Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de la Réunion de condamner le centre hospitalier Ouest Réunion à lui verser, d'une part en qualité de représentante légale de son fils mineur D..., la somme de 2 466 206 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait des conditions de sa prise en charge dans les jours qui ont suivi sa naissance en 2008, ainsi qu'une rente temporaire provisionnelle mensuelle de 9 450 euros dans l'attente du prochain rapport d'étape et, d'autre part en son nom personnel, une indemnité de 100 000 euros, ces sommes devant être assorties des intérêts et de la capitalisation des intérêts.
Par un jugement n° 1900076 du 1er juillet 2021, le tribunal administratif de la Réunion a condamné le centre hospitalier Ouest Réunion à verser à Mme C... :
- la somme de 820 200 euros au titre des préjudices subis par son fils D..., sous réserve, le cas échéant, des sommes perçues par la requérante sur la période intéressée au titre de la prestation de compensation du handicap et de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, cette somme étant assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts ;
- la somme de 62 800 euros au titre de ses préjudices propres, cette somme étant assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts ;
- une rente couvrant les frais d'assistance par tierce personne, d'un montant annuel de 44 026 euros, sous déduction des sommes versées à Mme C... par le département de La Réunion au titre de la prestation de compensation du handicap et de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé.
Il a également condamné le centre hospitalier à verser à la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion la somme de 56 133,79 euros, assortie des intérêts au taux légal, ainsi que la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et à prendre à sa charge les frais d'expertise.
Le centre hospitalier Ouest Réunion a relevé appel de ce jugement, et Mme C... a demandé à la cour, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement en ce qui concerne les montants alloués.
Par un arrêt avant dire droit du 17 novembre 2022, la cour a retenu que le centre hospitalier Ouest Réunion avait commis trois fautes, le 21 juin 2008 et le 27 juin 2008, à l'occasion de la prise en charge de l'enfant D..., et a ordonné la réalisation d'une expertise complémentaire afin d'être éclairée sur l'existence d'un lien de causalité entre ces fautes et le dommage corporel advenu et, le cas échéant, sur celle d'une perte de chance.
L'expert a déposé son rapport le 4 décembre 2023.
Procédure après expertise :
Par un mémoire enregistré le 11 juillet 2024, Mme A... C..., agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de son fils mineur D..., représentée par le cabinet Preziosi, Ceccaldi et Albenois, demande à la cour, par la voie de l'appel incident :
1°) à titre principal, de condamner le centre hospitalier Ouest Réunion à lui verser, en sa qualité de représentante légale de son fils mineur D..., une somme globale
de 27 684 208,62 euros, ou à défaut, une somme globale de 6 062 000,36 euros ainsi qu'une rente trimestrielle viagère de 59 328 euros, versée à terme échu et indexée sur l'indice de l'évolution du salaire minimum interprofessionnel de croissance, avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2018 et capitalisation des intérêts ;
2°) de condamner le centre hospitalier Ouest Réunion à lui verser, au titre de ses préjudices propres, une somme globale de 435 314,44 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2018 ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier Ouest Réunion à l'indemniser de ces préjudices après application d'un taux de perte de chance qui ne saurait être inférieur
à 95 %, avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2018 ;
4°) à ce que soient mis à la charge du centre hospitalier Ouest Réunion une somme
de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens dont les frais d'expertise.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la perte de chance :
- la perte de chance résultant de l'absence de test transcutané en sortie de maternité et du défaut d'information s'élève à 75 % selon l'expert ; les allégations du centre hospitalier selon lesquelles l'ictère serait apparu après la sortie de maternité ne sont pas fondées, dès lors que les médecins présents lors de la réunion d'expertise ont affirmé l'inverse et que les études scientifiques qu'elle produit démontrent que les nouveau-nés déficients en G6PD développent un ictère plus tôt et plus sévèrement que les nouveau-nés indemnes de ce déficit ;
- elle se prévaut de l'expertise du 4 décembre 2023 concluant, du fait du cumul de ces deux fautes avec celle liée au défaut d'information, à un taux de perte de chance de 100 % ; subsidiairement, si la cour devait considérer que le rapport de l'expert ne permet pas de déterminer avec certitude le taux de bilirubine en sortie de maternité, cette incertitude, qui la prive d'une chance d'établir le lien de causalité, serait imputable à la seule absence de réalisation d'un test transcutané et entraînerait un renversement de la charge de la preuve, de sorte qu'il appartiendrait au centre hospitalier de démontrer qu'une photothérapie ne s'imposait pas ; ainsi, la perte de chance ne saurait être inférieure à 95 % ;
- l'atrophie sous corticale est sans lien avec les séquelles de D..., ainsi qu'il ressort des conclusions du sapiteur ;
- elle a remarqué la jaunisse de son fils dès la sortie de maternité, ce qui est corroboré par le dossier médical ; si la sage-femme n'a rien remarqué, une simple surveillance visuelle est en tout état de cause insuffisante pour détecter un ictère ;
- pour affirmer que l'ictère sévère chez les enfants atteint de déficit en G6PD apparaitrait à J+5 et ne serait pas détectable, même par bilitest avant cette date, le centre hospitalier s'appuie seulement sur une publication partielle de 2012 ; au contraire, les études qu'elle produit démontrent une hyperbilirubinémie précoce chez ces enfants, de sorte que la mesure du taux de bilirubine en sortie de maternité aurait pu éviter la survenance du dommage corporel ;
En ce qui concerne les préjudices :
- les demandes indemnitaires s'inscrivent dans le cadre de l'article 25 de la loi
du 21 décembre 2006, qui organise un recours poste par poste des tiers payeurs avec un droit de préférence pour la victime ;
- l'évaluation des préjudices doit être réalisée selon la nomenclature Dintilhac et le barème de capitalisation publié par la Gazette du Palais le 31 octobre 2022 doit être appliqué, avec un taux d'intérêt à -1 %, en raison des réalités économiques actuelles ;
- les frais d'assistance à expertise s'établissent à 8 395 euros ;
- le préjudice scolaire, de la maternelle à la terminale, peut être évalué à 93 000 euros ;
- les dépenses de santé futures sont réservées ;
- il y a lieu de de retenir un besoin d'assistance par une tierce personne temporaire et échue de 24 heures par jour, et non de 12h comme l'a retenu le tribunal, depuis la sortie d'hospitalisation, le 8 juillet 2008 jusqu'à la date de l'arrêt ; l'assistance apportée doit être regardée comme spécialisée, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal ; le coût horaire retenu ne peut pas être inférieur à 24 euros, conformément aux grilles tarifaires produites ; de sa sortie d'hospitalisation jusqu'à sa prise en charge par un IMS le 23 juin 2014, le préjudice subi par la victime au titre du besoin en assistance s'élève à 1 256 56 euros ; du 23 juin 2014 au
31 janvier 2019, date de la dernière attestation de l'IMS, il s'élève à 778 752 euros, déduction faite des heures passées au sein de cette institution ; du 1er février 2019 au 31 juillet 2024, il s'élève à 1 156 608 euros, sous réserve de la déduction des heures où D... a été accueilli par l'IMS, dont l'état sera produit ultérieurement au centre hospitalier ou son assureur; pour le futur, en appliquant un euro de rente viagère de 91,113 pour un homme de 16 ans, il pourra être alloué une somme de 21 622 208,26 euros ou, subsidiairement, une rente trimestrielle à revaloriser dans les conditions prévues par l'article L.434-17 du code de la sécurité sociale d'un montant de 59 328 euros ; l'AEEH n'est pas déductible du préjudice indemnisable ;
- sur la base d'un salaire minimum estimé à 1 400 euros à la date de la majorité de D..., et d'un euro de rente viagère de 87,357, la perte de de gains professionnels future peut être indemnisée à hauteur de 1 467 597,60 euros et l'incidence professionnelle peut être évaluée au dixième de ce montant, soit 146 759,76 euros ;
- les demandes relatives aux frais de véhicule adapté et de logement adapté sont réservées ;
- le déficit fonctionnel temporaire peut être évalué à 146 502 euros, sur la base d'un forfait de 30 euros par jour ;
- les souffrances endurées, cotées à 5/7, peuvent être évaluées à 40 000 euros ;
- le préjudice esthétique temporaire, coté à 6/7, peut être évalué à la somme
de 30 000 euros ;
- le déficit fonctionnel permanent peut être réparé par l'allocation d'une somme
de 697 950 euros ;
- le préjudice esthétique permanent, coté à 6/7, peut être évalué à la somme
de 60 000 euros ;
- le préjudice sexuel peut être évalué à la somme de 60 000 euros ;
- le préjudice d'agrément peut être évalué à la somme de 60 000 euros ;
- le préjudice d'établissement doit être réparé par l'allocation d'une somme
de 60 000 euros ;
- le préjudice d'affection de Mme C..., qui a été contrainte de déménager et de dormir quotidiennement avec son enfant, pourra être indemnisé à hauteur de 50 000 euros ;
- le préjudice d'accompagnement peut être forfaitisé, ainsi que l'a fait le tribunal, sur la base de 400 euros par mois ; avant la consolidation, il s'élève à 61 732 euros ; postérieurement à la consolidation, en retenant un euro de rente viagère de 67,413 pour une femme de 35 ans
le 12 mai 2024, il peut être évalué à la somme de 385 314,44 euros.
Par des mémoires enregistrés le 24 mai 2024 et le 28 août 2024, le centre hospitalier Oust Réunion, représenté par Me Fabre, demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Réunion du
1er juillet 2021 et de rejeter la demande de Mme C... ;
2°) à titre subsidiaire, et compte tenu d'un taux de perte de chance de 20 %, de limiter
le montant de l'indemnité au titre des préjudices subis par M. D... C... à
282 405,40 euros, outre une rente annuelle de 3 360 euros à revaloriser par application des coefficients prévus par l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, et de limiter le montant de l'indemnité au titre des préjudices propres de Mme A... C... à 22 000 euros ;
3°) de fixer la créance de la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion pour les dépenses de santé avant consolidation à la somme de 18 895,36 euros, compte tenu d'un taux de perte de chance de 20 % ;
4°) de sursoir à statuer sur les besoins en aide humaine à compter du 2 juillet 2021 et sur les dépenses de santé futures de la caisse.
Il soutient que :
En ce qui concerne la perte de chance :
- les conclusions de l'expert ne permettent pas d'apprécier le taux de bilirubine de l'enfant à sa sortie de la maternité ; la courbe qu'il a mobilisée dans son pré-rapport pour estimer un taux de bilirubine compris entre 340 et 350 mmol/L ne permet pas de prédire l'évolution d'un ictère, mais sert uniquement à déterminer les seuils d'intervention pour la photothérapie ; contrairement à ce qu'a indiqué l'expert, aucun consensus ne s'est dégagé sur ce point lors de la réunion d'expertise, ses médecins ont attendu de recevoir le pré-rapport et l'expert n'a pas répondu à son dire contestant les conclusions du pré-rapport, qu'il a reprises dans le rapport final en retirant la courbe sur laquelle il s'appuyait ;
- il est probable que le taux de bilirubine de l'enfant a augmenté de manière brutale après sa sortie de la maternité, le Pr. Dupont, spécialiste en néonatologie, ayant indiqué que les nourrissons atteints d'un déficit en G6PD présentent généralement une élévation brutale du taux de bilirubine autour de J+5 alors que ce taux reste dans des limites normales jusqu'à J+3 ; aucun personnel médical n'a d'ailleurs constaté d'ictère chez D... avant le 27 juin 2008 ; l'étude produite par Mme C... est dépourvue de pertinence ; dans ces conditions, l'absence de mesure instrumentale de la bilirubine en sortie de maternité n'est pas à l'origine d'une perte de chance d'échapper au dommage corporel advenu ;
- l'absence d'information de la mère n'a joué aucun rôle dans le dommage dès lors que ni le pédiatre, médecin expérimenté, ni la sage-femme n'ont pu détecter visuellement l'ictère avant le 27 juin, le carnet de santé indiquant une couleur de peau normale au 25 juin ;
- les conclusions de l'expert ne permettent pas de déterminer si le délai de mise en œuvre de la photothérapie a été à l'origine d'une quelconque perte de chance, alors par ailleurs que compte tenu du taux de bilirubine extrêmement élevé à J+9, seule une exsanguino-transfusion aurait pu réellement améliorer l'état de l'enfant ;
- subsidiairement, si la cour devait retenir une perte de chance, elle ne serait pas supérieure à un taux de 20 % ;
En ce qui concerne les préjudices :
- la créance de la caisse pour la période antérieure à la consolidation se limite
à 18 895,36 euros compte tenu d'un taux de perte de chance de 20 % ;
- le préjudice indemnisable au titre des frais d'assistance à expertise doit être limité
à 1 519 euros après application du taux de perte de chance ;
- le tribunal a justement apprécié le préjudice scolaire en l'évaluant à la somme
de 20 000 euros, de sorte que l'indemnité devra être ramenée à 4 000 euros compte tenu du taux de perte de chance ;
- le décompte définitif des débours de la caisse ne permet pas de distinguer les arrérages échus de ceux à échoir ; il est impossible de comprendre à quoi correspondent les frais d'appareillage, dont certains semblent d'ailleurs avoir été comptabilisés à deux reprises ;
- c'est à bon droit que le tribunal a retenu un besoin d'assistance de 12 heures par jour à partir de deux ans jusqu'à la consolidation, dès lors qu'avant cet âge, tout enfant nécessite une surveillance active et passive constante ; il y a lieu de retenir un besoin de 12 heures par jours de 2 à 15 ans, puis de 24 heures par jour à compter de l'expertise, (14 heures actives et 10 heures passives) qui a réévalué les besoins ; le jugement pourra être confirmé sur les bases de liquidation retenues mais il conviendra de le réformer en ce qu'il a, par erreur, uniquement déduit 1 219 heures passées par D... en IMS alors qu'il avait lui-même retenu un volume de 12 196 heures ; le préjudice au titre de l'assistance par une tierce personne pour la période allant du 18 juin 2010 au 1er juillet 2021 peut être évalué à 571 644 euros, soit 114 328,80 euros après application du taux de perte de chance ; du 1er juillet 2021 au 12 mai 2023, il n'est pas possible d'évaluer le préjudice puisque le temps passé par D... en IMS n'est pas connu, et il ne lui appartient pas de fournir les justificatifs de présence, la charge de la preuve pesant sur
Mme C... ; il en va de même pour la période postérieure au 12 mai 2023 ; un tarif horaire de 16 euros pourra être retenu, celui de 24 euros proposé par Mme C... étant bien supérieur au tarif conventionnel du particulier employeur applicable en 2023 ; Mme C... n'a jamais fait appel à des prestataires ;
- les pertes de gains professionnels futurs ne sauraient être indemnisées sous la forme du versement d'un capital et en tout état de cause, le taux négatif de -1% proposé par Mme C... doit être écarté au profit du barème de capitalisation de référence pour l'indemnisation des victimes (BCRIV) ; il conviendra cependant de préférer une indemnisation sous forme de rente annuelle, d'un montant de 3 360 euros revalorisable en application des dispositions de
l'article L.434-17 du code de la sécurité sociale à compter du 18 juin 2028 ;
- la demande au titre de l'incidence professionnelle doit être rejetée ; si elle était admise, elle ne pourrait être calculée que sur la base d'une indemnité forfaitaire qui ne saurait excéder
60 000 euros, soit 20 000 euros après application du taux de perte de chance de 20 % ;
- sur la base d'une indemnité journalière de 20 euros par jour et compte tenu du taux de perte de chance de 20 %, le déficit fonctionnel temporaire pourra être indemnisé à hauteur de
19 557,60 euros ;
- les souffrances endurées pourront être évaluées à 30 000 euros, soit 6 000 euros après application du taux de perte de chance ;
- l'expert n'a pas retenu de préjudice esthétique temporaire et la demande présentée à ce titre doit être rejetée ;
- compte tenu du taux de perte de chance, le déficit fonctionnel permanent indemnisable peut être évalué à 117 000 euros ;
- compte tenu du taux de perte de chance, le préjudice esthétique permanent indemnisable peut être évalué à 8 000 euros ;
- le préjudice d'agrément n'est pas indemnisable car D... a subi son dommage corporel dès la naissance et n'a jamais pratiqué d'activité de sport ou de loisir ; subsidiairement, son indemnisation ne peut pas dépasser 2 000 euros ;
- les préjudices sexuel et d'établissement peuvent être réparés par une somme
de 6 000 euros chacun, après application du taux de perte de chance ;
- une somme de 10 000 euros peut être allouée au titre du préjudice d'affection de
Mme C..., compte tenu du taux de perte de chance ;
- le préjudice d'accompagnement doit être indemnisé forfaitairement, et ne saurait dépasser 12 000 euros, compte tenu du taux de perte de chance.
Par des mémoires enregistrés le 18 avril, 9 septembre et 18 octobre 2024, la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion, représentée par le cabinet Laydeker Sammarcelli Mousseau, demande à la cour, par la voie de l'appel incident :
1°) de condamner le centre hospitalier Ouest Réunion à lui verser une somme
de 1 667 563,91 euros, avec intérêt au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;
2°) de condamner le centre hospitalier Ouest Réunion à lui verser une somme
de 1 191 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) de mettre à la charge de toute partie succombante la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- dans l'hypothèse où la responsabilité du centre hospitalier Ouest Réunion serait retenue, elle serait en droit d'obtenir du tiers responsable, conformément aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, outre le remboursement de ses débours, l'indemnité forfaitaire de gestion, soit la somme totale de 1 668 754,91 euros ;
- elle produit une attestation d'imputabilité qui permet de justifier les frais dont le remboursement est demandé ;
- les arrérages à échoir seront dus par le centre hospitalier compte tenu de sa faute, au fur et à mesure de leur engagement, et sont justifiés par la notification définitive des débours au 11 avril 2024 et par l'attestation d'imputabilité ;
- les frais d'appareillage mentionnés dans le relevé des débours, dont les frais de
" corset-siège et adjonction " correspondent tous à des prestations distinctes à des dates différentes, et ne sont pas doublement comptabilisés.
Par ordonnance du 21 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée
au 12 novembre 2024.
Par un courrier du 20 février 2025, il a été demandé à Mme C... sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, de produire des pièces en vue de compléter l'instruction.
La pièce produite par Mme C... a été enregistrée le 26 février 2025.
Les observations du centre hospitalier Ouest Réunion ont été enregistrées
le 6 mars 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le décret n°2024-2 du 2 janvier 2024 relatif au montant minimal mentionné
au 1° du I de l'article L. 314-2-1 du code de l'action sociale et des familles ;
- l'arrêté du 23 décembre 2024 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Tordjman, représentant le centre hospitalier Ouest Réunion, de Me Fort, représentant Mme C... et de Me Davous, représentant la caisse générale de sécurité sociale de La Réunion.
Une note en délibéré présentée pour Mme C... a été enregistrée le 17 mars 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... a accouché le 18 juin 2008 à la maternité du centre hospitalier Gabriel Martin de Saint-Paul (La Réunion), devenu le centre hospitalier Ouest Réunion, de son premier enfant, prénommé D..., et a regagné son domicile le 21 juin suivant. Le 27 juin, la sage-femme libérale en charge de son suivi a constaté qu'il présentait un ictère et l'enfant a été admis à 14 heures 30 au sein du service des urgences pédiatriques de ce centre hospitalier. Les examens réalisés à son arrivée ont confirmé un ictère cutanéo-muqueux généralisé, une importante hyperbilirubinémie ainsi qu'un déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD). Face au risque neurotoxique de dépôt de la bilirubine dans certaines parties du cerveau, l'équipe a consulté le référent du CHU de Saint-Denis, qui n'a pas conseillé le transport de l'enfant pour exsanguino-transfusion. Un traitement consistant en une photothérapie intensive, associée à l'injection d'albumine, a alors été mis en place à partir de 20 heures le jour même, permettant
un retour à la normale de la bilirubine et une sortie de l'enfant de l'hôpital
le 8 juillet 2008. Lors d'une nouvelle hospitalisation le 21 février 2009, due à une déshydratation sévère dans un contexte de gastro-entérite aiguë, il a été constaté que l'enfant présentait une hypotonie axiale et une hypertonie des membres, laissant penser à une séquelle neurologique de l'hyperbilirubinémie néonatale. Une imagerie par résonance magnétique effectuée
le 25 mars 2009 a confirmé cette suspicion, en révélant un hypersignal T2 des noyaux pâles, compatible avec une encéphalopathie à bilirubine. D... est atteint depuis lors d'une tétraparésie dystonique.
2. Après avoir obtenu une expertise, Mme C... a saisi le tribunal administratif de La Réunion, en son nom propre et en sa qualité de représentante légale de son fils, d'une demande de condamnation du centre hospitalier Ouest Réunion à réparer les préjudices qu'ils ont subis
du fait des prises en charge du 21 juin 2008 et 27 juin 2008. Par jugement du 1er juillet 2021,
le tribunal administratif de la Réunion a condamné le centre hospitalier à verser une
somme de 820 200 euros au titre des préjudices subis par l'enfant D..., une somme
de 62 800 euros au titre des préjudices propres de Mme C..., et une rente couvrant les frais d'assistance par tierce personne, d'un montant annuel de 44 026 euros. Il a également condamné le centre hospitalier à verser à la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion une somme de 56 133,79 euros correspondant à ses débours. Le centre hospitalier Ouest Réunion a relevé appel de ce jugement et, par la voie de l'appel incident, Mme C... a demandé la réformation du jugement en tant qu'il a limité le montant de l'indemnisation allouée. Par un arrêt avant dire droit du 17 novembre 2022, la cour a estimé que l'absence de réalisation, en sortie de maternité, d'un test transcutané destiné à vérifier le taux de bilirubine dans le sang et l'absence d'information délivrée à la mère pour la surveillance d'un éventuel ictère constituaient des fautes du centre hospitalier. Elle a également considéré que la photothérapie intensive, associée à une perfusion d'albumine réalisée le 27 juin 2008 à 20 heures, soit cinq heures après l'admission de l'enfant, caractérisait un retard de prise en charge fautif. Elle a ordonné une expertise complémentaire afin, notamment, d'être éclairée sur l'existence d'un lien de causalité entre ces fautes et le dommage corporel subi par l'enfant et, le cas échéant, sur l'ampleur de la perte de chance. Le Dr. Abdelhafid, désigné en qualité d'expert par une ordonnance du président de la cour, a remis son rapport le 4 décembre 2023.
Sur la perte de chance :
3. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
4. D'une part, il résulte de l'instruction que l'expert désigné par l'arrêt avant dire droit s'est fondé, pour conclure à un taux de bilirubine pathologique chez l'enfant à sa sortie de la maternité, sur une courbe extraite des recommandations de l'American Academy of Pediatrics, laquelle a pour objet de déterminer les seuils de mise en route d'une photothérapie. Le centre hospitalier soutient qu'une telle courbe ne permet pas une extrapolation rétrospective du taux de bilirubine dans les premiers jours de vie. Toutefois, Mme C... verse à l'instruction une étude de Moiz et al. (2012), publiée dans BMC Pediatrics, portant sur une cohorte de 216 nourrissons pakistanais, laquelle montre que les nourrissons déficitaires en G6PD, à l'instar de l'enfant D..., développent une hyperbilirubinémie plus précoce que ceux indemnes de cette anomalie enzymatique, avec un pic de bilirubine survenant en moyenne entre 1,6 et 2,9 jours après la naissance pour les premiers, contre 2,3 à 4,3 jours pour les seconds. Dans ces conditions, eu égard à son déficit en G6PD, il apparaît hautement vraisemblable, ainsi que l'a retenu l'expert, que l'enfant présentait un taux de bilirubine anormalement élevé à sa sortie de la maternité. Ainsi, et alors que le matériel était disponible dans cette maternité, l'absence de réalisation d'un test transcutané permettant de mesurer précisément ce taux, le cas échéant d'orienter le diagnostic vers un ictère sévère, dit " nucléaire ", et de recourir dès que cela s'imposait à une photothérapie préventive, doit être regardée comme ayant entraîné une perte de chance pour l'enfant d'éviter les séquelles neurologiques qu'il présente en lien avec son ictère néonatal.
5. D'autre part, s'il résulte de l'instruction que le carnet de santé de D... rempli par la sage-femme fait mention, pour la journée du 25 juin 2008, d'une couleur de peau normale, qui n'était pas de nature à alerter sur l'installation d'un ictère sévère, l'absence d'information délivrée à Mme C... quant à la vigilance à observer face aux symptômes de l'ictère l'a néanmoins privée de la possibilité d'adapter sa surveillance, notamment en exposant l'enfant à la lumière du jour, et de réagir immédiatement face à l'apparition des symptômes cutanés de cet ictère. De plus, compte tenu du taux extrêmement élevé de bilirubine (626 µmol/L) constaté lors de la prise en charge du 27 juin 2008, le retard de cinq heures dans l'administration d'une photothérapie intensive associée à une perfusion d'albumine doit être regardé comme n'ayant que marginalement contribué à l'aggravation de l'état de l'enfant, dès lors qu'un tel traitement ne permet de faire baisser la bilirubinémie que de 20 à 35 µmol/L en quatre à six heures. Enfin, l'experte neuropédiatre, après relecture de l'IRM de 2013, a relevé que l'élargissement modéré des ventricules et des sillons, susceptible de révéler une atrophie cérébrale modérée, avait totalement régressé en 2015 et n'était pas en lien avec les séquelles neurologiques de l'enfant, qu'elle a regardées comme entièrement imputables à l'ictère néonatal. Il ressort par ailleurs de la première expertise que l'hypothèse d'une asphyxie périnatale avait été écartée au regard de l'état de l'enfant à sa sortie de maternité.
6. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, l'absence de mesure instrumentale du taux de bilirubine à la sortie de la maternité ainsi que, dans une moindre mesure, le défaut d'information délivrée à la mère et le retard dans l'administration d'une photothérapie intensive doivent être regardés comme ayant fait perdre à l'enfant une chance d'échapper aux séquelles neurologiques dont il souffre, qu'il y a lieu d'évaluer à 80 %.
Sur les préjudices de la victime directe :
7. Il résulte de l'expertise du 4 décembre 2023 que la date de consolidation de l'état de santé de M. D... C... peut être fixée au 12 mai 2023, date de la réunion d'expertise.
En ce qui concerne l'assistance par une tierce personne :
8. D'une part, lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime. D'autre part, si le juge n'est pas en mesure de déterminer, lorsqu'il se prononce, si l'enfant handicapé sera placé dans une institution spécialisée ou hébergé au domicile de sa famille, il lui appartient de lui accorder une rente trimestrielle couvrant les frais de son maintien au domicile familial, en précisant le mode de calcul de cette rente dont le montant doit dépendre du temps passé au domicile familial au cours du trimestre. Dans le cas d'un enfant pris en charge dans un établissement pendant la journée, sauf pendant les week-ends et les périodes de vacances scolaires, il est loisible au juge d'en tenir compte en faisant varier le montant de la rente en fonction du nombre d'heures pendant lesquelles il est hébergé au domicile familial, mais pas en décidant que seules les "heures nocturnes" seraient prises en compte pour la détermination de ce montant.
9. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'expertise, que D... C... est complétement dépendant pour l'ensemble des actes de la vie quotidienne. Eu égard à la nature des lésions sensitivo-motrices et neurologiques liées à son ictère néonatal, incluant un handicap moteur avec dystonies des quatre membres et du tronc, une incontinence totale, un retard mental empêchant toute vie relationnelle, l'absence de langage et une surdité partielle, son état de santé a nécessité une assistance " active " de 14 heures par jour et une assistance " passive " de
10 heures par jour. Le besoin d'assistance requis par l'état séquellaire du jeune D... doit être fixé à compter de ses trois ans, dès lors que l'aide apportée avant cet âge se confond avec celle dont nécessite chaque enfant durant les premières années de sa vie et, qu'au surplus, aucune séquelle neurologique n'avait, en l'espèce, été suspectée avant sa découverte fortuite à l'occasion de l'hospitalisation de l'enfant au début de l'année 2009. Par ailleurs, l'absence totale d'autonomie de D... C... étant insusceptible d'évolution favorable, des besoins identiques persistent après la consolidation. Enfin, contrairement à ce que fait valoir
Mme C..., aucun élément versé à l'instruction ne permet de retenir qu'une telle aide aurait revêtu, ou devrait revêtir pour l'avenir, un caractère spécialisé.
S'agissant de la période comprise entre les trois ans de D..., le 18 juin 2011 et la prise en charge en institut médico-social le 23 juin 2014 (1 102 jours) :
10. Il n'est pas contesté qu'entre le 18 juin 2011 et le 23 juin 2014, soit pendant
1 102 jours, l'aide nécessitée par l'état de D... C... a été entièrement assurée par sa mère. Les besoins en assistance doivent ainsi être évalués, s'agissant de l'aide " active ", au coût horaire moyen du salaire minimum brut augmenté des charges sociales sur la période en cause, soit 13,15 euros. Alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que D... aurait eu des besoins constants pendant la nuit, l'aide " passive " ne peut être indemnisée sur la base du même taux horaire et il y a lieu de retenir un taux horaire forfaitaire de 10 euros. Cette évaluation doit en outre s'effectuer au regard d'une année de 412 jours afin de tenir compte des majorations de rémunération dues les dimanches et jours fériés et des congés payés. Compte tenu d'un volume, sur cette période, de 15 428 heures d'assistance " active " et de 11 020 heures d'assistance
" passive ", soit 26 448 heures, le coût de l'assistance par une tierce personne s'élève à
353 392,38 euros. Par suite, après application du taux de perte de chance, Mme C... a droit, en sa qualité de représentante légale de son fils, à une indemnité de 250 463 euros.
S'agissant de la période comprise entre le 24 juin 2014 et la date de l'arrêt
(3 937 jours) :
11. Il résulte de l'instruction que D... C... bénéficie d'une prise en charge au sein de l'institut médico-social " Les Champs de Merle " depuis le 24 juin 2014. Au regard des pièces produites, en particulier des attestations de cette institution spécialisée, il peut être retenu, au cours de la période comprise entre le 24 juin 2014 et la date de l'arrêt, un accueil en semi-internat à raison de 8 heures par jour pendant 1 634 jours (soit 13 072 heures) et un accueil sous le régime de l'internat à raison de 24 heures par jour durant 507 jours (soit 12 168 heures). Cette prise en charge correspond à un volume de 20 129 heures d'aide " active " et
de 5 111 heures d'aide " passive ". Ainsi, après déduction des heures d'accueil au sein de cette institution, le besoin d'assistance, sur la période en cause, s'élève à 34 989 heures pour l'aide " active " et 34 259 heures pour l'aide " passive ". Dès lors que ce besoin a été assuré par
Mme C..., il doit être indemnisé, pour l'aide " active ", au coût du salaire minimum brut augmenté des charges sociales sur la période en cause, soit 14,50 euros et selon un taux horaire forfaitaire de 11 euros pour l'aide " passive ", ainsi que sur la base d'une année de 412 jours. Mme C... ne peut utilement faire valoir que le taux horaire de l'aide de nuit serait inférieur au SMIC au regard des pratiques habituelles de forfaitisation des gardes de nuit. Le coût total de l'assistance par une tierce personne s'établit ainsi à 998 044,04 euros. Par suite, après application du taux de perte de chance, Mme C... a droit, en sa qualité de représentante légale de son fils, à une indemnité de 798 435,23 euros.
S'agissant de la période future :
12. Pour la période postérieure à l'arrêt, il convient de retenir 5 110 heures annuelles d'assistance " active " et 3 650 heures d'assistance " passive ", lesquelles peuvent être indemnisées au tarif prestataire, ainsi que le sollicite Mme C... qui produit à cette fin plusieurs grilles tarifaires émanant d'organismes d'aide à la personne. Il doit être appliqué, pour l'aide active, le taux horaire de 23,50 euros fixé par le décret n° 2024-2 du 2 janvier 2024 pris pour l'application de l'article L. 314-2-1 du code de l'action sociale et des familles. Pour l'aide " passive ", compte tenu de la nature même d'une telle assistance, il y a lieu de retenir un taux horaire forfaitaire de 18 euros. Ces taux horaires intègrent par ailleurs l'ensemble des charges sociales ainsi que les droits à congés annuels et jours fériés. Le coût de l'assistance annuelle " active " peut ainsi être évalué à la somme de 120 085 euros et celui de l'assistance " passive " à la somme de 65 700 euros, soit une somme globale de 185 785 euros. Eu égard au taux de perte de chance, il y a ainsi lieu d'allouer pour l'avenir à Mme C..., en sa qualité de représentante légale de son fils, une rente annuelle d'un montant de 148 628 euros, qui sera revalorisée par application des coefficients prévus par l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale. La rente sera versée à chaque trimestre échu, sous déduction, d'une part, du temps pendant lequel D... C... est pris en charge par un établissement spécialisé ou un établissement hospitalier, d'autre part, de la perception de l'allocation d'éducation d'enfant handicapé et de la prestation de compensation du handicap, dont il sera justifié chaque année par Mme C..., laquelle pourra présenter le cas échéant des justificatifs de non perception de cette aide.
En ce qui concerne la perte de gains professionnels et l'incidence scolaire et professionnelle :
13. Lorsque la victime se trouve, du fait d'un accident corporel survenu dans son jeune âge, privée de toute possibilité d'accéder dans les conditions usuelles à la scolarité et à une activité professionnelle, la circonstance qu'il n'est pas possible, eu égard à la précocité de l'accident, de déterminer le parcours scolaire et professionnel qui aurait été le sien ne fait pas obstacle à ce que soit réparé le préjudice, qui doit être regardé comme certain, résultant pour elle de la perte des revenus qu'une activité professionnelle lui aurait procurés et de la pension de retraite consécutive, ainsi que ses préjudices d'incidence scolaire et professionnelle. Dans un tel cas, il y a lieu de réparer tant le préjudice professionnel que la part patrimoniale des préjudices d'incidence scolaire et professionnelle par l'octroi à la victime d'une rente de nature à lui procurer, à compter de sa majorité et sa vie durant, un revenu équivalent au salaire médian. Cette rente mensuelle doit être fixée sur la base du salaire médian net mensuel de l'année de la majorité de la victime, revalorisé chaque année par application du coefficient mentionné à l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale. Doivent en être déduits les éventuels revenus d'activité ainsi que, le cas échéant, les sommes perçues au titre de l'allocation aux adultes handicapés, ou au titre de pensions ou de prestations ayant pour objet de compenser la perte de revenus professionnels. Lorsque la personne publique n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, cette déduction ne doit toutefois être opérée que dans la mesure requise pour éviter que le cumul des prestations et de la rente excède le montant du salaire médian. Cette rente n'a, en revanche, pas pour objet de couvrir la part personnelle des préjudices d'incidence scolaire et d'incidence professionnelle, qui doit faire l'objet d'une indemnisation distincte.
14. D'une part, il résulte de l'instruction qu'en raison des séquelles qu'il présente, D... C... se trouvera définitivement empêché d'exercer une activité professionnelle. Mme C... est ainsi fondée à solliciter, en sa qualité de représentante légale de son fils mineur, l'indemnisation de la perte de revenus professionnels que ce dernier subira à compter de sa majorité, le 18 juin 2026. Pour l'application des principes rappelés au point précédent, il y aura ainsi lieu de lui allouer, à compter de cette date, une rente mensuelle dont le montant sera calculé sur la base de 80 % du dernier montant du salaire médian net connu et publié par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et qui sera revalorisée chaque année par application du coefficient de revalorisation mentionné à l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale. En seront déduites les sommes perçues au titre de l'allocation aux adultes handicapés, ou au titre de pensions ou de prestations ayant pour objet de compenser la perte de revenus professionnels dans la mesure requise pour éviter que le cumul de ces sommes et de la rente n'excède le montant du salaire médian revalorisé. Il appartiendra à Mme C... de fournir au centre hospitalier Ouest Réunion les justificatifs des sommes perçues à ce titre ou des attestations de non perception de ces aides.
15. D'autre part, D... C... n'a pas pu suivre une scolarité normale ni bénéficier d'une orientation adaptée et, eu égard à ce qui a été exposé au point précédent, il sera nécessairement privé de toute satisfaction liée à l'exercice d'une activité professionnelle. Dans ces conditions, la part personnelle des préjudices d'incidence scolaire et professionnelle peut être évaluée à la somme de 30 000 euros. Il y ainsi lieu, après application du taux de perte de chance, d'allouer à Mme C..., en sa qualité de représentante légale de son fils, une somme
de 24 000 euros à ce titre.
En ce qui concerne le déficit fonctionnel
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
16. Il résulte de l'instruction que D... C... a subi un déficit fonctionnel temporaire total lors de son hospitalisation du 27 juin au 3 juillet 2008, soit pendant six jours. Il a également subi une hospitalisation du 21 au 26 février 2009, en raison d'un état de déshydratation sévère associée à une gastro-entérite aiguë, sans lien avec les manquements retenus à l'encontre du centre hospitalier. Pour le reste de la période allant du 4 juillet 2018 jusqu'à la date de la consolidation, soit pendant 5 419 jours, il a conservé un déficit fonctionnel temporaire évalué par l'expert à 90 %. Sur une base d'indemnisation forfaitaire fixée à 20 euros par jour, le préjudice lié à l'incapacité physique et psychique temporaire doit être évalué à la somme de 97 682 euros. Dès lors, après application du taux de perte de chance, il y a lieu de porter l'indemnisation accordée par les premiers juges à la somme de 78 145,60 euros.
S'agissant du déficit fonctionnel permanent :
17. Le déficit fonctionnel permanent a été coté par l'expert à un taux de 90 %, qu'il convient de retenir. Compte tenu de l'âge de la victime à la consolidation, il peut en être fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 500 000 euros. Après application du taux de perte de chance, Mme C... a droit, en sa qualité de représentante légale de son fils, à la somme de 400 000 euros.
En ce qui concerne les souffrances endurées :
18. Les souffrances endurées par D... C... ont été évaluées par l'expert à 5 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 30 000 euros. Par suite, il convient de porter la somme de 10 000 euros allouée par le tribunal à 24 000 euros, cette somme tenant compte du taux de perte de chance.
En ce qui concerne le préjudice esthétique temporaire et permanent :
19. Il résulte de l'instruction que D... C... présente des lésions cicatricielles noirâtres sur les membres dues aux frottements, une tétraparésie dystonique et
choréo-athétosique, ainsi qu'une paralysie de la verticalité du regard. Il ne marche pas et ne tient assis qu'avec un appareillage. Il doit également porter des couches en raison d'une incontinence. Le préjudice esthétique a été coté à 6 sur une échelle de 7 par l'expert, qui n'a pas distingué selon qu'il a été subi à titre temporaire ou permanent. Il sera fait une juste appréciation de ces deux postes de préjudice en les évaluant à la somme de 45 000 euros. Eu égard au taux de perte de chance, il y a lieu d'accorder une indemnité de 36 000 euros à ce titre.
En ce qui concerne le préjudice d'agrément :
20. Le préjudice d'agrément subi par D... C..., qui est dans l'impossibilité de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir, peut être évalué à la somme de 15 000 euros. Après application du taux de chance, il y a lieu d'accorder une indemnité
de 12 000 euros.
En ce qui concerne les préjudice sexuel et d'établissement :
21. Eu égard à la nature de ses séquelles, D... C... sera nécessairement privé de la possibilité d'avoir une vie sexuelle, de nouer des relations affectives et par suite de fonder une famille. Il sera fait une juste appréciation de ces deux chefs de préjudice en les évaluant à la somme de 80 000 euros. Eu égard au taux de perte de chance, Mme C..., en sa qualité de représentante légale de son fils, a droit à la somme de 64 000 euros.
Sur les préjudices propres de Mme C... :
En ce qui concerne les frais divers :
22. Il résulte de l'instruction, en particulier des factures produites, que Mme C... a exposé la somme totale de 8 395 euros au titre des frais d'assistance à expertise. Cette somme doit intégralement être mise à la charge du centre hospitalier Ouest Réunion.
En ce qui concerne le préjudice d'affection :
23. Il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation du préjudice d'affection subi par Mme C... en l'évaluant à la somme de 20 000 euros. Après application du taux de perte de chance, il y a lieu de porter la somme allouée à ce titre par les premiers juges à 16 000 euros.
En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :
24. Si l'indemnisation des frais d'assistance par une tierce personne ne peut intervenir qu'au profit de la victime, les proches de la victime qui lui apportent une assistance peuvent prétendre à être indemnisés par le responsable du dommage au titre des préjudices qu'ils subissent de ce fait.
25. Au titre de la réparation d'un " préjudice d'accompagnement ", Mme C... demande à être indemnisée des troubles dans ses conditions d'existence résultant de l'aide
quasi-permanente qu'elle apporte à son fils. Si une telle assistance implique nécessairement une altération majeure de son quotidien, elle n'apporte aucun élément de nature à établir qu'elle aurait, de ce fait, renoncé à certaines activités antérieures, qu'elles soient de loisir ou professionnelles Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 60 000 euros. Dès lors, l'indemnité de 52 800 euros accordée par les premiers juges doit être ramenée à 48 000 euros, cette somme tenant compte du taux de perte de chance de 80 %.
26. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, d'une part, de porter
à 1 687 043,83 euros l'indemnité totale due par le centre hospitalier Ouest Réunion à
Mme C..., en sa qualité de représentante légale de son fils D..., à laquelle doit s'ajouter le versement des rentes trimestrielle et mensuelle prévues respectivement aux points 12 et 14, selon les modalités qu'ils fixent. D'autre part, l'indemnité totale due par le centre hospitalier Ouest Réunion à Mme C... au titre de ses préjudices propres droit être portée
à 72 395 euros.
Sur les droits de la caisse :
En ce qui concerne les frais exposés pour le compte de son assuré :
27. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment de la notification actualisée des débours, établie le 9 décembre 2024, que la CGSS de la Réunion a exposé des débours en lien avec le handicap de D... C..., dont le montant échu au 27 janvier 2024 s'élevait
à 94 476,84 euros. Elle peut prétendre à être remboursée de ces débours dans la limite du taux de perte de chance retenu de 80 %, soit 75 581,47 euros.
28. D'autre part, s'agissant des frais futurs, le remboursement à la caisse par le tiers responsable des prestations qu'elle sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente. Il ne peut être mis à la charge du responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec son accord. Dès lors que le centre hospitalier Ouest Réunion s'oppose au versement d'un capital, celui-ci ne peut donc être accordé comme le demande la caisse. L'état des frais futurs produit par celle-ci comporte des frais d'appareillage, des frais médicaux et de rééducation, des frais hospitaliers et pharmaceutiques et des frais de transport. Contrairement à ce que fait valoir le centre hospitalier, il ne résulte pas du relevé des débours produit au soutien du dernier mémoire de la caisse que les frais d'appareillage liés aux corsets de siège auraient été doublement comptabilisés ni qu'ils ne seraient pas en lien avec les conséquences dommageables de l'ictère. Par suite, il y a lieu d'allouer à la caisse, dans la limite de 80 % du montant capitalisé de 1 573 087,06 euros estimé par elle, le remboursement sur justificatifs de ces frais à mesure de leur engagement.
En ce qui concerne l'indemnité forfaitaire de gestion :
29. La caisse ayant obtenu une majoration de ses débours en cause d'appel, la somme que le centre hospitalier Ouest Réunion a été condamné à lui verser au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion doit être portée à 1 212 euros, en application de l'arrêté du
23 décembre 2024.
Sur les intérêts :
30. Le tribunal a accordé à Mme C... et à la caisse les intérêts qu'ils demandaient respectivement à compter du 24 septembre 2018, avec capitalisation à compter du
24 septembre 2019, et du 28 mars 2019. Il y a lieu de confirmer ces principes, les intérêts ne pouvant toutefois courir sur les sommes accordées au titre des préjudices futurs.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
31. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier Ouest Réunion une somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par Mme C... à l'occasion du présent litige et il n'y pas lieu de faire droit aux conclusions de la caisse générale de sécurité sociale de La Réunion présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
32. Dans les circonstances de l'espèce, les frais de l'expertise ordonnée par la cour, liquidés et taxés à la somme de 5536,50 euros par une ordonnance du président de la cour
du 13 février 2024, doivent être mis à la charge du centre hospitalier Ouest Réunion.
DÉCIDE :
Article 1er : Le centre hospitalier Ouest Réunion est condamné à verser une somme
de 1 687 043,83 euros à Mme C..., en sa qualité de représentante légale de son fils D..., ainsi qu'une somme de 72 395 euros au titre de ses préjudices propres.
Article 2 : Le centre hospitalier Ouest Réunion est condamné, à compter du 3 avril 2025, à verser à Mme C..., en sa qualité de représentante légale de son fils D..., une rente annuelle au titre de l'assistance par tierce personne d'un montant de 148 628 euros qui sera revalorisée chaque année par application des coefficients prévus par l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, dans les conditions énoncées au point 12.
Article 3 : Le centre hospitalier Ouest Réunion est condamné, à compter du 18 juin 2026, à verser à Mme C..., en sa qualité de représentante légale de son fils D..., une rente mensuelle au titre de ses pertes de revenus futures liquidée selon les modalités définies au point 14, qui sera revalorisée chaque année par application du coefficient de revalorisation mentionné à l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale.
Article 4 : Le centre hospitalier Ouest Réunion est condamné à verser une somme
de 75 581,47 euros à la caisse générale de sécurité sociale de La Réunion au titre de ses débours échus, et à rembourser les frais futurs, sur présentation de justificatifs, dans la limite d'un montant de 1 258 469,65 euros.
Article 5 : L'indemnité forfaitaire de gestion allouée par le tribunal administratif de La Réunion à la caisse générale de sécurité sociale de La Réunion est portée à la somme de 1 212 euros.
Article 6 : Le jugement du tribunal administratif de La Réunion n° 1900076 du 1er juillet 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 7 : Les frais de l'expertise ordonnée par la cour, liquidés et taxés à la somme
de 5 536,50 euros par une ordonnance du président de la cour du 13 février 2024, sont mis à la charge du centre hospitalier Ouest Réunion.
Article 8 : Le centre hospitalier Ouest Réunion versera à Mme C... une somme
de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 9 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 10 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier Ouest Réunion, à Mme A... C... et à la caisse générale de sécurité sociale de La Réunion.
Délibéré après l'audience du 11 mars 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Sabrina Ladoire, présidente-assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 avril 2025.
Le rapporteur,
Antoine B...
La présidente,
Catherine GiraultLe greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21BX03593