Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée unipersonnelle Caraïbe Marine a demandé au tribunal administratif de la Martinique de prononcer la décharge, en principal et majoration, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2018 et 2019.
Par un jugement n° 2200319 du 23 décembre 2022, le tribunal administratif de la Martinique a prononcé la réduction des bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés de la société Caraïbe Marine de 146 235 euros au titre de 2018 et de 150 000 euros au titre de 2019, et déchargé en conséquence la société Caraïbe Marine des suppléments d'impositions correspondants.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 avril 2023 et le 6 janvier 2025, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique ;
2°) de remettre à la charge de de la société Caraïbe Marine, en principal et pénalités, les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices 2018 et 2019 pour un montant de 103 107 euros.
Il soutient que :
- au titre des exercices clos en 2018 et 2019, la SASU Caraïbe Marine a déclaré des opérations non imposables pour des montants de 2 677 045 euros et 2 400 718 euros, et des opérations imposables au taux de 8,5 % pour des montants respectifs de 1 513 404 et 1 874 067 euros ; or, les opérations non imposables correspondent à des ventes en l'état de marchandises exonérées sur le fondement de l'article 295,1-5° du CGI, donc à une activité de commerce ;
- une proportion importante de son chiffre d'affaires se rapportait à des ventes de matériels et d'équipements de navires, à hauteur respectivement de 71,34 % pour l'exercice clos en 2018 et de 65,53 % pour l'exercice clos en 2019 ; le tableau fourni de ventilation entre les ventes et les prestations de services n'est assorti d'aucun justificatif ;
- si les ateliers de la société sont vastes et comportent de nombreux outillages, la valeur du stock atteste que l'activité de vente de marchandise est prépondérante, et la société dispose d'un magasin de vente.
Par un mémoire en défense, enregistré 11 juillet 2023, la SASU Caraïbe Marine, représentée par Me Dimey et Me Cros, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que son activité principale n'est pas une activité d'achat revente.
Par ordonnance du 4 novembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 6 janvier 2025 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Frédérique Munoz-Pauziès,
- les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique,
- et les observations de Me Cros, représentant la SASU Caraïbe Marine.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée unipersonnelle Caraïbe Marine (ci-après société Caraïbe Marine), dont le siège est situé au Marin (Martinique), exerce une activité de vente de gréements, câbles et tout accessoires pour bateaux et de prestations de services d'entretien et de réparation de bateaux et de service après-vente nautique. Elle a fait l'objet d'un examen de comptabilité à l'issue duquel le service lui a notifié, par proposition de rectification du 20 mai 2021, des rehaussements d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2018 et 2019, tenant notamment à la remise en cause au titre de ces deux exercices du bénéfice de l'abattement prévu par les dispositions de l'article 44 quaterdecies du code général des impôts. Par un jugement 23 décembre 2022, le tribunal administratif de la Martinique a fait droit à sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés découlant de la remise en cause de cet avantage. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article 44 quaterdecies du code général des impôts : " I. Les bénéfices des entreprises provenant d'exploitations situées en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte ou à La Réunion peuvent faire l'objet d'un abattement dans les conditions prévues aux II ou III lorsque ces entreprises respectent les conditions suivantes : (...) 2° L'activité principale de l'exploitation relève de l'un des secteurs d'activité éligibles à la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies B ou correspond à l'une des activités suivantes : comptabilité, conseil aux entreprises, ingénierie ou études techniques à destination des entreprises ; (...) Les conditions prévues aux 1° et 2° s'apprécient à la clôture de chaque exercice au titre duquel l'abattement prévu au premier alinéa est pratiqué. La condition prévue au 3° doit être satisfaite pour chaque exercice au titre duquel cet abattement est pratiqué. (...) ". Aux termes de l'article 199 undecies B du même code : " I. Les contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des investissements productifs neufs qu'ils réalisent dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, dans les îles Wallis-et-Futuna et les Terres australes et antarctiques françaises, dans le cadre d'une entreprise exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l'article 34. (...) Toutefois, n'ouvrent pas droit à la réduction d'impôt les investissements réalisés, dans les secteurs d'activité suivants : / a) Commerce ; (...) ".
3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les entreprises dont l'activité principale est le commerce sont exclues du bénéfice de l'abattement qu'elles prévoient. Revêt un caractère principal, au sens de ces dispositions, l'activité qui procure un chiffre d'affaires ou des recettes dont le montant excède le montant du chiffre d'affaires ou des recettes de chacune des autres activités de l'exploitation.
4. La société Caraïbe Marine exerce deux activités, l'une d'achat revente de matériels d'équipement de navires et l'autre de prestations de services d'entretien et de réparation de bateaux et de service après-vente nautique. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient que le chiffre d'affaires se rapportant à l'activité d'achat revente représentait 71,34 % du chiffre d'affaires total au titre de l'exercice clos en 2018 et 65,53 % au titre de l'exercice clos en 2019. La société fait valoir que cette ventilation du chiffre d'affaires a été obtenu à partir de la liasse fiscale, et soutient que son " schéma de comptabilisation " gonfle artificiellement les comptes de ventes de marchandises, dès lors que, dans le but d'assurer un meilleur suivi des stocks, pour chaque facture de réparation ou d'entretien, une ventilation est faite entre les pièces nécessaires à la réalisation de la prestation, qui sont comptabilisées aux comptes 701 ou 707, c'est-à-dire dans un compte de vente de marchandises, et la main d'œuvre, qui est comptabilisée dans des comptes 706 de prestations de services. En se référant à quatre factures établies entre le 6 décembre 2017 et le 31 décembre 2018, elle n'apporte pas d'élément au soutien de ces allégations en l'absence de tout élément sur les modalités de saisie de ces factures en comptabilité. Toutefois, elle produit pour chacun des exercices en cause, d'une part, des tableaux dans lesquels sont mentionnées les factures des deux exercices, en distinguant les ventes de matériels des ventes réalisées à l'occasion de prestations de service, et d'autre part, l'intégralité des factures mentionnées dans ces tableaux, numérotées de 110772 à 113705 pour l'exercice clos le 30 septembre 2018 et de 113706 à 116679 pour l'exercice clos le 30 septembre 2019. Il ressort de ces pièces que pour l'exercice clos en 2018, la part des prestations de service dans le chiffre d'affaires total de 4 600 587,81 euros s'élevait à 53,14 % et pour l'exercice clos en 2019, la part des prestations de service dans le chiffre d'affaires total de 4 356 184 euros s'élevait à 58,35 %. Ces justificatifs ne sont pas contestés par le ministre, et ces chiffres sont corroborés par les bulletins de salaires produits, qui comme l'ont relevé les premiers juges, montrent que seuls 4 des 23 salariés de la société sont affectés à la vente de matériels, alors que 13 autres sont des techniciens et électriciens chargés de missions d'installation et de maintenance de matériels et équipements de navigation embarqués à bord des navires de plaisance, ainsi que d'entretien des mâts et gréements des voiliers. Si le ministre fait valoir que la société possède un magasin et dispose de stocks très importants, ces circonstances ne permettent pas, à elles seules, de considérer que l'activité d'achat revente serait prépondérante, pas plus que la circonstance que la société a regardé comme exonérées de taxe sur la valeur ajoutée, en application des dispositions du 5° du 1 de l'article 295 du code général des impôts, les opérations de ventes à hauteur de 2 677 045 euros et 2 400 718 euros.
5. Il résulte de ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a fait droit à la demande de la SASU Caraïbe Marine tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés mis à sa charge en conséquence de la remise en cause du bénéfice de l'abattement prévu par les dispositions de l'article 44 quaterdecies du code général des impôts. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à la SASU Caraïbe Marine la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la SASU Caraïbe Marine.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 avril 2025.
La présidente-assesseure,
Bénédicte MartinLa présidente-rapporteure,
Frédérique Munoz-PauzièsLa greffière,
Laurence Mindine
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23BX01092 2