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10/04/2025 | FRANCE | N°23BX00547

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 4ème chambre, 10 avril 2025, 23BX00547


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, des cotisations d'impôt sur les sociétés et des cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises, auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2013.



Par un jugement n° 2102822 du 29 décembre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa de

mande.

Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 24 février 2023, la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, des cotisations d'impôt sur les sociétés et des cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises, auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2013.

Par un jugement n° 2102822 du 29 décembre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 février 2023, la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda, représentée par Me de Oliveira, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 29 décembre 2022 ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, des cotisations d'impôt sur les sociétés et des cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises, auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2013, pour un montant total en droits et pénalités de 571 945 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

- la procédure d'imposition est irrégulière dès lors que l'administration fiscale française n'a pas opéré la moindre compensation avec les impôts dont elle s'acquitte déjà au Portugal ; elle est l'objet d'une double imposition ;

- en l'absence d'établissement stable en France, l'administration fiscale n'avait pas compétence pour effectuer une vérification fiscale de sa comptabilité ; aucune procédure d'opposition ne peut valablement lui être appliquée ;

- les procès-verbaux de non présentation de comptabilité et d'opposition à contrôle fiscal ne sont pas justifiés ; la proposition de rectification omet de mentionner le courrier recommandé du 30 juin 2016 faisant état du fait qu'elle n'a formulé aucune demande de document ;

- le débat contradictoire n'a pas été respecté, dès lors que la décision de l'administrateur général du 31 mai 2017 ne lui a été communiquée à sa demande que deux ans après ; certains documents mentionnés dans la proposition de rectification n'ont pas donné lieu à un débat contradictoire, en méconnaissance de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, dès lors qu'ils ne lui ont pas été communiqués ;

- la charte des droits et obligations du contribuable vérifié lui a été adressée tardivement en français, en méconnaissance des articles L. 10 et L. 47 du livre des procédures fiscales ; cette situation est contraire au principe d'égalité du contribuable devant l'impôt et le contrôle fiscal ;

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

S'agissant de l'impôt sur les sociétés et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises :

- son siège social est situé au Portugal, où elle exerce une activité d'agence de travail temporaire ; la totalité de son capital est détenue par des associés domiciliés au Portugal et la gérante est de nationalité portugaise ; le lieu d'imposition de la société demeure celui de son siège social, à savoir le Portugal et non la France où aucun établissement stable ne peut être caractérisé au regard ni de l'article 5 de la convention du 14 janvier 1971 ni des dispositions du code général des impôts ; la société ETCD, qui exerce une autre activité, n'est ni une succursale, ni un établissement secondaire ; la présence de documents au sein de cette entreprise permet seulement de démontrer qu'une activité accessoire liée à la gestion des salariés y était exercée ;

S'agissant des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ;

- toutes les décisions et assemblées générales sont prises au siège de la société au Portugal, dont le capital est à 100 % étranger à la France ; elle ne détient pas d'établissement stable en France ; la société ETCD n'a assuré que des tâches de soutien et n'a jamais participé à l'exercice à part entière de l'activité de la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda, laquelle ne dispose d'aucun moyen humain ou technique en France ;

En ce qui concerne les pénalités :

- dès lors qu'elle ne dispose d'aucun établissement stable en France, aucune pénalité pour activité occulte ne peut être mise à sa charge ; elle a agi de bonne foi en tenant une comptabilité au Portugal ; le niveau d'imposition au Portugal est similaire à celui appliqué en France ; elle est fondée à invoquer son droit à l'erreur, pour écarter l'application de la pénalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention du 14 janvier 1971 entre la France et le Portugal tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu ;

- le code général des impôts et livre des procédures fiscales ;

- Vu la convention bilatérale conclue le 14 janvier 1971 entre la France et le Portugal ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Martin,

- et les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda, de droit portugais, exerce une activité d'agence de travail temporaire. Cette société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2013 à raison d'un établissement considéré comme stable en France, sur le territoire de la commune de Mérignac, à l'issue de laquelle l'administration a estimé que la société s'était livrée à l'exercice d'une activité occulte de mise à disposition de personnel à des sociétés françaises pour des chantiers de construction et de rénovation situés majoritairement dans le département de la Gironde. Elle a, à l'issue d'une procédure de taxation d'office, fait l'objet de rappels de taxe sur la valeur ajoutée, et a été imposée à une cotisation d'impôt sur les sociétés et une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre de l'année 2013, impositions assorties d'une majoration de 80 % pour activité occulte, pour un montant total de 571 945 euros. Sa réclamation préalable formée le 26 novembre 2019 ayant été implicitement rejetée par l'administration fiscale, la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions. La société relève appel du jugement du 29 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale française :

2. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

S'agissant de l'impôt sur les sociétés et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises :

3. L'article 209 du code général des impôts dispose que : " I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ".

4. En vertu du I de l'article 209 du code général des impôts, les bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, ainsi que ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions, sont passibles de l'impôt sur les sociétés. Les bénéfices réalisés par une entreprise ayant son siège hors de France sont imposables en France, notamment lorsqu'ils résultent d'opérations constituant l'exercice habituel en France d'une activité, soit à travers un établissement, soit qu'elle y réalise des opérations par l'intermédiaire de représentants n'ayant pas de personnalité professionnelle indépendante ou encore lorsque les opérations effectuées en France y forment un cycle commercial complet.

5. L'article 5 de la convention bilatérale conclue le 14 janvier 1971 entre la France et le Portugal stipule que : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. / 2. L'expression " établissement stable " comprend notamment : / (...) / b) Une succursale ; / c) Un bureau ; / (...) e) un atelier ; (...) / g) un chantier de construction ou de montage dont la durée dépasse douze mois. (...) / 3. On ne considère pas qu'il y a établissement stable si : / a) Il est fait usage d'installations aux seules fins de stockage, d'exposition ou de livraison de marchandises appartenant à l'entreprise ; / b) Des marchandises appartenant à l'entreprise sont entreposées aux seules fins de stockage, d'exposition ou de livraison ; / c) Des marchandises appartenant à l'entreprise sont entreposées aux seules fins de transformation par une autre entreprise ; / d) Une installation fixe d'affaires est utilisée aux seules fins d'acheter des marchandises ou de réunir des informations pour l'entreprise ; e) Une installation fixe d'affaires est utilisée, pour l'entreprise, aux seules fins de publicité, de fournitures d'informations, de recherches scientifiques ou d'activités analogues qui ont un caractère préparatoire ou auxiliaire./4. Une personne agissant dans un Etat contractant pour le compte d'une entreprise de l'autre Etat contractant, autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant, visé au paragraphe 6, est considérée comme " établissement stable " dans le premier Etat si elle dispose dans cet Etat de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, à moins que l'activité de cette personne ne soit limitée à l'achat de marchandises pour l'entreprise. (...) / 7. Le fait qu'une société qui est un résident d'un Etat contractant contrôle ou soit contrôlée par une société qui est un résident de l'autre Etat contractant ou qui y exerce son activité (que ce soit par l'intermédiaire d'un établissement stable ou non) ne suffit pas, en lui-même, à faire de l'une quelconque de ces sociétés un établissement stable de l'autre ".

6. Aux termes de l'article 7 de la même convention : "1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat, mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable. / (...) ".

7. Il résulte de l'instruction que l'exercice du droit de visite prévu par les dispositions de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales dans les locaux de l'entreprise ETCD, située au 12 rue du Galus, sur le territoire de la commune de Mérignac, a permis à l'administration fiscale de saisir un ensemble de documents relatifs à l'exercice de l'activité de la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda de mise à disposition temporaire de personnels auprès de sociétés françaises pour des chantiers de construction ou de rénovation en France au cours de l'année 2013. En effet, figuraient notamment sur l'ordinateur de M. C..., salarié de la société ETCD, des copies de déclaration d'affiliation au régime de sécurité sociale portugaise des employés de la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda mis à disposition des sociétés clientes françaises, un tableau Excel retraçant l'affectation des employés d'Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda sur les chantiers des différents clients français, des copies des bulletins de paie de ces employés des mois d'août à décembre 2013, des copies de déclarations de ces rémunérations auprès de l'organisme de sécurité sociale portugais pour les mois correspondants, des documents relatifs au logement en France et aux frais de déplacement de ces salariés, des documents établissant l'existence de relations d'Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda avec des fournisseurs, des copies de factures adressées aux clients au nom d'Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda à compter du mois de juin 2013, la copie de tous les relevés bancaires du compte ouvert à Paris au nom d'Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda retraçant l'encaissement des paiements des clients ainsi que le règlement des factures des fournisseurs et le paiement des salaires, la copie des relevés du compte bancaire ouvert par Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda au Portugal, et enfin son empreinte humide. Il résulte par ailleurs de l'instruction, notamment d'un courriel du 24 novembre 2013 envoyé par M. C... au gérant d'une société, que celui-ci se présentait comme le manager de la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda -bureau de Mérignac, et que l'activité de la société requérante était également exercée par la mise à disposition de M. B... A..., gérant de la société ETCD et de Mme D..., salariée de la société ETCD. L'exercice du droit de communication par l'administration fiscale a également permis de révéler que la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda recevait du courrier dans les locaux de la société ETCD.

8. Il résulte de ces différents documents, joints sous forme de 39 annexes à la proposition de rectification du 26 juillet 2016, dont la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda n'a pas demandé la communication lors des opérations de contrôle, que ladite société utilisait les infrastructures situées en France et les moyens matériels et humains de la société ETCD pour exercer son activité de mise à disposition temporaire de personnels auprès de sociétés françaises pour des chantiers de construction ou de rénovation réalisés en France. La circonstance que les sociétés ETCD et Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda n'exercent pas la même activité est à cet égard sans incidence. Il en va de même de la circonstance que les salariés intérimaires sont recrutés au Portugal. La société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda ne peut ainsi être regardée comme exerçant une simple gestion administrative accessoire et préparatoire depuis les locaux de la société ETCD. Dans ces conditions, et alors même que la société appelante aurait son siège social au Portugal, la totalité de son capital détenu par des associés domiciliés au Portugal et pour gérante une personne de nationalité portugaise, la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda doit être regardée comme disposant d'un établissement stable en France au sens des articles 209 et 259 du code général des impôts ainsi que des stipulations précitées des articles 5 et 7 de la convention franco-portugaise. Par suite, l'administration a pu à bon droit assujettir la société requérante à l'impôt sur les sociétés et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

S'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée :

9. Aux termes de l'article 259 du code général des impôts : " Le lieu des prestations de services est situé en France : (...) / 2° Lorsque le preneur est une personne non assujettie, si le prestataire : (...) / b) Ou dispose d'un établissement stable en France à partir duquel les services sont fournis ; (...) " et de l'article 259 A du même code : " Par dérogation à l'article 259, est situé en France le lieu des prestations de services suivantes : (...) /2° Les prestations de services se rattachant à un bien immeuble situé en France, y compris les prestations d'experts et d'agents immobiliers, la fourniture de logements dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire tels que des camps de vacances ou des sites aménagés pour camper, l'octroi de droits d'utilisation d'un bien immeuble et les prestations tendant à préparer ou à coordonner l'exécution de travaux immobiliers, telles que celles fournies par les architectes et les entreprises qui surveillent l'exécution des travaux ; (...) ". L'article 283 de ce même code prévoit que : " (...) / 2. Lorsque les prestations mentionnées au 1° de l'article 259 sont fournies par un assujetti qui n'est pas établi en France, la taxe doit être acquittée par le preneur (...) ". Il résulte de ces dispositions que lorsque le lieu des prestations de services se trouve en France parce qu'elles sont fournies à des assujettis remplissant les conditions définies à l'article 259 du code général des impôts, le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée afférente est le prestataire qui les fournit s'il est lui-même établi en France. Doit être regardé comme tel le prestataire qui a en France un établissement stable depuis lequel les prestations sont fournies et qui présente un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées. Dès lors que celles-ci peuvent être rattachées à un tel établissement, il n'y a pas lieu de rechercher si ce rattachement est fiscalement plus rationnel qu'un rattachement au siège de l'activité économique du prestataire.

10. Il résulte de ce qui a été dit au point 8 que la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda était redevable de la TVA sur les prestations de mise à disposition temporaire de personnels qualifiés auprès de sociétés françaises pour des chantiers de construction ou de rénovation en France, par le seul constat de leur réalisation par l'intermédiaire d'un établissement stable en France, sans rechercher par ailleurs si le capital de la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda était détenu à 100 % à l'étranger et les conditions dans lesquelles avaient lieu, au siège de la société, les assemblées générales et la prise des décisions de gestion. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a notifié à la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda, qui dispose en France d'un établissement stable, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de son activité de mise à disposition temporaire de personnels auprès de sociétés françaises pour des chantiers de construction ou de rénovation en France.

En ce qui concerne la procédure d'imposition :

11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : " I. Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. (...) ".

12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 10 que, dès lors que l'administration fiscale pouvait soumettre aux impositions en litige la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda, au titre de l'exercice de son activité de mise à disposition temporaire de personnels auprès de sociétés françaises pour des chantiers de construction ou de rénovation en France, les agents de l'administration des impôts étaient bien compétents pour procéder à la vérification de comptabilité portant sur la période courant du 1er janvier 2004 au 13 décembre 2013 pour son établissement stable situé à Mérignac. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence des agents de l'administration des impôts ne peut qu'être écarté.

13. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à l'imposition en litige : " (...) Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration ". Selon l'article L. 47 de ce même livre dans sa rédaction applicable à l'imposition en litige : " (...) une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification (...) L'avis informe le contribuable que la charte des droits et obligations du contribuable vérifié peut être consultée sur le site internet de l'administration fiscale ou lui être remise sur simple demande (...) ".

14. Il résulte de l'instruction que la charte du contribuable vérifié en langue française était jointe à l'avis de vérification adressé au siège social de la société appelante au Portugal le 22 septembre 2014, présenté le 2 octobre 2014 et retourné au service vérificateur avec la mention " non réclamé ". Un nouvel envoi de ces deux documents a été effectué par courrier du 7 novembre 2014 à l'adresse du représentant légal de la société appelante au Portugal, dont il a accusé réception le 20 novembre 2014. Aucune disposition législative ou règlementaire ne fait obligation à l'administration fiscale d'adresser en langue étrangère des pièces de la procédure d'imposition à un contribuable ne maitrisant pas le français. Par ailleurs, et ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda était taxable en France sur des bénéfices et des prestations de services réalisés en France. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de procédure doit être écarté.

15. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 13 A du livre des procédures fiscales : " Le défaut de présentation de la comptabilité est constaté par procès-verbal que le contribuable est invité à contresigner. Mention est faite de son refus éventuel. ". Aux termes de l'article L. 66 du même livre : " Sont taxés d'office : (...) / 2° à l'impôt sur les sociétés, les personnes morales passibles de cet impôt qui n'ont pas déposé dans le délai légal leur déclaration, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l'article L. 68 ; / 3° aux taxes sur le chiffre d'affaires, les personnes qui n'ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elles sont tenues de souscrire en leur qualité de redevables des taxes (...) ". Enfin, l'article 74 du même livre prévoit que : " Les bases d'imposition sont évaluées d'office lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers. (...) ".

16. Les succursales françaises des sociétés étrangères, alors même qu'elles ne sont pas soumises à l'obligation de tenir une comptabilité selon les modalités prévues par les dispositions des articles 8 et suivants de l'ancien code de commerce, reprises aux articles L. 123-12 et suivants du nouveau code de commerce, doivent présenter à l'administration, sur demande de celle-ci, les documents comptables et pièces mentionnés à l'article 54 du code général des impôts de nature à justifier l'exactitude des résultats indiqués dans les déclarations qu'elles ont souscrites.

17. Il résulte de l'instruction qu'aucun représentant de la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda n'était présent le 21 octobre 2014, date de début des opérations de contrôle, au 12 rue de Galus à Mérignac où la société appelante organisait son activité en France. Les courriers recommandés du 7 novembre 2014 adressés au siège social de la société, au Portugal, et au siège de la société ETCD à Mérignac, par lesquels l'administration fiscale a rappelé à la société appelante la procédure de contrôle fiscal, engagée par l'avis de vérification du 22 septembre 2014 envoyé à ces deux adresses et retourné à l'administration avec la mention " non réclamé ", et les conditions d'application de l'évaluation d'office des bases d'imposition, sont restés sans réponse. Les courriers du 9 mars 2015, par lesquels l'administration a informé la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda qu'une demande de renseignements avait été adressée aux autorités portugaises, n'ont pas été distribués et ont été retournés au service avec les mentions soit " refusé ", soit " pli avisé et non réclamé ", soit " destinataire inconnu à l'adresse ". Pourtant, le 7 avril 2015, le service a reçu un courrier du conseil de la société requérante rappelant que son activité en France n'avait débuté qu'à partir de 2013, mais ne contenant aucune indication sur la communication des pièces comptables. L'administration fiscale a de nouveau rappelé par courriers recommandés du 1er juin 2015, envoyés aux différentes adresses de la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda et non réclamés ou retournés avec la mention " destinataire inconnu à l'adresse ", la procédure de contrôle fiscal engagée, et a fixé à la société un rendez-vous le 19 juin 2015 dans les bureaux du service vérificateur. Aucun représentant de la société ne s'est toutefois présenté au rendez-vous. Enfin, par courriers recommandés du 17 juillet 2015, qui n'ont pas été réclamés ou retournés avec la mention " destinataire inconnu à l'adresse ", le service a mis en demeure la société de déposer ses déclarations fiscales, en vain. Dans ces conditions, compte tenu de l'absence de retrait de nombreux plis adressés à la société et de l'absence de représentants de la société aux rendez-vous fixés par le service, c'est à bon droit que l'administration fiscale a dressé le 18 décembre 2015 un procès-verbal de défaut de présentation de comptabilité, et le 21 décembre 2015, un procès-verbal d'opposition à contrôle fiscal. Au surplus, l'administration fiscale a mis en œuvre la procédure de taxation d'office en application de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales. Par suite, le moyen tiré de ce que ces procès-verbaux n'étaient pas justifiés et la procédure d'imposition irrégulière pour ce motif, doit être écarté.

18. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ".

19. D'une part, il est constant que l'origine et la teneur des renseignements et documents obtenus par l'administration ont été communiquées à la société appelante, qui en a fait la demande par lettre du 30 juin 2016, sous la forme d'un CD-Rom, comportant 39 annexes, joint à la proposition de rectification de 25 pages, laquelle comportait mention des éléments ainsi recueillis. Cette communication est intervenue avant la mise en recouvrement des impositions contestées, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales.

20. D'autre part, Il résulte de l'instruction que par courrier du 20 décembre 2016, la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda a demandé à bénéficier d'une rencontre avec l'interlocuteur départemental, laquelle s'est tenue le 21 février 2017. Le compte-rendu de cet entretien a été adressé le 31 mai 2017 au siège social de la société appelante, par lettre recommandée avec accusé de réception, lequel est revenu " avisé non réclamé ". Dans ces conditions, et alors qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose à l'administration d'adresser un compte-rendu à l'issue d'une interlocution départementale, la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir qu'elle n'a eu communication de ce compte-rendu que deux ans après la rencontre, et qu'elle aurait ainsi été privée, pour ce motif, d'un débat oral et contradictoire avec le vérificateur.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

21. La société soutient qu'en application de l'article L. 80 du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale aurait dû procéder à une compensation entre les impositions dont elle soutient s'être acquittée au Portugal en 2013 et les impositions mises à sa charge en France. Toutefois, en se bornant à indiquer qu'elle est régulièrement immatriculée au Portugal, et que le taux d'imposition au Portugal est sensiblement le même que celui appliqué en France, la société appelante ne justifie pas avoir satisfait à l'ensemble de ses obligations déclaratives auprès des autorités portugaises, ni avoir payé ses impôts dans ce pays. Par suite, le moyen tiré de l'absence de prise en compte de la double imposition ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne les pénalités :

22. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts dispose que : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : (...) / c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte. (...) ".

23. Il résulte de ces dispositions que, dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, son activité est réputée occulte s'il n'est pas en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives. S'agissant d'un contribuable qui fait valoir qu'il a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales dans un Etat autre que la France, la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment du niveau d'imposition dans cet autre État et des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux Etats.

24. Pour justifier l'application de la pénalité de 80 % pour activité occulte, l'administration fiscale, qui a regardé la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda comme disposant d'un établissement stable en France, a constaté qu'elle n'avait pas déposé dans le délai légal des déclarations qu'elle était tenue de souscrire et n'avait pas fait connaître son activité auprès d'un centre de formalités des entreprises en France.

25. Il résulte d'une part de ce qui a été dit au point 8, que la société appelante n'est pas fondée à soutenir qu'elle ne disposait pas d'un établissement stable en France et qu'ainsi, elle n'exerçait pas d'activité occulte justifiant l'application de la pénalité en litige. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit au point 21 que la société appelante ne justifie pas avoir satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales au Portugal, de sorte qu'elle ne peut utilement invoquer le droit à l'erreur pour contester l'application de cette pénalité de 80 %. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda tendant à la décharge de la pénalité en litige.

26. Il résulte de tout ce qui précède que la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions mises à sa charge au titre de l'année 2013.

Sur les frais liés au litige :

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda au titre des frais exposés non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Euveo Empresa de Trabalho Temporario Lda et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.

Délibéré après l'audience du 24 mars 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Bénédicte Martin, présidente,

Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,

Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 avril 2025.

La présidente-assesseure,

Béatrice Molina-Andréo La présidente,

Bénédicte Martin La greffière,

Laurence Mindine

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23BX00547


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00547
Date de la décision : 10/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MARTIN
Rapporteur ?: Mme Bénédicte MARTIN
Rapporteur public ?: Mme REYNAUD
Avocat(s) : DE OLIVEIRA

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-10;23bx00547 ?
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