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03/04/2025 | FRANCE | N°23BX01037

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 03 avril 2025, 23BX01037


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... et l'association Vivre dans la Cité ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 3 décembre 2019 par lequel la préfète de la Gironde a déclaré cessible au profit de la société In Cité Bordeaux Métropole territoires " la parcelle cadastrée DB n°0187 du lot n°7 de l'immeuble situé 52-54-56 rue Lafontaine " dont il était propriétaire à Bordeaux.



Par un jugement n° 2003235 du 22 février 2023, le tribunal admini

stratif de Bordeaux a rejeté leur demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... et l'association Vivre dans la Cité ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 3 décembre 2019 par lequel la préfète de la Gironde a déclaré cessible au profit de la société In Cité Bordeaux Métropole territoires " la parcelle cadastrée DB n°0187 du lot n°7 de l'immeuble situé 52-54-56 rue Lafontaine " dont il était propriétaire à Bordeaux.

Par un jugement n° 2003235 du 22 février 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 avril 2023 et 31 mai 2024,

M. B... et l'association Vivre dans la Cité, représentés par Me Achou-Lepage, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 décembre 2019 ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la SEM In Cité la somme

de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- par convention d'aménagement du 22 mai 2014, la ville de Bordeaux a délégué à la SEM In Cité, chargée de la requalification du centre historique, la notification aux propriétaires, d'une part de l'ouverture de l'enquête publique parcellaire et d'autre part du programme des travaux, exigée par les dispositions des articles L.313-4-2 et R.313-27 du code de l'urbanisme et R131-6 du code de l'expropriation ; cette compétence, qui participe de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique, ne pouvait faire l'objet d'aucune subdélégation ; par suite, la SEM In Cité ne pouvait la confier au cabinet Modale, et la notification effectuée par celui-ci entache d'irrégularité la procédure ;

- le courrier de notification des travaux à M. B... ne comportait aucun délai pour en réaliser, en méconnaissance de l'article L.313-4-2 du code de l'urbanisme, et dès lors que son lot devait seulement être démoli, son expropriation relevait de la procédure d'expropriation de droit commun prévue par les articles R.112-1 et suivants du code de l'expropriation, et non de celle applicable aux opérations de restauration immobilière ; la décision contestée est donc entachée d'un détournement de procédure et de pouvoir ;

- l'avis du commissaire enquêteur est insuffisamment motivé au regard de l'enjeu de démolition des immeubles en cause ; il aurait dû se prononcer sur l'état réel d'habitabilité, de salubrité et de sécurité des immeubles désignés ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, l'arrêté du 18 décembre 2018 modifiant la déclaration d'utilité publique du 7 décembre 2018 comportait une modification substantielle, dès lors que la SEM In Cité était autorisée à acquérir à l'amiable ou par voie d'expropriation les lots situés au sein des copropriétés sises 68 rue Kléber et 52-52bis, 54, 56 rue Lafontaine dont le projet prévoit la démolition totale ou partielle et la restructuration, ce qui revenait à changer le fondement de l'expropriation, qui ne relevait plus d'une ORI mais de la procédure normale, privant les propriétaires de la possibilité de conserver leur propriété en exécutant des travaux ; dans ces conditions, une nouvelle déclaration d'utilité publique était nécessaire ;

- l'opération de requalification urbaine constitue un projet de renouvellement urbain au sens du 4° de l'article L.103-2 du code de l'urbanisme, et aurait dû faire l'objet d'une concertation préalable avec les habitants, d'autant qu'elle modifie les conditions de vie dans le secteur Saint Michel Marne Yser et qu'en retenant une appréciation à l'échelle du territoire communal, les premiers juges ont ajouté un critère non prévu par les textes ;

- les dispositions de l'article L.313-4 du code de l'urbanisme ne permettent pas de mener une ORI seulement pour améliorer les conditions d'habitabilité d'immeubles, et la SEM In Cité ne démontre pas que la propriété de M. B... aurait été en état dégradé ou insalubre, alors que son studio avait été récemment rénové, ni qu'il aurait été nécessaire de démolir son lot pour le jumeler au lot n°11.

- l'atteinte à sa propriété n'est donc pas justifiée par une nécessité publique, en méconnaissance de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

Par un mémoire enregistré le 3 janvier 2024, la société Incité Bordeaux Métropole Territoires, représentée par Me Carton de Grammont, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de chacun des appelants la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- en vertu du principe de l'effet relatif des contrats, les tiers ne peuvent s'en prévaloir et le moyen tiré d'une méconnaissance de la convention de concession d'aménagement en ce qui concerne la notification de l'ouverture de l'enquête et des travaux à réaliser doit être écarté ; en tout état de cause, InCité était autorisée à faire appel à des hommes de l'art sans accord préalable de l'autorité concédante, et le mandat confié au cabinet Modale doit faire réputer tous les actes accomplis par le mandataire comme réalisés pour le compte du mandant ; les notifications réalisées par ce prestataire joignaient d'ailleurs le mandat ;

- alors que l'article L. 313-4 du code de l'urbanisme mentionne la possibilité de démolitions dans le cadre des opérations de restauration immobilière, l'opération en litige relève bien de son champ d'application, et le jumelage des lots 7 et 11 appartenant à des personnes distinctes, ordonné par le programme de travaux, ne permettait pas d'imposer les travaux de destruction partielle à un unique propriétaire ; en tout état de cause, INCITE a notifié le 26 avril 2019 à M. B... la délibération du 25 mars 2019 arrêtant le programme des travaux et son délai de réalisation de 36 mois, et l'intéressé avait déjà été informé par Incité le 27 février 2019 de la nature des travaux de démolition concernant son lot ;

- l'avis du commissaire-enquêteur prévu par l'article R.131-9 du code de l'expropriation est suffisamment motivé ;

- la modification apportée le 18 décembre à l'arrêté de DUP du 7 décembre 2018 n'est pas substantielle : l'erreur de plume sur la personne autorisée à acquérir, qui est bien la SEM Incité désignée le 7 décembre comme bénéficiaire de la DUP, et non la commune, a été rectifiée, et la précision apportée sur les lots voués à la démolition résultait du programme des travaux élaboré auparavant, sans qu'une nouvelle procédure de DUP soit nécessaire ;

- les opérations d'aménagement soumises à concertation au titre de l'article L.103-2 sont celles limitativement énumérées à l'article R.103-1 ; par ailleurs, il y a lieu de considérer que " les projets de renouvellement urbain " visés par le 4° de l'article L103-2 sont ceux prévus par la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine ; ainsi le projet n'était pas soumis à l'obligation de concertation préalable ;

- le recours à la procédure de DUP-ORI n'exige nullement un état de dégradation avancé de chaque logement ;

-le projet de restructuration d'un ensemble surdensifié et dont les parties communes sont en mauvais état permet d'améliorer les conditions d'habitabilité des logements, qui incluent leur taille, et présente un caractère d'intérêt général et d'utilité publique.

Par un mémoire enregistré le 10 septembre 2024, le ministre de l'intérieur et des

outre-mer conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que les moyens ne sont pas fondés et se réfère au mémoire présenté par la préfète devant le tribunal.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, modifiée par l'ordonnance n° 2020-558

du 13 mai 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, modifiée par l'ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d'urgence sanitaire ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Catherine Girault,

- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Achou-Lepage pour M. B... et l'association Vivre dans la Cité et celles de Me Carton de Grammont pour la société d'économie mixte Incité.

Une note en délibéré présentée pour la SEM In Cité a été enregistrée le 13 mars 2025.

Considérant ce qui suit :

1. Par délibération du 2 juillet 2002, le conseil municipal de la ville de Bordeaux a décidé de réaliser une opération de requalification urbaine sur l'ensemble du centre historique de Bordeaux. Par convention du 22 mai 2014, la société d'économie mixte InCité s'est vu confier à nouveau l'aménagement de ce secteur. Dans le cadre de cette opération, et après enquête parcellaire qui s'est déroulée du 26 septembre au 19 octobre 2018, la préfète de la Gironde a, par arrêté du 7 décembre 2018 rectifié le 18 décembre 2018, déclaré d'utilité publique, au profit de la société In Cité, les travaux de restauration immobilière d'un ensemble de 10 immeubles situés sur les secteurs " Saint Michel-Marne-Yser " et " Saint Michel-Saint Eloi ". Par arrêté du 3 décembre 2019, la préfète de la Gironde a déclaré cessibles au profit de la société InCité un ensemble de parcelles, comprenant notamment la parcelle cadastrée n°DB0187 sur laquelle se situe la copropriété des 52-52 bis-54-56 rue Lafontaine, dans laquelle M. B... était propriétaire du lot n°7, constitué d'un studio de 19,5 m² situé en rez-de-chaussée du bâtiment C en fond de cour. M. B..., qui a été exproprié par ordonnance du 19 mars 2020 du juge de l'expropriation, relève appel du jugement du 22 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté de cessibilité.

Sur le cadre juridique du litige :

2. L'article L.313-4 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable, prévoit que : " Les opérations de restauration immobilière consistent en des travaux de remise en état, d'amélioration de l'habitat, comprenant l'aménagement, y compris par démolition, d'accès aux services de secours ou d'évacuation des personnes au regard du risque incendie, de modernisation ou de démolition ayant pour objet ou pour effet la transformation des conditions d'habitabilité d'un immeuble ou d'un ensemble d'immeubles. Elles sont engagées à l'initiative soit des collectivités publiques, soit d'un ou plusieurs propriétaires, groupés ou non en association syndicale, et sont menées dans les conditions définies par la section 3 du présent chapitre. /Lorsqu'elles ne sont pas prévues par un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé, elles doivent être déclarées d'utilité publique. "

3. L'article L.313-4-1 du même code précise que " Lorsque l'opération nécessite une déclaration d'utilité publique, celle-ci est prise, dans les conditions fixées par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, à l'initiative de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale compétent pour réaliser les opérations de restauration immobilière, ou de l'Etat avec l'accord de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme. "

4. L'article L.313-4-2 du code de l'urbanisme dispose : " Après le prononcé de la déclaration d'utilité publique, la personne qui en a pris l'initiative arrête, pour chaque immeuble à restaurer, le programme des travaux à réaliser dans un délai qu'elle fixe. /Cet arrêté est notifié à chaque propriétaire. Lorsque le programme de travaux concerne des bâtiments soumis à la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, l'arrêté est notifié à chaque copropriétaire et au syndicat des copropriétaires, pris en la personne du syndic. /Lors de l'enquête parcellaire, elle notifie à chaque propriétaire ou copropriétaire le programme des travaux qui lui incombent. Lorsque le programme de travaux concerne des bâtiments soumis à la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, le programme portant sur les parties communes est également notifié au syndicat des copropriétaires, pris en la personne du syndic. Si un propriétaire ou copropriétaire fait connaître son intention de réaliser les travaux dont le détail lui a été notifié pour information, ou d'en confier la réalisation à l'organisme chargé de la restauration, son immeuble n'est pas compris dans l'arrêté de cessibilité. "

5. Aux termes de l'article R. 313-27 du même code, dans sa rédaction applicable : " L'autorité expropriante qui a pris l'initiative de la déclaration d'utilité publique de l'opération notifie à chaque propriétaire, ou copropriétaire, le programme détaillé des travaux à réaliser sur le bâtiment et son terrain d'assiette. / La notification prévue à l'alinéa précédent est effectuée à l'occasion de la notification individuelle du dépôt en mairie du dossier de l'enquête parcellaire prévue par l'article R. 131-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Elle comporte l'indication du délai dans lequel doivent être réalisés les travaux ".

Sur la légalité de l'arrêté de cessibilité :

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la SEM In Cité, bénéficiaire de la déclaration d'utilité publique, qui doit donc être regardée comme l'expropriant au sens des dispositions précitées, a rappelé le 27 février 2019 à M. B... que la déclaration d'utilité publique adoptée en décembre 2018 portait sur l'immeuble dont il était copropriétaire, que l'étude préalable avait conclu à la nécessité de supprimer et/ou restructurer entièrement certains corps de bâtiment, et que la SEM était autorisée à acquérir à l'amiable ou à exproprier les lots dont le projet prévoyait la démolition totale ou partielle et la restructuration. Elle l'informait également des prochaines étapes de la procédure et du fait qu'elle avait confié les aspects administratifs de la procédure à un prestataire, le cabinet Modale. La SEM a ensuite notifié par courrier du 26 avril 2019 à M. B..., qui en a accusé réception le 29 avril, la délibération du 25 mars 2019 par laquelle le conseil municipal a arrêté le programme des travaux avec un délai de réalisation de 36 mois. Si la notification de l'ouverture de l'enquête parcellaire a ensuite été faite le 13 mai 2019 par le cabinet Modale, mandaté par la SEM le 25 février 2019 pour accomplir " toutes les formalités nécessaires au bon déroulement de l'enquête parcellaire ", cette circonstance n'a privé M. B..., qui en a accusé réception le 17 mai 2019, d'aucune garantie attachée à la procédure d'expropriation. Par suite, alors même que la possibilité de déléguer ces formalités n'est prévue par aucune disposition législative ou règlementaire,

M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté de cessibilité serait entaché d'un vice de procédure de nature à en entraîner l'annulation.

7. En deuxième lieu, la copropriété du 52-52B-54-56 rue Lafontaine, constituée

de 16 logements répartis dans 5 corps de bâtiments, était identifiée par le dossier préalable à la déclaration d'utilité publique comme un ensemble immobilier morcelé et surdensifié, qui avait fait l'objet d'une réhabilitation au coup par coup de chaque copropriétaire sans traitement d'ensemble du clos-couvert et des réseaux. Était notamment pointée la surdensité de petits logements avec typologies surévaluées et présentant de faibles qualités d'habitat. En conséquence, le programme de travaux a notamment prévu la démolition de certaines parties de bâtiments, dont le lot 11 situé en fond de cour pour jumelage avec le lot n°7 appartenant à M. B... afin de créer un logement d'une surface plus importante, bénéficiant d'un espace extérieur privatif et d'une meilleure habitabilité.

8. S'il est constant que M. B... n'a pas été expressément invité à réaliser

lui-même les travaux préconisés en ce qui concerne son bien, comme le prévoyait l'article L.313-4-2 précité du code de l'urbanisme, il ressort des pièces du dossier qu'il en connaissait la nature depuis que lui avait été notifiée, le 26 avril 2019, la délibération municipale arrêtant le programme des travaux. Il ne conteste pas qu'il ne pouvait démolir lui-même son propre logement pour le fusionner avec le lot n°11 dont il n'est pas propriétaire. Il n'a pas donné suite à une demande d'entretien avec la société Incité et n'a jamais allégué qu'il aurait pu envisager d'acquérir le lot voisin ou de vendre le sien au propriétaire du lot n°11 pour échapper à une expropriation. Dans ces conditions très particulières, où le propriétaire n'est pas en mesure de réaliser les travaux prévus, la circonstance qu'aucun délai ne lui a été personnellement imparti ne peut être regardée comme l'ayant effectivement privé d'une garantie.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article R.131-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique relatif à l'enquête parcellaire : " (...) Le commissaire enquêteur ou le président de la commission d'enquête donne son avis sur l'emprise des ouvrages projetés, dans le délai prévu par le même arrêté, et dresse le procès-verbal de l'opération après avoir entendu toutes les personnes susceptibles de l'éclairer. Pour cette audition, le président peut déléguer l'un des membres de la commission. "

10. L'enquête parcellaire, qui s'est déroulée du 6 au 25 juin 2019 avec seulement

4 observations écrites et deux personnes reçues pendant les permanences, a donné lieu à un avis du commissaire enquêteur du 20 juillet 2019. Celui-ci, après avoir rappelé l'objet de l'enquête, qui était de déterminer avec précision les emprises concernées et l'identité des propriétaires ou titulaires de droits réels, et constaté qu'elle avait été effectuée régulièrement et dans de bonnes conditions, a estimé que " la définition des immeubles nécessaires à la réalisation du projet de travaux de restauration immobilière parait bien réalisée. Les emprises foncières à acquérir délimitées dans le dossier semblent adaptées aux besoins. L'identification des propriétaires et des ayants-droits a été conduite sérieusement (...) Les observations recueillies, peu nombreuses, ne concernent pas directement l'objet de l'enquête ". Il a par suite donné un avis favorable. Contrairement à ce que soutient le requérant, le commissaire-enquêteur n'avait pas à se prononcer sur l'état et la qualité de chacun des logements concernés, qui avaient déjà été soumis à enquête préalablement à la déclaration d'utilité publique de l'opération de restauration immobilière. Par suite, son avis est suffisamment motivé.

En ce qui concerne l'exception d'illégalité de la déclaration d'utilité publique :

11. En premier lieu, M. B... soutient que les opérations de restauration immobilière (ORI) ayant pour objectif d'améliorer l'habitat en permettant aux propriétaires d'échapper à une expropriation en réalisant des travaux, son bien, rénové et destiné à être partiellement démoli, ne pouvait être exproprié dans le cadre d'une procédure conduite en application de l'article L.313-4 du code de l'urbanisme. Toutefois, il résulte de ces dispositions, citées au point 2, qu'elles ont bien prévu la possibilité de démolitions éventuelles, et que l'objectif d'amélioration de l'habitat qu'elles visent n'exclut pas de tenir compte de la qualité des parties communes ou de la taille des logements pour en améliorer l'habitabilité. Par suite, M. B... n'est fondé ni à se prévaloir de l'absence de vétusté de son studio de 19 m², situé dans un immeuble dont les parties communes sont en mauvais état, ni à soutenir que son expropriation pour démolition partielle aurait dû relever d'une procédure distincte d'expropriation " de droit commun ", alors au demeurant que si les ORI comportent des préalables spécifiques, l'article L.313-4-1 précité du code de l'urbanisme renvoie ensuite à la procédure du code de l'expropriation, qui est unique. Par suite, le moyen tiré d'un détournement de procédure ou de pouvoir ne peut qu'être écarté.

12. En deuxième lieu, la déclaration d'utilité publique prononcée le 7 décembre 2018 a fait l'objet d'un arrêté rectificatif du 18 décembre 2018 pour préciser d'une part, que la SEM (et non la commune) était autorisée à procéder aux acquisitions ou expropriations, et d'autre part que cette autorisation était accordée également pour procéder directement aux acquisitions et expropriations pour les lots voués à la démolition, pour lesquels les propriétaires n'avaient pas été astreints à réaliser des travaux dans un délai préfixé. Ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, ces modifications n'affectaient pas substantiellement la procédure. Au regard de la globalité du programme de travaux, dont les éléments ne pouvaient être dissociés, aucune nouvelle déclaration d'utilité publique n'était nécessaire pour traiter séparément des lots voués à la démolition totale ou partielle.

13. En troisième lieu, M. B... et l'association Vivre dans la Cité soutiennent que l'ORI aurait dû faire l'objet d'une concertation préalable avec les habitants. Aux termes de l'article L.103-2 du code de l'urbanisme : " Font l'objet d'une concertation associant, pendant toute la durée de l'élaboration du projet, les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées :1° Les procédures suivantes :a) L'élaboration et la révision du schéma de cohérence territoriale et du plan local d'urbanisme ;b) La modification du schéma de cohérence territoriale et du plan local d'urbanisme soumise à évaluation environnementale ;c) La mise en compatibilité du schéma de cohérence territoriale et du plan local d'urbanisme soumise à évaluation environnementale ;d) L'élaboration et la révision de la carte communale soumises à évaluation environnementale ;2° La création d'une zone d'aménagement concerté ;3° Les projets et opérations d'aménagement ou de construction ayant pour effet de modifier de façon substantielle le cadre de vie, notamment ceux susceptibles d'affecter l 'environnement, au sens de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, ou l'activité économique, dont la liste est arrêtée par décret en Conseil d'Etat ;4° Les projets de renouvellement urbain. "

14. Le 3° de ces dispositions renvoyant à une liste fixée par décret en Conseil d'Etat, laquelle figure à l'article R.103-1 du même code et est nécessairement limitative, les requérants, qui n'allèguent ni ne démontrent que l'ORI en litige entrerait dans l'une des huit catégories prévues à l'article R.103-1 du code de l'urbanisme, ne peuvent utilement faire valoir que les travaux en cause modifieraient de façon substantielle le cadre de vie des habitants. Par ailleurs, en l'absence de toute autre précision, il y a lieu de considérer que les " projets de renouvellement urbain " visés par le 4° de l'article L. 103-2 sont ceux prévus par la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine. Si la commune de Bordeaux a délimité dans le quartier Saint- Michel une zone urbaine sensible (ZUS), son périmètre ne s'étend pas jusqu'aux immeubles en litige et aucune précision n'est apportée pour justifier que l'opération de restauration immobilière, au demeurant d'une portée limitée, entrerait dans le champ des projets de renouvellement urbain au sens du 4° précité de l'article L.103-2. Par suite, le moyen tiré de l'absence de concertation préalable doit être écarté.

15. En quatrième lieu, il appartient au juge, lorsqu'est contestée devant lui l'utilité publique d'une telle opération de restauration immobilière, de vérifier que celle-ci répond à la finalité d'intérêt général tenant à la préservation du bâti traditionnel et des quartiers anciens par la transformation des conditions d'habitabilité d'immeubles dégradés nécessitant des travaux et que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente. Ces modalités de contrôle de l'utilité publique des opérations de restauration immobilière par le juge administratif répondent aux exigences de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En outre, il appartient aussi au juge administratif, juge de la légalité de l'arrêté de cessibilité pris dans le cadre d'une opération de restauration immobilière, s'il est saisi d'une contestation en ce sens, de s'assurer que l'inclusion d'un immeuble déterminé dans le périmètre d'expropriation est en rapport avec l'opération déclarée d'utilité publique et de juger de la nécessité des travaux définis pour chaque lot par le programme de travaux qui a été notifié au propriétaire avant l'intervention de l'arrêté de cessibilité.

16. Il ressort de la fiche immeuble élaborée dans le cadre des visites préalables à la déclaration d'utilité publique et des photographies produites au dossier que la parcelle DB0187, d'une superficie de 642 m² correspondant à la copropriété du 52-52 bis-54-56 rue Lafontaine supporte un ensemble disparate de 16 logements en plusieurs bâtiments sur rue et sur deux étroites courettes, que les alimentations électriques aériennes sont en mauvais état, que les réseaux mélangent parfois les eaux usées et pluviales, qu'il n'existe ni locaux communs ni coupe-feux entre les différents locaux, que l'état général des extérieurs et des communs est dégradé, et que beaucoup de très petits logements ne correspondent pas à la typologie sous laquelle ils sont désignés. Le projet prévoit une " dédensification " associée à une réorganisation globale des réseaux, un retraitement paysager de la cour et un traitement des enveloppes. Dans ce cadre, aucun lot ne peut être dissocié et la circonstance que l'intérieur du studio de M. B... a fait l'objet d'une rénovation, ce qui n'a pu remédier à son exigüité, n'enlève rien à l'intérêt général qui s'attache à améliorer la qualité d'habitabilité de l'ensemble. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'objectif de restauration de cet ensemble complexe puisse être atteint sans recourir à l'expropriation, et le lot n°7, dont le jumelage avec le lot 11 est utile pour former un seul logement plus spacieux, est bien nécessaire à la réalisation de l'opération. Alors qu'aucun autre inconvénient que l'atteinte au droit de propriété n'est invoqué, et que celle-ci fait l'objet d'une indemnité fixée par le juge judiciaire, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'expropriation ne serait pas justifiée par une nécessité publique, en méconnaissance de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen

de 1789.

En ce qui concerne la nécessité de rendre cessible le lot n°7 :

17. Aux termes de l'article L. 132-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " L'autorité compétente déclare cessibles les parcelles ou les droits réels immobiliers dont l'expropriation est nécessaire à la réalisation de l'opération d'utilité publique. Elle en établit la liste, si celle-ci ne résulte pas de la déclaration d'utilité publique. "

18. Il résulte de ce qui a été dit précédemment, notamment au point 16, que l'expropriation du lot de M. B... était nécessaire à la réalisation de l'opération d'utilité publique.

19. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité des conclusions en tant qu'elles émanent d'une association qui n'est pas propriétaire de biens visés par l'arrêté de cessibilité, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande d'annulation de l'arrêté du 3 décembre 2019.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat ou de la SEM In Cité, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, les sommes que demandent M. B... et l'association Vivre dans la Cité au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

21. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... et de l'association Vivre dans la Cité la somme que la SEM In Cité demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... et de l'association Vivre dans la Cité est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la SEM InCité au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B..., à l'association Vivre dans la Cité,

à la société d'économie mixte InCité Bordeaux Métropole Territoires et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée pour information au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 11 mars 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Sabrina Ladoire, présidente-assesseure,

M. Antoine Rives, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 avril 2025.

La présidente-assesseure,

Sabrina Ladoire

La présidente,

Catherine Girault

Le greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX01037


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX01037
Date de la décision : 03/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : ACHOU-LEPAGE

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-03;23bx01037 ?
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