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06/05/2025 | FRANCE | N°23BX02204

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 06 mai 2025, 23BX02204


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler l'arrêté du 9 juin 2022 par lequel le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse lui a infligé la sanction disciplinaire de déplacement d'office.



Par un jugement n° 2200419 du 4 mai 2023, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 4 août 2023, ains

i qu'un mémoire enregistré le 30 septembre 2024 qui n'a pas été communiqué, M. A..., représenté par Me Bel, demande à la c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler l'arrêté du 9 juin 2022 par lequel le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse lui a infligé la sanction disciplinaire de déplacement d'office.

Par un jugement n° 2200419 du 4 mai 2023, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 août 2023, ainsi qu'un mémoire enregistré le 30 septembre 2024 qui n'a pas été communiqué, M. A..., représenté par Me Bel, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 4 mai 2023 du tribunal administratif de la Martinique ;

2°) d'annuler l'arrêté du 9 juin 2022 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté du 9 juin 2022 est insuffisamment motivé, en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-1 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ; les faits qui lui sont reprochés ne sont pas assortis des précisions suffisantes ;

- la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'un détournement de procédure, dans la mesure où les défaillances qui lui sont reprochées dans le pilotage de l'établissement ne constituent pas une faute disciplinaire mais traduisent une insuffisance professionnelle ;

- la sanction est disproportionnée.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 septembre 2024, la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens invoqués dans la requête sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code général de la fonction publique ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vincent Bureau,

- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,

- et les observations de Me Lagarde, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., membre du corps des personnels de direction d'établissement d'enseignement ou de formation relevant du ministre chargé de l'éducation nationale, est titulaire du grade de personnel de direction de classe normale. Il a été affecté à compter du 9 mars 2015 en qualité de proviseur du lycée polyvalent Nord Caraïbes de Bellefontaine. A la suite d'un signalement auprès du procureur de la République pour des comportements inappropriés dont s'était plainte une élève mineure de l'établissement, il a été suspendu à titre conservatoire par un arrêté du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports du 20 mai 2021. Par un nouvel arrêté du 17 septembre 2021, le ministre a mis fin à cette mesure de suspension à compter du 25 septembre 2021, et a affecté provisoirement M. A... dans les services du rectorat de l'académie de Martinique. Par arrêté du 9 juin 2022, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a prononcé à l'encontre de M. A... une sanction disciplinaire de déplacement d'office. M. A... relève appel du jugement du 4 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette sanction.

2. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 2° Infligent une sanction ; (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Ces dispositions imposent à l'autorité qui prononce une sanction de préciser, dans sa décision, les griefs qu'elle entend retenir à l'encontre de l'agent concerné, de telle sorte que ce dernier puisse, à la seule lecture de cette décision, connaître les motifs de la sanction qui le frappe.

3. L'arrêté du 9 juin 2022 vise notamment le code général de la fonction publique et le décret n° 2001-1174 du 11 décembre 2001 modifié portant statut particulier du corps des personnels de direction d'établissement d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale. Pour prononcer à l'encontre de M. A... une sanction de déplacement d'office, l'arrêté mentionne que l'intéressé, d'une part, est l'auteur d'un comportement inapproprié avec une élève mineure de son établissement pendant plusieurs années, ayant notamment consisté à lui reboutonner son chemisier à plusieurs reprises et à lui donner des " tapes sur les fesses ", faits pour lesquels il a fait l'objet d'un rappel à la loi. L'arrêté ajoute que, d'autre part, M. A... a été défaillant dans son pilotage de l'établissement en maintenant des classes de seconde et de première à la rentrée 2020 en méconnaissance de la dotation horaire globale consentie à l'établissement, en mettant en place tardivement un protocole sanitaire destiné à prévenir la propagation de l'épidémie de Covid-19, en achetant dans des conditions litigieuses un food-truck en 2020 et, enfin, en manquant à ses obligations de sécurité des personnes et des biens et à l'hygiène et la salubrité de l'établissement, notamment en ne s'assurant pas de la bonne réalisation du plan particulier de mise en sécurité et des exercices correspondants, et en omettant de prendre des mesures liées à la sécurité incendie ainsi que des mesures conservatoires destinées à prévenir tout risque d'accident. L'arrêté ajoute que M. A... a manqué, par son comportement, à ses devoirs de respect et d'exemplarité et, par son pilotage défaillant, à ses obligations de respect des lois et d'obéissance hiérarchique. Contrairement à ce que soutient le requérant, les faits qui lui sont reprochés sont ainsi exposés de manière suffisamment précise. Par suite, l'arrêté en litige, qui comporte les considérations de droit sur lesquelles il se fonde et qui énonce précisément les griefs reprochés à M. A..., en les qualifiant, est suffisamment motivé.

4. Aux termes de l'article L. 530-1 du code général de la fonction publique : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. (...) ". Aux termes de l'article L. 533-1 du même code : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. (...) Deuxième groupe : (...) le déplacement d'office. (...) ".

5. Il incombe à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public. Si elle peut légalement infliger à un agent une sanction sur le fondement de témoignages qu'elle a anonymisés à la demande des témoins, lorsque la communication de leur identité serait de nature à leur porter préjudice, il lui appartient cependant, dans le cadre de l'instance contentieuse engagée par l'agent contre cette sanction et si ce dernier conteste l'authenticité des témoignages ou la véracité de leur contenu, de produire tous éléments permettant de démontrer que la qualité des témoins correspond à celle qu'elle allègue et tous éléments de nature à corroborer les faits relatés dans les témoignages. La conviction du juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

6. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

7. S'agissant du grief tenant à un comportement inapproprié, il ressort des pièces du dossier que M. A... a fait l'objet d'un rappel à la loi suite à un signalement auprès du procureur de la République après qu'une élève mineure de l'établissement ait déposé une plainte à son encontre le 17 juin 2021. S'il est vrai qu'une telle mesure n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée, il ressort de l'audition de l'élève par les services de la gendarmerie nationale qu'elle a déclaré que M. A... avait procédé à plusieurs reprises au reboutonnage de son chemisier et qu'il lui avait touché les fesses à deux occasions sans son consentement. D'ailleurs, il ressort de l'enquête administrative menée par le rectorat de l'académie de Martinique que l'élève s'est confiée à deux enseignants sur ces faits dans des termes identiques. En se bornant à faire valoir que l'élève n'a pas maintenu sa plainte, qu'elle avait un comportement " tendancieux " à l'égard des garçons et qu'il n'a jamais fait l'objet d'autres mises en cause, le requérant ne remet pas utilement en cause les conclusions de l'enquête administrative. Eu égard aux témoignages consistants et concordants dont disposait le ministre au jour de la décision litigieuse, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la matérialité des faits n'est pas établie.

8. S'agissant du grief relatif à une gestion défaillante du lycée, il ressort du rapport d'enquête administrative du 13 octobre 2021 que plusieurs représentants élus des personnels de l'établissement ont, lors de leurs auditions, fait état de dysfonctionnements survenus dans la gestion et le pilotage de l'établissement par M. A.... Ainsi, en premier lieu, celui-ci ne conteste pas, comme l'ont relevé les premiers juges, avoir maintenu des classes ouvertes à la rentrée de septembre 2020 en contradiction avec des consignes reçues dès le 30 juillet 2020 du rectorat de l'académie de Martinique, qui avait ordonné la fermeture de ces classes dans le cadre de l'attribution de la dotation horaire globale de l'établissement, réduite à 648,5 heures. Les circonstances qu'il souhaitait assurer une place aux élèves souhaitant intégrer le lycée et qu'il ait respecté ces consignes à compter du 15 septembre 2020 sont sans incidence sur l'appréciation de la matérialité des faits reprochés, alors qu'il ne conteste pas que ces ouvertures ont désorganisé la rentrée scolaire de 2020. Une telle attitude, qui était de nature à compromettre la bonne marche du service, constitue un manquement à l'obligation d'obéissance hiérarchique. En deuxième lieu, si M. A..., auquel il est reproché des négligences dans la mise en œuvre des protocoles sanitaires destinés à prévenir la propagation de l'épidémie de Covid-19, fait valoir qu'il n'existait aucun précédent et que l'administration a elle-même a fait preuve de défaillance, il ne conteste pas n'avoir donné, en mai 2020, aucune consigne particulière quant aux modalités de reprise des cours et, en septembre 2020, ne pas avoir fourni de masques et de gel hydroalcoolique au personnel et aux élèves, ainsi qu'il lui incombait de le faire. En troisième lieu, le requérant ne conteste pas avoir fait l'acquisition d'un véhicule food-truck pour un prix de 50 000 euros au moyen d'une subvention accordée par la collectivité territoriale de Martinique, directement auprès d'un particulier et sans facture, en méconnaissance des règles de la commande publique. La circonstance que le conseil d'administration du lycée, qu'il présidait, ait voté en faveur de l'achat d'un food-truck n'était pas de nature à le dispenser du respect de ces règles. En quatrième et dernier lieu, alors qu'est également reproché à M. A... un comportement négligent dans la mise en œuvre de ses obligations en matière de sécurité, il ressort des pièces du dossier qu'il a manqué de diligence pour signaler à la collectivité territoriale de Martinique plusieurs signalements reçus sur les problèmes de sécurité au sein de l'établissement. S'il se prévaut de travaux engagés à compter de 2021, il ressort des pièces du dossier que ceux-ci n'ont été réalisés qu'après qu'une enseignante ait été victime d'un accident de service en octobre 2020 en tombant après avoir glissé sur une flaque d'eau causée par une fuite ancienne, et que le système d'alarme incendie n'a été mis en œuvre qu'à l'été 2021, au demeurant sans qu'un plan de mise en sécurité et des exercices correspondants n'aient été réalisés en dépit d'un devis signé avec un prestataire. Enfin, comme l'ont relevé les premiers juges et contrairement à ce qu'allègue le requérant, les comptes-rendus de ses entretiens professionnels des années précédentes l'avaient invité à améliorer et clarifier le pilotage de l'établissement.

9. Dans ces conditions, la matérialité de l'ensemble des faits fondant l'arrêté litigieux est établie.

10. La circonstance que les manquements reprochés à M. A... relatifs aux défaillances qui lui sont reprochées dans le pilotage de l'établissement pourraient pour certains être qualifiés d'insuffisance professionnelle ne faisait pas obstacle au prononcé d'une sanction sur leur fondement dès lors que ces faits, qui tiennent à des négligences, à la méconnaissance des procédures applicables ou qui caractérisent des refus d'obéissance hiérarchique, présentent le caractère de fautes disciplinaires. Par suite, le moyen tiré du détournement de procédure doit être écarté.

11. L'autorité administrative a pu, compte tenu de la gravité des faits rappelés aux points 7 et 8, des fonctions et responsabilités de l'intéressé, et de la nécessité de mettre fin aux désordres causés par son comportement au lycée polyvalent Nord Caraïbes de Bellefontaine, prononcer à l'encontre de M. A... une sanction de déplacement d'office, laquelle n'est pas disproportionnée.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Délibéré après l'audience du 15 avril 2025, à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Valérie Réaut, première conseillère,

M. Vincent Bureau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.

Le rapporteur,

Vincent Bureau

Le président,

Laurent Pouget

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23BX02204


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX02204
Date de la décision : 06/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Vincent BUREAU
Rapporteur public ?: M. DUFOUR
Avocat(s) : BEL

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-06;23bx02204 ?
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