Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les arrêtés du 19 mars 2018 et du 4 octobre 2018 et l'avenant n°1 du 14 septembre 2018 à la convention du 29 juillet 2015 par lesquels le ministre de l'intérieur l'a maintenu en position de mise à disposition, à temps plein, auprès du préfet de la Gironde, en tant qu'ils lui refusent le bénéfice de la bonification spéciale de retraite accordée aux fonctionnaires actifs de la police nationale.
Par un jugement n° 1805420 du 22 juin 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé les arrêtés du 19 mars 2018 et du 4 octobre 2018 ainsi que l'avenant du 18 septembre 2018 en tant qu'ils prévoient que M. A... ne bénéficie pas de la bonification spéciale de retraite dite " bonification du cinquième ".
Par un arrêt n° 20BX02846 du 11 octobre 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel formé par le ministre de l'intérieur, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Bordeaux.
Par une décision n° 469576, 471524 du 22 avril 2024, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux et a renvoyé l'affaire devant cette cour.
Procédure devant la cour :
Par un recours et un mémoire enregistrés les 26 août 2020 et 23 mai 2024, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 22 juin 2020 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif.
Il soutient dans le dernier état de ses écritures que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ; le tribunal n'a pas explicité le raisonnement l'ayant conduit à estimer que la bonification du cinquième ne constituait pas une législation indépendante de la loi du 11 janvier 1984 et à rejeter sa demande de substitution de base légale ;
- s'il s'est fondé sur une norme inapplicable, l'article L. 73 du code des pensions civils et militaires de retraite, pour refuser de prendre en compte sa période de mise à disposition au titre de la bonification du 5ème, en ce que cet article n'est applicable qu'aux agents en détachement, en revanche l'article 1er de la loi du 8 avril 1957, combiné avec les dispositions des articles L. 411-2 et R. 411-2 du code de la sécurité intérieure constituaient la base légale du refus de prise en compte de la période de mise à disposition de M. A... au titre de la bonification du 5ème, à la lumière de la substitution de motif demandée ;
- si les personnels actifs, visés par les articles L. 411-2 et R. 411-2 du code de la sécurité intérieure, sont ceux auxquels s'appliquent les dispositions de la loi du 8 avril 1957, ce n'est qu'à la condition qu'ils exercent effectivement les missions que ces dispositions attribuent à leur corps et qui sont classées en catégorie active ; d'une manière générale, si un fonctionnaire mis à disposition est réputé occuper son emploi, il ne pourra bénéficier des avantages statutaires liés aux emplois de catégorie dite " active " que s'il est soumis à des sujétions et exerce des fonctions pouvant être assimilées à celles des emplois de catégorie dite " active " ;
- M. A..., qui a été mis à disposition en qualité de délégué du préfet de la Gironde, agissant au nom du ministre de la Ville, dans les quartiers de la rive gauche de l'agglomération bordelaise à compter du 1er septembre 2014, n'exerçait plus durant sa mise à disposition les missions ou activités dévolues aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale par l'article R. 411-2 du code de sécurité intérieure et n'avait, par suite, pas de droit au bénéfice de la bonification du cinquième, prévue en contrepartie de la pénibilité de ces missions ou activités ;
- il aurait pris la même décision s'il s'était fondé initialement sur la base légale et le motif appropriés ; le silence de l'arrêté initial de mise à disposition quant à la bonification en cause ne saurait être interprété comme valant maintien de cette bonification au titre de la période de mise à disposition.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 mai 2021 et 24 juin 2024, M. A..., représenté par Me Gernez, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le jugement attaqué est suffisamment motivé ;
- une convention de mise à disposition n'a pas pour objet de modifier le statut du fonctionnaire au regard de ses droits à pension, l'agent demeurant dans son corps d'origine et étant réputé occuper son emploi ; la bonification particulière accordée aux fonctionnaires actifs de la police nationale n'est pas exclue lorsque lesdits fonctionnaires sont placés en position administrative de mise à disposition ;
- la bonification spéciale de retraite instituée par la loi du 8 avril 1957 ne constitue pas une législation indépendante de la loi du 11 janvier 1984 ; le raisonnement par analogie avec la situation des fonctionnaires détachés proposée par le ministre est erroné ; la position de détachement, dans laquelle le fonctionnaire est placé hors de son corps d'origine, ne saurait se confondre avec celle de mise à disposition ; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle des dispositions spécifiques ont prévu le maintien, sous conditions, de la bonification au bénéfice des fonctionnaires détachés ;
- le tribunal a rejeté à juste titre la demande de substitution de base légale demandée en première instance ; le fondement légal invoqué par le ministre ne saurait fonder le refus de maintien de bonification en litige ; comme l'a relevé le tribunal, la
suppression de cette bonification est intervenue plus de trois ans après le début de la mise à disposition ;
- il exerce des fonctions analogues, par leur nature et leurs sujétions, à celles qu'exercent les fonctionnaires actifs de police.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 57-444 du 8 avril 1957 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de M. Ellie, rapporteur public,
- les observations de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., commandant de la police nationale, a, par arrêté du ministre de l'intérieur du 29 juillet 2015, été mis à disposition du préfet de la région Gironde du 1er septembre 2014 au 31 août 2017 pour exercer les fonctions de délégué du préfet dans les quartiers de la rive gauche de l'agglomération bordelaise. Par des arrêtés du ministre de l'intérieur des 19 mars et 4 octobre 2018, cette mise à disposition a été renouvelée pour la période du 1er septembre 2017 au 31 août 2020 et un avenant à la convention de mise à disposition a été signé le 14 septembre 2018. Par un jugement du 22 juin 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a, sur la demande de M. A..., annulé ces arrêtés des 19 mars et 4 octobre 2018 et cet avenant en tant qu'ils prévoient que l'intéressé ne bénéficie pas de la bonification spéciale de retraite prévue à l'article 1er de la loi du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de la police. Par un arrêt du 11 octobre 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel formé par le ministre de l'intérieur contre ce jugement, annulé celui-ci et rejeté la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Bordeaux. Par une décision du 22 avril 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par M. A..., annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Sur les conclusions du ministre tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Bordeaux ayant annulé les arrêtés du 19 mars 2018 et du 4 octobre 2018 ainsi que l'avenant du 18 septembre 2018 en tant qu'ils prévoient que M. A... ne bénéficie pas de la bonification spéciale de retraite dite " bonification du cinquième " :
2. Aux termes de l'article L. 73 du code des pensions civiles et militaires de retraite: " (...) Les avantages spéciaux attachés à l'accomplissement de services dans des emplois classés dans la catégorie active, définie à l'article L. 24, sont maintenus en faveur des fonctionnaires détachés dans un emploi classé dans cette catégorie pour exercer des fonctions de même nature que celles assumées dans le cadre d'origine ainsi qu'en faveur des fonctionnaires détachés pour exercer des fonctions de membre du Gouvernement, un mandat électif ou syndical, qui n'ont pas changé de catégorie durant leur position de détachement. (...) ".
3. Les dispositions précitées n'excluent pas du bénéfice de la bonification spéciale de retraite l'agent mis à disposition qui, en application des dispositions de l'article 41 de la loi du 11 janvier 1984 citées ci-après, est réputé occuper son emploi et continue à percevoir la rémunération correspondante. Le ministre de l'intérieur, qui ne le conteste d'ailleurs pas, a donc commis une erreur de droit en estimant que le bénéfice de la bonification spéciale de retraite devait être refusé à M. A..., agent en position de mise à disposition au motif que le code des pensions civiles et militaires, notamment son article 73, faisait obstacle à ce que le fonctionnaire de police mis à disposition en conserve le bénéfice.
4. Le ministre de l'intérieur demande toutefois à la cour de procéder à une substitution de motif et invoque les dispositions de l'article 1er de la loi du 8 avril 1957 susvisée et la circonstance que M. A..., qui est mis à disposition du préfet de la Gironde, n'exerce pas effectivement des fonctions analogues à des fonctionnaires actifs de police nationale.
5. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Aux termes, d'une part, de l'article 33 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " L'activité est la position du fonctionnaire qui, titulaire d'un grade, exerce effectivement les fonctions de l'un des emplois correspondant à ce grade dans les administrations de l'Etat, les autorités administratives indépendantes et les établissements publics administratifs de l'Etat ". Aux termes de l'article 41 de la même loi : " La mise à disposition est la situation du fonctionnaire qui demeure dans son corps d'origine, est réputé occuper son emploi, continue à percevoir la rémunération correspondante, mais qui exerce des fonctions hors du service où il a vocation à servir (...) ".
7. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 411-2 du code de la sécurité intérieure : " La police nationale comprend des personnels actifs, ainsi que des personnels administratifs, techniques et scientifiques. / Les sujétions et obligations particulières applicables aux personnels actifs de la police nationale sont définies à l'article 19 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité. " Aux termes de l'article R. 411-2 du même code : " Les fonctionnaires actifs des services de la police nationale sont affectés à des missions ou activités : / 1° De protection des personnes et des biens ; / 2° De prévention de la criminalité et de la délinquance ; / 3° De police administrative ; / 4° De recherche et de constatation des infractions pénales, de recherche et d'arrestation de leurs auteurs ; / 5° De recherche de renseignements ; / 6° De maintien de l'ordre public ; / 7° De coopération internationale ; / 8° D'état-major et de soutien des activités opérationnelles ; / 9° De formation des personnels (...) ".
8. Aux termes enfin de l'article 1er de la loi du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de police : " Les agents des services actifs de police de la préfecture de police, soumis à la loi n° 48-1504 du 28 septembre 1948 dont la limite d'âge était, au 1er décembre 1956, égale à cinquante-cinq ans, bénéficient, à compter du 1er janvier 1957, s'ils ont droit à une pension d'ancienneté ou à une pension proportionnelle pour invalidité ou par limite d'âge, d'une bonification pour la liquidation de ladite pension, égale à un cinquième du temps qu'ils ont effectivement passé en position d'activité dans des services actifs de police. Cette bonification ne pourra être supérieure à cinq annuités. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 6 de la même loi : " Les dispositions des articles 1er à 3 ci-dessus seront applicables, suivant les mêmes modalités et à l'exception des catégories équivalentes à celles qui, à la préfecture de police n'en sont pas bénéficiaires, aux personnels des services actifs de la sûreté nationale, soumis à la loi n° 48-1504 du 28 septembre 1948. (...) ".
9. L'avantage d'ancienneté, dit " bonification spéciale des fonctionnaires de police " ou " bonification du 1/5ème ", prévu par les dispositions des articles 1er et 6 de la loi du 8 avril 1957 est attaché à la nature des fonctions que ces agents exercent en position d'activité. Il suit de là qu'un fonctionnaire de police placé en position de mise à disposition a droit au bénéfice de la bonification d'ancienneté pour autant que les fonctions qu'il exerce soient analogues, par leur nature et les sujétions qu'elles emportent, à celles qu'exercent les fonctionnaires actifs de police conformément aux dispositions rappelées au point 7 ci-dessus.
10. M. A... se prévaut des missions qu'il a accomplies en qualité de délégué du préfet de la Gironde dans les quartiers " Politique de la Ville ", de ses actions de prévention de la criminalité et de la délinquance, de ses actions en matière de renseignement et de ses actions de formation de personnels qui révèlent, selon lui, qu'il exerçait des fonctions analogues, par leur nature et leurs sujétions, à celles qu'exercent les fonctionnaires actifs de police. Il fait état notamment de l'attestation établie, le 19 juin 2024, par la cheffe du bureau du service " politique de la Ville " de la préfecture de la Gironde selon laquelle, en sa qualité de référent sur les questions de sécurité et de prévention de la délinquance, il a " accompli un travail remarquable sur le sujet des relations police/population qui a permis un réel apaisement des tensions sur les quartiers dont il a eu la charge " et ces missions lui ont permis " d'être identifié par les élus comme un relais essentiel, auprès des services de l'Etat, sur les questions de sécurité, de prévention de la délinquance et de tranquillité publique", ainsi que de la lettre du 17 janvier 2019 adressée par une députée de la Gironde, au directeur général de la police nationale, selon laquelle M. A... intervenait " auprès de la population jeune pour réinstaurer la confiance perdue envers nos institutions, et principalement la police ". Toutefois, il ressort de la fiche de poste afférente à ses fonctions que M. A... exerçait, pour l'essentiel, depuis la date de sa mise à disposition, des missions administratives de pilotage et de coordination ainsi que de représentation de l'Etat. Par suite, les attestations précitées ne sont pas de nature à démontrer qu'il exerçait, par leur nature et les sujétions qu'elles emportent, des missions analogues à celles d'un policier en service actif quand bien même ses missions présentaient pour partie une activité de terrain opérationnelle. En outre, il ressort de sa convention de mise à disposition qu'il n'était plus soumis aux obligations et sujétions inhérentes aux fonctionnaires de la police nationale, prévues notamment par l'arrêté du 6 juin 2006 portant règlement général d'emploi de la police nationale, mais aux règles d'organisation interne et aux conditions de travail en vigueur dans la préfecture de la Gironde, règles reprises dans le règlement intérieur de la préfecture. M. A... n'exerçait donc pas des fonctions assimilables à celles mentionnées à l'article R. 411-2 du code de la sécurité intérieure cité ci-dessus. Enfin, la circonstance alléguée que des fonctionnaires de police en état-major astreints à des fonctions non opérationnelles mais purement administratives sur des horaires de bureau, qui n'effectuent pas de permanence et disposent du télétravail bénéficieraient néanmoins du statut d'actif, est sans influence. La décision dont l'annulation est demandée est ainsi légalement justifiée par ce motif de droit et de fait. Il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif et que cette décision ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
11. M. A... ne soulève aucun autre moyen susceptible d'être examiné par la cour dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.
12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé les arrêtés du 19 mars 2018 et du 4 octobre 2018 ainsi que l'avenant du 18 septembre 2018 en tant qu'ils prévoient que M. A... ne bénéficie pas de la bonification spéciale de retraite dite " bonification du cinquième ".
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 22 juin 2020 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Bordeaux et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 20 mai 2025 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président de la cour,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente de chambre,
M. Nicolas Normand, président-assesseur.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juin 2025.
Le rapporteur,
Nicolas C...
Le président,
Luc DerepasLa greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 24BX00992