Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), l'association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS), l'association des mateurs amicaux des z'oiseaux et de la nature aux Antilles (AMAZONA), l'association Le Carouge, l'association pour l'étude et la protection de la vie sauvage dans les petites Antilles (AEVA) et l'association pour la sauvegarde et la réhabilitation de la faune des Antilles (ASFA) ont demandé au tribunal administratif de la Martinique, dans trois requêtes distinctes,
- d'annuler l'arrêté du préfet de la Martinique n° R02-2021-07-19-00002 du 19 juillet 2021 portant sur l'ouverture et la clôture de la chasse pour la campagne 2021-2022 dans le département de la Martinique ;
- d'annuler l'arrêté du préfet de la Martinique n° R02-2021-12-07-00002 du 7 décembre 2021 portant sur les modalités de la chasse pour la campagne 2021-2022 dans le département de la Martinique ;
- d'annuler l'arrêté du préfet de la Martinique n° R02-2022-07-19-00001 du 19 juillet 2022 portant sur les modalités de la chasse pour la campagne 2022-2023 dans le département de la Martinique, en tant qu'il autorise la chasse du pigeon à cou rouge, du moqueur corossol, du pluvier bronzé, du pluvier argenté, du bécassin roux, du petit chevalier à pattes jaunes, du chevalier semi-palmé, du bécasseau à poitrine cendrée, du bécasseau à échasses, de la bécassine de Wilson, de la maubèche des champs et de la sarcelle à ailes bleues.
Par un jugement n° 2100546 du 24 avril 2023, le tribunal administratif de la Martinique a annulé l'arrêté du 19 juillet 2021 en tant d'une part, qu'il autorise la chasse de la sarcelle à ailes bleues, du canard d'Amérique, du canard colvert, du canard pilet, du canard chipeau, du canard souchet, de la sarcelle à ailes vertes, du dendrocygne fauve, du dendrocygne à ventre noir, du fuligule à collier, du petit fuligule, du pluvier bronzé, du pluvier argenté, du tournepierre à collier, du petit chevalier à pattes jaunes, du grand chevalier à pattes jaunes, du bécassin roux, de la bécassine de Wilson, de la maubèche des champs, du chevalier semipalmé, du bécasseau à échasses, du bécasseau à poitrine cendrée, du courlis corlieu et de la barge hudsonnienne, d'autre part, qu'il autorise la chasse du pigeon à cou rouge et du moqueur corossol, entre le 25 juillet 2021 et le 30 novembre 2021 inclus, ainsi que du moqueur grivotte, entre le 25 juillet 2021 et le 30 septembre 2021 inclus, et enfin, en tant qu'il n'institue aucune mesure de limitation à la chasse du moqueur grivotte pour la période du 1er octobre 2021 au 30 novembre 2021 inclus.
Par un jugement n° 2200060 du 24 avril 2023, le tribunal administratif de la Martinique a annulé l'arrêté du 7 décembre 2021, en tant d'une part, qu'il autorise la chasse de la sarcelle à ailes bleues, du canard d'Amérique, du canard colvert, du canard pilet, du canard chipeau, du canard souchet, de la sarcelle à ailes vertes, du dendrocygne fauve, du dendrocygne à ventre noir, du fuligule à collier, du petit fuligule, du pluvier bronzé, du pluvier argenté, du tournepierre à collier, du petit chevalier à pattes jaunes, du grand chevalier à pattes jaunes, du bécassin roux, de la bécassine de Wilson, de la maubèche des champs, du chevalier semipalmé, du bécasseau à échasses, du bécasseau à poitrine cendrée, du courlis corlieu et de la barge hudsonnienne, d'autre part, qu'il autorise la chasse du pigeon à cou rouge et du moqueur corossol, entre le 25 juillet 2021 et le 30 novembre 2021 inclus, ainsi que du moqueur grivotte, entre le 25 juillet 2021 et le 30 septembre 2021 inclus, et enfin, en tant qu'il n'institue aucune mesure de limitation à la chasse au moqueur grivotte pour la période du 1er octobre 2021 au 30 novembre 2021 inclus.
Par un jugement n° 2200519 du 24 avril 2023, le tribunal administratif de la Martinique a d'une part, annulé l'arrêté du 19 juillet 2022 en tant qu'il autorise la chasse, entre le 31 juillet 2022 et le 15 février 2023 inclus, de la sarcelle à ailes bleues, du pluvier bronzé, du pluvier argenté, du petit chevalier à pattes jaunes, du bécassin roux, de la bécassine de Wilson, de la maubèche des champs, du chevalier semipalmé, du bécasseau à échasses et du bécasseau à poitrine cendrée, et d'autre part, a annulé le même arrêté en tant qu'il autorise la chasse du pigeon à cou rouge et du moqueur corossol, entre le 31 juillet 2022 et le 30 novembre 2022 inclus.
Procédure devant la cour :
I/ Sous le n° 23BX01724, par une requête et des mémoires, enregistrés le 26 juin 2023, le 28 aout 2023 et le 27 décembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique n° 2200519 du 24 avril 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la LPO et autres devant le tribunal administratif de la Martinique.
Il soutient que :
- en jugeant que l'article R. 424-11 du code de l'environnement, propre à la Martinique, ne donnait pas compétence au préfet pour fixer la période de chasse aux oiseaux de passage et au gibier d'eau par dérogations aux dispositions de l'article R. 424-9 du code de l'environnement, applicable en Métropole, le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de droit ;
- en considérant que l'état de conservation du pigeon à cou rouge, du moqueur corrossol et du moqueur grivotte sur le territoire martiniquais impliquait nécessairement l'interdiction générale et absolue de la chasse alors qu'il n'est pourtant pas incompatible avec une telle pratique notamment lorsque celle-ci est, comme en l'espèce, limitée dans sa durée et assujettie à des quotas de prélèvement par chasseur, le tribunal a commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation ; les fiches consacrées au pigeon à cou rouge (ici) et au moqueur corossol (ici) dans l'Inventaire national du patrimoine naturel indique que ces espèces sont classées " préoccupation mineure " (A...) à l'échelle mondiale et " quasi menacée " (NT) sur le territoire martiniquais, c'est-à-dire que l'espèce n'a pas atteint le seuil des espèces menacées mais pourrait l'être si des mesures de conservation spécifiques n'étaient pas prises (v. le document de synthèse établi en 2020, pièce jointe n° 1, p. 15) ; or, l'arrêté en cause limite dans le temps les effets de la chasse, l'assortit d'un plan de gestion consistant en la définition de quotas de prélèvement s'imposant à chaque chasseur et d'un dispositif destiné à garantir l'effectivité du plan de gestion ; s'agissant du moqueur grivotte, il est classé dans " préoccupation mineure " (A...) à l'échelle mondiale ainsi que sur le territoire martiniquais.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2024, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), l'association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS), l'association des mateurs amicaux des z'oiseaux et de la nature aux Antilles (AMAZONA), l'association Le Carouge, l'association pour l'étude et la protection de la vie sauvage dans les petites Antilles (AEVA) et l'association pour la sauvegarde et la réhabilitation de la faune des Antilles (ASFA) concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que les moyens ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 21 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 13 décembre 2024 à 12h00.
II/ Sous le n° 23BX01725, par une requête et des mémoires, enregistrés le 26 juin 2023, le 28 aout 2023 et le 27 décembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique n° 2100546 du 24 avril 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la LPO et autres devant le tribunal administratif de la Martinique.
Il soutient les mêmes moyens que dans la requête n° 23BX01724.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2024, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), l'association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS), l'association des mateurs amicaux des z'oiseaux et de la nature aux Antilles (AMAZONA), l'association Le Carouge, l'association pour l'étude et la protection de la vie sauvage dans les petites Antilles (AEVA) et l'association pour la sauvegarde et la réhabilitation de la faune des Antilles (ASFA) concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que les moyens ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 21 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 13 décembre 2024 à 12h00.
III/ Sous le n° 23BX01726, par une requête et des mémoires, enregistrés le 26 juin 2023, le 28 aout 2023 et le 27 décembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique n° 2200060 du 24 avril 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la LPO et autres devant le tribunal administratif de la Martinique.
Il soutient les mêmes moyens que dans les requêtes n° 23BX01724 et 23BX01725.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2024, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), l'association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS), l'association des mateurs amicaux des z'oiseaux et de la nature aux Antilles (AMAZONA), l'association Le Carouge, l'association pour l'étude et la protection de la vie sauvage dans les petites Antilles (AEVA) et l'association pour la sauvegarde et la réhabilitation de la faune des Antilles (ASFA) concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que les moyens ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 21 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 13 décembre 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Frédérique Munoz-Pauziès,
- les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique,
- et les observations de Me Victoria, représentant les associations LPO France, Amazona, le Carouge, AEVA et ASFA.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du19 juillet 2021, le préfet de la Martinique a fixé la période d'ouverture générale de la chasse pour la campagne 2021-2022 et défini les modalités spécifiques pour la chasse de certaines espèces de gibier, en particulier les pigeons, moqueurs, anatidés, limicoles, colombes et tourterelles. Par un arrêté du 7 décembre 2021, le préfet de la Martinique a abrogé l'arrêté du 19 juillet 2021, a fixé à l'identique la période d'ouverture générale de la chasse pour la campagne 2021-2022, et a défini de nouvelles modalités spécifiques pour la chasse de certaines espèces de gibier, en particulier de pigeons, moqueurs, limicoles, colombes et tourterelles. Enfin, par arrêté du 19 juillet 2022, le préfet de la Martinique a fixé la période d'ouverture générale de la chasse pour la campagne 2022-2023 et défini les modalités spécifiques pour la chasse de certaines espèces de gibier.
2. La Ligue de protection des oiseaux (LPO) et d'autres associations de protection de la faune sauvage ont saisi le tribunal administratif de la Martinique de la légalité de ces trois arrêtés. Dans la requête n° 23BX01725, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoire relève appel du jugement n° 2100546 du 24 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a annulé l'arrêté du 19 juillet 2021 en tant d'une part, qu'il autorise la chasse de la sarcelle à ailes bleues, du canard d'Amérique, du canard colvert, du canard pilet, du canard chipeau, du canard souchet, de la sarcelle à ailes vertes, du dendrocygne fauve, du dendrocygne à ventre noir, du fuligule à collier, du petit fuligule, du pluvier bronzé, du pluvier argenté, du tournepierre à collier, du petit chevalier à pattes jaunes, du grand chevalier à pattes jaunes, du bécassin roux, de la bécassine de Wilson, de la maubèche des champs, du chevalier semipalmé, du bécasseau à échasses, du bécasseau à poitrine cendrée, du courlis corlieu et de la barge hudsonnienne, d'autre part, qu'il autorise la chasse du pigeon à cou rouge et du moqueur corossol, entre le 25 juillet 2021 et le 30 novembre 2021 inclus, ainsi que du moqueur grivotte, entre le 25 juillet 2021 et le 30 septembre 2021 inclus, et enfin, en tant qu'il n'institue aucune mesure de limitation à la chasse du moqueur grivotte pour la période du 1er octobre 2021 au 30 novembre 2021 inclus.
3. Dans la requête n° 23BX01726, le ministre relève appel du jugement n° 2200060 du 24 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a annulé l'arrêté du 7 décembre 2021, en tant d'une part, qu'il autorise la chasse de la sarcelle à ailes bleues, du canard d'Amérique, du canard colvert, du canard pilet, du canard chipeau, du canard souchet, de la sarcelle à ailes vertes, du dendrocygne fauve, du dendrocygne à ventre noir, du fuligule à collier, du petit fuligule, du pluvier bronzé, du pluvier argenté, du tournepierre à collier, du petit chevalier à pattes jaunes, du grand chevalier à pattes jaunes, du bécassin roux, de la bécassine de Wilson, de la maubèche des champs, du chevalier semipalmé, du bécasseau à échasses, du bécasseau à poitrine cendrée, du courlis corlieu et de la barge hudsonnienne, d'autre part, qu'il autorise la chasse du pigeon à cou rouge et du moqueur corossol, entre le 25 juillet 2021 et le 30 novembre 2021 inclus, ainsi que du moqueur grivotte, entre le 25 juillet 2021 et le 30 septembre 2021 inclus, et enfin, en tant qu'il n'institue aucune mesure de limitation à la chasse au moqueur grivotte pour la période du 1er octobre 2021 au 30 novembre 2021 inclus.
4. Dans la requête n° 23BX01724 le ministre relève appel du jugement n° 2200519 du 24 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a d'une part, annulé l'arrêté du 19 juillet 2022 en tant qu'il autorise la chasse, entre le 31 juillet 2022 et le 15 février 2023 inclus, de la sarcelle à ailes bleues, du pluvier bronzé, du pluvier argenté, du petit chevalier à pattes jaunes, du bécassin roux, de la bécassine de Wilson, de la maubèche des champs, du chevalier semipalmé, du bécasseau à échasses et du bécasseau à poitrine cendrée, et d'autre part, a annulé le même arrêté en tant qu'il autorise la chasse du pigeon à cou rouge et du moqueur corossol, entre le 31 juillet 2022 et le 30 novembre 2022 inclus.
Sur la jonction :
5. Les requêtes du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
Sur la compétence du préfet pour fixer les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse de certaines espèces :
6. Pour annuler les arrêtés préfectoraux litigieux en tant qu'ils fixaient les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d'eau, les premiers juges ont retenu l'incompétence du préfet s'agissant de ces espèces, en vertu de l'article R. 424-9 du code de l'environnement.
7. Aux termes de l'article L. 424-2 du code de l'environnement alors en vigueur : " Nul ne peut chasser en dehors des périodes d'ouverture de la chasse fixées par l'autorité administrative selon des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article R. 424-6 du même code : " La chasse à tir est ouverte pendant les périodes fixées chaque année par arrêté du préfet (...) ". Aux termes de l'article R. 424-9 de ce code : " Par exception aux dispositions de l'article R. 424-6, le ministre chargé de la chasse fixe par arrêté les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d'eau, après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage. Cet arrêté prévoit les conditions spécifiques de la chasse de ces gibiers. ". Enfin, aux termes de l'article R. 424-11 du même code : " Dans le département de la Martinique, la période d'ouverture générale de la chasse doit être comprise entre les dates suivantes : / Date d'ouverture générale au plus tôt le dernier dimanche de juillet ; / Date de clôture générale au plus tard le 15 février. (...) ".
8. Il résulte des articles R. 424-6 et R. 424-9 du code de l'environnement que le ministre chargé de la chasse est seul compétent pour fixer annuellement les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d'eau. Le ministre se prévaut des dispositions de l'article R. 424-11 du même code, et fait valoir que ce texte, qui ne s'applique qu'en Martinique, institue une dérogation à cette règle. Toutefois, l'article R. 424-11 a pour objet d'encadrer le pouvoir de l'autorité compétente pour fixer les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse, mais ne prévoit aucune dérogation à la règle de répartition des compétences instituée par les articles R. 424-6 et R. 424-9. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé les arrêtés contestés du préfet de la Martinique en tant qu'ils fixaient les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d'eau.
Sur la chasse du pigeon à cou rouge, du moqueur corossol et du moqueur grivotte :
En ce qui concerne le pigeon à cou rouge et le moqueur corossol :
9. Pour annuler les arrêtés litigieux en tant qu'ils autorisaient la chasse de certaines espèces, les premiers juges ont retenu que, eu égard aux risques que la chasse faisait peser sur elles, l'arrêté était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conteste ces jugements en tant qu'ils portent sur le pigeon à cou rouge et le moqueur corossol.
10. Aux termes de l'article R. 424-1 du code de l'environnement : " Afin de favoriser la protection et le repeuplement du gibier, le préfet peut dans l'arrêté annuel prévu à l'article R. 424-6, pour une ou plusieurs espèces de gibier : / 1° Interdire l'exercice de la chasse de ces espèces ou d'une catégorie de spécimen de ces espèces en vue de la reconstitution des populations ; / 2° Limiter le nombre des jours de chasse ; / 3° Fixer les heures de chasse du gibier sédentaire et des oiseaux de passage ".
11. Il appartient au préfet de faire usage des pouvoirs qu'il tient de ces dispositions et d'interdire la chasse d'une espèce d'oiseau vivant à l'état sauvage en mauvais état de conservation, lorsque les données scientifiques disponibles sur l'espèce et sa conservation ne permettent pas de s'assurer que la chasse est compatible avec le maintien de la population et respecte une régulation équilibrée de l'espèce du point de vue écologique.
12. Il ressort des pièces du dossier, comme le fait valoir le ministre, que le pigeon à cou rouge (patagioenas squamosa Bonnaterre) et le moqueur corossol (margarops fuscatus), espèces d'oiseaux sédentaires présentes dans les Antilles, sont tous deux inscrits dans la catégorie " préoccupation mineure " de la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature. Toutefois, cette même liste les classe en tant qu'espèce " quai-menacée " pour le territoire de la Martinique. Il s'agit donc d'espèces qui pourraient être menacées sur ce territoire si des mesures de conservation spécifiques n'étaient pas prises. Ces espèces sont ainsi en mauvais état de conservation sur le territoire de la Martinique. Si le ministre soutient à raison que ce classement n'interdit pas la chasse de ces espèces, il impose toutefois à l'autorité administrative de prescrire des mesures de nature à rendre la chasse compatible avec le maintien de la population, en tenant compte des données scientifiques disponibles. En l'espèce, le ministre ne se prévaut d'aucune donnée scientifique permettant de s'assurer que la chasse est compatible avec le maintien de la population de pigeon à cou rouge et de moqueur corossol. Si les arrêtés litigieux ont prévu des mesures encadrant la chasse de ces espèces, qui consistent à ouvrir la période de chasse de ces deux espèces de la fin juillet à la fin novembre et à mettre en œuvre un plan de gestion qui limite les prélèvements à 10 pigeons à col rouge et 3 ou 4 moqueurs corossols par jour et par chasseur, sans même instituer de limite de prises pour la saison, et impose aux chasseurs de tenir un carnet dans lequel le nombre de prélèvements doit être noté, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que ces mesures seraient suffisantes pour permettre de rendre la chasse compatible avec le maintien de la population de ces deux espèces. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont annulé les arrêtés contestés en tant qu'ils autorisent la chasse au pigeon à cou rouge et au moqueur corossol.
En ce qui concerne le moqueur grivotte :
13. Aux termes de l'alinéa 2 de l'article L. 424-2 du code de l'environnement : " Les oiseaux ne peuvent être chassés ni pendant la période nidicole ni pendant les différents stades de reproduction et de dépendance ".
14. Les premiers juges ont relevé que les arrêtés du 19 juillet 2021 et du 7 décembre 2021 avaient prévu des dates d'ouverture de la chasse de fin juillet à fin novembre, couvrant en partie la période de reproduction et de nidification de l'espèce. Le ministre ne contredit pas cette affirmation en se bornant à soutenir que le moqueur grivotte est classé dans la catégorie " préoccupation mineure " (A...) à l'échelle mondiale ainsi que sur le territoire martiniquais et que son état de conservation n'est pas préoccupant, alors que l'interdiction édictée par le deuxième alinéa de l'article L. 424-2 du code de l'environnement s'étend à toutes les espèces d'oiseaux, qu'elles soient ou non menacées.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de la Martinique a partiellement annulé les arrêtés litigieux.
16. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, au profit des associations requérantes, la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Les requêtes n° 23BX01724, 23BX01725 et 23BX01726 présentées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sont rejetées.
Article 2 : L'Etat versera aux associations requérantes la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) désigné en qualité de représentant unique des défendeurs en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, et à la fédération des chasseurs de la Martinique.
Copie en sera adressée au préfet de la Martinique.
Délibéré après l'audience du 28 mai 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juin 2025.
La présidente-assesseure,
Bénédicte MartinLa présidente-rapporteure,
Frédérique Munoz-PauzièsLa greffière,
Laurence Mindine
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX01724, 23BX01725, 23BX01726