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22/04/2025 | FRANCE | N°23BX01303

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 5ème chambre, 22 avril 2025, 23BX01303


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 10 janvier 2022 par lequel le centre communal d'action sociale (CCAS) de Foulayronnes (Lot-et-Garonne) a prononcé son licenciement, d'enjoindre au CCAS de Foulayronnes de procéder à sa réintégration pour la période restant à courir de son contrat à durée déterminée, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et de mettre à la charge du CCAS de Foulayronnes la somme de 2 400 euros en applicat

ion de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugeme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 10 janvier 2022 par lequel le centre communal d'action sociale (CCAS) de Foulayronnes (Lot-et-Garonne) a prononcé son licenciement, d'enjoindre au CCAS de Foulayronnes de procéder à sa réintégration pour la période restant à courir de son contrat à durée déterminée, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et de mettre à la charge du CCAS de Foulayronnes la somme de 2 400 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2200475 du 16 mars 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du président du CCAS de Foulayronnes du 10 janvier 2022 et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 mai 2023 et 26 octobre 2023, le CCAS de Foulayronnes, représenté par Me Coulange, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer les articles 1, 2 et 4 de ce jugement ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par M. C... devant le tribunal administratif et celles présentées devant la cour ;

3°) de mettre à la charge de M. C... la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Le CCAS de Foulayronnes soutient que :

- les premiers juges ont entaché leur jugement d'une erreur d'appréciation ;

- l'arrêté du 10 janvier 2022 prononçant le licenciement de M. C... n'est pas entaché d'illégalité au regard des nombreuses fautes commises par l'intéressé qui justifient qu'un licenciement sans préavis ni indemnité soit prononcé à son encontre ;

- les conclusions de M. C... tendant à sa réintégration juridique du 10 janvier au 1er décembre 2022 sont nouvelles en appel et par suite irrecevables ; en tout état de cause, elles ne sont pas justifiées dès lors qu'il travaille dans une autre structure depuis le 18 janvier 2022.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2023, M. A... C..., représenté par Me Noël, demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 16 mars 2023 en tant qu'il a annulé l'arrêté du président du CCAS de Foulayronnes du 10 janvier 2022 ayant prononcé son licenciement, par la voie de l'appel incident, d'enjoindre au CCAS de Foulayronnes de procéder à sa réintégration juridique et à la reconstitution de ses droits sociaux du 10 janvier au 1er décembre 2022 et de mettre à la charge du CCAS de Foulayronnes une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun moyen n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Carine Farault,

- les conclusions de M. Sébastien Ellie, rapporteur public,

- et les observations de Me Noël représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C... a été recruté par le centre communal d'action sociale (CCAS) de la commune de Foulayronnes (Lot-et-Garonne) le 2 décembre 2019 en qualité de médecin généraliste, par un contrat à durée déterminée d'une durée de trois ans. Par un arrêté du 10 janvier 2022, le président du CCAS de Foulayronnes l'a licencié sans préavis, ni indemnité. Sur demande de M. C..., le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté par un jugement du 16 mars 2023, dont le CCAS de Foulayronnes relève appel.

Sur la régularité du jugement :

2. Hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Le CCAS de Foulayronnes ne peut donc utilement se prévaloir de l'erreur d'appréciation qu'aurait commise les premiers juges pour rejeter sa demande.

Sur l'appel principal :

3. Aux termes de l'article 36-1 du décret du 15 février 1988 pris pour l'application de l'article 136 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents non titulaires de la fonction publique territoriale : " Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : (...)5° Le licenciement, sans préavis ni indemnité de licenciement (...) ".

4. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

5. Selon l'arrêté du 10 janvier 2022 attaqué, il est reproché à M. C..., d'une part, " un manquement à ses obligations professionnelles et des insuffisances professionnelles " et, d'autre part, un comportement inapproprié qui relève de fautes disciplinaires.

6. En premier lieu, le CCAS de Foulayronnes reproche au docteur C... des manquements à ses obligations professionnelles - obligation d'exercice réel et complet des fonctions, de réserve, de discrétion et d'obéissance hiérarchique - ainsi que des insuffisances professionnelles.

7. S'agissant du non-respect du temps de travail, l'administration soutient que l'intéressé ne respecte pas les horaires prévus par son contrat de travail, selon lequel il est stipulé que le docteur C... exercera ses fonctions à temps complet pour une durée d'emploi hebdomadaire annualisée de 40 heures, ces stipulations portant mention des horaires d'ouverture du centre médical. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier, par les seuls propos tenus par la secrétaire médicale au cours de l'enquête administrative selon lesquels le docteur C... serait sujet à des retards et des départs inopinés alors que des patients étaient prévus au planning, propos qui ne sont corroborés par aucun autre élément, que des patients malades n'auraient pu être pris en charge faute de présence du médecin aux horaires d'ouverture du cabinet médical. En outre, il n'est pas contesté que le docteur C... a réservé des plages horaires pour les nombreuses visites à domicile et a mis en place des permanences médicales le samedi matin. Par suite, aucun manquement aux horaires de travail constitutif d'une faute de M. C... n'est établi par les pièces produites.

8. S'agissant des absences non autorisées, il est seulement reproché au docteur C... de s'être absenté, le 14 juin 2021 en début d'après-midi, pour assister à l'échographie de fin de grossesse de son épouse enceinte. Il ressort toutefois des pièces du dossier que cette absence avait été planifiée et qu'elle était justifiée par un certificat de présence établi par le praticien de cet examen. Il n'est en outre ni allégué ni établi que cette absence aurait nui à la prise en charge des patients durant ces quelques heures, ni que M. C... n'aurait pas respecté son volume horaire de travail. Une telle absence ne peut, par suite, être caractérisée comme étant fautive. Ne constitue pas davantage un comportement fautif, la circonstance, au demeurant non établie, que le docteur C... aurait repris prématurément le travail au centre médical, à l'issue de son congé de paternité, le 6 août au lieu du 9 août 2021.

9. S'agissant du devoir de réserve, l'administration reproche au docteur C... d'avoir publiquement désapprouvé la décision du maire de la commune de fermer le centre médical le vendredi 14 mai 2021. Il ressort des pièces du dossier que le docteur C..., qui était effectivement défavorable à ce que le centre médical soit fermé pendant quatre jours consécutifs au jeudi férié de l'Ascension, a seulement informé ses collègues médecins généralistes des alentours, par courriel, de ce que le centre médical serait fermé à ces dates, sur décision du maire de la commune, et apposé une affiche informant le public de cette fermeture, sur décision municipale, sur la porte du cabinet médical. Ce faisant, le docteur C..., qui n'a pas publiquement proféré de critiques ni désavoué l'autorité communale, n'a commis aucun manquement à son devoir de réserve. En outre, la circonstance que M. C... ait été en contact téléphonique avec des confrères susceptibles de rejoindre le centre médical alors qu'un processus de recrutement était en cours, sans en avertir le président du CCAS, n'est pas davantage constitutif d'un manquement au devoir de réserve qui lui incombait.

10. S'agissant du non-respect de l'autorité hiérarchique, il est reproché au docteur C... d'avoir refusé de participer aux réunions de coordination du service ainsi qu'à la réunion d'organisation sollicitée par les médecins du centre médical, laquelle s'est tenue le 1er juin 2021. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que Mme D... E..., en charge de la coordination au sein du centre médical, aurait organisé de telles réunions de coordination. Par ailleurs, s'agissant de la réunion du 1er juin 2021, dont l'organisation avait effectivement été souhaitée par les médecins du centre médical, pour aborder, avec le maire, président du CCAS, une difficulté ayant trait au non-respect du secret médical par une des secrétaires, Mme B..., il n'est toutefois pas contesté que le docteur C... a quitté la réunion lorsqu'il a constaté, d'une part, l'absence du président du CCAS et, d'autre part, la présence de la secrétaire concernée. Par suite, ce comportement ne saurait être regardé comme étant fautif.

11. Enfin, il est reproché à M. C... de ne pas avoir respecté les stipulations de l'article 12 de son contrat de travail selon lesquelles il s'était engagé à assurer un objectif annuel de 4 800 actes. L'administration ne peut se fonder sur un constat d'huissier de justice du 13 janvier 2022, qui, après analyse du planning des consultations, conclut que M. C... n'aurait réalisé que 3 649 consultations sur 44 semaines au cours de l'année 2020, dès lors que ce constat est postérieur à l'arrêté contesté et n'a donc nécessairement pas été pris en compte dans le cadre de la procédure disciplinaire en cause. En outre, à supposer que le nombre de consultations ainsi réalisées n'ait pas été conforme à l'objectif de 4 800 actes fixé à l'article 12 du contrat de travail, cette circonstance ne constitue pas, en elle-même, une faute disciplinaire.

12. En second lieu, l'arrêté attaqué fait état, pour justifier la sanction de licenciement sans indemnité ni préavis, de ce que M. C... aurait entrepris de multiples relations sexuelles commises durant les heures de travail et dans les locaux municipaux, d'adopter une attitude déplacée avec ses collègues, de porter ainsi atteinte à la réputation du centre de santé et d'entretenir un comportement inapproprié vis-à-vis de la sage-femme du centre.

13. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., qui le reconnaît lui-même, a entretenu une relation intime pendant plusieurs mois avec Mme D..., la sage-femme du centre médical, et que des actes sexuels ont eu lieu dans les locaux municipaux. Pour ces faits, la chambre disciplinaire de première instance de Nouvelle-Aquitaine de l'ordre des médecins, considérant que Mme D... n'était pas une patiente du docteur C..., lui a infligé un blâme, pour son " comportement inapproprié " sur son lieu de travail. Ces faits sont constitutifs d'une faute de nature à justifier qu'une sanction soit prononcée.

14. Il n'est en revanche pas établi par les pièces du dossier que M. C... aurait entretenu d'autres relations intimes dans le cadre professionnel ni que la liaison que M. C... a entretenu avec Mme D... aurait créé des troubles dans l'organisation du centre médical ou porté atteinte à la réputation du centre.

15. S'il est reproché à M. C... d'avoir fait des avances déplacées à l'une de ses collègues, ces faits ne sont pas matériellement établis alors que la collègue elle-même réfute que M. C... ait eu tel comportement à son égard.

16. Il n'est pas davantage établi par les pièces du dossier que M. C... aurait eu un comportement inapproprié à l'égard de Mme D..., à l'issue de leur relation sentimentale.

17. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus aux points 3 à 16 qu'il peut seulement être reproché à M. C... d'avoir entretenu une relation personnelle intime avec une collègue sur le lieu de travail. Par suite, en prononçant, pour ce comportement fautif, la sanction la plus lourde prévue par les dispositions citées au point 3, le président du CCAS a entaché son arrêté d'une erreur d'appréciation.

18. Il résulte de ce qui précède que le CCAS de Foulayronnes n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 10 janvier 2022 du président du CCAS de Foulayronnes.

Sur l'appel incident :

19. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ".

20. L'annulation d'une décision de licencier illégalement un agent public implique nécessairement, sa réintégration juridique à la date de son licenciement et la reconstitution de ses droits sociaux et, par suite, le versement par l'administration des cotisations nécessaires à cette reconstitution.

21. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté, que M. C... a conclu, le 31 mars 2022, avec l'association Sagéo Santé Agen, un contrat à durée indéterminée en qualité de médecin généraliste à temps plein prenant effet le 16 avril 2022. Si M. C... a effectué quelques interventions à compter du 18 janvier 2022 auprès du centre hospitalier d'Agen en qualité de médecin vacataire, il résulte de l'instruction que ces vacations ont été ponctuelles. Par suite, ainsi que M. C... est recevable à le demander en appel, il y a lieu d'enjoindre au président du CCAS de Foulayronnes, de réintégrer juridiquement M. C... et de reconstituer ses droits sociaux, à compter de la date de son licenciement jusqu'au 15 avril 2022 inclus, dernier jour précédent la prise d'effet de son contrat auprès de l'association Sagéo Santé Agen, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le CCAS de Foulayronnes demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CCAS de Foulayronnes le versement à M. C... de la somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête du CCAS de Foulayronnes est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint au CCAS de Foulayronnes de réintégrer juridiquement M. C... et de régulariser ses droits sociaux, sur la période du 10 janvier au 15 avril 2022 inclus, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le CCAS de Foulayronnes versera à M. C... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre communal d'action sociale de Foulayronnes et à M. A... C....

Copie en sera adressée au préfet de Lot-et-Garonne.

Délibéré après l'audience du 1er avril 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Fabienne Zuccarello, présidente,

M. Nicolas Normand, président assesseur,

Mme Carine Farault, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 avril 2025.

La rapporteure,

Carine Farault

La présidente,

Fabienne Zuccarello

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au préfet du Lot-et-Garonne, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23BX01303


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX01303
Date de la décision : 22/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme ZUCCARELLO
Rapporteur ?: Mme Carine FARAULT
Rapporteur public ?: M. ELLIE
Avocat(s) : NOEL

Origine de la décision
Date de l'import : 25/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-22;23bx01303 ?
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