Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 28 mars 2023 par lequel la préfète de la Charente a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2301552 du 19 septembre 2024, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 octobre 2024, Mme A... B..., représentée par Me Tribot, demande à la cour :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 19 septembre 2024 ;
3°) d'annuler l'arrêté du 28 mars 2023 par lequel la préfète de la Charente a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Charente, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 10 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le tribunal a écarté le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte attaqué, au regard d'un arrêté de délégation du 24 novembre 2022 non produit aux débats, en méconnaissance des articles L. 5 et R. 611-1 du code de justice administrative ;
Sur l'arrêté pris dans son ensemble :
- il a été signé par une autorité incompétente, en l'absence de justification d'une délégation de signature ;
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
- elle est entachée d'un vice de procédure du fait de l'absence de consultation de la commission du titre de séjour en méconnaissance de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration est irrégulier dès lors qu'il ne mentionne pas la durée du traitement qu'elle doit suivre ;
- elle remplissait les conditions de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'elle est atteinte du VIH, que son état de santé nécessite une prise en charge dont le défaut pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que le traitement dont elle bénéficiait dans son pays d'origine est inefficace ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la décision fixant le pays de destination :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La procédure a été régulièrement communiquée au préfet de la Charente, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Par une décision n° 2024/002874 du 17 octobre 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Par lettre du 28 mai 2025 les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'impliquer le prononcé d'office d'une injonction sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Béatrice Molina-Andréo a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante ivoirienne née le 11 juillet 1979, déclare être irrégulièrement entrée en France le 20 janvier 2019. Sa demande d'asile, enregistrée le 26 février 2019, a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en date du 29 septembre 2020, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 10 mars 2021. Ayant ensuite sollicité son admission au séjour en qualité d'étranger malade, elle a bénéficié d'un titre de séjour sur ce fondement du 22 juin 2021 au 21 juin 2022. Elle a sollicité le renouvellement de son titre de séjour le 27 juin 2022. Par un arrêté du 28 mars 2023, la préfète de la Charente a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par la présente requête, Mme B... relève appel du jugement du 19 septembre 2024 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire :
2. Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 17 octobre 2024. Par suite, ses conclusions tendant à obtenir l'aide juridictionnelle à titre provisoire sont devenues sans objet. Il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) ".
4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'OFII qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi allant dans le sens de ses conclusions. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. Il ressort des pièces du dossier que par un avis du 25 octobre 2022, le collège des médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de Mme B... nécessite une prise en charge médicale, dont le défaut peut entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, elle peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié.
6. Mme B..., qui est atteinte d'une infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), peut être regardée comme se prévalant des dispositions précitées de l'article L.425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont elle soutient remplir les conditions. Il ressort des pièces du dossier que la requérante bénéficie en France depuis 2019 d'une prise en charge par trithérapie, initialement à base de Genvoya, puis depuis 2022 par Biktarvy. Il ressort également des pièces produites par Mme B..., en particulier d'un courriel émanant du laboratoire pharmaceutique américain Gilead sciences, et n'est d'ailleurs pas contesté par le préfet de la Charente qui n'a pas produit d'écritures en défense, que le Biktarvy, composé de Bictégravir, d'Emtricitabine et de Ténofir alafénamide, n'est pas disponible en Côte d'Ivoire compte tenu de l'inaccessibilité des deux dernières molécules. Si l'OFII a fait valoir dans ses observations de première instance, en s'appuyant sur les données de la base MedCOI du bureau européen d'appui en matière d'asile, que " Mme B... a besoin d'une trithérapie classique, en évitant la classe des INNTi (...) sous l'association INTI + anti protéase ou + anti-intégrase ", disponibles en Côte d'Ivoire, il ressort du certificat médical établi par un praticienne hospitalière du centre hospitalier d'Angoulême le 26 avril 2023, certes postérieurement à l'arrêté, mais qui révèle une situation de fait existante à cette date, que le traitement antirétroviral administré en Côte d'Ivoire était inefficace du fait d'un virus multirésistant et que toute modification de la trithérapie efficace administrée en France aura des conséquences d'une exceptionnelle gravité, allant de la reprise d'une réplication virale, à l'évolution vers l'immunodépression profonde, le sida puis le décès. Alors que la requérante a déjà bénéficié d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade du 22 juin 2021 au 21 juin 2022 au regard de l'impossibilité de bénéficier effectivement d'un traitement approprié à sa pathologie en Côte d'Ivoire, les pièces produites, qui attestent de l'absence persistante d'équivalence des traitements disponibles en Côte d'Ivoire avec celui dispensé en France à l'intéressée et qui ne sont pas contredites par le préfet de la Charente en l'absence d'écritures en défense, suffisent à renverser la présomption résultant de l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Par suite, Mme B... est fondée à soutenir que la préfète de la Charente a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de lui renouveler son titre de séjour en qualité d'étranger malade.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement, ni d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande en annulation de l'arrêté préfectoral du 28 mars 2023.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
8. Aux termes de l'article L.911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ".
9. Eu égard au motif d'annulation retenu, et sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet de la Charente de délivrer à Mme B... un titre de séjour mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de la munir, dans l'attente, sous huit jours, d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
10. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Tribot, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de Mme B... tendant à son admission provisoire à l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 19 septembre 2024 est annulé.
Article 3 : L'arrêté de la préfète de la Charente du 28 mars 2023 est annulé.
Article 4 : Il est enjoint au préfet de la Charente de délivrer à Mme B... un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de la munir, sous huit jours, d'une autorisation provisoire de séjour.
Article 5 : L'Etat versera à Me Tribot la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Tribot, au préfet de la Charente et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 5 juin 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 juin 2025.
La rapporteure,
Béatrice Molina-AndréoLa présidente,
Evelyne Balzamo
La greffière,
Stéphanie Larrue
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX02443