Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 20 juillet 2023, 20 septembre 2024 et 27 janvier 2025, la société Energie des Cyprès, représentée par Me Elfassi, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 26 mai 2023 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a refusé sa demande d'autorisation environnementale en vue de construire et d'exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune de Bernay-Saint-Martin ;
2°) de lui accorder l'autorisation environnementale sollicitée ;
3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime de lui délivrer cette autorisation ou, à tout le moins, de réexaminer sa demande et de se prononcer sur celle-ci dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué est insufisamment motivé ;
- contrairement à ce qu'a retenu le préfet dans son arrêté, l'étude d'impact comprend la recherche d'alternatives de moindre impact et la démarche éviter-réduire-compenser est complète ; la variante retenue est celle ayant le moins d'impact sur son environnement paysager ; de nombreuses mesures sont prévues pour pallier les effets d'encerclement ;
- contrairement au motif de refus opposé, le projet ne porte pas atteinte au paysage dans lequel il s'insère ;
- contrairement au motif de refus opposé, le projet ne génère pas de saturation visuelle et ne porte pas atteinte à la commodité du voisinage.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 septembre 2024, le préfet de la
Charente-Maritime conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Héloïse Pruche-Maurin,
- les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public,
- et les observations de Me Kabra, représentant la société Energie des Cyprès.
Une note en délibéré présentée par la Société Energie des Cyprès a été enregistrée le 26 mai 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Le 25 juin 2021, la société Energie des Cyprès a déposé une demande d'autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien composé de six éoliennes, d'une hauteur en bout de pale de 180,3 mètres et deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Bernay-Saint-Martin (Charente-Maritime). Par un arrêté du 26 mai 2023, le préfet de la Charente-Maritime a rejeté cette demande d'autorisation environnementale. La société Energie des Cyprès demande l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la motivation de l'arrêté attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 7° Refusent une autorisation (...) ". L'article L.211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". En application de l'article R. 181-34 du code de l'environnement, une décision de refus d'autorisation environnementale doit être motivée.
3. Il résulte des termes de l'arrêté attaqué, qu'après avoir visé les textes applicables et notamment les articles pertinents du code de l'environnement et décrit le projet de parc éolien, le préfet relève que les éoliennes sont situées dans un secteur géographique marqué par une densité de mâts notable. Il décrit précisément les 89 mâts d'éoliennes existants et autorisés, ajoute que les particularités du relief viennent nuancer localement le recul de l'horizon, et relève de nombreuses situations de visibilité lointaine. Il détaille l'ensemble des bourgs et hameaux présents dans le secteur et conclut à une aggravation des indices d'occupation de l'horizon, de densité et une diminution des espaces de respiration engendrées par le projet, sans que la recherche d'alternatives de moindre impact n'ait été approfondie par la pétitionnaire. Il ajoute enfin que les mesures d'évitement, de réduction et de compensation ne permettent pas de réduire suffisamment les effets de saturation visuelle constitutifs d'une atteinte à la commodité du paysage, intérêt protégé par les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Cette motivation répond aux exigences des dispositions précitées, contrairement à ce que soutient la société requérante, dès lors qu'elle permet de comprendre les éléments de droit et de fait sur lesquels la décision est fondée.
En ce qui concerne le motif tiré de l'atteinte à la commodité du voisinage :
4. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et
L. 511-1, selon les cas (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement :
" Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ".
5. La circonstance que les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement incluent la protection des paysages ne fait pas obstacle à ce que l'impact visuel d'un projet, en particulier le phénomène de saturation visuelle qu'un projet de parc éolien est susceptible de produire, puisse être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage au sens de cet article.
6. Il appartient à l'autorité administrative, pour apprécier les inconvénients pour la commodité du voisinage liés à l'effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien, de tenir compte de l'effet d'encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l'ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d'écrans visuels, l'incidence du projet sur les angles d'occupation et de respiration, ce dernier s'entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents. Si elle peut, le cas échéant, également tenir compte, pour porter cette appréciation, d'autres projets de parcs éoliens, faisant l'objet d'une instruction concomitante, qu'elle s'apprête à autoriser, elle ne saurait prendre en compte des projets qu'elle a refusés, quand bien même les décisions de refus ne seraient pas devenues définitives.
7. Il résulte de l'instruction que le projet en litige consiste en l'implantation de
6 éoliennes, d'une hauteur de 180,3 mètres en bout de pale, sur le territoire de la commune de Bernay Saint-Martin, à environ 12 km de Surgères et 19 km de Saint-Jean-d'Angély. Il s'insère dans un secteur comprenant de nombreux bourgs et hameaux, l'inspection des installations classées de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Nouvelle-Aquitaine (DREAL) relevant ainsi dans son avis défavorable au projet du 7 avril 2023, la présence de 12 hameaux dans une bande de 1 km autour de la zone d'implantation du projet (ZIP). Le secteur comprend déjà un nombre élevé d'éoliennes dès lors que pas moins de trente-cinq mâts en fonctionnement ou autorisés peuvent être recensés dans un rayon de 5 km autour de la ZIP, auxquels s'ajoutent 6 mâts en cours d'instruction, et un peu plus d'une soixantaine dans un rayon de 10km, tel que cela ressort de la carte établie par la DREAL Nouvelle-Aquitaine. L'étude d'impact relève un niveau d'incidence fort au niveau de Bernay Saint-Martin, en particulier depuis les sorties de bourgs, le projet étant rarement visible depuis l'intérieur du bourg car masqué par le bâti, et faible à moyen s'agissant des hameaux situés à moins d'1 km du projet, notamment les hameaux de Barbeau et de Breuilles. L'étude d'impact consacre une analyse spécifique dans son chapitre 8.3 aux risques de densification des horizons et des effets d'encerclement générés par le projet. Si cette dernière conclut que le risque apparait globalement modéré, il résulte toutefois de ce document que " le projet s'insère le plus souvent au sein d'horizons déjà occupés par le motif éolien " et que l'indice d'occupation des horizons augmente depuis quasiment tous les hameaux proches du projet. Il résulte ainsi de l'avis précité de la DREAL que les trois indices, d'occupation de l'horizon, d'espace de respiration et de densité, depuis les lieux de vie situés à proximité du parc éolien affichent des valeurs préoccupantes faisant présumer un risque de saturation et d'encerclement. Il en est notamment ainsi des bourgs de Breuille et Barbeau, implantés au nord de la commune de Bernay-Saint-Martin, le long de la route départementale (RD) 212E2. La DREAL conclut à une saturation visuelle réelle dès lors que quand bien même le secteur compte une topographie légèrement vallonée, notamment au niveau de Bernay-Saint-Martin, les masques visuels supposés, qui seraient constitués par quelques boisements éparses, ne permettent pas de réduire " l'effet cumulé d'encerclement ". La photographie produite par la DREAL dans son rapport, qui vise à compléter les photomontages de l'étude d'impact en y ajoutant l'ensemble des projets construits et autorisés dans le secteur depuis, montre ainsi qu'au niveau de l'entrée nord de Breuilles et plus spécifiquement au lieu-dit " Les Vignes-du-Moulin ", qui compte un lieu de vie, l'horizon est saturé, le seul angle visuel encore vierge d'éoliennes étant celui où est projeté l'implantation du parc litigieux.
8. Si la société pétitionnaire produit une étude d'occupation visuelle datée de 2024 et actualisée en 2025, qu'elle a elle-même réalisée, ce document, contrairement à ce qu'elle soutient, ne suffit pas à écarter l'existence d'une saturation visuelle générée par le projet, notamment depuis les bourgs de Breuille et Bardeau, et depuis le lieu-dit
" Les Vignes-du-Moulin ", secteur dans lequel la topographie est plane et dégagée de toute végétation. Il résulte ainsi de cette étude qu'au niveau des ces bourgs les indices théoriques sont fortement dégradés : l'angle d'occupation des horizons augmente de 30% pour atteindre 200° tandis que l'angle de respiration diminue de 52% pour atteinte 68° tandis que le photomontage réalisé démontre l'absence de masque visuel et l'effet de saturation. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet se serait fondé uniquement sur les valeurs théoriques et n'auraient pas apprécié in concreto la saturation. Ainsi, le motif tiré de l'atteinte à la commodité du voisinage pouvait être légalement opposé à la demande de la société, sans que les mesures d'évitement, de réduction et de compensation proposées par cette dernière, consistant essentiellement en un éloignement minimal de 800 mètres entre les éoliennes, les habitations riveraines et l'église de Bernay-Saint-Martin, le choix d'une implantation groupée, la mise en place d'alignements d'arbres en entrée et sortie du bourg Bernay-Saint-Martin pour un coût de 2 000 euros, la prévision d'un fond de plantation à destination des riverains et l'élaboration d'un itinéraire cyclable entre Bernay-Saint-Martin, Breuilles et Barbeau, ou autres prescriptions dont le préfet aurait pu assortir un arrêté d'autorisation, puissent suffire à pallier l'atteinte constatée.
9. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Charente-Maritime a pu légalement estimer que l'implantation du projet, cumulée avec les autres parcs existants et les projets autorisés, serait de nature à favoriser un phénomène de saturation visuelle des bourgs de Barbeau et Breuilles, portant ainsi atteinte à la commodité du voisinage, intérêt visé à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, sans que des prescriptions permettent d'éviter de telles atteintes. Ce seul motif suffit à justifier légalement le refus d'autorisation qui a été opposé à la société au regard de l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
Sur les conclusions tendant à la délivrance de l'autorisation sollicitée ou aux fins d'injonction :
10. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions de la société Energie des Cyprès tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 26 mai 2023 n'implique ni la délivrance par la cour de l'autorisation sollicitée, ni qu'il soit enjoint à l'administration de délivrer cette autorisation ou de réexaminer la demande. Par voie de conséquence, les conclusions de la société requérante aux fins de délivrance de l'autorisation sollicitée ainsi que celles, subsidiaires, aux fins d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais d'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que demande la société Energie des Cyprès au titre des frais d'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Energie des Cyprès est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Energie des Cyprès et au préfet de la Charente-Maritime.
Une copie en sera adressée pour information au ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente assesseure,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2025.
La rapporteure,
Héloïse Pruche-MaurinLa présidente,
Evelyne Balzamo
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au préfet de la Charente-Maritime en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX02072