Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 avril 2023 et
10 septembre 2024, la société Energie des Rouches, représentée par Me Elfassi, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 1er mars 2023 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a rejeté sa demande d'autorisation unique en vue de l'exploitation d'installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent comprenant quatre éoliennes sur les communes de Sainte-Gemme et de Balanzac ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime de reprendre l'instruction de sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, en l'état où celle-ci se trouvait lors de l'adoption de l'arrêté du 1er mars 2023, soit la production des compléments demandés par l'administration le 24 novembre 2022, et de saisir la DGAC pour qu'elle émette un nouvel avis sur le projet à la suite du changement de circonstances résultant de la suppression de la procédure " NDB Rwy 30 " ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ; contrairement à ce que le préfet prétend, le moyen n'est pas inopérant dès lors que cette autorité n'était en compétence liée pour refuser l'autorisation sollicitée que s'agissant de l'éolienne E1, seul aérogénérateur à avoir fait l'objet d'un avis défavorable de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) ;
- l'arrêté attaqué est illégal dès lors qu'il se fonde sur un avis de la DGAC lui-même entaché d'illégalité : la procédure d'approche " NDB Rwy 30 " de Rochefort-Charente Maritime, sur laquelle se fonde la DGAC pour motiver son avis défavorable a vocation à disparaître, tel que cela ressort de la circulaire d'information aéronautique " AIC France A 16/24 " du 8 août 2024 relative au plan de retrait de service de certaines aides radio à la navigation ; il ressort d'ailleurs du calendrier prévisionnel de retrait de service de NDB annexé à cette circulaire que le NDB de l'aéroport de Rochefort-Charente Maritime a été retiré le 13 juin 2024 et des consultations du site internet de la DGAC que la procédure d'approche " NDB Rwy 30 " a été supprimée au niveau de l'aérodrome de Rochefort-Charente Maritime ; la légalité de l'avis doit être observé à la date du présent arrêt et compte tenu de l'évolution des circonstances de droit et de fait, le motif de refus n'est donc plus opposable ;
- l'avis défavorable ne concerne que l'E1, le refus attaqué est donc, en tout état de cause, entaché d'illégalité en ce qu'il refuse l'autorisation sollicitée s'agissant des éoliennes E2, E3 et E4.
Par des mémoires en défense enregistrés les 2 avril, 11 et 19 septembre 2024, ces deux derniers n'ayant pas été communiqués, le préfet de la Charente-Maritime conclut à titre principal au rejet de la requête, et à titre subsidiaire à ce que la Cour annule l'arrêté attaqué seulement en tant qu'il porte refus d'autorisation s'agissant des éoliennes E2, E3 et E4.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 25 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 20 septembre 2024 à 12h00
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'aviation civile ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Héloïse Pruche-Maurin ;
- les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public,
- et les observations de Me Maestle, représentant la société Energie des Rouches et de Mme A... représentant la Préfecture de Charente-Maritime.
Une note en délibéré présentée par la société Energie des Rouches a été enregistrée le 31 mars 2025.
Considérant ce qui suit :
1. La société Energie des Rouches, a déposé le 13 septembre 2022 une demande d'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs sur les communes de Sainte-Gemme et de Balanzac. Par un arrêté du du 9 novembre 2023, le préfet de la Charente-Maritime a refusé de délivrer l'autorisation sollicitée. Par la présente requête, la société Energie des Rouches demande l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Enfin, aux termes de l'article R. 181-34 du code de l'environnement : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : / (...) 2° Lorsque l'avis de l'une des autorités ou de l'un des organismes consultés auquel il est fait obligation au préfet de se conformer est défavorable ; (...) La décision de rejet est motivée. ".
3. L'arrêté attaqué vise les textes qu'il applique, en particulier l'article R. 181-34 du code de l'environnement, ainsi que l'avis défavorable au projet de la société Energie des Rouches émis le 24 novembre 2022 par le ministre chargé de l'aviation civile. Il précise la teneur de cet avis et notamment que le projet impacte les minima d'approche finale de l'aérodrome de Rochefort-Charente-Maritime et ne respecte pas la contrainte de hauteur sommitale autorisée de 170 mètres NGF s'agissant de l'éolienne E1. Il indique en outre que le préfet est tenu de se conformer à l'avis défavorable émis par le ministre de l'aviation civile. Par suite, l'arrêté litigieux comporte les motifs de droit et de fait sur lesquels le préfet s'est fondé pour refuser l'autorisation sollicitée et est suffisamment motivé. La circonstance que le motif retenu par le préfet n'était pas susceptible de fonder légalement un refus s'agissant des éoliennes nos 2, 3 et 4 du projet, à la supposer établie, est sans incidence sur le caractère suffisant de cette motivation.
Il en est de même de la circonstance que le préfet, reprenant les termes de l'avis de la DGAC, axe son refus majoritairement sur les problématiques posées par l'éolienne E1. Enfin, est également sans incidence, la circonstance que le préfet ait commis une erreur de plume dans le courrier de notification de l'arrêté litigieux mentionnant un projet portant sur neuf éoliennes et non quatre. Dans ces conditions, et en tout état de cause, le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté attaqué doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 181-32 du code de l'environnement : " Lorsque la demande d'autorisation environnementale porte sur un projet d'installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, le préfet saisit pour avis conforme : 1° Le ministre chargé de l'aviation civile : a) Pour ce qui concerne les radars primaires, les radars secondaires et les radiophares omnidirectionnels très haute fréquence (VOR), sur la base de critères de distance aux aérogénérateurs ; b) Pour les autres aspects de la circulation aérienne, sur tout le territoire et sur la base de critère de hauteur des aérogénérateurs. Ces critères de distance et de hauteur sont fixés par un arrêté des ministres chargés des installations classées et de l'aviation civile (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile : " A l'extérieur des zones grevées de servitudes de dégagement en application du présent titre, l'établissement de certaines installations qui, en raison de leur hauteur, pourraient constituer des obstacles à la navigation aérienne, est soumise à une autorisation spéciale du ministre chargé de l'aviation civile (...) ". Et selon l'article 4 de l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement : " L'installation est implantée de façon à ne pas perturber de manière significative le fonctionnement des radars utilisés dans le cadre des missions de sécurité météorologique des personnes et des biens et de sécurité à la navigation maritime et fluviale. / En outre, les perturbations générées par l'installation ne remettent pas en cause de manière significative les capacités de fonctionnement des radars et des aides à la navigation utilisés dans le cadre des missions de sécurité à la navigation aérienne civile et les missions de sécurité militaire. (...) "
5. Il résulte des dispositions précitées que l'autorité administrative compétente pour délivrer une autorisation environnementale doit, lorsque l'installation envisagée est susceptible de constituer un obstacle à la navigation aérienne en raison de son emplacement et de sa hauteur, saisir le ministre chargé de l'aviation civile et le ministre de la défense, cette autorité étant tenue, à défaut d'accord de l'un des ministres dont l'avis est ainsi requis, de refuser l'autorisation demandée. Par suite, la société requérante est fondée à se prévaloir au soutien de ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 1er mars 2023, de l'illégalité de l'avis défavorable du ministre des transports, chargé de l'aviation civile, émis le
24 novembre 2022.
6. D'une part, il résulte de l'instruction que cet avis se fonde sur les circonstances que l'aérodrome de Rochefort-Charente Maritime utilise des procédures de vol aux instruments, que l'éolienne E1 se situe dans les aires de la procédure d'approche " NDB Rwy 30 " de l'aérodrome, qu'elle impacte les minima d'approche finale, et que l'altitude sommitale maximale autorisée pour l'éolienne E1, dont l'altitude sommitale est de 228 mNGF, ne saurait être supérieure à 170 mNGF. Le ministre conclut " avis défavorable à ce projet ". Ainsi, contrairement à ce que soutient la pétitionnaire, bien qu'opposant des motifs ne visant que l'éolienne E1, le ministre a émis un avis défavorable au projet dans son ensemble, ce qui liait donc le préfet qui était tenu de refuser la demande en litige. Toutefois, il ne résulte d'aucun élément de l'instruction, et notamment d'aucun des éléments de cet avis, pas plus que d'éléments apportés dans l'instance, que l'implantation des éoliennes E2, E3 et E4 constitue un obstacle à la navigation aérienne ou génère des perturbations remettant en cause les aides à la navigation aérienne civile de l'aérodrome de Rochefort-Charente Maritime.
7. D'autre part, s'agissant de l'éolienne E1 et des perturbations qu'elle génère, la pétitionnaire soutient, sans être contredite, qu'il résulte de l'annexe de la circulaire d'information aéronautique " AIC France A 16/24 " du 8 août 2024 relative au plan de retrait de service de certaines aides radio à la navigation ainsi que de la consultation du site internet de la DGAC, éléments qu'elle produit, que le " NDB " de l'aéroport de Rochefort-Charente Maritime a été retiré le 13 juin 2024 et que la procédure d'approche " NDB Rwy 30 " a été supprimée au niveau de l'aérodrome de Rochefort-Charente Maritime. Or, il résulte des termes de l'avis défavorable du 24 novembre 2022 qu'il n'est fondé que sur l'incompatibilité de l'éolienne E1 avec cette procédure d'approche " NDB Rwy 30 ". Dans ces conditions, et alors qu'aucun autre élément n'est opposé par la préfecture en défense, la société requérante est fondée à soutenir que l'avis est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation s'agissant du risque d'atteinte à la sécurité de la navigation aérienne généré par l'éolienne E1.
8. Il résulte de ce qui précède que la société requérante est fondée à soutenir que l'avis de la direction générale de l'aviation civile du 24 novembre 2022 est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en tant qu'il retient l'existence d'un risque d'atteinte à la sécurité de la navigation aérienne s'agissant de l'ensemble des éoliennes projetées et que c'est à tort que le préfet a opposé, pour ce motif, un refus.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est fondée à demander l'annulation du refus qui lui a été opposé par le préfet de la Charente-Maritime le 1er mars 2023.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. (...) ".
11. Le présent arrêt implique seulement, au vu de ses motifs, que le préfet de la Charente-Maritime réexamine la demande d'autorisation environnementale de la société Energie des Rouches. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder, en l'absence de changement dans les circonstances de droit et de fait, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à la société Energie des Rouches au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 1er mars 2023 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Charente-Maritime, en l'absence de changement dans les circonstances de droit et de fait, de réexaminer la demande d'autorisation environnementale présentée par la société Energie des Rouches dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à la société Energie des Rouches la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Energie des Rouches, au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et au préfet de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente assesseure,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 avril 2025.
La rapporteure,
Héloïse Pruche-MaurinLa présidente,
Evelyne Balzamo
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX01128