Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 29 octobre 2024 par lequel le préfet de l'Indre lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai à compter de sa libération et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2402009 du 4 novembre 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 novembre 2024, M. A..., représenté par Me Bouzid, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 novembre 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Indre du 29 octobre 2024 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Indre de lui délivrer un titre de séjour " Vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté est signé par une autorité incompétente ;
En ce qui concerne la mesure d'éloignement :
- le premier juge a écarté à tort le moyen tiré de l'insuffisante motivation en fait de l'arrêté en omettant de constater que le préfet ne fait aucune allusion à sa situation de père d'un enfant français et n'explique pas pourquoi il considère que son comportement représente une menace pour l'ordre public ;
- la décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il justifie participer effectivement à l'entretien et à l'éducation de sa fille, de nationalité française ;
- le tribunal a écarté à tort le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en portant une appréciation erronée sur sa situation ; il est arrivé en France en 1991 à l'âge d'un an ; il a développé des liens personnels intenses et stables dans ce pays où vit sa fille avec laquelle il entretient des relations affectives importantes ; il partage la vie d'une ressortissante française et a vécu régulièrement en France de 2008 à 2020 ;
- la mesure emporte des effets disproportionnés sur sa situation personnelle et familiale ;
- elle a été prise en violation des stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet de l'Indre, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance du 6 février 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 2 avril 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Valérie Réaut,
- et les observations de Me Bouzid, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant marocain né le 1er juillet 1990, est entré en France en 1991 par la voie du regroupement familial. Il a bénéficié d'une carte de résident puis d'une carte de séjour expirant le 28 avril 2020 dont le renouvellement, sollicité le 25 juillet 2022, a été refusé par une décision du préfet du Loiret du 9 décembre 2022. Alors qu'il exécutait une peine d'emprisonnement au centre pénitentiaire de Châteauroux en exécution d'un jugement du tribunal correctionnel de Tours du 29 août 2023 et que sa levée d'écrou était prévue pour le 7 novembre 2024, par un arrêté du 29 octobre 2024, le préfet de l'Indre lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai à compter de sa libération et a fixé le pays de renvoi. M. A... relève appel du jugement du 4 novembre 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la mesure d'éloignement :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
3. Il ressort des visas de l'arrêté attaqué, qui recense l'ensemble des condamnations pénales prononcées à son encontre, que M. A... a été l'auteur d'un nombre important d'infractions de 2009 à 2019, constituées, entre autres, d'importation et de trafic de stupéfiants, de violence avec usage ou menace d'une arme, de refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter dans des circonstances exposant directement autrui à un risque de mort ou d'infirmité en récidive, de conduite d'un véhicule en ayant fait usage de stupéfiant, lui ayant valu d'être condamné à huit reprises à des peines d'un mois à un an d'emprisonnement. Par ailleurs, il ressort également des pièces du dossier que M. A... a été adopté dans son pays d'origine à l'âge de trois mois et est arrivé quelques mois plus tard en France, où il a suivi l'ensemble de sa scolarité et où il a le centre de ses intérêts privés. Il est le père d'une enfant de nationalité française née le 17 avril 2022. La mère de celle-ci atteste que le requérant s'est occupé de leur fille jusqu'à leur séparation fin février 2023, qu'il a ensuite maintenu les liens avec elle par des visites régulières et, enfin, que durant son incarcération, elle-même a effectué des visites au parloir afin d'entretenir les relations familiales. En tenant compte de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que la mesure d'éloignement en litige a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés, M. A... est fondé à soutenir que la mesure d'éloignement prise à son encontre est illégale.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
5. L'illégalité de la mesure d'éloignement emporte, par voie de conséquence, l'illégalité de la décision fixant le pays de renvoi.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le premier juge a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Indre du 29 octobre 2024.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique qu'un titre de séjour soit délivré à M. A..., sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit et de fait. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Indre de délivrer ce titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
8. Dans les circonstances de l'espèce et en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros à verser à M. A... au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2402009 du 4 novembre 2024 du tribunal administratif de Limoges est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de l'Indre du 29 octobre 2024 est annulé.
Article 3 : Il est prescrit au préfet de l'Indre, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, de délivrer un titre de séjour à M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera une somme de 1 200 euros à M. A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au préfet de l'Indre et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 13 mai 2025 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 juin 2025
La rapporteure,
Valérie Réaut
Le président,
Laurent PougetLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 24BX02757 2