de présence de l'intéressé sur le territoire national, des liens qu'il y conserve, ainsi que de ses perspectives d'insertion professionnelle, le préfet de la Haute-Vienne a entaché sa décision de refus de délivrance d'un titre de séjour d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

5. Eu égard au motif retenu, l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Vienne implique nécessairement la délivrance d'un titre de séjour à l'intéressé. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de délivrer à M. C... le titre de séjour sollicité dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de

l'État une somme de 1 200 euros à verser à Me Toulouse en application des dispositions des

articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, et de rejeter les conclusions présentées par le préfet de la Haute-Vienne au titre des frais liés au litige.

DECIDE :

Article 1 : Le jugement n° 2401432 du 1er octobre 2024 et l'arrêté du 17 juin 2024 du préfet de

la Haute-Vienne sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Vienne de délivrer à M. C... le titre de séjour sollicité dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à Me Toulouse une somme de 1 200 euros au titre des

articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à Me Arnaud Toulouse,

au préfet de la Haute-Vienne et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 3 juin 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Sabrina Ladoire, présidente-assesseure,

M. Antoine Rives, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 juin 2025.

Le rapporteur,

Antoine A...La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24BX02838


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX02838
Date de la décision : 27/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Antoine RIVES
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : CABINET AVOC'ARENES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-27;24bx02838 ?
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