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29/04/2025 | FRANCE | N°24BX02740

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 29 avril 2025, 24BX02740


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) à lui verser les sommes de 9 999 euros et de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de sa carence à lui avoir proposé un hébergement.



Par un jugement n°s 2306428, 2400882 du 24 septembre 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.



Procédure dev

ant la cour :



Par une requête enregistrée le 20 novembre 2024, M. C..., représenté par Me Astié, dem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) à lui verser les sommes de 9 999 euros et de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de sa carence à lui avoir proposé un hébergement.

Par un jugement n°s 2306428, 2400882 du 24 septembre 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 novembre 2024, M. C..., représenté par Me Astié, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 24 septembre 2024 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) de condamner l'OFII à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis du fait de sa carence à lui avoir proposé un hébergement ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le non-respect par l'OFII de son obligation d'hébergement est constitutif d'une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- le préjudice moral et les troubles dans ses conditions d'existence subis doivent être réparés à hauteur de 20 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 mars 2025, le directeur de l'OFII conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable dès lors qu'elle se borne à reproduire les écritures de première instance et ne comporte aucune critique du jugement entrepris, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;

- à titre subsidiaire, les moyens invoqués ne sont pas fondés.

M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 novembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vincent Bureau,

- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,

- et les observations de Me Kecha, représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant russe, est entré en France le 6 avril 2023 selon ses déclarations. Le 7 avril 2023, il a déposé une demande d'asile auprès de la préfecture de la Gironde et a accepté le même jour l'offre de prise en charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). L'OFII lui a remis une carte de paiement de l'allocation de demandeur d'asile et, en l'absence d'hébergement disponible, une allocation compensatoire de logement de 7,40 euros par jour. Estimant que cette prise en charge n'était pas suffisante et l'a contraint à dormir dans la rue pendant plusieurs mois, M. C... a formé le 13 décembre 2023 une réclamation préalable indemnitaire auprès de l'OFII, qui a été rejetée par courriel du 14 décembre 2023. M. C... relève appel du jugement du 24 septembre 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes tendant à la réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis, résultant du non-respect par l'OFII de ses obligations en matière de logement des demandeurs d'asile.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

2. En vertu des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicable à l'instance d'appel en vertu de l'article R. 811-13 du même code, la requête doit, à peine d'irrecevabilité, contenir l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. Une requête d'appel qui se borne à reproduire intégralement et exclusivement le texte du mémoire de première instance ne satisfait pas aux prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative.

3. En l'espèce, il ressort des termes de la requête d'appel de M. C... que ce dernier ne se borne pas à reprendre les moyens présentés devant les premiers juges, mais comporte une critique du jugement quant aux réponses apportées à ses moyens. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de ce que la requête serait entachée d'un défaut de motivation doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 551-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile sont proposées à chaque demandeur d'asile par l'Office français de l'immigration et de l'intégration après l'enregistrement de sa demande par l'autorité administrative compétente. ". Aux termes de l'article L. 552-8 du même code : " L'Office français de l'immigration et de l'intégration propose au demandeur d'asile un lieu d'hébergement. / Cette proposition tient compte des besoins, de la situation personnelle et familiale de chaque demandeur au regard de l'évaluation des besoins et de la vulnérabilité prévue au chapitre II du titre II, ainsi que des capacités d'hébergement disponibles et de la part des demandeurs d'asile accueillis dans chaque région. ". Aux termes de l'article L. 553-1 du même code : " Le demandeur d'asile qui a accepté les conditions matérielles d'accueil proposées en application de l'article L. 551-9 bénéficie d'une allocation pour demandeur d'asile s'il satisfait à des conditions d'âge et de ressources. Le versement de cette allocation est ordonné par l'Office français de l'immigration et de l'intégration. ". Enfin, aux termes de l'article D. 553-8 de ce code : " L'allocation pour demandeur d'asile est composée d'un montant forfaitaire, dont le niveau varie en fonction du nombre de personnes composant le foyer, et, le cas échéant, d'un montant additionnel destiné à couvrir les frais d'hébergement ou de logement du demandeur. ".

5. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un demandeur d'asile n'est pas hébergé, l'allocation dont il bénéficie est composée d'un montant forfaitaire et d'un montant additionnel destiné à compenser l'absence d'une solution d'hébergement en nature. Dès lors que l'allocation dont bénéficie un demandeur d'asile qui n'est pas hébergé comporte le montant additionnel prévu à l'article D. 553-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'absence d'hébergement en nature ne saurait constituer, par elle-même, une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique.

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 522-1 du même code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A la suite de la présentation d'une demande d'asile, l'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de procéder, dans un délai raisonnable et après un entretien personnel avec le demandeur d'asile, à une évaluation de la vulnérabilité de ce dernier afin de déterminer, le cas échéant, ses besoins particuliers en matière d'accueil. Ces besoins particuliers sont également pris en compte s'ils deviennent manifestes à une étape ultérieure de la procédure d'asile. Dans la mise en œuvre des droits des demandeurs d'asile et pendant toute la période d'instruction de leur demande, il est tenu compte de la situation spécifique des personnes vulnérables. / Lors de l'entretien personnel, le demandeur est informé de sa possibilité de bénéficier de l'examen de santé gratuit prévu à l'article L. 321-3 du code de la sécurité sociale. ".

7. Il résulte de l'instruction que M. C... a déposé une demande d'asile le 7 avril 2023 et s'est vu proposer par l'OFII les conditions matérielles d'accueil, qu'il a acceptées, après avoir bénéficié d'un entretien de vulnérabilité en langue russe, au cours duquel il a fait état de problèmes de santé. Le 27 avril 2023, le médecin de l'OFII a, au regard des éléments portés à sa connaissance, recommandé une " priorité haute pour un hébergement " en urgence. Il résulte également de l'instruction que M. C... a pu être hébergé par l'OFII dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile à Villenave d'Ornon à compter du 20 février 2024 et qu'il a perçu jusqu'à cet hébergement l'allocation pour demandeur d'asile, majorée du montant additionnel destiné à couvrir ses frais d'hébergement, pour un montant total de 4 671,80 euros soit une moyenne de 424,70 euros par mois. Un hébergement ne lui a ainsi été fourni que plus de dix mois après l'introduction de sa demande d'asile alors qu'il se trouvait en situation de vulnérabilité. Or, en se bornant à faire valoir qu'à la date du dépôt de sa demande d'asile, le dispositif d'accueil était saturé en Gironde, où 1 749 personnes adultes célibataires et sans enfant restaient en attente d'une orientation d'hébergement, sans distinguer dans ce nombre la part des personnes vulnérables et sans aucun élément d'actualisation ultérieure, l'OFII ne démontre pas avoir rempli son obligation d'assurer à M. C..., eu égard à sa vulnérabilité, des conditions d'accueil comprenant l'hébergement. Ce manquement est constitutif d'une faute de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne le préjudice :

8. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que M. C... a vécu plus de dix mois sans solution d'hébergement pérenne. Dans ces conditions, il est en droit d'obtenir la condamnation de l'OFII à réparer le préjudice moral et les troubles dans ses conditions d'existence subis durant cette période. Il sera fait une juste appréciation de ces préjudices en condamnant l'OFII à verser à M. C... une somme de 4 000 euros.

9. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande de condamnation de l'OFII.

Sur les frais liés au litige :

10. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Astié, son avocat, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'OFII la somme de 1 500 euros à verser à cet avocat au titre des frais exposés devant le tribunal et dans le cadre de la présente instance.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 24 septembre 2024 est annulé.

Article 2 : L'OFII est condamné à verser à M. C... une indemnité de 4 000 euros en réparation du préjudice subi.

Article 3 : L'OFII versera à Me Astié, avocat de M. C..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à Me Uldrif Astié et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Vincent Bureau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2025.

Le rapporteur,

Vincent Bureau

Le président,

Laurent Pouget

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 24BX02740


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX02740
Date de la décision : 29/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Vincent BUREAU
Rapporteur public ?: M. DUFOUR
Avocat(s) : SCP ASTIE-BARAKE-POULET-MEYNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-29;24bx02740 ?
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