Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 5 décembre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2402490 du 17 septembre 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 décembre 2024, et une pièce nouvelle non communiquée enregistrée le 15 avril 2025, M. A..., représentée par Me Reix, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 17 septembre 2024 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 décembre 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros hors taxes, soit 1 800 euros TTC, à son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- subsidiairement, elle méconnaît les dispositions de l'article L. 421-34 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur de fait sur un élément déterminant.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale par exception d'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste des conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale par exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 mars 2025, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 20 février 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 15 avril 2025 à 12 heures.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 novembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C... ;
- et les observations de Me Tovia Vila représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant marocain né en octobre 1998, est entré sur le territoire français le 11 juin 2022 sous couvert d'un visa de type D pour une durée de séjour autorisée en France de trois mois. Il a ensuite obtenu, le 28 octobre 2022, un titre de séjour portant la mention " travailleur saisonnier " valable jusqu'au 27 novembre 2023 dont il a sollicité le renouvellement le 6 septembre 2023. Par un arrêté du 5 décembre 2023, le préfet de la Gironde a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A... relève appel du jugement du 17 septembre 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision portant refus de séjour :
En ce que concerne la demande principale :
2. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".
3. Il ressort des pièces du dossier et notamment de l'arrêté attaqué que M. A... n'a pas demandé la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les motifs de l'arrêté en litige font toutefois apparaitre que le préfet a aussi examiné, à ce titre, le droit au séjour de M. A.... Il ressort, à cet égard, des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté attaqué, M. A... ne résidait en France que depuis 18 mois et de façon discontinue compte tenu de son statut de " travailleur saisonnier " sous le couvert duquel il pouvait résider en France entre le 28 octobre 2022 et le 27 novembre 2023, dans les conditions et limites mentionnées à l'article L. 421-34 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Compte tenu de son statut, il ne justifie pas davantage d'une insertion économique durable et intense dans la société française. Enfin, il est célibataire, sans enfant et n'établit pas qu'il serait isolé au Maroc, pays dans lequel il a vécu jusqu'à l'âge de 28 ans et où il se rend et séjourne fréquemment. Par suite, alors même que M. A... est hébergé à Bergerac chez sa sœur qui réside en France de manière régulière et que plusieurs cousins ainsi que son oncle sont de nationalité française, le refus de titre de séjour attaqué ne méconnaît pas les dispositions précitées de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne la demande subsidiaire :
4. Aux termes de l'article 9 de l'accord franco-marocain du
9 octobre 1987 modifié : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux États sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord (...) ". Aux termes de l'article L. 421-34 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce un emploi à caractère saisonnier, tel que défini au 3° de l'article L. 1242-2 du code du travail, et qui s'engage à maintenir sa résidence habituelle hors de France, se voit délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " travailleur saisonnier " d'une durée maximale de trois ans. / Cette carte peut être délivrée dès la première admission au séjour de l'étranger. / Elle autorise l'exercice d'une activité professionnelle et donne à son titulaire le droit de séjourner et de travailler en France pendant la ou les périodes qu'elle fixe et qui ne peuvent dépasser une durée cumulée de six mois par an. / La délivrance de cette carte de séjour est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail dans les conditions prévues par les articles L. 5221-2 et suivants du code du travail. ". Il résulte de ces dispositions que la carte de séjour pluriannuelle portant la mention " travailleur saisonnier ", qui autorise l'exercice d'une activité professionnelle et donne à son titulaire le droit de séjourner et de travailler en France pendant la ou les périodes qu'elle fixe et qui ne peuvent dépasser une durée cumulée de six mois par an, est délivrée à l'étranger qui exerce un emploi à caractère saisonnier et qui s'engage à maintenir sa résidence habituelle hors de France. La computation de la durée autorisée de travail et de séjour en France s'effectue de date à date, à compter de la délivrance du titre de séjour, et non par année civile.
5. Le préfet de la Gironde a refusé le renouvellement de la carte de séjour de M. A... au motif qu'il n'avait pas respecté la durée maximale de séjour autorisée de six mois au cours de la période d'un an précédant la date d'expiration de son dernier titre de séjour, le 27 novembre 2023. L'autorité préfectorale s'est fondée sur sa lecture des mentions du passeport de l'intéressé dont il ressort, selon elle, que l'intéressé était présent en France du 11 juin au 25 novembre 2022, puis du 17 décembre 2022 au 26 avril 2023 et à partir du 2 juin 2023, portant ainsi son temps de présence sur le territoire français à plus de onze mois sur la durée de validité de treize mois de son titre de séjour. Pour contester ses périodes de présence en France retenues par le préfet, le requérant avait produit devant les premiers juges un billet d'avion assurant la liaison entre Alicante et Milan le 24 janvier 2023 et la réservation d'un vol, le 27 avril 2023, auprès d'une compagnie aérienne entre Milan et Casablanca. Il produit, pour la première fois en appel, l'entièreté de son passeport comportant les tampons des autorités douanières françaises, espagnoles et marocaines attestant de son retour au Maroc le 25 novembre 2022 et de son entrée en Espagne le 17 décembre 2022 ainsi qu'une déclaration d'hospitalité établie par la mairie du village de Cilavegna (Italie), le 30 janvier 2023. Il ressort de l'ensemble de ces éléments que si M. A... séjournait en France entre le 28 octobre 2022 et le 25 novembre 2022 puis entre le 2 juin et le 27 novembre 2023, en revanche il n'y séjournait pas entre le 26 novembre 2022 et le 1er juin 2023. Ainsi entre le 28 octobre 2022, date à laquelle le titre de séjour lui a été délivré et le 27 octobre 2023, date à laquelle expirait la première période de douze mois, M. A... n'a séjourné en France que durant cinq mois et vingt-quatre jours. De même, entre le 28 octobre 2023, date à laquelle une deuxième période de 12 mois s'est ouverte et le 27 novembre 2023, date à laquelle expirait la validité de son titre de séjour, M. A... n'a séjourné en France que durant un mois. Il suit de là que le préfet de la Gironde a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 421-34 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en estimant que M. A... n'avait pas respecté la durée maximale du séjour autorisée de six mois sur une période consécutive de 12 mois. La décision portant refus de séjour doit, par suite, être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, la décision portant obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ". L'article L. 911-2 du même code dispose que : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé (...) ". En application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".
8. L'annulation de l'arrêté préfectoral, si elle rend impossible l'exécution de la mesure d'éloignement, n'implique pas par elle-même la délivrance d'un titre de séjour à l'intéressé. Par suite, les conclusions de M. A... tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de lui délivrer un titre de séjour doivent être rejetées. L'annulation de la décision de refus de séjour implique en revanche, en application des articles précités L. 911-2 du code de justice administrative et L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que l'administration préfectorale procède à un réexamen de la situation de l'intéressé, qu'elle prenne une nouvelle décision sur sa situation dans un délai qu'il y a lieu de fixer à trois mois et que, dans l'attente de cette décision, elle délivre sans délai une autorisation provisoire de séjour à l'intéressé l'autorisant à travailler. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et au profit de Me Reix une somme de 1 200 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ce versement entrainant renonciation de sa part à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2402490 du 17 septembre 2024 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 5 décembre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de délivrer à M. A... un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de réexaminer la situation de M. A..., de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente de cette nouvelle décision, de délivrer à M. A... une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 4 : L'Etat versera à Me Reix, avocat de M. A..., une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ce versement entrainant renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 20 mai 2025 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président de la cour,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente de chambre,
M. Nicolas Normand, président-assesseur.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juin 2025.
Le rapporteur,
Nicolas C...
Le président,
Luc DerepasLa greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 24BX02976